Les quatre agents du commando Phoenix se rassemblèrent autour de l’établi en plein cœur de l’Hôtel 23. La boîte noire était raccordée au secteur et connectée à l’ordinateur portable grâce au câble récupéré plus tôt.
— Bon, ça fait douze heures que Hawse et moi on bosse sur cette mallette orange. Je suis totalement lessivé, mais je pense que nous avons peut-être réussi, expliqua Disco au reste du groupe.
— Quel était le souci ? demanda Doc qui n’avait qu’une hâte : rebrancher le câble à la surface pour bénéficier à nouveau des communications en rafales.
— J’ai été obligé de trouver la bonne combinaison des différents ports sur notre ordinateur pour qu’il arrive à communiquer avec la boîte noire. Les protocoles de sécurité en place coupaient les accès USB à notre système. J’ai dû aller dans le bios et réécrire quelques-uns des paramètres d’accès. C’est assez compliqué quand on n’a pas internet sous la main. J’ai dû tâtonner pas mal sur certains scripts.
— Qu’est-ce qu’on attend pour extraire les données ? s’impatienta Doc.
— Minute. J’ai été obligé de redémarrer. Ça ne devrait plus tarder.
Disco s’identifia et lança le logiciel que leur avait envoyé le porte-avions juste avant de perdre le contact. Toute une série de barres de téléchargement et de boîtes de dialogue apparurent à divers endroits de l’écran, indiquant que le programme était en train d’extraire les données de la boîte noire.
Toutes les données.
— Ça peut prendre quelques minutes. On va récolter plus que les données de géolocalisation. On devrait aussi récupérer l’altitude, le cap, la vitesse en vol, l’incidence aérodynamique, quasiment tout ce qu’on pourrait lire sur les instruments de vol. Des milliers de données.
Disco cliqua sur un autre programme et ouvrit le logiciel de cartographie de l’ordinateur.
— Ah, ce bon vieux FalconView. Ce n’est pas le logiciel le plus sophistiqué qui soit mais c’est vraiment facile à utiliser. Dès que les coordonnées de géolocalisation seront téléchargées, nous les transférerons dans ce logiciel et nous verrons tout le trajet qu’a suivi l’avion, des préparatifs jusqu’au lieu du crash.
Après cinq minutes d’analyse, les données furent enfin extraites de la boîte noire. Disco transféra alors les données de géolocalisation dans le dossier de fichiers de FalconView et la trajectoire de l’appareil apparut sous ses yeux sous forme de graphique.
— Voyons voir… d’après la boîte noire, cet avion venait de l’Utah.
— Tu peux être plus précis et donner autre chose que l’État ? railla Hawse.
— Bien sûr. Toutes les cartes ont été téléchargées dans notre ordi, y compris les cartes de navigation aérienne et les cartes tactiques. Je vais zoomer un peu plus.
Disco utilisa le logiciel pour obtenir une meilleure résolution des données.
— Roulement de tambour… l’avion a décollé d’une base aérienne dans le comté de l’Uintah. Je zoome encore. Juste une seconde… Bon, l’engin a décollé d’une piste située à cinq kilomètres au sud-ouest de la ville de Fort Duchesne, dans l’Utah. Les coordonnées de quadrillage exactes s’affichent en ce moment.
Disco recopia les coordonnées de quadrillage de la première étape du trajet sur une feuille de papier et effectua des captures d’écran de la zone.
Doc regardait par-dessus son épaule, nerveux.
— Vérifie bien ces coordonnées, Disco. Deux, trois fois si nécessaire.
— Pourquoi ? On a les captures d’écran. À quoi ça nous avancerait ?
— Contente-toi d’obéir.
— Bien reçu, chef. Je vérifierai quatre fois, si ça te chante. Je n’ai que ça à faire.
Disco vérifia les données encore et encore. Il avait localisé la base d’origine de l’avion à cent mètres près. Une fois qu’il eut fini, il plia la feuille et la tendit à Doc.
— Tu as fini avec ce truc ? demanda Doc qui connaissait déjà la réponse.
— Ouais, tout y est, répondit Disco lentement.
Il savait comment ça allait se terminer.
— Parfait, Hawse et toi, rapportez ce câble en surface. On aura peut-être un paquet de messages en attente à écouter.
— Je le savais ! Je me tape tout le boulot, et il faut quand même que je retourne à la surface. Je te filerai un taquet si jamais on revient, dit Disco à Doc.
— Moi aussi, je t’aime, Disco. Maintenant, sois un gentil responsable des communications et magne-toi de réparer nos systèmes, dit Doc.
— D’accord, mais le soleil est haut dans le ciel et on sera en terrain découvert jusqu’à ce qu’on en ait fini et qu’on ramène nos miches ici, objecta Hawse.
— On n’a pas le choix. Cette unité de communication est notre seul lien avec le monde extérieur. Si nous ne rétablissons pas nos moyens de communication, nous ne partirons jamais d’ici. Nous avons peut-être déjà manqué des ordres vitaux. D’après ce qu’on a vu, Remote six semble avoir du mal à contrôler ses joujoux. Faites fissa, c’est tout, leur conseilla Doc.
