23, 24, 25 février 1848, chute de Louis-Philippe, proclamation de la République.
23, 24, 25 juin 1848, insurrection ouvrière à Paris.
20 décembre 1848, Louis Napoléon Bonaparte élu président de la République.
La révolution de 1848 et la Seconde République jettent les écrivains dans le combat politique. Des trois historiens de 1847, Lamartine et Louis Blanc vont jouer un rôle capital, le premier surtout, à la tête du Gouvernement provisoire. Mais tous, ou presque tous, s’en mêlent, depuis le jeune Baudelaire faisant le coup de feu aux côtés des insurgés de Février jusqu’à George Sand, employée pendant plusieurs semaines comme propagandiste officielle de la République. Lamennais, Lacordaire, Montalembert, Quinet, Leroux, Béranger, Proudhon sont élus députés, de même que Tocqueville qui deviendra ministre des Affaires étrangères en 1849. Au moment de l’épilogue – le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte –, c’est encore un écrivain, Victor Hugo, qui se fera le porte-parole de la protestation et incarnera dans l’exil l’idée inflexible de la revanche républicaine.
Dix-huit années après l’efflorescence des trois glorieuses de Juillet éclatent les journées pluvieuses de Février, au bout desquelles, pour la seconde fois, la République est proclamée. Malgré les avertissements de Tocqueville, la révolution de Février est inattendue. C’est que Louis-Philippe, contrairement à son devancier Charles X, s’est muré dans une légalité stricte, appuyé sur une majorité parlementaire. Mais la judicieuse distinction établie naguère par Royer-Collard entre « pays légal » et « pays réel » n’a jamais été aussi flagrante : c’est même un divorce qui oppose depuis le début de 1847 la France profonde à l’oligarchie guizotine qui tient les rênes. L’impopularité de Guizot, encore desservi par sa personnalité aride, s’est accrue d’année en année. Sainte-Beuve le souligne : « Ce qui l’a perdu, c’est précisément, avec un esprit si supérieur, de n’être point habile, d’être roide, d’être antipathique [...] ; de n’avoir à aucun degré le sentiment de l’opinion publique et populaire, et de l’irriter sans cesse1. » Son refus de toute réforme a mobilisé contre lui l’ensemble de la moyenne et petite bourgeoisie écartée de la citoyenneté active. Les duretés de la conjoncture économique lui sont imputées et incitent les classes laborieuses à soutenir la campagne des réformes, dont Guizot est la cible. C’est de cette campagne des banquets que vont résulter les journées fatales à la monarchie de Juillet.
Au terme d’un mouvement entretenu tout au long de l’année 1847 par les représentants de la gauche dynastique (Odilon Barrot) et le parti radical (c’est-à-dire le parti républicain d’Alexandre Ledru-Rollin, mais le mot est interdit), un ultime banquet à Paris doit conclure la série des 70 banquets tenus en province. Celui-ci est prévu à Chaillot le mardi 22 février. Le gouvernement se montre d’autant plus inquiet que les organisateurs ont programmé un défilé des convives depuis la Madeleine jusqu’à Chaillot. Le 21 au soir, banquet et « procession » sont interdits. Les députés de la gauche dynastique s’inclinent, mais Lamartine déclare à qui veut l’entendre qu’il se rendra tout de même au banquet. Du reste, l’interdiction arrive trop tard aux oreilles du gros des participants qui, le lendemain matin, s’attroupent comme prévu à la Madeleine. Une foule sans chefs, quelque peu désorientée, bat le pavé sous la pluie. C’est alors que surgissent les étudiants venus du quartier Latin, entonnant La Marseillaise, Le Chant du départ et le Chœur des Girondins. La colonne des manifestants, grossie des gens du peuple, des militants des sociétés secrètes et des rituels badauds, se dirige vers le Palais-Bourbon où elle se heurte à la cavalerie alertée. Des accrochages se produisent plus tard aux Champs-Élysées, sur les boulevards, au Châtelet... Les pierres et les chaises volent, on construit les premières barricades.
Le mercredi 23 février, jour de vent et de pluie, la situation est jugée assez sérieuse pour que le gouvernement demande à la troupe d’occuper les principaux points stratégiques de la capitale et mobilise la garde nationale. Fâcheuse décision : la garde nationale est une milice bourgeoise composée largement de boutiquiers et d’artisans, malmenés par la crise et écartés des urnes faute de payer les 200 francs de contribution directe requis. En de nombreux endroits, loin d’assister la troupe et la gendarmerie, elle manifeste sous son uniforme aux cris de : « Vive la Réforme ! », « À bas Guizot ! », et s’interpose entre les forces de l’ordre professionnelles et les insurgés qui, en cette journée du 23 février, ont considérablement renforcé leurs rangs. Cette fois, le roi, pressé par la reine Marie-Amélie, se décide à se séparer de Guizot avant qu’il ne soit trop tard. C’est chose faite dans l’après-midi : Guizot vient annoncer sa démission à la Chambre, tandis que Louis-Philippe confie au comte Molé le soin de constituer un nouveau gouvernement. Pourtant, si cette décision rassure une partie de la garde nationale et la bourgeoisie hostile à Guizot, elle ne suffit pas à désarmer des manifestants qui prennent conscience de leur force à l’est de Paris. Les chefs des insurgés n’ont rien prévu ; échaudés qu’ils sont par les émeutes sans issue des années 1830, ils ne pensent pas les conditions réunies pour tenter un coup de force. L’explosion spontanée du peuple de Paris les remet en selle ; ils vont tenter de canaliser le mouvement à leurs fins. Un drame va soudain servir leurs desseins : une colonne de manifestants venant de la Bastille et se dirigeant vers la place de la Concorde est arrêtée, boulevard des Capucines, par un bataillon de ligne, d’où part un coup de fusil sans qu’aucun ordre ait été donné. La panique s’ensuit ; on tire dans tous les sens. Bilan terrible : on relève une soixantaine de morts et plus encore de blessés. Alors les meneurs, les professionnels de la révolte prennent l’initiative : ils réquisitionnent un tombereau, y entassent une partie des cadavres et s’en vont en procession, éclairant le convoi funèbre de leurs torches, vers l’est de Paris. « Vengeance ! Vengeance ! On égorge le peuple ! » Ébranlée par le massacre, la garde nationale se refuse à exercer même un rôle d’arbitre entre les troupes et les insurgés.
Sur ces entrefaites, Molé renonce et conseille au roi d’appeler Thiers, homme du centre gauche, jouissant d’une certaine popularité. Mais Thiers, consulté, exige du roi la dissolution de la Chambre, qui lui garantirait de rester au pouvoir au lieu de jouer les utilités. Exit Thiers. Le pouvoir est vacant. Le roi résiste. Pour faire tête à l’insurrection, il appelle au commandement des forces de l’ordre le maréchal Bugeaud, par ailleurs député de la Dordogne, en remplacement du général Jacqueminot. C’est une déclaration de guerre aux insurgés, car Bugeaud l’Algérien – comme on l’appelle depuis sa campagne d’Algérie – est surtout, pour les Parisiens, l’homme de la rue Transnonain, celui qui a commandé la répression de 1834 et le massacre des habitants de tout un immeuble – tragique épisode immortalisé par une lithographie de Daumier.
La contre-offensive est déclenchée avant l’aube du troisième jour, le jeudi 24 février. Dans la nuit, le centre de Paris s’est couvert de barricades, on en comptera près de 1 500. Les Tuileries sont encerclées. Bugeaud lance, à partir du Carrousel, quatre colonnes en vue de dégager les principales artères de la capitale, de tenir les points stratégiques : la Bastille, l’Hôtel de Ville, le Panthéon, la Madeleine. Mais les barricades les arrêtent ; Bugeaud, qui a sous-estimé le mouvement insurrectionnel, doit ordonner la retraite de ses troupes sur la Concorde et le Carrousel. Jugeant la situation dramatique, le roi décide de charger du gouvernement Odilon Barrot, chef de la gauche dynastique. Flanqué du général Lamoricière que Bugeaud a nommé à la tête de la garde nationale, Barrot se précipite, non sans courage, dans les rues de Paris pour annoncer la nouvelle et calmer les passions. Mais devant la barricade de la porte Saint-Denis, surmontée du drapeau rouge, il comprend, sous les injures, que l’ultime solution orléaniste a vécu. Les insurgés ont pris la situation en main. Au milieu de la journée, Louis-Philippe se résout à signer son acte d’abdication en faveur de son petit-fils, le comte de Paris. En compagnie de la reine, il fuit Paris pour le château de Saint-Cloud ; de là il gagnera la Normandie, d’où il s’embarquera pour l’Angleterre.
Lamartine a été, comme on l’a vu, de ceux qui ont voulu maintenir le banquet du 22 février, malgré l’interdiction gouvernementale : « La place de la Concorde dût-elle être déserte, tous les députés dussent-ils se retirer de leur devoir, j’irai seul au banquet avec mon ombre derrière moi2. » Défense du droit de réunion par un représentant du peuple. Ni plus ni moins. Dans les jours qui suivent, Lamartine ne bouge pas. Mais bien des insurgés pensent à lui : « Il y a en ce moment un homme, écrit Victor Hugo, dont le nom est dans toutes les bouches et la pensée dans toutes les âmes ; c’est Lamartine. Son éloquente et vivante Histoire des Girondins vient pour la première fois d’enseigner la Révolution à la France. Il n’était jusqu’ici qu’illustre, il est devenu populaire, et l’on peut dire qu’il tient dans sa main Paris3. »
Quand il arrive à la Chambre des députés, le 24 février, il est tout de suite sollicité par nombre de républicains, dont Marrast, qui le consultent sur la conduite à tenir : régence provisoire de la duchesse d’Orléans ou proclamation immédiate de la République ? Son siège est fait : aucun gouvernement n’aura de force qu’un gouvernement républicain. La régence serait vouée à la fronde populaire ; la République seule a de l’avenir, car seule capable de gagner les suffrages du peuple : « C’est – écrivait-il dans son Histoire des Girondins – le gouvernement de la passion, c’est le gouvernement des crises, c’est le gouvernement des révolutions. » Dans la salle des séances, bientôt envahie par les manifestants, et alors que la duchesse d’Orléans et son fils s’enfuient par une porte dérobée, Lamartine réclame un « gouvernement d’urgence », en attendant l’appel aux urnes de tous les citoyens : « Il importe au peuple, à toutes les classes de la population, à ceux qui ont versé quelques gouttes de leur sang dans cette lutte, de cimenter un gouvernement populaire, solide, inébranlable enfin. » Le principe du suffrage universel, jugé impossible par Guizot un an plus tôt, est revendiqué par Lamartine avec éclat. Il n’a pas fini son discours que surgit une nouvelle vague d’émeutiers, hommes du peuple et gardes nationaux mêlés, aux cris : « À bas la Chambre ! Pas de députés ! » L’un des émeutiers a poussé le canon de son fusil dans la direction du bureau. « Ne tirez pas ! Ne tirez pas !, crie-t-on de toutes parts, c’est M. de Lamartine qui parle ! » L’homme abaisse son fusil, mais le chahut ne cesse pas. Le président Sauzet, resté à son fauteuil, dans l’incapacité d’imposer le silence, déclare la séance levée et se retire. Lamartine, resté à la tribune, propose que Dupont de l’Eure, vieux briscard, membre de l’opposition de gauche, prenne la présidence de l’Assemblée. C’est à lui que revient la tâche de lire la liste du Gouvernement provisoire que lui a préparée Lamartine, soit 7 noms, dont le plus à gauche est celui de Ledru-Rollin (il a écarté celui de Louis Blanc). La révolution, oui, mais en douceur : se méfier des socialistes. L’historien des Girondins, inspiré, convaincu de sa mission, est déterminé à mettre en place un régime dont la légitimité soit indiscutable : ce serait la République, assise sur le suffrage universel. Il n’a pas voulu la révolution, il l’assume. Il ne veut pas du socialisme ; il en exorcise la menace par la République.
