Cuki au BB gun

Je ne connais pas beaucoup d’autres photographies d’art représentant une fille avec un revolver enfoncé dans la bouche. Je pense que Terry Richardson a peut-être essayé, mais je n’en suis pas sûr. La seule avérée dans ma mémoire est un cliché d’Helmut Newton intutilé Jo Champa at Chelsea 1988. L’angle est différent, l’arme est un automatique et le modèle est vu du dessus en frontal comme lors d’une fellation. Ce Polaroid d’Edo Bertoglio est antérieur de neuf ans à l’image de Newton. Edo se souvient de l’avoir pris en juillet 1979 à New York. Je cite son mail : « Son nom était Cuki et on revenait d’un tour à moto (avec mon Harley-Davidson Super Glide), donc on était habillés en cuir et je voulais faire des photos dans le style “biker dur et pur” et puisque, dans mon studio, sur une table il y avait ce revolver qui était une copie du Magnum 357 (c’était un BB gun à air comprimé), et là Cuki a bien pensé de jouer avec (Cuki est mariée et apparemment elle a quatre fils, je ne l’ai plus jamais revue depuis les années 1980). Le Polaroid était un SX 70 à l’époque l’appareil que j’utilisais pour faire une espèce de journal de ce qui se passait autour de moi. »

Edo Bertoglio est un photographe suisse né à Lugano en 1951. Il a exercé à New York durant cette période très intéressante qui va de 1976 au milieu des années 1980. Je l’ai découvert par Eva Ionesco dont il a réalisé un portrait le jour où Eva a fait couper sa sublime chevelure d’enfant chez un coiffeur de Saint Mark’s Place en l’honneur de Sid Vicious. C’est Charles Surya qui m’a présenté Edo lors d’une soirée chez Marie Beltrami et je l’ai aussitôt trouvé extrêmement beau et sympathique.

J’ai malheureusement raté son exposition chez Frédéric Sanchez à Paris lors de la sortie de son long-métrage Downtown 81 avec Jean-Michel Basquiat. Edo fut le compagnon de Maripol, styliste de Fiorucci et accessoirement l’auteur du premier look de Madonna crucifix et robe blanche (époque Like a Virgin). Maripol est aussi photographe et il existe un livre de ses Polaroids, mais j’adore surtout ceux d’Edo. Cette Cuki au BB gun bien sûr, mais aussi un portrait de Blondie devant une enseigne de bar. Je ne saurais dire pourquoi, mais il émane des photographies d’Edo Bertoglio, l’âme fragile et électrique de ces quelques mois qui mirent fin aux années 1970, comme Cuki voulut peut-être, un instant d’été pour rire, exploser son doux visage et ses beaux cheveux roux après un tour en motocyclette.

2016