L’eau lui arrivait à la taille. Le vertige était passé. Il nagea en direction de la herse. S’accrocher aux barreaux serait un jeu d’enfant. En fait, il n’aurait pas besoin de rester dans l’eau aussi longtemps qu’il l’avait cru. À présent, le rocher incliné qu’il n’avait pas été en mesure d’escalader serait accessible. Il devrait juste veiller à ne pas se perdre afin de pouvoir retourner à la herse.
Jervis se laissa flotter jusqu’à l’endroit où il estimait que se trouvait le rocher, mais il ne parvint pas à monter dessus. Lorsque l’eau lui atteignit l’épaule, il refit une tentative et réussit à se hisser sur une corniche derrière laquelle se dressait une paroi – il se rappela alors que le rocher touchait la paroi de la grotte. Appuyé contre la roche, il commença à s’interroger sur ce que deviendrait l’air quand l’eau entrerait. Trois possibilités étaient, lui semblait-il, envisageables.
Soit l’eau chassait l’air – mais le pourrait-elle, étant donné que l’entrée de la grotte serait submergée et l’air plus haut que l’eau ?
Soit l’air empêcherait l’eau d’entrer.
Soit l’air se retrouverait terriblement compressé.
Toutefois, aucune de ces trois éventualités ne se confirma. L’air paraissait tout à fait normal. Bien entendu, il y avait sans doute des fissures dans le plafond, et le passage y était peut-être aussi pour quelque chose. Ces falaises étaient truffées de trous et de fissures tout du long – ce qui les rendait dangereuses la nuit. Il en conclut par conséquent qu’il ne courait aucun risque de mourir asphyxié.
Sombrant dans un sommeil agité, Jervis rêva qu’il pêchait dans le bassin d’eau noire. Sa ligne attrapait d’abord un fût de cognac, puis un énorme sac très lourd rempli de lingots d’or. Il n’arrivait pas à le décrocher de l’hameçon, mais Basher le soulevait d’une seule main, le jetait sur son épaule et commençait à escalader la façade de l’abbaye de Westminster, portant le sac et le fût sur ses épaules comme des bidons de lait sur une palanche. Alors qu’il lançait de nouveau sa ligne dans l’eau, Rosamund en sortait, noyée, avec une longue natte jaune. Il l’allongeait sur un rocher, et elle ouvrait les yeux en disant : « Trente mille livres ! » Puis il relançait sa ligne et ramenait cette fois Nan, en chemise de nuit, les joues ruisselantes de larmes, et, en la voyant pleurer, il ressentait une douleur insupportable. Il la prenait dans ses bras et essayait de l’embrasser pour sécher ses pleurs. Mais au moment où il la touchait, elle devenait froide comme de la glace. Et, comme de l’eau, elle disparaissait en glissant hors de ses bras…
Jervis se réveilla en sentant l’eau sur sa poitrine. La mer continuait à monter et l’eau lui arrivait maintenant aux aisselles. Il repartit en nageant vers la herse.
Il se sentait beaucoup mieux – l’hébétude dans laquelle l’avait plongé le rêve s’était dissipée, et il avait de nouveau les idées claires. Bien que taraudé par une soif épouvantable, il était presque certain de tenir le coup jusqu’à ce que la marée redescende – seulement, il fallait pour cela qu’il franchisse la herse…
Au bout de quelques instants, il réussit à s’accrocher aux barreaux à l’angle de la grotte. Gêné par ses vêtements trempés, il se traita d’imbécile de ne pas avoir pensé à se déshabiller. Il aurait très bien pu rouler ses affaires en boule et les faire passer au-dessus de la herse. Mais à présent, il était trop tard. Il parvint à grimper sur le rocher en s’aidant d’un des barreaux. Il n’y avait là aucun espace, pas plus qu’aussi loin où il pouvait tendre la main. Les barreaux grimpaient jusqu’au plafond de la grotte. Il tenta sa chance de l’autre côté, sans plus de succès. Cependant, il trouva un point d’appui convenable et resta appuyé là pendant ce qui lui sembla durer une éternité.
Si le dernier barreau horizontal était droit, il restait une chance pour que la grotte forme une voûte plus haute en son milieu. Dès que le niveau d’eau eut monté suffisamment, il essaya de nouveau. Il n’avait plus besoin de tendre la main très loin ; partout il pouvait toucher le plafond de la grotte, seulement, la herse montait jusqu’en haut sur toute la longueur. Old Foxy Fixon l’avait astucieusement installée, de façon à ne laisser aucun espace… aucune issue côté mer.
Jervis s’arma de courage – d’un courage froid et opiniâtre. Au fond, il n’avait pas vraiment cru pouvoir gagner l’entrée de la grotte. Renonçant à cette idée, il décida de rejoindre la corniche sur laquelle ouvrait le passage. Étant donné qu’elle serait certainement au-dessus du niveau de l’eau, il devrait y parvenir assez vite. Quant à ce qu’il adviendrait ensuite… Il n’était pas impossible que Leonard revienne et ouvre la porte sans se méfier, auquel cas il se retrouverait immédiatement cloué au sol. Jervis s’imagina avec délices en train de l’agripper par les chevilles. Une chute dans le passage ne devait pas faire du bien !
Bon, il fallait d’abord trouver la corniche, ce qui ne s’annonçait pas si simple. Le niveau de l’eau devait être encore à environ un mètre au-dessous. Mais il pouvait aussi chercher le rocher incliné, qui à présent était probablement en grande partie submergé, et, une fois qu’il l’aurait repéré, il saurait comment rejoindre la corniche. En fin de compte, il trouva celle-ci sans difficulté. Se hisser dessus fut en revanche une autre paire de manches. Outre que le rebord surplombait l’eau de soixante centimètres, la paroi était aussi lisse et glissante que du verglas. Et il n’aurait jamais réussi à y grimper si sa main n’avait pas effleuré par hasard un anneau scellé sur le côté. Ramené en arrière par le poids de ses vêtements mouillés et la fatigue, il s’était déjà soulevé à bout de bras une douzaine de fois lorsque ses doigts se refermèrent dessus. Un anneau en fer tout rouillé, qui avait sans doute servi à attacher la corde qu’utilisait Old Foxy pour récupérer ses fûts. Une véritable aubaine…
Haletant, Jervis banda ses muscles, posa un genou sur le rebord, puis bascula en avant.