Mais le pouvoir populaire est ailleurs : il faut aller à l’Hôtel de Ville où les équipes de La Réforme et du National sont elles-mêmes en train d’élaborer une liste gouvernementale. Du Palais-Bourbon à l’Hôtel de Ville, Lamartine est acclamé ; devant la caserne du quai d’Orsay, il s’arrête pour demander aux soldats un verre de vin, symbole de paix, de réconciliation, de fraternisation, après les fusillades. C’est sous la surveillance des manifestants massés aux abords de l’Hôtel de Ville, dans les cris et le tumulte, que la liste définitive du Gouvernement provisoire est dressée et qu’aux 7 membres déjà nommés à la Chambre s’ajoutent 4 autres noms, et notamment ceux de Blanc et d’Albert, censés représenter le socialisme et les masses populaires. Au cours de cette scène tumultueuse, Lamartine oppose aux partisans du drapeau rouge comme emblème de la République le drapeau tricolore, dans une formule que retiendra la légende : « Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie. » Par son ascendant, son éloquence, son courage aussi, Lamartine, en dépit des excès de la foule, a réussi à imposer la formation d’un gouvernement modéré, soumis à la ratification des urnes. Il a le sentiment aigu d’avoir sauvé l’ordre social menacé par la rue, en confiant l’avenir du pays au peuple souverain. Il écrira plus tard, dans sa Critique de l’« Histoire des Girondins », en 1861 : « C’était un sauvetage qu’il fallait organiser, sous le nom de République. »
Le lendemain, vendredi 25 février, Le Moniteur universel publie une « Proclamation du Gouvernement provisoire au peuple français » :
« Un gouvernement rétrograde et oligarchique vient d’être renversé par l’héroïsme du peuple de Paris. Ce gouvernement s’est enfui en laissant derrière lui une trace de sang qui lui défend de revenir jamais sur ses pas.
» Le sang du peuple a coulé comme en Juillet ; mais cette fois ce généreux sang ne sera pas trompé. Il a conquis un gouvernement national et populaire en rapport avec les droits, les progrès et la volonté de ce grand et généreux peuple.
» Un Gouvernement provisoire, sorti d’acclamation et d’urgence par la voix du peuple et des députés des départements, dans la séance du 24 février, est investi momentanément du soin d’assurer et d’organiser la victoire nationale... »
Le lendemain, le même Moniteur universel publie la liste définitive des membres du Gouvernement provisoire : Dupont de l’Eure (président provisoire), Lamartine (ministre provisoire des Affaires étrangères), Alexandre Marie4, Louis Garnier-Pagès5 (maire de Paris), Alexandre Ledru-Rollin6, François Arago7, Isaac Crémieux8, Louis Blanc, Ferdinand Flocon9, Armand Marrast et Alexandre Albert10. La Chambre des députés est dissoute ; il est interdit à la Chambre des pairs de se réunir. Dans son numéro du 27 février enfin, Le Moniteur universel annonce la première mesure de la révolution de Février : l’abolition de la royauté « sous quelque forme que ce soit ». La République est proclamée.
La politique d’Alphonse de Lamartine est parfaitement claire et conséquente. Le 7 mars, à l’Hôtel de Ville, il reçoit une députation de la Société républicaine centrale menée par Auguste Blanqui. Celui-ci réclame l’abrogation des lois de septembre, la liberté totale de la presse, le droit d’association. Lamartine rétorque que le Gouvernement provisoire a devancé ses vœux en ce qui concerne la liberté de la presse ; le droit d’association, quant à lui, légitime en soi, appelle néanmoins une réglementation. Mais, quand Blanqui lui demande à lui et au Gouvernement provisoire de surseoir momentanément aux élections, Lamartine s’y oppose : « Mes collègues et moi avons considéré que notre premier devoir, après ce que nous avions fait pour sauver la liberté, était de restituer aussitôt que possible, à la nation elle-même, les pouvoirs que nous avions saisis pour le salut commun, et de ne pas prolonger une minute de plus l’espèce de dictature que nous avions assumée sous l’empire des circonstances11. » Une partie serrée est, en effet, engagée entre ceux qui, comme Lamartine, souhaitent établir un ordre républicain légitime au plus vite et ceux qui, à l’extrême gauche, entendent retarder les élections, qu’ils pressentent redoutables pour leur cause, afin d’accomplir la révolution politique et sociale de leur vœu. Le 17 mars, après une nouvelle manifestation de la gauche, le gouvernement concède à Blanqui et aux siens un report des élections, mais symbolique : au lieu du 9 avril, elles auront lieu le 23.
En attendant l’affrontement entre ces deux partis, celui qui compte sur le peuple souverain et celui qui compte sur la rue, la France connaît une période euphorique de fraternisation qu’on a baptisée rétrospectivement « l’illusion lyrique ». C’est le moment où des kyrielles de députations se succèdent à l’Hôtel de Ville, tantôt pour revendiquer, tantôt pour exprimer leur soutien, mais aussi pour offrir des dons à la jeune République. Députations des villes et des villages, députations de toutes les corporations, des ouvriers en nacre jusqu’aux charbonniers du IIe arrondissement, aux marchandes de poisson à la halle, aux bonnetiers de Paris, députations des sourds-muets, des loges maçonniques, du Consistoire des israélites de France, des pêcheurs de Meudon, des décorés de Juillet, du commerce des huîtres, de la brasserie de Paris, des nègres et mulâtres des colonies françaises, des créoles de la Réunion, des lycéens et des étudiants, députations de toute nationalité résidant à Paris : belge, irlandaise, allemande, hongroise, norvégienne, portugaise, polonaise... À chaque fois, un membre du Gouvernement provisoire les reçoit, leur prête une oreille attentive, les encourage, y va de son discours, tandis qu’aux portes de l’Hôtel de Ville piaffent les autres, ceux qui veulent entrer, précédés de leurs banderoles et oriflammes... Tous les soirs, dans les clubs qui ont refleuri dans Paris et les grandes villes, on expose des plans de réforme, on parle de Jésus le premier socialiste, on appelle au soutien des Polonais contre les Russes12...
Le 6 mars, Michelet reprend son cours au Collège de France. Depuis les journées de Février, son appartement ne désemplit pas. On le sollicite, on le pousse à se présenter aux élections ; il se laisse un moment séduire par le groupe de La Réforme qui l’inscrit sur sa liste du département de la Seine. Comme Lamartine, il veut des élections rapides, pour faire pièce à l’émeute, grosse de la dictature, et pour éviter qu’on n’accorde du temps à la réaction des légitimistes et des prêtres dans le Midi13. Quinet, autorisé lui aussi à reprendre son cours au Collège de France, y prononce une allocution de circonstance le 9 mars : « Au nom de la République, nous rentrons dans ces chaires. La royauté nous les avait fermées, le peuple nous y ramène. Grâces soient rendues à ce grand peuple de braves, ouvriers, gardes nationaux, citoyens de toutes les classes, jeunes gens de toutes les écoles, à vous tous compagnons d’armes qui, sur le champ de bataille du droit et de la justice, venez d’ouvrir au monde une ère magnanime. » La suite illustre parfaitement l’esprit « quarante-huitard » : « La royauté croyait avoir formé deux peuples ennemis ; mais ils se sont reconnus dans les barricades, et j’ai vu de mes yeux la fraternité s’asseoir dans le palais des Tuileries au moment où chacun emportait un débris du trône. La voix de Dieu a prononcé !... Partout, à ce moment, la France fait avec nous le serment de fidélité à la république14. »
Dans les provinces comme à Paris, on plante des arbres de la liberté, que les prêtres, sans nostalgie de la monarchie de Juillet, bénissent, acclamés par leurs ouailles. Tocqueville, en regagnant son département de la Manche à la mi-mars en vue des élections annoncées, constate le changement : « Je fus frappé aussitôt d’un spectacle qui m’étonna et me charma. Une certaine agitation démagogique régnait, il est vrai, parmi les ouvriers des villes, mais dans les campagnes tous les propriétaires, quels que fussent leurs origines, leurs antécédents, leur éducation, leurs biens, s’étaient rapprochés les uns des autres, et ne semblaient plus former qu’un tout ; les anciennes haines d’opinion, les anciennes rivalités de caste et de fortune n’étaient plus visibles. Plus de jalousies ou d’orgueil entre le paysan et le riche, entre le gentilhomme et le bourgeois ; mais une confiance mutuelle, des égards et une bienveillance réciproques. » Et, de cette apparente réconciliation, il conclut : « On eût dit que le gouvernement républicain était devenu tout à coup, non pas seulement le meilleur, mais le seul qu’on pût imaginer pour la France15. » Plus tard, Flaubert, se souvenant de ces effusions que la peur sociale avait fait naître, peindra dans L’Éducation sentimentale le salon conservateur de M. Dambreuse, grand financier occupé de faire disparaître les signes extérieurs de sa richesse (il congédie trois domestiques et vend ses chevaux), débordant soudain de sympathie pour les socialistes (il lit consciencieusement leurs journaux et s’offre une toile révolutionnaire d’un symbolisme écrasant), et allant « jusqu’à reconnaître que Proudhon avait de la logique ».
Cependant, derrière cette savoureuse mais trompeuse réconciliation des classes sociales, la lutte politique se poursuit, animée de sentiments contradictoires. Chez les uns, peur du communisme ou simple refus du désordre ; chez les autres, volonté de fonder une république démocratique et sociale. L’extrême gauche ne démord pas de sa volonté de faire ajourner les élections et organise, à cet effet, une manifestation à Paris, le dimanche des Rameaux, 16 avril. Lamartine, hostile à la dictature de la bourgeoisie industrielle autant qu’imperméable aux menaces socialistes, entend bien rester sur la ligne qu’il s’est fixée : ne pas retarder les élections, proclamer officiellement la République, régime légitime devenu régime légal, base d’un ordre social où les démunis auront leur part sans attenter à la propriété.
La journée du 16 avril a-t-elle été un piège, une machination, une provocation bien organisée afin de mettre hors du jeu l’extrême gauche, si forte à Paris ? Toujours est-il que la manifestation, appelée au Champ-de-Mars par Louis Blanc, et qui doit porter une adresse à l’Hôtel de Ville en vue de l’établissement d’une république démocratique et sociale, est arrêtée net par les bataillons de la garde nationale, puis submergée par une contre-manifestation républicaine. Lamartine, qui n’a pas craint de grossir le danger, de le dénoncer, et d’en appeler à l’esprit civique des bons citoyens, recueille les fruits de la fermeté gouvernementale et du soutien populaire. À ceux qui viennent l’acclamer à l’Hôtel de Ville, il déclare : « On avait rêvé, dit-on, d’attaquer le Gouvernement provisoire... ; on avait proclamé en sa place un comité de salut public ; on voulait le scinder et jeter l’anarchie dans son sein ainsi que dans l’opinion du pays. Nous ne doutions pas qu’au premier bruit d’un semblable attentat tous les bons citoyens ne se réunissent pour le défendre... » Sur quoi, les membres du Gouvernement provisoire, Lamartine en tête, descendent sur la place de l’Hôtel de Ville, où ils sont acclamés, tandis qu’on crie « À bas les communistes ! ». Même Blanc est là ; le vieux Dupont de l’Eure s’appuie sur son bras ; partout où ils passent, les gardes nationaux leur présentent les armes. Quelques jours plus tard, Lamartine écrit à ses nièces : « Les grands dangers pour la patrie et pour la propriété sont conjurés ! » Il a été, lui, le puissant rempart de l’ordre républicain. Les élections qui auront lieu – c’est confirmé – le dimanche de Pâques, 23 avril, seront pour lui un triomphe.
