Chapitre 20
Chak garda les yeux rivés sur les deux silhouettes. Il n’aurait pas trouvé le courage de tenter le saut s’il avait regardé le fossé. L’un des deux fuyards était une femme et l’autre un vieillard, qui peinait visiblement à suivre l’allure imprimée par sa compagne. Leurs vêtements clairs, déchirés, informes, ressemblaient aux tenues traditionnelles des Albains.
Chak se demanda ce que des Albains pouvaient bien foutre dans ce marais putride à plus d’un millier de kilomètres des pays balkaniques, leur territoire habituel. Et surtout, ce que pouvait bien foutre une femme albaine dans la lumière du jour, elle qui, en théorie, n’était censée se montrer qu’après la tombée du soleil, dûment protégée des regards par des mètres et des mètres de tissu. Sa longue chevelure dansait comme un feu noir autour de ses épaules et au-dessus de sa tête, ses pieds nus et ses jambes claires sortaient en cadence de sa robe fendue sur le devant jusqu’en haut des cuisses. Le vieux, lui, portait une veste foncée ouverte sur une chemise sans col, un pantalon bouffant de couleur crème et des bottes aux tiges évasées et courtes. Son crâne luisait de sueur au centre d’une couronne de cheveux blancs.
Chak maugréa mais n’osa pas déverser sa colère sur Solman, figé comme un chien à l’arrêt sur le siège passager et dont la vision, la putain de vision, risquait tout simplement de bousiller un camion qu’il avait bichonné pendant une vingtaine d’années. Sans compter les sauterelles. Excitées par la chaleur, par le bruit, elles s’infiltreraient dans les interstices de la calandre, sous les roues, dans le bas de caisse, elles s’engouffreraient dans le moteur, elles investiraient les conduits d’aération, elles assiégeraient la cabine avec la pugnacité et la férocité de machines à tuer. Tout ça pour voler au secours de deux membres d’un peuple qui cachait ses femmes comme des trésors inestimables et qui ne se gênait pas pour cracher son dédain à la face des autres peuples nomades, même de leurs fournisseurs en eau et en vivres. Et eux, qu’est-ce qu’ils avaient à offrir en échange ? Du kaoua, cette saloperie dont l’amertume lui flanquait d’épouvantables nausées, le mettait dans un état d’énervement sexuel qu’il ne pouvait jamais apaiser et lui préparait une vieillesse difficile, comme à tous les chauffeurs…
L’ombre de la nuée les ensevelissait dans une obscurité inquiétante, son ronflement les empêchait de discerner le bruit du moteur. L’aiguille du compte-tours avait bondi depuis un bon moment dans la zone rouge, le voyant d’huile clignotait avec frénésie. Encore quelques centaines de mètres à ce régime, et le moteur serrerait, les pistons jailliraient de leurs cylindres comme des balles, crèveraient le carter d’huile, se répandraient sur la piste comme des viscères brûlants, palpitants, inutiles.
« J’espère vraiment que tu sais ce que tu fais, donneur », marmotta Chak.
Le camion avala à toute allure les trente derniers mètres qui le séparaient du fossé.
« Cramponne-toi, fils ! »
Les roues avant s’envolèrent de trente ou quarante centimètres, et la cabine franchit sans encombre la tranchée, finalement large de plus de trois mètres. Chak s’agrippa de toutes ses forces au volant de peur d’être éjecté de son siège. Le camion plana dans les airs pendant un temps qui s’étira indéfiniment, puis le poids de la citerne le déséquilibra, l’entraîna dans un mouvement de bascule, le train arrière reprit contact avec la terre dans un hurlement d’amortisseurs à l’agonie, précédant d’une fraction de seconde un deuxième choc, celui du train avant, qui s’écrasa à son tour au sol dans un fracas de tôle malmenée. Chak décolla de son siège, heurta du haut du crâne le toit de la cabine, retomba devant le volant à demi étourdi, eut le réflexe de corriger une amorce de dérapage d’un petit coup de volant, se maintint sur la piste, lança un coup d’œil à Solman, collé au fond de son siège.
