Chapitre 16

— Salut, fiston !

— Papa !

Jimmy se jeta dans ses bras. Mary se tenait sur le pas de la porte, souriante malgré le froid qui la faisait grelotter. Lance lui répondit par un sourire

— Alors, c’était bien, la Norvège ? demanda-t-elle.

— Non, pas vraiment

— T’es content d’être rentré ?

— Absolument ! Je te le ramène dans deux heures, dit Lance en posant Jimmy par terre.

— Amusez-vous bien !

Ils lui firent un signe de la main et Mary rentra.

Pendant le court trajet jusqu’à Grand Portage Lodge and Casino, un grand bâtiment d’allure moderne en bois et verre, Jimmy n’arrêta pas de parler deux minutes et lui raconta tout ce qui lui était arrivé en son absence. Il lui parla de l’école, de son grand-père, et d’un petit vison qu’il avait trouvé sur le pas de la porte et qui avait bien failli entrer.

— Je pense qu’il n’avait pas réussi à trouver de nourriture, dit-il.

— Peut-être qu’il voulait dîner avec vous, suggéra Lance.

— On était en train de manger des croquettes de poisson.

— Eh bien, qu’est-ce que je te disais ?

 

De leur table, ils voyaient une salle de jeux avec plein de gens installés devant des machines à sous. Lance trouvait que le bruit des machines avait un côté infantile, alors que les joueurs semblaient être à l’âge de la retraite. Par moments, ils entendaient le cliquetis des pièces qui tombaient dans le pot, suivi d’un cri aigu si c’était une femme qui avait gagné ; les hommes, en cas de réussite, ne faisaient que regarder autour d’eux.

Le père et le fils avaient chacun pris une coupe de glace. Dehors, des cristaux de neige scintillaient sur les voitures en stationnement.

— C’est comment, la Norvège ? voulut savoir Jimmy.

— Il fait froid.

— Comme ici ?

— Oui, répondit Lance.

— Alors tu aurais pu rester à la maison.

— C’est vrai.

— Mais maintenant, tu es rentré chez toi.

— Exactement. Tu as rendu visite à grand-mère pendant que j’étais là-bas ?

Jimmy secoua la tête, tout en avalant des cuillerées de glace.

— Ça te dirait d’aller la voir, bientôt ?

— Oui.

— Peut-être qu’on pourrait faire un tour à Duluth, toi et moi ?

— Génial ! On peut aller à l’aquarium ?

— On verra.

— Tu te souviens des gros poissons qu’on a vus ?

— Ah, les esturgeons, précisa Lance.

Tandis qu’ils mangeaient leurs glaces. Lance remarqua que son fils lui jetait un coup d’œil entre chaque bouchée.

— Papa ? dit-il au bout d’un moment.

— Oui, Jimmy ?

— Tu es fatigué ?

Lance posa sa cuillère sur sa serviette et regarda son fils.

— Tu trouves que j’ai l’air fatigué ?

Jimmy hocha la tête.

— Eh bien, tu as raison,

— Tu souffres du jet lag ?

— Tu sais ce que c’est que le jet lag, toi ? s’étonna Lance.

— Bien sûr. C’est quand on revient de l’autre bout du monde et qu’on fait caca comme si on était…

Lance éclata de rire.

— Mais c’est ce que dit Dan Proudhom.

— Qui est-ce ?

— Quelqu’un qui est dans mon école.

— Tu le connais ?

— Non, c’est le frère de Chad.

— Que tu connais.

— Oui.

— Alors, ce Dan Proudhom, qu’est-ce qu’il a dit sur le jet lag ?

— Il a dit qu’on fait caca comme si on était de l’autre côté de la planète. En Chine, par exemple. C’est vrai, ou pas ?

— Oui, je fais caca comme un Chinois maintenant.

— Sérieux ?

Lance mit ses doigts au coin des yeux et les tira vers le haut.

— Voilà comment je fais quand je suis aux toilettes, dit-il en faisant semblant de pousser.

Jimmy rit tellement qu’il faillit tomber de sa chaise.

 

Ensuite, ils firent un tour en voiture dans Grand Portage, ce que Jimmy adorait. Ils roulèrent lentement sur les routes étroites bordées de hautes congères, longeant des maisons souvent misérables derrière des épaves de voitures et des bidons d’essence rouillés, coiffés de gros chapeaux de neige. Lenny Diver venait d’ici. Quand on était né à Grand Portage, il était rare que le sort vous sourie. Soudain, Lance eut la nausée en pensant que Jimmy grandissait dans une ville réputée pour ses mauvaises statistiques : criminalité, alcoolisme, violence familiale, drogue, chômage, ici, tout était pire qu’ailleurs.

En s’approchant de chez Mary, ils croisèrent une camionnette blanche qui roulait au pas et s’arrêta un peu plus loin.

Après avoir ramené son fils, Lance reprit la route en sens inverse. La camionnette fit demi-tour et s’approcha de nouveau. Arrivée à sa hauteur, le conducteur passa le bras par la vitre et fit signe à Lance de s’arrêter.

Lance baissa la vitre et vit deux types aux cheveux longs et à la mine patibulaire.

— C’est toi, le flic des forêts ? demanda l’un.

Le ton de sa voix était dur, mais il évita de regarder Lance dans les yeux, comme s’il ne voulait pas montrer son visage.

— Oui, répondit Lance, un peu hésitant.

— Le mec norvégien, c’est bien toi qui l’as trouvé ?

— Euh…

— Près de la croix de Baraga ?

— Oui, c’est moi.

L’homme leva l’index et fit un mouvement de gauche à droite sous son menton, comme pour le mettre en garde.

— Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Tu le sais.

— Non.

Lance se rendit compte que sa voix n’était qu’un faible sifflement.

— Tu peux sauver Lenny, dit l’autre homme, à moitié caché derrière le conducteur.

— Lenny ?

— Oui, Lenny Diver. Tu peux le sauver. Sinon, tu seras dans un drôle de pétrin. Pour toujours. Toi et toute ta famille.

L’homme hocha la tête, comme pour souligner qu’il ne plaisantait pas. Puis, il remonta la vitre et démarra.