Oui, un triomphe pour Lamartine, ces élections au suffrage universel. On vote au scrutin de liste départemental, mais les électeurs peuvent barrer et ajouter des noms, la seule règle étant de respecter le nombre des sièges à pourvoir. C’est au chef-lieu du canton que se déroule le vote, où les électeurs se rendent par commune, accompagnés de leur maire et souvent de leur curé. Tocqueville, parmi bien d’autres, nous a laissé un éloquent récit :
« Nous devions aller voter ensemble au bourg de Saint-Pierre, éloigné d’une lieue de notre village. Le matin de l’élection, tous les électeurs, c’est-à-dire toute la population mâle au-dessus de vingt ans, se réunirent devant l’église. Tous ces hommes se mirent à la file deux par deux, suivant l’ordre alphabétique ; je voulus marcher au rang que m’assignait mon nom, car je savais que dans [les] pays et dans les temps démocratiques, il faut se faire mettre à la tête du peuple et ne pas s’y mettre soi-même. Au bout de la longue file venaient sur des chevaux de bât ou dans des charrettes des infirmes ou des malades qui avaient voulu nous suivre ; nous ne laissions derrière nous que les enfants et les femmes ; nous étions en tout cent-soixante-dix. » Tocqueville, invité à parler au moment d’une pause, fait une harangue pour prévenir ses concitoyens de ne pas se laisser circonvenir par des gens du bourg, les prier de ne pas se désunir... « Ils crièrent qu’ainsi ils feraient et ainsi ils firent. Tous les votes furent donnés en même temps, et j’ai lieu de penser qu’ils le furent tous au même candidat. » À Paris, dans les jours suivants, Tocqueville apprend qu’il a obtenu environ 110 000 suffrages sur 120 000 votants, arrivant troisième des élus de la Manche.
Lamartine, quant à lui, est élu dans 10 départements. À Paris, il est le premier des 34 élus du département de la Seine, avec près de 260 000 voix. En huitième position arrive Béranger. À soixante-huit ans, son nom, toujours vénéré, revient dans chaque discours de la campagne électorale. En février, sollicité pour participer à une Commission au ministère de l’Instruction publique, il accepte. Au moment de la campagne, des délégués de divers arrondissements se rendent chez lui, à Passy, pour tenter de le persuader de faire acte de candidature. Il leur oppose un refus cordial. Et le voilà élu, sans l’avoir voulu, arrivant juste derrière des membres du Gouvernement provisoire et le maire de Paris. Le 4 mai, il se résigne à siéger à la première séance de l’Assemblée, au cours de laquelle Dupont de l’Eure le prend dans ses bras en descendant de la tribune, mais Béranger démissionne bientôt malgré les efforts de ses partisans pour le retenir.
À noter encore parmi les 34 candidats heureux du département de la Seine : Philippe Buchez, 17e, Louis Blanc, 27e, Agricol Perdiguier, 29e. Le dernier élu parisien, Félicité Lamennais, arrive 34e, avec un peu moins de 105 000 voix. Félicité Lamennais a alors soixante-six ans ; depuis le 27 février, il publie un nouveau journal, Le Peuple constituant, auquel Lamartine rendra hommage : « Ce journal dépopularisait la guerre, la démagogie, les doctrines antisociales. Le nom de Lamennais si modéré alors intimidait les excès et fulminait les chimères. » Les deux hommes font cause commune, se voient, dînent ensemble, et se méfient de Louis Blanc. Comme celui-ci préconise la discipline de vote en révoquant le panachage, Lamennais le réfute, le 24 avril, dans un article « Aux ouvriers » : « Êtes-vous ou n’êtes-vous pas libres ?... La première fois que vous exercez votre droit politique, on vous assemble d’autorité, on vous met dans la main une liste que vous n’avez ni discutée, ni même pu lire, et l’on vous dit impérativement : “Jetez cela dans l’urne.” On fait de vous... je ne sais quoi de semblable au singe de la foire dressé par des bateleurs à tirer des billets du fond d’un bonnet. » La suite est directement hostile à Blanc : « Non, ce n’est pas le travail que l’on organise, mais l’esclavage des travailleurs. »
Élu, de justesse, mais élu tout de même, ce dont ne peuvent encore se prévaloir Hugo, Leroux, Sue, Considérant, Cabet, ou Michelet, tous arrivés derrière lui dans l’élection parisienne (Dumas est battu en Seine-et-Oise), Lamennais se pique d’avoir des idées constitutionnelles, publiant dès le 4 mai, date de la première séance de l’Assemblée nationale, un projet de Constitution, qu’il a lu auparavant dans le salon de Marie d’Agoult, devant un Lamartine assez peu convaincu. Les deux hommes s’opposent notamment sur la décentralisation, dont le Breton est un ferme partisan. Élu au Comité de Constitution, Lamennais s’emploie à défendre les libertés locales, soutenu en cela par Tocqueville, mais contré par Marrast, de « la race ordinaire des révolutionnaires français, écrit l’auteur de De la démocratie en Amérique, qui, par liberté du peuple, ont toujours entendu le despotisme exercé au nom du peuple ». Le lendemain de cette discussion, le 23 mai, Lamennais donnera sa démission. Tocqueville, son allié, lui demande de revenir, mais Lamennais reste inflexible : « Ce sont surtout, note Tocqueville, les prêtres défroqués qu’il faut considérer si l’on veut se faire une idée juste de la puissance indestructible et pour ainsi dire infinie qu’exercent l’esprit et les habitudes cléricales sur ceux qui les ont une fois contractés. Lamennais avait beau porter des bas blancs, un gilet jaune, une cravate bariolée et une redingote verte, il n’en était pas moins resté prêtre par le caractère et même par l’aspect16. »
Michelet, lui, est arrivé au centième rang des élections parisiennes. Malgré quelques velléités, il n’a donné son nom à aucune liste. On sait pour qui il a voté : outre les 11 membres du Gouvernement provisoire, on trouve dans la liste qu’il a laissée dans ses papiers les noms de Béranger, Lamennais, Leroux, Perdiguier, mais aussi ceux de quelques préfets et généraux, dont Cavaignac. Au total, une majorité de républicains modérés, mais aussi un certain nombre de royalistes17. Son ami Quinet, lui, a été le quatrième des 9 élus du département de l’Ain. On le voit : malgré quelques échecs, les écrivains et les universitaires sont fort bien représentés dans cette Assemblée constituante. D’autant qu’il faut ajouter à leurs noms ceux qui sortent vainqueurs des élections complémentaires du 4 juin, Pierre Leroux, Victor Hugo et Pierre-Joseph Proudhon.
Entre les élections du 23 avril et la réunion de l’Assemblée, un décret du 27 avril abolit l’esclavage « dans toutes les colonies et possessions françaises ». Cette mesure ultime du Gouvernement provisoire met en valeur la personnalité de Victor Schoelcher, qui en a été l’artisan passionné. Jeune homme, il avait fait naufrage en se rendant au Mexique, et avait fait une escale imprévue à la Martinique. De cet épisode date sa volonté émancipatrice : 250 000 êtres humains, relevant de l’autorité française, étaient à libérer de leurs chaînes. Sous la monarchie de Juillet, les idées abolitionnistes avaient gagné du terrain ; la révolution de 1848 devait les accomplir. Sitôt nommé sous-secrétaire d’État par Arago, ministre de la Marine et des Colonies, Schoelcher s’est mis en devoir de préparer l’abolition en réunissant et en présidant une Commission spéciale, sans y faire entrer les représentants des planteurs : il y avait à ses yeux une urgence politique, car la révolution parisienne risquait de déclencher une révolte générale des esclaves dans les possessions françaises. Le décret qu’il prépare prévoit l’indemnisation des colons, mais remet à plus tard son règlement. D’un coup, trois siècles d’esclavage sont ainsi abolis, au terme, il est vrai, de longs combats. Victor Schoelcher avait vu juste : avant que la nouvelle du décret n’arrive, la révolte redoutée se produit en Martinique, puis en Guadeloupe. Le décret arrivera le 5 juin pour confirmer l’émancipation. Au firmament de 1848, deux mesures resteront, « immortelles » : l’instauration du suffrage universel et l’abolition de l’esclavage.
Le 4 mai, par un temps magnifique, au Palais-Bourbon entouré d’une foule radieuse, s’ouvre la première séance de l’Assemblée. Moment de liesse, ultimes heures de « l’illusion lyrique ». Les cris de « Vive la République ! » retentissent dans l’enceinte au moment où les hommes du Gouvernement provisoire font leur entrée dans l’immense bâtiment provisoire qu’on a bâti dans la cour du Palais-Bourbon. Dans les jours qui suivent, chacun y va de son discours sur le mandat qui lui a été confié par les barricades de Février. Il revient à Dupont de l’Eure, président, de faire un bilan global de l’action du Gouvernement provisoire au long de ces deux mois d’exercice. Mais Dupont de l’Eure est fatigué, sa voix ne porte pas : Lamartine prend la parole en son nom. Il rappelle le souci que les uns et les autres ont eu d’abréger le plus possible l’interrègne, de convoquer au plus tôt la représentation nationale ; il insiste sur leur détermination : assurer l’ordre et la sécurité de Paris, après la fièvre populaire ; il se félicite d’avoir su convaincre le peuple de préférer le drapeau tricolore au drapeau rouge. Et se flatte des mesures proprement révolutionnaires, à commencer par l’abolition de la peine de mort en matière politique. « En proclamant la République, s’exclame-t-il, le cri de la France n’avait pas proclamé seulement une forme de gouvernement, elle avait proclamé un principe. Ce principe, c’était la démocratie pratique, l’égalité par les droits, la fraternité par les institutions. »
Chaque ministre, par la suite, y va de son compte rendu de mandat, jusqu’à Lamartine qui reprend la parole, cette fois en tant que ministre des Affaires étrangères, pour expliquer sa volonté de paix, non pas une politique pusillanime, incolore, à la manière de la pax philipparde, mais une politique de « dévouement désintéressé au principe démocratique ». Les principes qui le guident ? Le respect de l’inviolabilité des territoires, des nationalités et des gouvernements, l’affirmation de « paix républicaine » et de « fraternité française à tous les peuples ». Si pour beaucoup la volonté de paix est incompatible avec la solidarité des peuples sous le joug, Lamartine ne manque pas de ressources rhétoriques pour surmonter la contradiction : « Nous n’imposons à personne des formes ou des imitations prématurées ou incompatibles peut-être avec sa nature ; mais si la liberté de telle ou telle partie de l’Europe s’allume à la nôtre, si des nationalités asservies, si des droits foulés, si des indépendances légitimes et opprimées surgissent, se constituent d’elles-mêmes, entrent dans la famille démocratique des peuples et font appel, en nous, à la défense des droits, à la conformité des institutions, la France est là ! La France républicaine n’est pas seulement la patrie ; elle est le soldat du principe démocratique de l’avenir18 ! » Aider les peuples qui font appel à la France, mais ne pas en être des missionnaires armés.
En ces lendemains d’élections, Lamartine est à son apogée. Sur 900 membres, il peut compter sur l’appui de 500 modérés, face à une droite composée d’environ 250 élus, légitimistes ou « républicains du lendemain », autant de conservateurs dissimulés, et à une gauche de démocrates plus ou moins socialistes de 150 membres. Quel poète dans l’histoire a pu se prévaloir d’un tel succès politique ! Cependant, la solution républicaine de la question sociale est très vite contestée. Les ouvriers des villes se sentent frustrés ; ils redoutent la réaction, la fermeture des ateliers nationaux, une grande idée vide de contenu réalisée après les journées de Février, et qui sont souvent leur seule ressource. C’est ainsi qu’à Rouen, dès le 26 avril, à peine les résultats connus, une manifestation ouvrière, réprimée violemment par la garde nationale, laisse à terre plusieurs dizaines de morts. La République, avant même d’avoir été reproclamée – officiellement cette fois –, va-t-elle pouvoir survivre à la lutte des classes ? Il est remarquable qu’à la Commission exécutive, succédant au Gouvernement provisoire, si Lamartine est élu, ainsi que Ledru-Rollin (ce qui déplaît beaucoup à la presse conservatrice, mais Lamartine est encore assez fort pour l’imposer), ce n’est le cas ni de Blanc le socialiste ni d’Albert l’ouvrier. Comme l’ont redouté les révolutionnaires, le suffrage universel a offert des armes légales à une politique conservatrice. La province, où domine le monde rural, n’est pas au diapason de Paris.