« Nom de Dieu de nom de Dieu, on est passés ! »
Son cœur tambourina de joie, puis d’inquiétude, à nouveau : de nouvelles fêlures étaient apparues sur le pare-brise, partant des extérieurs pour courir vers le centre, comme des araignées mises en branle par les frémissements de leur toile. Chak relâcha un peu la pédale de l’accélérateur pour réduire l’amplitude des vibrations. Si les vitres cédaient maintenant, ils seraient autant démunis que les deux Albains face aux insectes tueurs.
Tout en courant, la fille leur adressait de grands signes tandis que le vieux, visiblement au bord de la rupture, restait ramassé sur ses foulées courtes et rasantes. Les cent mètres à couvrir pour parvenir à leur hauteur parurent plus longs à Chak qu’une nuit entière de veille. Solman se départit soudain de son immobilité, ouvrit la portière, se posta sur le marchepied et se pencha sur le côté, cramponné à la tige du rétroviseur. La stridulation, assourdissante, s’engouffra en même temps qu’une répugnante odeur de chitine dans la cabine. Chak ralentit sans cesser de fixer l’avant-garde de la nuée. Les sauterelles dépassaient sans doute les quinze centimètres de longueur. Elles n’étaient pas de couleur verte, comme les petites sauterelles qui sautaient de brin en brin d’herbe dans la chaleur de l’été, mais d’un brun rouge tirant sur le noir. Elles volaient en rangs serrés, par endroits agglutinées les unes aux autres à la façon d’abeilles dans leur ruche.
Chak rétrograda et appuya sur la pédale de frein par petits coups successifs, une précaution qui n’empêcha pas le camion d’être secoué par une nouvelle série de tremblements. Il posa la main sur le pare-brise afin d’enrayer les vibrations. Les pneus gémirent, abandonnèrent de la gomme, de la fumée et des traces profondes et noires dans leur sillage. Il crut percevoir une forme volante percuter le verre, et son cœur s’arrêta de battre. Le camion s’immobilisa enfin à hauteur des deux Albains. Chak eut juste le temps de se rendre compte que la fille était jolie, très jolie, et le vieux fatigué, très fatigué. Ensuite il coupa le moteur et surveilla avec une angoisse nauséeuse la progression de la nuée. Il trouva incroyablement long le temps nécessaire aux deux miraculés pour s’introduire dans la cabine. Il discernait maintenant les têtes triangulaires des sauterelles, leurs yeux fendus et luisants, leurs antennes souples, leurs ailes translucides, leur carapace granulée, le dard déployé et recourbé à l’extrémité de leur abdomen étranglé. Des millions et des millions de soldats porteurs d’un venin foudroyant. Des légions rassemblées et manipulées un siècle plus tôt pour répandre une mort massive, aveugle, dégueulasse.
« Ferme cette putain de portière ! » glapit Chak, au bord de la crise de nerfs.
Il fut surpris de constater que la fille s’était déjà hissée sur le siège. Frappé de plein fouet par sa beauté. Un rêve fugitif en plein milieu du cauchemar. Solman achevait de tirer le vieillard à l’intérieur de la cabine. Une sauterelle se posa sur le pare-brise et envoya ses antennes en reconnaissance du matériau invisible qui lui coupait le chemin. Chak contint à grand-peine un hurlement. Il décelait une intelligence démoniaque dans les yeux noirs de l’insecte qui le fixait en balançant d’un côté sur l’autre sa tête et son dard. Une deuxième atterrit sur le verre, puis une troisième, une quatrième.
« La porte, Solman, gémit le chauffeur.
– C’est fait. »
Chak osa un regard vers la droite et constata que la portière était effectivement refermée. Tellement obnubilé par les insectes qu’il n’avait pas entendu le claquement. Le vieux, assis à côté de la fille, crachait ce qui restait de ses poumons tout en le dévisageant avec une curiosité empreinte d’ironie. Solman, debout, la tête rentrée dans les épaules, lui adressait un sourire complice.