Hawse et Disco vérifièrent le niveau de pression de leurs armes avant de se diriger vers la surface.
Doc fit pivoter son fauteuil et se retrouva face à Billy.
— Il faut qu’on prépare l’ogive. On a peut-être déjà reçu l’ordre. Va chercher les check-lists, je m’occupe de la carte du commandant et des codes qui sont dans le coffre-fort.
En cette fin d’après-midi, le soleil perçait la voûte nuageuse lorsqu’ils sortirent par la porte située près de la console de communication. Ils balayèrent les environs du regard avant de s’aventurer à découvert, craignant que des morts vivants ne surgissent des broussailles à tout moment.
— Ça m’a l’air bon, Hawse.
— Ouais, c’est ce que Billy et moi on pensait jusqu’au moment où c’est parti en sucette grave la dernière fois.
— Oh, mais ferme-la. Ils n’étaient que quatre.
— Quatre à s’être montrés. Il y en avait probablement une centaine dans les fourrés, et ils étaient rapides, rétorqua Hawse.
Disco scruta à nouveau l’orée des arbres avant qu’ils ne se dirigent vers le boîtier.
— Tu t’occupes du câble, tu sais où il va. Je surveille tes arrières.
— T’as intérêt. Je plaisantais pas. Ils ont jailli des fourrés à la vitesse de l’éclair, vieux. Comme une lionne qui bondit sur une gazelle, sans mentir.
Ils s’élancèrent. Comme Hawse l’avait prédit, les herbes folles furent secouées de remous et vomirent un flot de morts vivants. Les deux agents ouvrirent le feu sur toute la zone, comme des soldats en patrouille au Vietnam.
— Je recharge ! s’écria Hawse.
Son chargeur était vide ; il l’avait vidé dans les fourrés sous l’effet du stress.
Sans le couvert de la nuit et l’aide de la technologie, les choses étaient bien différentes. Ils éliminèrent une première vague de créatures, ce qui donna à Hawse le temps nécessaire pour rebrancher le câble. Il ne lui fallut pas longtemps. La marque au feutre argenté qu’il avait laissée lors de son précédent passage facilita grandement l’opération. Hawse vérifia la forêt de câbles et replaça le couvercle du boîtier qui renfermait le coûteux matériel. Disco continua à faire feu, visant en priorité les cibles les plus proches, pendant qu’ils s’éloignaient de la console.
Lorsqu’ils furent tout proches de la porte d’accès, une explosion ébranla toute la zone. Hawse fut projeté à dix mètres et atterrit lourdement sur le dos.
Qu’est-ce que… ? essaya d’articuler Hawse sans pouvoir produire un son. Il avait le souffle coupé, et de la terre calcinée lui tombait sur le visage en une fine pluie.
Les morts vivants étaient trop loin de l’explosion pour en avoir souffert et se précipitèrent en direction de Hawse. Faisant abstraction de la douleur et du manque d’oxygène dans ses poumons, Hawse se releva dans un effort surhumain. Il tira quelques balles au jugé sur les créatures. Il ne les toucha pas à la tête mais réussit à les déséquilibrer et à faire en sorte qu’elles se gênent les unes les autres.
Une centaine de créatures envahit le périmètre de la base en escaladant un pan de clôture effondré.
Hawse, qui n’apercevait Disco nulle part, se vit obligé de prendre une décision dans la seconde. La dernière image du monde extérieur qu’il emporta fut un torrent de morts vivants qui se déversait droit sur lui. Il referma le sas d’accès sur leurs visages décatis et grimaçants. Le sas claqua comme la porte d’un coffre-fort. Hawse s’écroula sur le revêtement de métal de la base, inconscient et baignant dans son sang.
Billy fut sur les lieux en quelques instants et emmena Hawse à l’infirmerie en le portant sur son épaule. Doc le rejoignit et appliqua immédiatement les premiers soins. L’épaule droite de Hawse saignait toujours ; un éclat de shrapnel avait déchiré son gilet et sa chemise. Après l’application d’agents hémostatiques, une heure de chirurgie intense et quelques sutures, l’hémorragie fut stoppée. Billy montait la garde à côté du lit équipé d’une poche pour transfusion intraveineuse.
— Disco, marmonna Hawse en plein délire, émergeant par moments de l’inconscience.
— On est à sa recherche, reste couché, le rassura Billy.
Il espérait que le sédatif distillé par la poche ferait un peu plus effet à présent.
Non loin de là, dans le centre de commande, Doc panota les caméras extérieures. Aucun signe de Disco. Les morts vivants se rassemblaient à l’endroit où ils l’avaient vu pour la dernière fois.
Ils continuèrent à panoter les caméras dans toutes les directions pour le repérer. Il ne servait à rien d’effectuer une sortie parmi les morts vivants ; ils pouvaient utiliser les caméras jusqu’à la tombée de la nuit.
Les recherches de Doc furent interrompues par un bip émit par la console des communications par rafales.