L’extrême gauche – les hommes des clubs, les adhérents aux cercles socialistes – est vaincue par les urnes, mais elle garde en mémoire les journées de la Révolution, quand les sans-culottes imposaient l’empire de la rue à la Convention. Dans un pays aussi centralisé que la France, l’opinion parisienne, fût-elle minoritaire, a forcément plus de poids que l’opinion diluée des provinces. Quand bien même telle ou telle grande ville est animée de l’esprit de contestation, elle n’a pas de prise sur les organes du pouvoir. À Paris, manifestants, émeutiers, barricadiers, peuvent envahir le Palais-Bourbon, décréter « au nom du peuple » la mise au ban de tel ou tel député ou le renversement du gouvernement. La journée du 15 mai 1848 ressemble, de ce point de vue, à celle du 2 juin 1793, qui avait abouti à l’arrestation des chefs girondins sous la pression de la rue : l’imitation du passé est un des traits remarqués (par Flaubert et Tocqueville notamment) de la révolution de 1848.
Ce jour-là, c’est sur un thème de politique étrangère que l’extrême gauche, toujours active, partout présente dans les rues et sur les places, mobilise : la Pologne, une fois encore. Les Polonais dont le territoire a été partagé, au Congrès de Vienne, entre Russes, Autrichiens et Prussiens, se sont soulevés. Leur cause, très populaire en France, a l’avantage de sensibiliser bien des Parisiens au-delà des rangs sectateurs des clubs. On a, parmi eux, entretenu l’espoir qu’à la politique inerte de la monarchie de Juillet allait succéder une politique extérieure hardie, favorable aux peuples opprimés, une fois la République installée. Cet espoir est déçu ; Lamartine, on l’a vu, veut maintenir la paix, ne pas effrayer l’Europe, ne pas perdre la République dans une guerre étrangère, tout en exprimant sa sympathie aux mouvements des nationalités.
La manifestation du 15 mai, organisée par un Comité centralisateur (état-major des clubs et des sociétés populaires), doit se dérouler de la Bastille au Palais-Bourbon. Entre 100 000 et 200 000 personnes y participent, derrière Auguste Blanqui, François Raspail, et quelques autres. Arrivés au pont de la Concorde, les manifestants sont autorisés par le président de l’Assemblée, Philippe Buchez, à envoyer 25 délégués déposer une pétition. Entre-temps, la foule s’est engagée sur le pont, mal défendu, et se presse aux cris de « Vive la Pologne ! » mais aussi de « À bas Lamartine ! » contre les grilles de l’Assemblée, qui cèdent sous le poids des assaillants. Les cours et la salle des séances sont envahies par la foule sans la moindre résistance de la garde nationale, dont le chef, Courtais, a donné l’ordre de remettre les baïonnettes au fourreau. Lamartine, seul membre de la Commission exécutive présent, reconnaissant son ancien collègue Albert parmi les manifestants, tente une harangue : « Citoyens, vous ne passerez pas, ou vous ne passerez que sur mon corps ! » À quoi Albert répond : « Citoyen Lamartine, vous pouvez être un grand poète, mais vous n’avez pas notre confiance comme homme d’État. Il y a assez longtemps que vous nous faites de la poésie et de belles phrases : il faut autre chose au peuple maintenant19. » Lamartine assiste, impuissant, à la ruée des manifestants dans la salle des séances. Dans ses Mémoires politiques, il évoque une « véritable et atroce image d’une invasion de barbares dans une société civilisée ».
Sous le déluge populaire, les députés restent assis à leur place, passifs, muets, mais imperturbables, sauf quelques membres de la Montagne (extrême gauche) qui sympathisent avec les envahisseurs, tandis qu’à la présidence Buchez agite frénétiquement sa cloche. Raspail monte à la tribune, pour lire la pétition des clubs. Mais, celui-ci ayant été apostrophé par un député, les clameurs reprennent de plus belle, menaçantes.
« C’est alors, écrit Tocqueville dans ses Souvenirs, que je vis paraître, à son tour, à la tribune un homme que je n’ai vu que ce jour-là, mais dont le souvenir m’a toujours rempli de dégoût et d’horreur ; il avait des joues hâves et flétries, des lèvres blanches, l’air malade, méchant et immonde, une pâleur sale, l’aspect d’un corps moisi, point de linge visible, une vieille redingote noire collée sur des membres grêles et décharnés ; il semblait avoir vécu dans un égout et en sortir ; on me dit que c’était Blanqui20. »
Si le portrait n’est pas flatteur, il est expressif. Auguste Blanqui, frère de l’économiste Adolphe Blanqui déjà rencontré, peut se prévaloir, à quarante-trois ans, d’un lourd actif (passif pour d’autres) révolutionnaire. Ancien membre de la Charbonnerie, expert en sociétés secrètes, ancien militant de la Société des Amis du Peuple après les Trois Glorieuses, pendant lesquelles il avait fait le coup de feu, il avait été sur le banc des accusés au procès des Quinze (en janvier 1832)21, condamné à un an de prison, adhérent ensuite de la Société des Familles créée par Barbès, de nouveau arrêté avec Armand Barbès en 1836 pour « fabrication de poudre », passant encore un an en prison, en ressortant pour figurer à la Société des Saisons, s’avisant avec Barbès et Martin Bernard de tenter une prise d’armes en 1839, occupant un moment l’Hôtel de Ville, arrêté de nouveau, condamné à la réclusion à vie, expédié en compagnie de Barbès et de Bernard au Mont-Saint-Michel, gracié en 1844 pour cause de maladie incurable, traduit de nouveau en 1846 devant un tribunal, cette fois à Tours, pour avoir inspiré des troubles, acquitté, hospitalisé à l’hôpital de Tours, remis sur jambes par la révolution de Février. On l’a vu tenter de persuader le Gouvernement provisoire de repousser les élections ; vouant un culte à Robespierre, il pérore chaque soir dans les clubs. Celui qu’on appellera « l’Enfermé » passe ainsi sa vie de la conspiration à la prison et de la prison au complot ourdi en vue d’établir une dictature parisienne qui imposera le socialisme à la France. Un moment déstabilisé par une opération policière visant à le faire passer pour un mouchard22, Blanqui avait repris de son ascendant, participé à la grande manifestation d’extrême gauche du 16 avril. À la tribune de l’Assemblée, cette fois, le 15 mai, il parle un peu de la Pologne, s’attarde sur les victimes des massacres de Rouen, dénonce la misère du peuple. Peu après, lui succède Armand Barbès. À trente-neuf ans, cet éternel conspirateur comme Blanqui, éternel prisonnier politique, vient d’être libéré de la prison de Carcassonne, sa dernière geôle, par la révolution de 1848. À Paris, dédaignant les conseils de Lamartine qui le prie de modérer ses amis, il refonde la Société des droits de l’homme, et crée un club rival de celui de Blanqui, le Club de la Révolution. Agitateur au grand cœur, cet ardent républicain d’extrême gauche, admiré par George Sand, ne plaît pas davantage à Tocqueville, qui note à son propos : « C’était un de ces hommes chez lesquels le démagogue, le fou et le chevalier s’entremêlent si bien qu’on ne saurait dire où finit l’un et où l’autre commence, et qui ne peuvent se faire jour que dans une société aussi malade et aussi troublée que la nôtre. Je crois pourtant qu’en lui le fou prédominait, et sa folie devenait furieuse quand il entendait la voix du peuple. Son âme bouillonnait naturellement au milieu des passions populaires comme l’eau sur le feu. Depuis que la foule nous avait envahis, je n’avais cessé d’avoir l’œil sur lui, je le considérais comme l’homme le plus à redouter qu’il y eût parmi nos adversaires, parce qu’il était le plus insensé, le plus désintéressé et le plus résolu de tous23. »
Ce 15 mai 1848, Barbès, qui est membre de la Constituante, contrairement à Blanqui, veut préciser le but de l’agitation : « Je demande qu’immédiatement et séance tenante, s’exclame-t-il, l’Assemblée vote le départ d’une armée pour la Pologne, un impôt d’un milliard sur les riches, la sortie des troupes de Paris, la défense de battre le rappel ; sinon les représentants seront déclarés traîtres à la patrie. » Mais lesdits représentants restent impassibles, tandis que le vacarme incessant interdit toute procédure de mise aux voix. Au milieu de la confusion générale, les manifestants saisissent Louis Blanc qui n’en peut mais pour le porter en triomphe, bien inutilement du reste, car celui-ci se débat et finit par être déposé sur un banc. Puis, au milieu du brouhaha assourdissant, on commence à entendre à l’extérieur les tambours de la garde nationale battre le rappel, au grand dam de Barbès : « Qui bat le rappel ? Que ceux qui font battre le rappel soient mis hors la loi ! » Un agitateur, du nom d’Huber, probablement un provocateur, s’élance à la tribune pour déclarer la dissolution de l’Assemblée nationale. Celle-ci se disperse alors, sans s’estimer pour autant dissoute. Tocqueville reste à sa place, trop curieux de l’événement, et assiste à la tentative des insurgés pour composer un nouveau gouvernement. Mais dehors un tambour bat la charge, et une colonne de gardes mobiles suivie par une colonne de gardes nationaux fait irruption dans la salle aux cris de « Vive l’Assemblée nationale ! ». En quelques minutes, ils chassent les insurgés et permettent aux députés de reprendre leur place.
Lamartine revient alors. Pendant plus de deux heures, il a disparu. A-t-il été victime d’une défaillance comme le suggère Tocqueville ? De retour dans la salle à la tête d’un bataillon de la garde mobile, il est salué par des acclamations. « Il est vrai, écrit Tocqueville, que ce n’était pas lui seulement qu’on applaudissait, mais la victoire. » Aussitôt Lamartine désigne l’Hôtel de Ville comme lieu stratégique à occuper : selon le scénario habituel, n’est-ce pas là que les émeutiers voudront former leur contre-pouvoir ? Accompagné de Ledru-Rollin, escorté par une colonne de gardes nationaux et le régiment des dragons de la caserne d’Orsay, il arrive sur la place de l’Hôtel de Ville. Mais les chefs de l’insurrection – Barbès, Blanqui, Raspail... – sont déjà arrêtés. Lamartine et Ledru-Rollin sont portés en triomphe.
La journée du 15 mai est l’occasion de l’élimination de l’extrême gauche, suivie par une politique de réaction. Certains en ont conclu qu’elle avait été un formidable piège tendu par la majorité modérée aux révolutionnaires24. Pas de preuves formelles, mais un faisceau de présomptions, à commencer par le rôle joué par Huber, dont on découvrira les accointances avec la police. Cette hypothèse d’une provocation savamment organisée reste cependant à démontrer. Quoi qu’il en soit, la réaction est en marche. Louis Blanc, héros malgré lui d’une journée qu’il n’a en rien préparée, est molesté par des gardes nationaux. Les honnêtes gens – comme l’écrit alors Ernest Renan – « ne demandent que mitraille et fusillade25 ». La répression est si rigoureuse que Lacordaire, représentant du peuple siégeant à gauche en habit de dominicain, démissionne le 18 mai, trop malheureux de devoir en assumer la violence : « J’arriverais mal à concilier dans ma personne les devoirs pacifiques de la vie religieuse avec les devoirs difficiles et sévères de représentant du peuple26. » Il quitte aussi la rédaction de L’Ère nouvelle, journal des catholiques libéraux, qu’il avait fondé au lendemain des journées de Février, aux fins de rallier les catholiques à la République ; il s’en explique dans une lettre « Aux lecteurs », publiée le 28 mai, par un aveu d’impuissance.
Aux élections complémentaires des 4 et 5 juin, la droite – royalistes et « républicains du lendemain » (dont Thiers) – se renforce. Signe inquiétant pour les modérés : Louis Napoléon Bonaparte est élu en même temps que Pierre Leroux et Pierre-Joseph Proudhon. Lamartine, qui s’est toujours défié du bonapartisme, propose à l’Assemblée un décret d’expulsion du neveu de l’empereur. Mais divers incidents l’empêchent de convaincre ses collègues. Validé le 13 juin, Louis Napoléon Bonaparte démissionnera de lui-même quelques jours plus tard, avant de revenir en force. Dans cette affaire, Lamartine a pu mesurer le déclin de son crédit à l’Assemblée. Les journées de Juin le lui feront perdre définitivement.
