Forêt de Trahant, non loin de l’Hermitière, au même moment, décembre 1306
Un silence pesant, hostile, régnait dans la cabane de rondins, nichée au creux des bois.
Assis sur une paillasse bourrée de foin, les chevilles lâchement entravées par une corde, tout comme les poignets, Huguelin n’avait presque pas desserré les dents depuis son arrivée céans. Il n’avait compris que deux ou trois heures plus tard qu’Igraine lui avait odieusement menti et qu’il se retrouvait son captif. Le reste faisait peu de doute dans son esprit : il devenait monnaie d’échange pour faire ployer son jeune maître. Le garçon s’en voulait terriblement d’avoir maintes fois défendu la mage lorsque Druon avait commencé de s’en défier.
Oh, et cet espèce de volatile perché sur sa poutre, qui ne cessait de s’ébrouer, remuant des ailes en ouvrant le bec ! Si jamais il l’attrapait… non, il ne le tuerait pas. Arthur, en dépit de sa noirceur1, ne lui avait fait aucun mal. Jusque-là.
Laig déposa devant lui un gros bol de soupe épaisse et fumante. Il ne leva pas les yeux vers elle. Soudain, pris de rage, il balança ses souliers de fille contre le récipient, l’envoyant promener sur le sol. La soupe se répandit.
D’une voix désolée, la femme aux cheveux blonds presque blancs commenta :
— Tu n’as rien mangé depuis ton arrivée. Il fait très froid. Tu vas dépérir.
Aréva intervint d’un ton autoritaire :
— Il suffit avec ces caprices. Mange !
— Va torcher le cul du diable ton maître, sorcière ! cria le garçonnet, mâchoires crispées de colère.
Aréva, stupéfaite, le détailla.
— Mais sorcières nous ne sommes pas ! tenta-t-elle de se justifier.
— Si ! D’ailleurs, seules les sorcières savent apprivoiser les freux.
Igraine poussa la porte à cet instant et pénétra, tenant trois lièvres morts qu’elle avait piégés en forêt. Sans doute avait-elle entendu les éructations d’Huguelin puisqu’elle déclara, guillerette à son habitude :
— Huguelin, de grâce, fais-moi plaisir, mange.
— Non !
— Nous nous aimions bien, jeune homme, n’est-il pas exact ?
— Non ! Vous m’avez induit en erreur avec vos mines affables. Oh, comme je m’en veux de vous avoir cherché atténuations ! Lorsque l’on ravit2 quelqu’un, on ne l’aime pas bien !
— Si tu ne manges pas, tu vas périr, argumenta-t-elle.
— Fort bien. Ainsi, vous ne pourrez plus affaiblir mon maître, si je trépasse.
Paderma, qui n’avait pas proféré un mot, s’installa au côté d’Huguelin et murmura à son oreille :
— Un calcul bien erroné, mon beau. Admettons : tu décèdes après une longue agonie, très pénible, d’inanition. Nous prétendrons quand même que tu es bien vif et Druon cédera à nos exigences afin que nous te libérions. Nous obtiendrons donc ce que nous voulions, à ceci près que tu seras mort. Imagine le chagrin que tu causerais alors à ton jeune maître. N’est-ce pas bien insensé ?
Il détailla la fillette qu’il aurait volontiers mordue au sang, ne pouvant la battre avec ses poignets ligotés. Tudieu, comme il la détestait. Cela étant, son raisonnement se révélait imparable.
— Dame Laig, pouvez-vous, je vous prie, me resservir un bol de soupe épaisse avec un bon morceau de pain ?
De plus, il devait conserver ses forces. Druon en aurait peut-être besoin.