Scène III

Devant la maison de la Camargo

L’abbé Annibal Desiderio, descendant de sa chaise, musiciens, porteurs.

L’ABBÉ
Holà ! dites, marauds, – est-ce par là que loge
La Camargo ?
UN PORTEUR
Seigneur, c’est là. – Proche l’horloge
Saint-Vincent, tout devant ; ces rideaux que voici,
C’est sa chambre à coucher.
L’ABBÉ
Voilà pour toi, merci.
Parbleu ! cette soirée est propice, et je pense
Que mes feux pourraient bien avoir leur récompense.
La lune ne va pas tarder à se lever ;
La chose au premier coup peut ici s’achever.
Têtebleu ! c’est le moins qu’un homme de ma sorte
Ne s’aille pas morfondre à garder une porte ;
Je ne suis pas des gens qu’on laisse s’enrouer.
– Or, vous autres coquins, qu’allez-vous nous jouer ?
– Piano, signor basson ; – amoroso ! la dame
Est une oreille fine ! – Il faudrait à ma flamme
Quelque mi bémol, – hein ? Je m’en vais me cacher
Sous ce contrevent-là ; c’est sa chambre à coucher,
N’est-ce pas ?
UN PORTEUR
 Oui, seigneur.
L’ABBÉ
Je ne puis trop vous dire
D’aller bien lentement. – C’est un cruel martyre.
Que le mien ! Têtebleu ! je me suis ruiné
Presque à moitié, le tout pour avoir trop donné
À mes divinités de soupers et d’aubades.
MUSICIENS
Andantino, seigneur !

Musique.

L’ABBÉ
Tous ces airs-là sont fades.
Chantez tout bonnement ; « Belle Philis, » ou bien :
« Ma Climène. »
MUSICIENS
Allegro, seigneur !

Musique.

L’ABBÉ
Je ne vois rien
À cette fenêtre. – Hum !

La musique continue.

Point. – C’est une barbare,
– Rien ne bouge. – Allons, toi, donne-moi ta guitare.

Il prend une guitare.

Fi donc ! pouah !

Il en prend une autre.

Hum ! je vais chanter, moi. – Ces marauds
Se sont donné, je crois, le mot pour chanter faux.

Il chante.

Pour tant de peine et tant d’émoi
Hum ! mi, mi, la.
Pour tant de peine et tant d’émoi
Mi, mi. – Bon.
 Pour tant de peine et tant d’émoi
 Où vous m’avez jeté, Climène,
 Ne me soyez point inhumaine,
 Et, s’il se peut, secourez-moi,
 Pour tant de peine !
Quoi ! rien ne remue !
Va-t-elle me laisser faire le pied de grue ?
Têtebleu ! nous verrons !

Il chante.

De tant de peine mon amour.
RAFAEL, sortant de la maison, et s’arrêtant sur le pas de la porte.
Ah ! ah ! monsieur l’abbé
Desiderio ! – Parbleu ! vous êtes mal tombé.
L’ABBÉ
Mal tombé, monsieur ! – Mais, pas si mal. Je vous chasse
Peut-être ?
RAFAEL
 Point du tout ; je vous laisse la place.
Sur ma parole, elle est bonne à prendre, et, de plus,
Toute chaude.
L’ABBÉ
Monsieur, monsieur, pour faire abus
Des oreilles d’un homme, il ne faut pas une heure ; –
Il ne faut qu’un mot.
RAFAEL
Vrai ? j’aurais cru, que je meure,
Les vôtres sur ce point moins promptes, aux façons
Dont les miennes d’abord avaient pris vos chansons.
L’ABBÉ
Tête et ventre ! monsieur, faut-il qu’on vous les coupe ?
RAFAEL
Là, tout beau, sire ! Il faut d’abord, moi, que je soupe.
Je ne me suis jamais battu sans y voir clair,
Ni couché sans souper.
L’ABBÉ
Pour quelqu’un du bel air,
Vous sentez le mauvais soupeur, mon gentilhomme.

Le touchant.

Ce vieux surtout mouillé ! Qu’est-ce donc qu’on vous nomme ?
RAFAEL
On me nomme seigneur Vide-bourse, casseur
De pots ; c’est, en anglais, Blockhead, maître tueur
D’abbés. – Pour le seigneur Garuci, c’est son père
Le plus communément qui couche avec ma mère.
L’ABBÉ
S’il y couche demain, il court, je lui prédis,
Risque d’avoir pour femme une mère sans fils.
Votre logis ?
RAFAEL
 Hôtel du Dauphin bleu. La porte
À droite, au petit Parc.
L’ABBÉ
Vos armes ?
RAFAEL
Peu m’importe ;
Fer ou plomb, balle ou pointe.
L’ABBÉ
Et votre heure ?
RAFAEL
Midi.

L’abbé le salue et retourne à sa chaise.

Ce petit abbé-là m’a l’air bien dégourdi.
Parbleu ! c’est un bon diable ; il faut que je l’invite
À souper. – Eh, monsieur, n’allez donc pas si vite !
L’ABBÉ
Qu’est-ce, monsieur ?
RAFAEL
Vos gens s’ensauvent, comme si
La fièvre à leurs talons les emportait d’ici.
Demeurez pour l’amour de Dieu, que je vous pose
Un problème d’algèbre. – Est-ce pas une chose
Véritable, et que voit quiconque a l’esprit sain,
Que la table est au lit ce qu’est la poire au vin ?
De plus, deux gens de bien, à s’aller mettre en face
Sans s’être jamais vus, ont plus mauvaise grâce,
Assurément, que, quand il pleut, une catin
À descendre de fiacre en souliers de satin.
Donc, si vous m’en croyez, nous souperons ensemble ;
Nous nous connaîtrons mieux pour demain. Que t’en semble.
Abbé ?
L’ABBÉ
 Parbleu ! marquis, je le veux, et j’y vais.

Il sort de sa chaise.

RAFAEL
Voilà les musiciens qui sont déjà trouvés ;
Et pour la table, – holà, Palforio ! l’auberge !

Frappant.

Cette porte est plus rude à forcer qu’une vierge.
Palforio ! manant, tripier, sac à boyaux !
Vous verrez qu’à cette heure ils dorment, les bourreaux !

Il jette une pierre dans la vitre.

PALFORIO, à la fenêtre.
Quel est le bon plaisir de Votre Courtoisie ?
RAFAEL
Fais-nous faire à souper. Certes, l’heure est choisie
Pour nous laisser ainsi casser tous tes carreaux !
Dépêche, sac à vin ! – Pardieu ! si j’étais gros
Comme un muid, comme toi, je dirais qu’on me porte,
En guise d’écriteau, sur le pas de ma porte ;
On saurait où me prendre au moins.
PALFORIO
Excusez-moi,
Très excellent seigneur.
RAFAEL
Allons, démène-toi.
Vite ! va mettre en l’air ta marmitonnerie
Donne-nous ton meilleur vin et ta plus jolie
Servante ; embroche tout : tes oisons, tes poulets,
Tes veaux, tes chiens, tes chats, ta femme et tes valets !
– Toi, l’abbé, passe donc ; en joie ! et pour nous battre
Après, nous taperons, vive Dieu ! comme quatre.