Après l’émotion du 15 mai, l’Assemblée – comme le ministre Marie et son successeur Trélat – est décidée à en finir avec la menace que représente la masse des chômeurs de plus en plus nombreux, auxquels les ateliers nationaux, ouverts à la hâte, à la suite de la proclamation du droit au travail décrété le 25 février par le gouvernement27, sont bien incapables de fournir un emploi. Désœuvrés, montés par la propagande bonapartiste et socialiste, les ouvriers tiennent des réunions en plein air, sur les boulevards, où ils profèrent des cris inquiétants : « Nous l’aurons, la République démocratique et sociale », ou bien : « Nous l’aurons, Poléon ». Coûteux et dangereux, dans l’esprit de la majorité des députés, les ateliers nationaux doivent disparaître. Un projet est d’imposer aux ouvriers célibataires de 18 à 25 ans l’engagement dans l’armée. Lamartine préconise une autre idée : l’étatisation des compagnies de chemins de fer, auxquelles il a toujours été hostile, qui permettrait de leur offrir un emploi. Montalembert, soutenu par une majorité qui lui fait un triomphe, s’y oppose au nom du « droit de propriété [qui] est la base de toute société ». Les Comités des finances et du travail de l’Assemblée, sous l’influence des conservateurs, mettent en cause les projets gouvernementaux et veulent la fin des ateliers. Le comte de Falloux, royaliste, qui les anime, donne lecture de son rapport, dont le premier décret proposé est : « Les ateliers nationaux seront dissous dans les trois jours. » Lamartine se résigne alors à l’insurrection qu’il sent inévitable, qu’une partie de ses collègues appellent même de leurs vœux pour éradiquer le danger révolutionnaire une bonne fois pour toutes à coups de canon. Si l’émeute est inéluctable, il est de son devoir, pense-t-il, de protéger l’Assemblée et la République. Le 21 juin, la Commission exécutive arrête sans plus attendre l’enrôlement dans l’armée de tous les ouvriers des ateliers nationaux, de 17 à 25 ans ; les autres seront envoyés à des travaux de terrassement des Ponts et Chaussées dans les départements. Le 22, une délégation d’ouvriers auprès de Marie s’entend répondre : « Si les ouvriers ne veulent pas partir pour la province, nous les y contraindrons par la force... par la force, entendez-vous ? »
Le 23, l’insurrection éclate dans les quartiers est de la capitale. Pendant trois jours, les ouvriers, armés, tiennent tête aux forces de l’ordre, commandées par le nouveau ministre de la Guerre, le général Cavaignac, derrière une multitude de barricades. L’archevêque de Paris, Mgr Affre, tentant de s’interposer entre les deux camps, est mortellement blessé dans la rue. Insurrection sans but politique (les chefs sont en prison ou en exil depuis le 15 mai), émeute de la faim, « guerre servile » comme on l’a répété, c’est-à-dire guerre d’esclaves. Lamartine ne quitte pas son poste, mais tous ses espoirs mis dans une République fraternelle sont définitivement anéantis. Il écrira dans ses Mémoires politiques qu’au cours de ces jours-là il a voulu mourir, « pour se décharger de l’odieuse responsabilité du sang qui allait peser si injustement, mais inévitablement sur lui ». Descendant de cheval, bravant tous les dangers pour se diriger vers une barricade, mais retenu par les gardes de l’Assemblée, il survit, effrayé, au massacre final d’une popu lation ouvrière dont le désespoir l’a profondément ému (1 500 insurgés sont fusillés sans jugement, 25 000 arrêtés). Mais il est désigné par les modérés, les conservateurs, ceux qui hier l’applaudissaient, comme responsable de ces journées sanglantes, faute de les avoir prévues, faute d’avoir disposé des troupes nécessaires pour les contenir. Injurié, calomnié, il est démis de ses fonctions, comme toute la Commission exécutive : l’Assemblée, le 24 juin, donne le pouvoir à Cavaignac. Lamartine disparaît alors des feux de la rampe. Il ne démissionne pas de son mandat de représentant du peuple, mais il ne jouera plus les premiers rôles.
Avec son retrait (et celui de Ledru-Rollin), c’est tout l’esprit de 1848 qui s’évanouit – ces semaines d’illusion et d’espérance dans une réconciliation des classes, dans une République modérée mais soucieuse des plus humbles. La France paysanne, propriétaire, conservatrice, un moment troublée par les journées révolutionnaires, un moment conquise par les effusions fraternelles, les arbres de la liberté et les discours humanitaires, s’est ressaisie face au danger révolutionnaire. Devant les paysans, on a agité l’épouvantail des « partageux » ; devant les ouvriers de Paris insurgés, on a fait donner le canon. Bien des républicains sincères, « républicains de la veille » comme on les appelle, ont, dans cette affaire, à l’instar de Cavaignac, voulu défendre la République. Dans L’Éducation sentimentale, Flaubert a admirablement peint cette attitude à travers Dussardier, le commis, naïvement engagé du côté de la répression, par amour de la République28. Mais la majorité de l’Assemblée, au diapason sans doute de la majorité des Français (dès le 24 juin affluent sur Paris plus de 100 000 gardes nationaux de tous les départements), est prête à mener purement et simplement une politique de réaction – celle que Lamartine a voulu éviter, et dont il devient une des victimes les plus illustres. La France bourgeoise et paysanne, dont la force avait été révélée par le suffrage universel, avait destitué les rêveurs de 48.
Lamennais, lui, décide de saborder son journal, Le Peuple constituant, dont le dernier numéro sort le 11 juillet, encadré de noir : « Le Peuple constituant a commencé avec la République, il finit avec la république ; car ce que nous voyons, ce n’est pas, certes, la république ; ce n’est même rien qui ait un nom. Paris en état de siège, livré au pouvoir militaire, livré lui-même à une faction qui en fait son instrument ; les cachots et les forts de Louis-Philippe encombrés de quatorze mille prisonniers, à la suite d’une affreuse boucherie organisée par des conspirateurs dynastiques, devenus, le lendemain, tout-puissants [...] ; le peuple, décimé et refoulé dans sa misère, plus profonde qu’elle ne le fut jamais : non, encore une fois, non ! ce n’est pas la république, mais, autour de sa tombe sanglante, les saturnales de la réaction. » Contre le cautionnement de nouveau imposé aux journaux, il a cette formule restée célèbre : « Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or pour avoir le droit de parler. Nous ne sommes pas assez riches. Silence aux pauvres ! » Ce dernier numéro est saisi ; le gérant, Veyron-Lacroix, poursuivi. Lamennais demande d’être jugé à sa place, mais en vain : la cour d’assises condamnera Veyron-Lacroix, le 26 octobre, à un mois de prison et à 500 francs d’amende. Hugo raconte dans Choses vues que Lamennais rencontrant, après les journées de Juin, son neveu Blaise, officier de la garde nationale, lui a crié : « Va-t’en ! tu me fais horreur, toi qui viens de tirer sur des pauvres ! »
Sainte-Beuve, lui, qui depuis les journées de Février a conservé une prudence exemplaire, a préféré renoncer à l’impression du troisième tome de son Port-Royal le 26 juin : « de peur d’accident ». Le lendemain, il écrit en Angleterre, à Abraham Hayward – un ami universitaire auquel il n’a pas fait signe depuis 1844 –, pour tâter le terrain, voir s’il n’y aurait pas de l’autre côté de la Manche, à l’université de Londres ou à Oxford, ou à Édimbourg, « des ressources pour y vivre et y subsister honorablement en y professant en français sur la littérature anglaise. La situation de notre pauvre pays m’a dès longtemps suggéré cette pensée. J’ai songé à la Suisse française, mais elle est bien agitée elle-même ». La victoire des « honnêtes gens » ne l’a pas complètement rassuré. Le 28 juin, il se plaint dans une missive à Octave Lacroix des « purs brigands » de Juin, qui lui ont ôté toute « foi en l’humanité » : « Enfin nous voilà provisoirement sauvés : mais si un gouvernement ferme et capable ne sort pas de là et ne prend pas vigoureusement en main la cause de la France et des honnêtes gens, il n’y a plus qu’à quitter la ville maudite et à chercher ailleurs un abri29. »
La Constitution votée, la Seconde République procède à l’élection du président de la République, au suffrage universel, les 10 et 11 décembre 1848. Lamartine ne se berce pas d’illusions en présentant sa candidature ; du moins espère-t-il finir « en beauté ». Quand le verdict tombe, cruel, injuste (son nom rejeté à l’avant-dernière place obtient moins de 18 000 voix), il est accueilli à l’Assemblée par des éclats de rire. Aux élections législatives des 13 et 14 mai 1849, il sera de nouveau battu. La défaite des républicains modérés est consommée ; ils ne se retrouvent plus qu’à 80 dans une Assemblée où la droite conservatrice est forte de 500 élus et la gauche montagnarde (les « démocs-socs »), de 180 sièges : « Les hommes de 1830, les ministres de la monarchie tombée, les hommes de 1815, les hommes même du Moyen Âge, les partisans surannés, quoique jeunes, du gouvernement sacerdotal, les inventeurs de l’intervention antirépublicaine, antifrançaise, anti-italienne à Rome, vont se trouver en face des hommes surannés aussi de la Convention, du comité de salut public et de la postérité de Babeuf30 ! » La république du Centre, espérée par Lamartine, a vécu.
Un socialiste reste encore debout au lendemain des journées de Juin, Pierre-Joseph Proudhon. La révolution de Février n’a provoqué chez lui aucun enthousiasme. Ce n’était pas la république qui répugnait à ce républicain de naissance, c’était l’idée, simpliste à ses yeux, qu’on puisse faire les réformes économiques nécessaires à partir d’une révolution politique. De là les flèches narquoises dans ses Carnets : « C’est une cohue d’avocats et d’écrivains, tous plus ignorants les uns que les autres, et qui vont se disputer le pouvoir. Je n’ai rien à faire là-dedans... » – « Les Lamartine, les Quinet, Michelet, Considérant, les Montagnards, etc., etc., tout le mysticisme, le robespierrisme, et le chauvinisme sont au pouvoir : ON A FAIT UNE RÉVOLUTION SANS IDÉE !!... » – « La nation française est une nation de comédiens... La blagologie commence... » Mais, dans les jours qui suivent, Proudhon se laisse gagner par le mouvement général, déclarant ne pas vouloir se séparer de ses « frères ». Dès le 24 février, il se rend aux bureaux de La Réforme pour se mettre à la disposition de Flocon ; c’est lui, en tant qu’ancien typographe, qui est chargé d’imprimer une première affiche révolutionnaire : « Citoyens, Louis-Philippe vous fait assassiner comme Charles X ; qu’il aille rejoindre Charles X ! » Prêtant la main à la construction d’une barricade, il apprend bientôt la fuite du roi : « Dès lors, on n’avait que faire de moi ; je rentrai dans ma mansarde, et me mis à réfléchir sur la Révolution. »
Une des premières mesures du Gouvernement provisoire, l’instauration du suffrage universel, le laisse de marbre. Révolution sociale d’abord ! Il travaille donc à la définir dans son nouvel ouvrage, la Solution du problème social. La réflexion de Proudhon tombe dans le vide : on n’a pas le temps de lire. Mais il est sollicité, entraîné à faire acte de candidature aux élections. Le voici membre du club central révolutionnaire, aux côtés de Barbès. Affligeant ! Il emploie le mot : affligeant, risible, effrayant, en écoutant les clubistes, « le conseil émis par Barbès de créer la Dictature ». Dans cette révolution, il déteste l’incapacité des dirigeants à formuler une pensée économique claire, à être portés par « la lecture des historiens romanciers de la Révolution ». Il confie à ses Carnets sa réprobation : « La république, je vous le répète, c’est le travail, l’atelier, le comptoir, le débouché, le ménage, les choses du monde les plus prosaïques, et qui prêtent le moins à l’énergie révolutionnaire et aux grandes paroles. Les représentants de la république ne sont pas, pour la plupart, de ce monde : on les prendrait pour une seconde incarnation de la race de 9331. »
Que veut-il ? D’abord une réforme du crédit, par la création d’une banque d’échange assurant la gratuité du crédit. Il en explique le détail dans son ouvrage qui a laissé tout le monde indifférent, mais Proudhon a de la constance, il avancera dans la Révolution avec son idée bien ancrée dans la tête – une idée qui lui fait une place très originale, très isolée. Jusqu’au bout il restera l’inclassable, mais sans jamais perdre de vue la solidarité avec ses « frères », les prolétaires. Le 27 février, il lance un nouveau journal, Le Représentant du peuple, dont le titre est encadré par deux devises dignes de l’abbé Sieyès : Qu’est-ce que le producteur ? Rien. Que doit-il être ? Tout. Qu’est-ce que le capitaliste ? Tout. Que doit-il être ? Rien. Immédiatement, il prévoit l’échec de la révolution sociale et juge que le suffrage universel est la contre-révolution. Pourquoi ? Parce que les électeurs voteront pour les gens « instruits », pour les « maîtres », pour les « bourgeois ». Lui-même candidat sur des listes de plusieurs départements, notamment à Paris et à Besançon, il fait une profession de foi qui risque d’inquiéter : « Il est dans ma nature de toujours contredire à l’autorité. J’ai pour les ecclésiastiques, comme pour les fonctionnaires publics, en général beaucoup d’estime ; mais j’ai toujours été rebelle à l’Église comme au gouvernement. » Malgré son échec aux élections d’avril, peu à peu, ses articles souvent retentissants du Représentant du peuple cimentent sa notoriété. En particulier ses brûlots contre la « mystification du suffrage universel ». Et de revenir à son dada : qu’on organise l’échange, le crédit, la circulation entre les travailleurs ! Le 10 mai, son journal imprime in extenso un Projet de constitution de banque d’échange. Malgré quelques formules appelées à la célébrité, c’est un texte interminable, en 80 articles, bien peu fait pour être lu. Mais, se payant d’audace, Proudhon soutient quelques jours plus tard qu’une série de personnalités, dont il cite les noms, ont adhéré à son projet et accepté de faire partie d’un Comité d’études... Ce bluff provoque un tollé général ! Mais Proudhon commence à attirer l’attention, ses polémiques redoublent, on ne sait trop de quel bois il se chauffe. L’extrême gauche l’adopte malgré tout. Lors de la journée du 15 mai, au moment où les insurgés fabriquent des listes du gouvernement à instaurer, son nom figure systématiquement à côté des noms de Louis Blanc, Armand Barbès, Pierre Leroux... Pour la droite, il reste le « communiste », l’ennemi de la propriété, un homme dangereux.