« Moins une, hein, Chak ?
– On n’est pas encore sortis de la merde, grommela le chauffeur. Le pare-brise est fendillé, et le poids de ces foutues bestioles risque de le faire éclater. Quant au camion, je préfère ne pas te parler de son état ! »
Les yeux de la fille, des yeux d’un noir si profond qu’il paraissait impossible d’en toucher le fond, restaient fixés sur le pare-brise, désormais recouvert d’une multitude grouillante. De même il ne restait plus un pouce de transparence sur les vitres latérales. Ils étaient cernés de toutes parts par une armée de mandibules, d’ailes, de thorax, d’abdomens, de dards. Les sauterelles bruissaient de fureur, frustrées de leur frénésie meurtrière par ces obstacles imprévus de verre et d’acier. Leurs pattes et leurs antennes crissaient sur les pièces métalliques du pare-chocs, de la calandre, du bas de caisse et du moteur, des milliers de bourdonnements et de grincements se répondaient sous le capot, entre les roues, sur la paroi arrière de la cabine.
« Le camion doit ressembler à une m… à une charogne couverte de mouches », lâcha Chak.
L’odeur de chitine lui soulevait le cœur, transformait sa frayeur en une succession de nœuds douloureux qui partaient de son bas-ventre pour s’échelonner jusqu’à sa gorge.
« Votre camion est très important pour vous, n’est-ce pas ? » fit le vieil Albain entre deux expirations sifflantes.
Son accent italien, ou balkanique, accentuait la suavité de son français. Ses yeux se réduisaient à deux traits étincelants sous les rides profondes de son front et les barres sombres de ses sourcils.
« Si les Aquariotes n’avaient pas de camion, vous ne boiriez pas d’eau potable, répliqua Chak avec une agressivité mal maîtrisée. Si je n’avais pas pris soin de mon camion, vous ne seriez plus qu’un cadavre au moment où je vous parle. Et d’abord, qu’est-ce que vous branliez dans ce marais ? »
Le vieil homme lissa du plat de la main les cheveux imaginaires du sommet de son crâne.
« Les nôtres nous ont bannis du campement, répondit-il d’une voix sourde.
– Les vôtres, ce sont les Albains ?
– Tout juste. Il existe chez eux… chez nous certaines lois avec lesquelles on ne peut transiger. »
Le regard de Chak passa alternativement du vieux à la fille, toujours absorbée dans la contemplation des sauterelles. Il s’agrippa à sa volonté pour ne pas s’égarer entre les plis de la robe d’où émergeaient des jambes qu’il devinait fascinantes.
« Les lois qui concernent les femmes, je suppose…
– Encore touché. Ma petite-fille a pris quelques libertés avec les coutumes de notre peuple. Comme je suis son unique parent, ils nous ont bannis tous les deux. Cela fait plus de deux mois que nous errons sur le littoral méditerranéen.
– Qu’est-ce que vous buvez ? Qu’est-ce que vous mangez ? »
Parler détendait quelques-uns des nœuds qui obstruaient les conduits du corps de Chak. Solman, assis sur l’accoudoir du siège passager, ne prêtait aucune attention à la conversation. Les yeux mi-clos, il paraissait absent, retiré en lui-même, voguant vers des rives que les hommes ordinaires ne découvriraient jamais.
« Dans sa grande bonté, le conseil albain nous a donné une réserve d’eau et de vivres. Nous avons tenu jusqu’à hier en nous rationnant. »
Chak désigna la fille d’un coup de menton.
« Qu’est-ce qu’elle a fait ?
– Chez nous, sortir en plein jour pour une femme est considéré comme une provocation.
– C’est tout ce qu’elle a fait ? Sortir en plein jour ?
– Dans une tenue… dans une absence de tenue, devrais-je dire, qui a heurté la vertu de certains de nos hommes. »
Le regard de Chak frôla les sauterelles agglutinées sur le pare-brise. Il préféra ne pas penser à ce qui se passerait si la vitre cédait. La sueur plaquait sa veste sur ses épaules et son dos, collait son pantalon et son caleçon à ses cuisses, à son entrejambe. Les bourdonnements et les grincements lui pénétraient dans la poitrine et le ventre comme des milliers de griffes assassines.