Un message d’alerte clignotait à l’écran, indiquant qu’un nouvel ordre venait d’arriver : « Lancement, lancement, lancement. Les membres du PCG autorisent la base de Nada à procéder à un lancement immédiat selon les coordonnées ci-jointes. Lancement, lancement, lancement. »
— Billy, attache-le et rapplique ! s’écria Doc.
Le bruit des bottes de Billy martelant le sol de béton se fit de plus en plus fort au fur et à mesure qu’il s’approchait.
— On a l’autorisation de lancer. La formulation est très bizarre. Qu’est-ce que tu en dis ? demanda-t-il à Billy.
— Il y a quelque chose qui cloche. Ils savent qu’on est ici ; ils viennent tout juste de se rappeler au bon souvenir de Hawse et Disco, répondit Billy posément.
Doc vérifia les coordonnées jointes à l’ordre de lancement et eut la confirmation que la cible se trouvait au sud-est de Pékin. Il déplia la feuille qui se trouvait dans sa poche. Il allait tout jouer sur un coup de poker.
Il était trop tard pour élaborer un plan. Remote Six attaquait à nouveau l’Hôtel 23. Ce n’était qu’une question de minutes avant qu’un autre missile ne détruise une porte d’accès principale et que les morts vivants n’envahissent la base.
Doc était contraint de prendre une décision qui, jusqu’à présent, était l’apanage des présidents en fonction. Il ouvrit la check-list du système de lancement du missile de l’Hôtel 23 et entama la séquence qui libérerait l’arme la plus puissante jamais conçue par l’Homme.
— Est-ce que L’explosion a endommagé la porte d’accès ? demanda Dieu.
— Négatif, monsieur. Nous l’avons manquée. Un autre engin est en route avec un missile autoguidé. Il arrivera à destination dans trente-cinq minutes.
— L’Hôtel 23 va bientôt lancer l’ogive contre le commando Hourglass. C’est regrettable, mais nous ne pouvons laisser les reliquats de l’autorité mettre la main sur cette technologie de pointe. Cela nuirait drastiquement à nos plans.
Dieu observait les images des caméras de surveillance et vit les hordes de morts vivants s’agglutiner autour de l’Hôtel 23. Il repéra un mouvement : la porte du silo s’ouvrait, comme prévu. Dieu sourit. De la fumée blanche s’échappait de la cavité carrée en train d’apparaître dans le sol.
— Bientôt, cette ogive fera route vers la Chine, et notre missile autoguidé soufflera les portes de l’Hôtel 23, affirma Dieu, sûr de son fait.
Quelques secondes seulement après avoir quitté le silo, l’ogive franchit le mur du son. Au bout de quelques minutes, elle avait totalement quitté l’atmosphère terrestre. Vu de l’espace, tout paraissait normal à la surface, à des kilomètres en contrebas. Un gigantesque front orageux enveloppait le Kansas. Des nuages masquaient le Montana. Le système de guidage de l’arme apocalyptique, qui ne dépendait pas de la technologie GPS, fit prendre à l’ogive une trajectoire ascendante et détermina sa position exacte par rapport à la Terre. Elle se maintint quelques instants en orbite avant de piquer du nez et de foncer vers sa cible. Une fois dans l’atmosphère, le système d’autoguidage de l’ogive commença à ajuster son cap. L’ogive se mit à pivoter légèrement. Sa trajectoire balistique s’affinait de manière aérodynamique, au centimètre près.
— Dieu, nos radars indiquent que l’ogive de l’Hôtel 23 se dirige droit vers notre installation !
Des sirènes d’alarme hurlèrent dans toute la base de Remote Six. L’ogive fonçait sur eux. La base s’anima brusquement ; les techniciens et les membres du groupe de réflexion consultaient leurs manuels, en quête d’une solution pour éviter l’annihilation.
Les plans eugéniques de Dieu s’écroulaient sous ses yeux. Sa technocratie utopique, dirigée par une élite génétiquement supérieure, ne verrait jamais le jour.
— Comment ces imbéciles ont-ils fait ?! hurla-t-il. Comment ces culs-terreux ont-ils pu déjouer nos cerveaux et notre puissance de calcul ?
Dieu frappa du poing sur un bureau en métal tout proche, renversant du café sur les documents confidentiels bien sagement empilés.
Un moniteur s’anima, au milieu d’un mur d’écrans cathodiques qui d’habitude affichaient des résultats de calculs quantiques. Un simple rectangle vert clignotait, marquant le passage des secondes. Un message apparut lentement :
JE SUIS QUANTIQUE. QUANTIQUE A DÉTRUIT LE C-130. QUANTIQUE VOUS DÉTRUIRA.
Dieu n’eut pas le temps de réagir.
Vingt-six minutes et douze secondes après son lancement, l’ogive atteignit sa cible sans coup férir en mode explosion en surface. À un mètre cinquante du sol, une série de détonateurs se déclenchèrent simultanément, entraînant la fission du noyau. L’explosion nucléaire qui s’ensuivit désintégra instantanément tout ce qui se trouvait sous, ou à proximité, du point d’impact.
Remote Six n’était plus.