Cette notoriété fraîchement acquise lui vaut d’être élu à Paris aux élections complémentaires de juin. Ce succès lui procure un avantage inattendu : le propriétaire de l’hôtel de la Côte-d’Or, où il loge rue Mazarine, apprenant son élection, le prie d’échanger sa mansarde, indigne d’un représentant du peuple, contre une grande chambre au premier étage. Le 13 juin, il fait son entrée à l’Assemblée, sous les murmures et les regards de ses collègues : « On s’étonne presque que je n’aie ni cornes, ni griffes. La terreur que je cause dans certains départements est vraiment ridicule. » Son premier vote ne surprend personne : il s’oppose à la validation de l’élection de Louis Napoléon Bonaparte, élu en même temps que lui. Inscrit à la Commission des finances, il se demande : « Qu’est-ce que je vais devenir au milieu de tous ces crétins ? » Les journées de Juin vont le marginaliser encore.
Proudhon ne peut approuver l’insurrection ouvrière, mais il en rend responsable « le mauvais vouloir de l’Assemblée ». Découvrant le champ de bataille, il admire « le courage indomptable des insurgés ». Consignant ses observations dans ses Carnets, il note, le 25 juin : « Ce qui consterne, c’est de voir les bourgeois de l’Assemblée nationale ne s’occuper que d’une chose, d’EN FINIR ! Comme si on pouvait en finir !... » L’insurrection écrasée, Proudhon est plus suspect que jamais dans les colonnes de la presse déchaînée et aux yeux de ses collègues. Le 28 juin, l’Assemblée nationale adopte une proclamation, où se trouvent flétries « les doctrines sauvages de ceux pour qui la famille n’est qu’un mot, et la propriété un vol... ». Les députés se lèvent pour voter la proclamation ; seul Proudhon reste assis. Le 6 juillet, dans un contexte de réaction hystérique, il prend la défense des insurgés dans son journal « contre les calomnies de la réaction ». Cette révolte, écrit-il en substance, a été un « accident de la misère », « un éclat du désespoir », et demande que le décret de déportation soit révoqué. Mais Le Représentant du peuple est suspendu quelques jours plus tard pour un article intitulé « Le 15 juillet » :
« Le terme ! Voici le terme ! Comment allons-nous payer le terme ?...
» Depuis cinq mois nous ne faisons rien : nous n’avons rien reçu, rien livré, rien vendu ! L’industrie est à bas ! Le crédit à bas ! Le travail à bas !...
» Plus d’ouvrage, plus d’argent, plus de ressources ! Le terme est échu ; les tailles sont pleines ; les couverts d’argent, les bijoux des femmes, la montre du mari, le plus beau du linge, tout est au Mont-de-Piété ! Comment pourrions-nous encore payer le terme ! Comment ferons-nous pour vivre ?... »
Proudhon engage ses lecteurs à présenter une pétition à l’Assemblée nationale, afin de décréter une remise pendant trois ans d’un tiers de toutes les dettes, loyers ou fermages...
Proudhon n’a pas encore reçu le coup de grâce. On le lui prépare à l’Assemblée, pour le 31 juillet. Cavaignac ayant suspendu Le Représentant du peuple, Proudhon contre-attaque à l’Assemblée en déposant une proposition de loi relative à son projet de banque d’échange. Le projet est examiné avec soin au Comité des finances, Thiers se charge du rapport. C’est pour lui une belle occasion de se poser, face au symbole du « communisme », comme un chef du parti conservateur. Il s’efforce donc en séance plénière, le 26 juillet, de démonter le projet, de le réfuter ligne à ligne, en sommant son auteur de venir à la tribune défendre l’indéfendable. La mise à mort est soigneusement manigancée. Proudhon ne peut se dérober : il monte à la tribune le 31 juillet ; la salle est pleine. Victor Hugo le décrit dans ses Choses vues sans sympathie :
« On voit paraître à la tribune un homme d’environ quarante-cinq ans, blond, avec peu de cheveux et beaucoup de favoris. Il était vêtu d’un gilet noir et d’une redingote noire. Il ne parla pas, il lut. Il tenait ses deux mains crispées sur le velours rouge de la tribune, son manuscrit entre elles. Il avait un son de voix vulgaire, une prononciation commune et enrouée, et des besicles. Le début fut écouté avec anxiété ; puis l’assemblée éclata en rires et en murmures ; enfin chacun se mit à causer. La salle se vida et l’orateur termina au milieu de l’inattention le discours commencé au milieu d’une sorte de terreur. Proudhon n’était ni sans talent ni sans puissance. Cependant, il plia visiblement sous l’insuccès et n’eut rien de l’effronterie sublime des grands novateurs32. »
De fait, Proudhon, piètre comédien, est le pire des tribuns. Le début, Hugo le souligne, retient l’attention de son auditoire :
« Citoyens représentants, vous êtes impatients, non pas de m’entendre, mais d’en finir.
» Le socialisme, depuis vingt ans, agite le peuple.
» Le socialisme a fait la Révolution de Février : vos querelles parlementaires n’auraient pas ébranlé les masses. »
Pendant trois heures, Proudhon s’emploie à défendre son projet devant une assemblée de plus en plus impatiente, arrogante, ironique, hilare, feignant l’indignation, appelant à l’ordre... Proudhon s’explique sur sa fameuse formule, « la propriété, c’est le vol » : « Par abolition de la propriété, je n’entends et n’ai jamais entendu autre chose que l’abolition progressive, aussi ménagée qu’on voudra, et par voie de libre concurrence, des revenus des capitaux, mais sans expropriation et sans la moindre tendance communiste. » En vain : il fait peur, il est odieux, il est indigne. On lui demande comment il entend le nous et le vous qu’il emploie. La réponse, cette fois, est fulgurante : « Lorsque j’ai employé les deux pronoms vous et nous, il est évident que, dans ce moment-là, je m’identifiais, moi, avec le prolétariat, et que je vous identifiais, vous, avec la classe bourgeoise. » À la fin, le ministre de l’Intérieur, Sénard, voulant exprimer l’indignation générale, propose de voter un blâme solennel. Ce sera un ordre du jour motivé :
« L’Assemblée nationale,
» Considérant que la proposition du citoyen Proudhon est une atteinte odieuse aux principes de la morale publique, qu’elle viole la propriété, qu’elle encourage la délation ; qu’elle fait appel aux plus mauvaises passions ;
» Considérant en outre que l’orateur a calomnié la révolution de février 1848, en prétendant la rendre complice des théories qu’il a développées,
» Passe à l’ordre du jour33. »
Cet ordre du jour est voté par 691 voix contre 2, celles de Proudhon et de Greppo, un ouvrier lyonnais. Une partie de la gauche s’est absentée, mais Louis Blanc vote l’ordre du jour. Proudhon écrira à ce sujet : « Les socialistes lui en ont fait reproche : ils ont eu tort. Son vote fut le plus consciencieux de l’Assemblée. Louis Blanc représente le socialisme gouvernemental, la révolution par le pouvoir, comme je représente le socialisme démocratique, la révolution par le peuple. Un abîme existe entre nous34. »
Proudhon est devenu définitivement « un monstre », un danger public, après cette séance du 31 juillet. La presse n’a que sarcasmes à son endroit. Une estampe représente Thiers en saint Michel terrassant le dragon. Pourtant, le discours de Proudhon a ému au-delà des frontières. Le Russe Herzen le diffuse auprès de ses amis. Quant à Marx, désormais son adversaire, il se souviendra de cette séance en écrivant son article nécrologique de 1865 : « Opposé à Thiers, écrira-t-il, Proudhon prit les proportions d’un colosse antédiluvien. » Malgré toutes les avanies dont il est l’objet, Proudhon ne se décourage pas, proteste contre les mesures prises contre la liberté de la presse et la liberté de réunion. Le gouvernement de Cavaignac croit bon, on l’a vu, de rétablir le cautionnement pour les journaux. Dans Le Représentant du peuple, qui a reparu, il continue son combat par des articles parfois retentissants. Traité en bouc émissaire par la réaction, il reçoit successivement deux lettres d’un jeune poète, dénommé Charles Baudelaire, qui lui explique qu’on veut l’assassiner – « un complot réel ». Celui-ci, qui a fait le coup de feu en février et en juin, qui admire sincèrement Proudhon, lui conseille la vigilance35. Proudhon finit par rencontrer Baudelaire, qui se présente comme un « ami passionné et inconnu ». Le Représentant du peuple cependant est définitivement suspendu le 21 août 1848. N’importe ! Proudhon publie une nouvelle feuille, Le Peuple, qui vivra neuf mois. Le 28 mars 1849, il est condamné par les assises de la Seine à 3 ans de prison et à 3 000 francs d’amende. Arrêté et emprisonné en juin 1849, c’est à la prison Sainte-Pélagie qu’il épouse, à quarante et un ans, une ouvrière parisienne, Euphrasie Piégeard. Il écrira à son ami Tissot, le 28 octobre 1851 : « J’ai fait ce mariage avec préméditation, sans passion, pour être à mon tour père de famille, vivre ma vie tout entière, et conserver auprès de moi, dans le tourbillon où je me trouve lancé, une image de la simplicité et de la modestie maternelles. »
La prison n’endort pas Proudhon. Dès le 1er octobre 1849, il lance un nouveau quotidien, La Voix du peuple, grâce à l’aide financière de Herzen, aristocrate et révolutionnaire russe empli d’admiration pour lui. Jusqu’au dernier numéro (14 mai 1850), Proudhon écrit, polémique, vitupère, ironise, vaticine, analyse, provoque, insulte – à ses risques et périls : l’administration a beau être libérale, il y a des limites ! Proudhon en subira les conséquences : de Sainte-Pélagie, il est mis au secret à la Conciergerie, puis enfermé à la forteresse de Doullens, avant de revenir à Sainte-Pélagie après un acquittement.