« À poil, vous voulez dire ? »
Le vieil homme acquiesça d’un hochement de tête.
« Elle est juste un peu… sauvage. Elle ne pensait pas à mal.
– Ouais, je gage que ce n’était pas le cas de tout le monde. Vous étiez au dernier rassemblement ?
– Chez nous, seules certaines familles sont invitées au grand rassemblement. Et nous n’en faisions pas partie. »
L’Albain et sa petite-fille laissaient une impression bizarre à Chak. Leur histoire se tenait, et encore, en admettant qu’un vieil homme et une fille d’une beauté à damner tous les chauffeurs aquariotes soient parvenus à survivre pendant deux mois en dehors de la protection de leur peuple, mais quelque chose ne collait pas, sonnait faux, un peu comme lors de ces représentations théâtrales données par les troupes errantes à l’occasion de rencontres et où il se produisait toujours un événement, un bafouillage, une hésitation, un contretemps, pour perturber la crédulité des spectateurs.
Le rideau de sauterelles était tellement dense que la cabine baignait dans une obscurité oppressante. Chak vérifia pour la centième fois l’état du pare-brise, puis s’autorisa à reluquer les jambes de la fille. Malgré une visibilité réduite, il constata qu’elles étaient aussi admirables qu’il l’avait pressenti. De même, on devinait une poitrine ferme, arrogante, sous le haut de la robe de coton qui la couvrait jusqu’à la naissance du cou. Comme chaque fois qu’il découvrait une nouvelle, une « chair neuve » comme disaient les chauffeurs entre eux, une onde de chaleur monta du bas de sa colonne vertébrale et se propulsa dans son cerveau où elle calcina ses pensées. L’espace de quelques instants, il oublia les sauterelles agglomérées sur le verre et la rumeur exaspérante de la nuée, il ne fut plus qu’une masse de chair torturée par un désir brutal, obsessionnel, douloureux. Le phénomène se produisait chaque matin après une nuit de conduite et l’absorption d’un litre de kaoua – il lui fallait se jeter sur une femme, la sienne ou une autre, afin de soulager une tension qui le rendait à moitié fou –, mais il était particulièrement accentué par la présence et la beauté de cette fille, par la perspective de conquérir une terre inconnue et pleine de promesses.
Un craquement le ramena à la fois à la réalité des sauterelles et au souvenir navrant de Selwinn. Le pare-brise ployait sous le poids du grouillement, et les fêlures s’étaient remises à courir vers le ventre de la vitre. Chak se pencha par-dessus le volant, tendit le bras et plaqua la main sur le verre.
« Vous devriez faire la même chose que moi si vous ne voulez pas que ces foutues bestioles nous dégringolent dessus. »
Personne ne tenant compte de sa suggestion, il demeura seul dans son inconfortable position, aux prises avec la sensation épouvantable de gratter le ventre des insectes et un désir encombrant qui se désagrégeait en cendres froides.
Les sauterelles renoncèrent au bout de plusieurs heures d’un siège acharné. Solman avait aidé Chak à consolider le pare-brise à l’aide de couvertures pliées et des montants métalliques de la couchette arrachés de leurs supports. Des antennes s’étaient glissées entre les grilles tendues sur les bouches d’aération. Des insectes, plus agressifs, plus tenaces que les autres s’étaient faufilés par les interstices de la calandre et frayé un passage dans l’enchevêtrement du moteur. Sans doute s’étaient-ils introduits par les fissures des durites et avaient-ils remonté les conduits jusqu’aux bouches qui donnaient sur la cabine, toujours est-il qu’ils n’avaient été arrêtés que par les grilles solidement rivées au tableau de bord. Chak avait distingué les antennes pourtant difficiles à repérer dans l’obscurité et, même s’il avait sorti son pistolet et déverrouillé le cran de sûreté, il les avait regardés s’agiter avec une terreur incommensurable.
