– C’est la règle, ô mon cœur ! – Il est sûr qu’une femme
Met dans une âme aimée une part de son âme.
Sinon, d’où pourrait-elle et pourquoi concevoir :
La soif d’y revenir, et l’horreur d’en déchoir ?
Au contraire, un cœur d’homme est comme une marée
Fuyarde des endroits qui l’ont mieux attirée,
Voyez qu’en tout lien, l’amour à l’un grandit
Et par le temps empire, à l’autre refroidit.
L’un, ainsi qu’un cheval qu’on pique à la poitrine,
En insensé toujours contre la javeline
Avance, et se la pousse au cœur jusqu’à mourir,
L’autre, dès que ses flancs commencent à s’ouvrir.
Qu’il sent le froid du fer, et l’aride morsure
Aller chercher le cœur au fond de la blessure,
Il prend la fuite en lâche, et se sauve d’aimer. –
Ah ! que puissent mes yeux quelque part allumer
Une plaie à la mienne en misère semblable,
Et je serai plus dure et plus inexorable
Qu’un pauvre pour son chien, après qu’un jour entier
Il a dit : « Pour l’amour de Dieu ! » sans un denier.
– Suis-je pas belle encor ? – Pour trois nuits mal dormies,
Ma joue est-elle creuse ? ou mes lèvres blêmies ?
Vrai Dieu ! ne suis-je plus la Camargo ? – Sait-on,
Sous mon rouge, d’ailleurs, si je suis pâle ou non ?
Va, je suis belle encor ! – C’est ton amour, perfide
Garuci, que déjà le temps efface et ride,
Non mon visage. – Un nain contrefait et boiteux,
Voulant jouer Phœbus, lui ressemblerait mieux,
Qu’aux façons d’une amour fidèle et bien gardée,
L’allure d’une amour défaillante et fardée.
Ah ! c’est de ce matin que ton cœur m’est connu,
Car en le déguisant tu me l’as mis à nu.
Certes, c’est un loisir magnifique et commode
Que la paisible ardeur d’une intrigue à la mode !
– Qu’est-ce alors ? – C’est un flot qui nous berce rêvant !
C’est l’ombre qui s’enfuit d’une fumée au vent !
Mais que l’ombre devienne un spectre, et que les ondes
S’enfoncent sous les pieds, vivantes et profondes,
Le mal-aimant recule, et le bon reste seul.
Oh ! que dans sa douleur ainsi qu’en un linceul
Il se couche à cette heure et dorme ! La pensée
D’un homme est de plaisirs et d’oublis traversée ;
Une femme ne vit et ne meurt que d’amour ;
Elle songe une année à quoi lui pense un jour !