Entre-temps, au début de novembre 1849, il fait paraître ses Confessions d’un révolutionnaire. Dans ce plaidoyer pro domo, l’auteur entend démontrer que lui seul a eu raison contre tous. Au scandale de ses lecteurs de la « Montagne » (l’extrême gauche), il réserve ses coups les plus durs aux « jacobins », aux « démocs-socs » – ses bêtes noires. Pour lui, « le dernier mot du Socialisme » est liberté – une liberté confondue avec le « non-gouvernement », avec « l’anarchie ». « Le socialisme, tel que je le professe, est le contre-pied du socialisme de Louis Blanc. » Blanc, exilé à Londres, incarne à ses yeux le « socialisme gouvernemental », « la révolution par le pouvoir », tandis que lui, Proudhon, représente le « socialisme démocratique, la révolution par le peuple ». Ces attaques sont renouvelées dans La Voix du peuple contre Louis Blanc, « singe de Robespierre ».
Louis Blanc réplique dans Le Nouveau Monde – son mensuel qui paraît à Paris depuis le 15 juillet 1849. Pierre Leroux s’en mêle, dans La République. Celui-ci, traité par Proudhon, en raison de ses positions religieuses, de « pauvre théoglosse, théomine, théopompe, théomane, théologastre », sait garder le sens du dialogue et élever le débat. Mais non Louis Blanc, qui traite Proudhon de « polichinelle » et en fait un jouet de la réaction. Parallèlement, de novembre 1849 à février 1850, Proudhon croise le fer avec l’économiste Frédéric Bastiat36, député, républicain modéré, sur la question de l’intérêt, à propos de son propre projet de banque du peuple. Dans ces articles alternés de La Voix du peuple, qui accueille la controverse, Bastiat tient la dragée haute au dialecticien matois : Proudhon révisera dans ses ouvrages postérieurs quelques-unes de ses idées au chapitre de la banque.
En attendant, Proudhon, jamais en panne de formule, saisit l’occasion de cette triple polémique pour dénoncer la « trilogie » de la réaction : Bastiat, le Capital ; Blanc, « l’idée gouvernementale », et Leroux, le symbole du « principe religieux » : Dieu, l’État, le Capital, infernale triade de l’absolutisme, auquel Proudhon oppose sa négation de l’Autorité, véritable fondement du Socialisme et de la Révolution37.
Au début de 1848, George Sand a pris ses distances vis-à-vis de Pierre Leroux. Elle reste fidèle à ses idées, mais l’homme l’a beaucoup déçue. Il y a « son indigence volontaire », pour ne pas dire son parasitisme, il y a son attitude en général : « C’est un génie admirable dans la vie idéale, écrit-elle le 14 décembre 1847 à Charles Poncy, mais qui patauge toujours dans la vie réelle38. » Le 22 janvier 1848, elle écrit à Mazzini, le patriote italien : « Cette admirable cervelle a touché, je le crains, la limite que l’humanité peut atteindre. Entre le génie et l’aberration, il y a souvent l’épaisseur d’un cheveu. » Néanmoins, George Sand est fermement républicaine et socialiste (elle s’est rapprochée de Louis Blanc et collabore à La Réforme), et la nouvelle qui lui arrive à Nohant de l’instauration de la République ne peut que l’emplir de joie. Dès le 1er mars, elle se rend à Paris. Elle y reste jusqu’au 7 mars, et ses premières impressions sont d’enthousiasme : « Vive la République ! écrit-elle le 9 mars à Charles Poncy. Et en même temps quelle tenue, quel ordre à Paris ! J’en arrive, j’y ai couru, j’ai vu s’ouvrir les dernières barricades sous mes pieds... J’ai vu le peuple français réuni au cœur de la France, au cœur du monde, le plus admirable peuple de l’univers. On est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange et de se réveiller dans les cieux. »
Sans attendre, Sand se met au service de la République et de son gouvernement où siègent ses amis Blanc, Ledru-Rollin, Arago. Partageant la grande fraternisation, elle veut en diffuser l’esprit à la province. Elle donne au Journal du Loiret, qui le publie le 8 mars, un article adressé « à la classe moyenne » : « Le peuple, investi d’une puissance dont il n’a jamais fait usage et dont il ne comprendra la portée que dans quelques jours, est disposé à accorder toute sa confiance à la bourgeoisie39. » Union, fraternité, réconciliation des classes ! L’écrivain se fait l’intermédiaire entre les bourgeois et le peuple. Le 5 mars, elle s’adresse aux riches : « Le communisme ne vous menace point. Il vient de donner des preuves signalées de sa soumission légale à l’ordre établi, en proclamant son adhésion à la jeune République. » Dans les mêmes jours, elle rédige ses « Lettres au Peuple ». Mais, de l’une à l’autre, l’euphorie s’émousse, les lendemains de Février commencent à déchanter : « J’ai vu la méfiance et l’affreux scepticisme, funeste héritage des mœurs monarchiques, s’insinuer dans le cœur des riches et y étouffer l’étincelle prête à se ranimer ; j’ai vu l’ambition et la fraude prendre le masque de l’adhésion, la peur s’emparer d’une foule d’âmes égoïstes40... »
De nouveau à Nohant entre le 8 et le 21 mars, attentive aux élections qui se préparent, elle reprend derechef la parole sous son ancien pseudonyme de Blaise Bonnin, pour expliquer aux campagnards que leur sort, leur avenir, la promesse de leur bonheur, sont dans la République, le régime de la fraternité. De retour à Paris, elle déménage dans un logis dix fois moins coûteux et fonde un hebdomadaire, qu’elle intitule La Cause du peuple, afin d’exposer les grandes lignes du socialisme selon Pierre Leroux : « Peu à peu, nous passerons de la pauvreté à l’aisance et de l’aisance à la richesse sociale sans nous heurter violemment aux obstacles que le devoir nous ordonne de tourner. »
Consciente du retard des esprits de province sur ceux de Paris, elle suggère à Ledru-Rollin d’y envoyer des ouvriers pour enseigner la république aux paysans avant les élections. Elle lui envoie Leneveux, rédacteur de L’Atelier, lequel entraîne une dizaine de compagnons. Revenue à Paris le 21 mars, se mettant pleinement à la disposition du gouvernement, elle collabore, sur le conseil d’Étienne Arago (frère de l’astronome), au Bulletin de la République, sans signature. En tout, 9 contributions, jusqu’au 29 avril. Dans le numéro 7 du 25 mars, elle s’emploie à convaincre les « habitants des campagnes » de la nécessité de payer l’impôt très impopulaire des 45 centimes, décrété pour éviter la banqueroute. Le no 15, du 13 avril, est un ardent manifeste en faveur des bons candidats aux élections, désintéressés et résolus : « Pour conserver intact et glorieux le dépôt des libertés publiques, cette Assemblée doit incessamment travailler à fonder solidement l’édifice de la société démocratique. Elle doit porter une main hardie sur les institutions oppressives et condamnées, ne reculer devant aucune des conséquences de la révolution, entraîner le pays par la grandeur de ses résolutions, et, s’il le faut, briser sans ménagement toutes les résistances. » Inquiétant, pour beaucoup, cet avant-goût de terreur républicaine ! Mais le numéro suivant, le 16, paru le 15 avril, fait carrément scandale. L’auteur y explique que, en cas de victoire de la réaction, le peuple comme en Février aurait le droit et le devoir de s’insurger : « Il n’y aurait alors qu’une voie de salut pour le peuple qui a fait les barricades, ce serait de manifester une seconde fois sa volonté et d’ajourner les décisions d’une fausse représentation nationale. Ce remède extrême, déplorable, la France voudrait-elle forcer Paris à y recourir ? À Dieu ne plaise41 ! »
L’article provoque l’indignation : on venait de consacrer le suffrage universel. La démocratie consiste-t-elle à en révoquer les résultats s’ils ne sont pas au goût d’une minorité ? La radicalisation de Sand est éclatante. Elle en donne d’autres preuves dans La Vraie République, journal de Théophile Thoré – un avocat socialiste –, auquel elle prête son concours après l’échec de La Cause du peuple et après son retrait du Bulletin de la République. Les journées du 16 avril et du 15 mai l’éloignent en effet du Gouvernement provisoire puis de l’Assemblée nationale.
Au lendemain du 16 avril, elle écrit à son fils Maurice : « Mon pauvre Bouli, j’ai bien dans l’idée que la république a été tuée dans son principe et dans son avenir42. » Elle ne supporte pas le spectacle de cette « bourgeoisie armée » qui crie « Vive la République ! » pour mieux hurler « Mort aux communistes », « Mort à Cabet ». « Et ce cri est sorti de deux cent mille bouches dont les 19 vingtièmes le répétaient sans savoir ce que c’est que le communisme ; aujourd’hui Paris s’est conduit comme La Châtre. » Elle ne ménage plus Lamartine, « jésuite naïf, espèce de Lafayette qui veut être président de la République, et qui en viendra à bout, parce qu’il ménage toutes les idées et tous les hommes, sans croire à aucune idée et sans aimer aucun homme. Il a eu les honneurs et le triomphe de la journée sans avoir rien fait. »
Après la journée du 15 mai, elle devient franchement pessimiste. Elle écrit à un cousin cinq jours plus tard : « La France eût pu préserver Paris, qui est son cœur et sa tête, des convulsions sociales qui s’y préparent. Mais la France n’a pas compris le caractère de la révolution que Paris lui a imposée, et là est le mal. On l’a dit, on le dit tous les jours : ce n’est pas une révolution politique, c’est une révolution sociale [...] Malheureusement, les meneurs de la véritable idée sociale ne sont guère plus éclairés que ceux qu’ils combattent et jouent trop la partie à leur profit. Somme toute, le peuple sent son mal et n’en connaît pas le remède. Il manque de guides à la hauteur de leur mission [...] Un beau matin, au moment où les apôtres du statu quo social croiront pouvoir dormir sur les deux oreilles, une épouvantable secousse les éclairera trop tard sur la réalité et la profondeur du mal social43. » Paroles prémonitoires, confirmées par les journées de Juin, qui remettent à jamais le « beau rêve de république fraternelle ».
Apprenant l’insurrection des ouvriers et la répression féroce qui s’ensuit, elle écrit à son éditeur Hetzel : « Il n’y a qu’à pleurer, et je vois l’avenir si noir que j’ai grande envie et grand besoin de me brûler la cervelle. » Et lorsque Lamennais fait publier le dernier numéro de son Peuple constituant encadré de noir, elle le soutient : « Ah généreux cœur, que vous avez dû souffrir dans ces fatales journées, et comme j’ai pensé à vous ! Vous seul avez compris le sens et la portée de cette effroyable lutte, vous seul avez eu le courage, au milieu du grand péril, de dire la vérité tout entière... » Lamennais, touché, répond le 23 juillet : « Je vous rends grâce, mon amie, de vos bonnes et encourageantes paroles. Vous avez toujours été pour moi le bon Samaritain qui panse les plaies du pauvre blessé et verse sur elles le vin et l’huile. Aussi mon cœur est-il bien à vous : croyez-le, je vous en prie, et n’en doutez jamais, quelle que puisse être d’ailleurs la diversité de nos points de vue sur certaines questions. »
À Hetzel, à qui elle envoie le manuscrit de sa Petite Fadette, elle écrira, le 7 octobre 1848, faisant allusion aux événements, à l’impuissance de la gauche, à la dictature qui se profile : « Mon pauvre cerveau est amoureux de logique et je n’en vois nulle part. » La Seconde République aura été pour George Sand (« elle qui résume dans sa personne l’idée révolutionnaire de la France », Herzen dixit), comme pour Lamennais, la plus cruelle des déceptions.