Une stridulation enfla, domina les grincements, les bourdonnements, retentit comme un appel. Pendant quelques instants, des frissons agitèrent la tôle du camion, puis des jours transpercèrent les essaims sur les vitres latérales et projetèrent des faisceaux étincelants à l’intérieur de la cabine qui, progressivement, allèrent s’agrandissant. La lumière apparut au travers des couvertures étalées sur le pare-brise.
« Elles se tirent, on dirait », murmura Chak.
Il regretta aussitôt d’avoir laissé échapper ces mots. La superstition voulait, chez les chauffeurs, qu’il suffisait d’affirmer une chose pour que son contraire se produise immédiatement. Mais les sauterelles continuèrent de déserter le camion tout en amplifiant cette stridulation suraiguë qui paraissait les fondre dans une même entité, dans un même dessein.
Ils patientèrent encore une bonne heure après que les bruits se furent estompés, qu’un silence imprégné de l’odeur de chitine et habité par une menace traînante fut descendu sur la cabine.
« Je propose que nous allions respirer dehors, proposa le vieil Albain.
– L’air pur du marais ? » ricana Chak.
Solman ouvrit la portière, observa le ciel lavé de ses derniers nuages puis la terre grise de la piste, jonchée des insectes qui avaient probablement été carbonisés par les pièces encore brûlantes du camion, pot d’échappement, bloc-moteur, radiateur. Quand il se fut assuré qu’il n’y avait plus de danger, il dévala le marchepied et fit quelques mouvements pour détendre sa jambe, au supplice depuis que le vieil homme et sa petite-fille s’étaient réfugiés dans la cabine. Elle n’était pas sa petite-fille d’ailleurs, mais cela n’avait aucune espèce d’importance. Elle était celle qu’il attendait, celle qui comblait son vide, celle qui l’accompagnerait dans les derniers combats de sa vie. En elle coulait une source plus pure que n’en rêveraient jamais les sourciers aquariotes. Elle venait le chercher pour l’emmener vers son destin, pour le conduire aux portes fascinantes d’un autre monde, d’un monde de paix et d’harmonie qui ressemblait comme un frère jumeau à l’idée qu’il se faisait de la mort.
Le soleil, radieux, ne parvenait pas à dissiper la morosité du marais. Un vent sec dispersait l’odeur de chitine et ravivait la puanteur montant des mares croupies et des plantes putréfiées. Le vieil homme descendit à son tour – de la vieillesse, il n’avait que l’apparence, comme s’il avait passé un costume usé sur un esprit sans âge –, défroissa sa veste et examina d’un œil distrait les sauterelles disséminées sur le sol.
« Certaines de nos amies ont manqué de prudence…
– On pourrait dire la même chose pour vous, dit Solman. Traverser à pied un marais de cette dimension n’est pas précisément un acte de prudence.
– Bah, nous sommes dans les mains de la mère Providence, rétorqua le vieil homme en haussant les épaules. La preuve, elle a envoyé votre camion à notre secours.
– Je ne suis pas certain que la Providence ait quelque chose à voir là-dedans. »
Un sourire fugitif flotta sur les lèvres brunes du vieil homme.
« Vous me semblez bien raisonneur pour un garçon de votre âge. À qui ai-je l’honneur ?
– Solman le boiteux, donneur du peuple aquariote. »
Le sourire se fit cette fois plus appuyé, plus chaleureux, dans le foisonnement de rides du vieil homme.
« Même moi, qui n’ai jamais été invité à un grand rassemblement, j’ai entendu parler des jugements de Solman le boiteux, dit-il.
– Quel est votre nom ? »
L’hésitation de son interlocuteur, infime pourtant, n’échappa pas à l’attention de Solman.
« Ismahil… Mais là-bas, au campement, on m’appelait le Sage ou le Fou, selon les opinions.
– Et elle ? »
Solman désignait la jeune femme qui venait de faire son apparition sur le giron supérieur du marchepied.
« Kadija. »