J’ai connu dans ma vie un pauvre misérable
Que l’on appelait Frank, – un être insociable,
Qui de tous ses voisins était l’aversion.
La famine et la peur, sœurs de l’oppression,
Vivaient dans ses yeux creux ; – la maigreur dévorante
L’avait horriblement décharné jusqu’aux os.
Le mépris le courbait, et la honte souffrante
Qui suit le pauvre était attachée à son dos.
L’univers et ses lois le remplissaient de haine.
Toujours triste, toujours marchant de ce pas lent
Dont un vieux pâtre suit son troupeau nonchalant,
Il errait dans les bois, par les monts et la plaine.
Et braconnant partout, et partout rejeté,
Il allait gémissant sur la fatalité,
Le col toujours courbé comme sous une hache :
On eût dit un larron qui rôde et qui se cache,
Si ce n’est pis encore, – un mendiant honteux
Qui n’ose faire un coup, crainte d’être victime,
Et, pour toute vertu, garde la peur du crime.
Ce chétif et dernier lien des malheureux.
Oui, ma chère Mamette, oui, j’ai connu cet être.