À l’avant-garde du mouvement républicain, enthousiaste, disponible, opiniâtre, Sand reste en retrait dans la bataille féministe qui s’affirme à la faveur des événements de 184844. Ainsi, lorsque Eugénie Niboyet45, ancienne saint-simonienne, lui demande, au club de la rue de Taranne et dans La Voix des femmes du 6 avril 1848, de se présenter aux prochaines élections, et cela en termes choisis (« le représentant qui réunit nos sympathies, c’est le type un et une, être mâle par la virilité, femme par l’intuition divine, la poésie : nous avons nommé Sand »), le grand écrivain fait une mise au point outragée, en choisissant de la faire paraître dans La Réforme et La Vraie République : « Un journal rédigé par des dames a proclamé ma candidature à l’Assemblée nationale. Si cette plaisanterie ne blessait que mon amour-propre, en m’attribuant une prétention ridicule, je la laisserais passer... Mais mon silence pourrait faire croire que j’adhère aux principes dont ce journal voudrait se faire l’organe. [...] Je ne puis permettre que, sans mon aveu, on me prenne pour l’enseigne d’un cénacle féminin avec lequel je n’ai jamais eu la moindre relation agréable ou fâcheuse46. » C’est que George Sand n’est pas une suffragette. Si elle réclame pour elle-même d’être traitée comme un homme, au point d’adopter parfois le pantalon et le cigare, elle ne considère pas le droit de vote comme une priorité. À ses yeux, les tentatives saint-simoniennes et fouriéristes en direction des femmes sont entachées d’aristocratisme, d’élitisme. Sand pense le peuple en entier, les femmes dans leur totalité. Or, dit-elle en substance, il ne faut pas mettre la charrue devant les bœufs. Pour le sixième Bulletin de la République (6 avril), elle écrit :
« Dans ces derniers temps, plusieurs femmes, encouragées par l’esprit de secte, ont élevé la voix pour réclamer, au nom de l’intelligence, les privilèges de l’intelligence. La question était mal posée. En admettant que la société eût beaucoup gagné à l’admission de quelques capacités du sexe dans l’administration des affaires publiques, la masse des femmes pauvres et privées d’éducation n’y eût rien gagné. [Ce qu’il faut combattre, c’est] le manque d’instruction, l’abandon, la dépravation, la misère, qui pèsent sur la femme, en général, encore plus que sur l’homme. »
Lorsque le Comité démocratique et socialiste inscrit son nom sur les listes d’une quarantaine de départements, elle réplique encore. Oui, elle veut, elle professe, elle revendique, l’égalité entre l’homme et la femme, mais l’égalité n’est pas la similitude. « Les femmes doivent-elles participer un jour à la vie politique ? Oui, un jour, je le crois avec vous. Mais ce jour est-il proche ? Non, je ne le crois pas. Et pour que la condition des femmes soit ainsi transformée, il faut que la société soit transformée radicalement. Dans la situation actuelle, les femmes sont incapables de remplir des fonctions politiques. »
C’est que, pour elle, le combat des femmes doit se livrer d’abord sur un autre terrain, celui des droits civils. Il faut en finir avec l’inégalité de la femme là d’abord où elle n’est qu’une éternelle mineure. L’écrivain retrouve une de ses idées les plus chères, un de ses plus inlassables combats, mené depuis ses premiers romans, contre la prison du mariage. Il faut rétablir le divorce : « Oui, l’égalité civile, l’égalité dans le mariage, l’égalité dans la famille, voilà ce que vous pouvez, ce que vous devez demander, réclamer. Mais que ce soit avec le profond sentiment de la sainteté du mariage, de la fidélité conjugale et de l’amour de la famille47. »
Dans le grand débat entre socialisme et féminisme, George Sand a choisi son camp : priorité à l’émancipation ouvrière, tous sexes confondus. Et, pour les femmes, la liberté d’être elles-mêmes.
En décembre 1848, Louis Napoléon Bonaparte est élu président de la République haut la main (5 434 226 voix) devant Cavaignac (1 448 107 voix) qui précède Ledru-Rollin (370 119), Raspail (36 920), Lamartine (17 940) et Changarnier (4 790). Les Français ont-ils répudié la République ? George Sand s’interroge et refuse de tomber dans le désespoir. L’analyse à laquelle elle se livre, dans un article de La Réforme du 22 décembre 1848, est une conclusion sur l’année 1848 : « Le peuple n’est pas politique » ; il a voté avec ses émotions. Il a rejeté Cavaignac, parce que ce général a massacré les insurgés de Juin. Mais le peuple tend au socialisme : « Pour avoir été politique et non socialiste, la république modérée est arrivée à mécontenter le peuple. Pour être socialiste et non politique, le peuple arrive à compromettre par un choix imprudent le principe même de sa souveraineté. Mais un peu de patience. Dans peu de temps, le peuple sera socialiste et politique, et il faudra bien que la république soit à son tour l’un et l’autre48. »
La révolution de 1848 apparaît à tous ces lettrés comme un immense échec. Certes, quelques mesures capitales demeurent, et notamment le suffrage universel (mais il sera bientôt remis en question) et l’abolition de l’esclavage. Mais modérés comme Lamartine ou radicaux comme George Sand, tous s’accordent sur le gâchis de ces journées enflammées. Et tous restent cependant marqués. Et, peut-être, plus que personne Victor Hugo, dont la vie va s’en trouver bouleversée...
1. Sainte-Beuve, Correspondance générale, Didier, 1957, VII, p. 228.
2. Cité par I. Murat, La IIe République, Fayard, 1987, p. 75.
3. V. Hugo, Choses vues, 1830-1848, op. cit., p. 632.
4. Alexandre Marie (1795-1870), ministre des Travaux publics du 24 février au 11 mai 1848, a conçu l’idée des ateliers nationaux pour donner du travail aux chômeurs. Il sera ensuite ministre de la Justice (17 juill.-20 décembre 1848).
5. Louis Garnier-Pagès (1803-1878), républicain modéré, franc-maçon, est ministre des Finances (5 mars-11 mai 1848). On le retrouvera membre du Gouvernement de la Défense nationale en 1870.
6. Alexandre Ledru-Rollin (1807-1874), avocat, fondateur de La Réforme, est ministre de l’Intérieur (24 févr.-11 mai 1848). Tocqueville : « La nation apercevait alors dans Ledru-Rollin l’image sanglante de la Terreur ; elle voyait en lui le génie du mal comme en Lamartine celui du bien, et elle se trompait des deux parts. »
7. François Arago (1786-1853), physicien et astronome, fondateur du National, ministre de la Marine et des Colonies (24 févr.-11 mai 1848), en même temps que ministre de la Guerre (5 avr.-11 mai 1848). À ne pas confondre avec son fils Emmanuel Arago, futur membre du Gouvernement de la Défense nationale en 1870.
8. Adolphe Crémieux, Isaac Adolphe, dit (1796-1880), avocat, franc-maçon, ministre de la Justice (24 févr.-7 juin 1848). Sera membre du Gouvernement de la Défense nationale en 1870. C’est alors que son nom sera attaché au décret du 24 octobre 1870 accordant la nationalité française aux juifs d’Algérie.
9. Ferdinand Flocon (1800-1866), codirecteur de La Réforme, ministre de l’Agriculture et du Commerce (11 mai-28 juin 1848).
10. Alexandre Albert, cofondateur de L’Atelier, son nom avait été ajouté au dernier moment par Louis Blanc. Retenu comme « ouvrier », Albert symbolise plus qu’il n’incarne la présence de la classe ouvrière au sein du Gouvernement provisoire, dont il est membre du 24 février au 9 mai 1848.
11. Le Moniteur universel, 8 mars 1848.
12. Voir la description ironique du « club de l’Intelligence » dans L’Éducation sentimentale de Flaubert, in Œuvres, Gallimard, La Pléiade, 1952, II, p. 332-340.
13. J. Michelet, Journal, op. cit., I, p. 922-923.
14. Le Moniteur universel, 10 mars 1848.
15. A. de Tocqueville, Souvenirs, op. cit., p. 106-107.
16. Ibid., p. 182-183.
17. J. Michelet, Journal, op. cit., I, p. 925.
18. Le Moniteur universel, 9 mai 1848.
19. E. Quentin-Bauchard, Lamartine homme politique, Plon, 1903, p. 331.
20. A. de Tocqueville, Souvenirs, op. cit., p. 135.
21. Procès des dirigeants de la Société des Amis du Peuple, inculpés de complot. Blanqui s’en prit avec éloquence au régime « qui broie 25 millions de paysans et 5 millions d’ouvriers ».
22. Selon le « document Taschereau » du nom d’un publiciste de la monarchie de Juillet , révélé le 31 mars 1848, un des chefs de la Société des Saisons, identifié à Blanqui, aurait révélé les détails de l’organisation des sociétés secrètes. Ce document fut considéré comme un faux par les partisans de Blanqui, mais Barbès n’en a pas moins conçu une méfiance durable envers Blanqui.
23. A. de Tocqueville, Souvenirs, op. cit., p. 136.
24. Henri Guillemin a soutenu parmi d’autres cette thèse, non sans argument, dans La Première Résurrection de la République, Gallimard, 1967.
25. Lettres des 1er et 16 juillet 1848.
26. Cité par J. Cabanis, Lacordaire et quelques autres, Gallimard, 1982, p. 321.
27. Louis Blanc a fait admettre un décret ainsi conçu : « Le Gouvernement provisoire de la République française s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens. »
28. Flaubert décrit l’« embarras de conscience » du jeune homme, après la bataille : « Peut-être qu’il aurait dû se mettre de l’autre bord, avec les blouses ; car enfin on leur avait promis un tas de choses qu’on n’avait pas tenues. Leurs vainqueurs détestaient la République ; et puis, on s’était montré bien dur pour eux ! Ils avaient tort, sans doute, pas tout à fait, cependant ; et le brave garçon était torturé par cette idée qu’il pouvait avoir combattu la justice » (G. Flaubert, L’Éducation sentimentale, op. cit., p. 367-368).
29. Sainte-Beuve, Correspondance générale, op. cit., VII, p. 304-306.
30. A. de Lamartine, Mémoires politiques, op. cit., IV, p. 117.
31. Cité par P. Haubtmann, Pierre-Joseph Proudhon, op. cit., p. 843. Cet ouvrage fondamental sur Proudhon reste notre guide.
32. V. Hugo, Choses vues, 1830-1848, op. cit., p. 692.
33. Le Moniteur universel, 1er août 1848.
34. P.-J. Proudhon, Les Confessions d’un révolutionnaire, Marcel Rivière, 1929, p. 200.
35. Baudelaire, Lettres des 21 et 22 août 1848, Correspondance, Gallimard, La Pléiade, 1973, I, p. 150-151.
36. Frédéric Bastiat (1801-1850) a acquis sa renommée d’économiste à la suite des articles qu’il publie dans le Journal des économistes en 1844. Il y défend le point de vue du libéralisme économique contre Lamartine. Auteur de plusieurs ouvrages, dont un sur Cobden, il se fait le défenseur du libre-échange, bataille en faveur de l’union douanière franco-belge et crée l’Association pour la liberté des échanges. Après plusieurs échecs électoraux sous la monarchie de Juillet, Bastiat est élu par les Landes (il est né à Bayonne) à l’Assemblée constituante, puis à la Législative. Sa polémique de 13 semaines avec Proudhon reste une des plus célèbres de la Seconde République.
37. P. Haubtmann, Proudhon, 1849-1855, Desclée de Brouwer, 1988, I, p. 47.
38. G. Sand, Correspondance, Garnier, 1971, VIII, Juillet 1847-décembre 1848, p. 191.
39. G. Sand, Politique et Polémiques, op. cit., p. 225.
40. Ibid., p. 244-245.
41. Ibid., p. 402.
42. G. Sand, Correspondance, VIII, op. cit., p. 411.
43. Ibid., p. 464-465.
44. Voir M. Perrot, « 1848 : la révolution des femmes », L’Histoire, no 218, février 1998.
45. Eugénie Niboyet a créé, avec Désirée Gay, Jeanne Deroin et Adèle Esquiros, le club de l’Émancipation des femmes, avant de présider le club des Femmes, fondé par Jeanne Deroin. Son journal, La Voix des femmes, a paru du 20 mars au 18 juin 1848.
46. G. Sand, Correspondance, VIII, op. cit., p. 391-392.
47. G. Sand, Politique et Polémiques, op. cit., p. 562.
48. G. Sand, Souvenirs et Idées, « À propos de la femme dans la société politique », Calmann-Lévy, 1904, p. 19-38.