Portrait de Mamie Van Doren

Dieu que la rue était laide en 1977. Les tenues des passants, leurs coiffures étalaient une tarterie que le début des années 1980 n’allait qu’empirer. Rares les gens élégants, les femmes surtout, je les trouvais épouvantables, elles ressemblaient au mieux à Miou-Miou ou à Anémone. Aux Champs-Élysées, à Saint-Germain, il y avait quelques cover-girls danoises ou des Brésiliennes sans profession inaccessibles aux esthètes trop jeunes et trop pauvres. S’offraient seules les anciennes photos de vitrines de cinéma qu’on pouvait trouver par terre aux Puces ou dans des boutiques d’affiches tenues par des rats de cinémathèque. J’en ai connu un qui prétendait avoir dîné avec Gloria Swanson à Paris au début des années 1960. Je lui ai acheté quelques photos à cinquante centimes. Le nom de « Mamie Van Doren » écrit au crayon bleu au dos de l’une d’entre elles me plut particulièrement. Le titre du film : Jeunesse droguée, encore davantage. Jeunesse droguée… tout un programme. Mamie était blonde comme Jayne Mansfield, ce genre de blonde à gros seins aux attaches fines, aux jambes sèches et bronzées qui portent des robes stretch d’un blanc optique. Moins encombrante que Jayne, moins caparaçonnée, elle semblait plus souple, plus rock… plus simple aussi. J’ignorais tout de Mamie Van Doren, et le marchand qui offrait ses souvenirs pieux dans une boutique aux murs grisâtres ne fit rien pour m’aider, à peine une petite moue du genre de celles qu’on réservait dans sa jeunesse à lui aux starlettes pour adolescents, aux blondes à gros seins ou aux filles de Strasbourg-Saint-Denis.

Les gros seins, je m’en foutais, ce que j’aimais, c’était les poupées décolorées qui déplaisaient aux bonnes femmes que je voyais pérorer dans les cafés du Quartier latin, les Anémone, les Miou-Miou, les Arlette Laguiller, les Annie Girardot, fumant des Gitanes et portant des babies de chez Bata. Les seuls à aimer ces canons à Paris étaient les teddy boys, les Rockies, les ex-blousons noirs qui n’étaient pas du tout prêts à partager leurs goûts et encore moins leurs fiancées, très bien habillées, ultracoiffées, un peu abîmées par des dents pourries et cette peau prématurément blette qu’on ne voit plus trop, mais qui était celle des filles du peuple alors.

La mode 50’s était en train de s’étendre à une clique de plantes plus bourgeoises issues de l’École alsacienne, les futures Bardot du Palace comme Pauline ou Élisabeth Lafont, mais je ne les connaissais pas encore, une question de mois.

C’est à la fin des années 1980 qu’un ami, se souvenant de mon goût d’antiquaire pour les Dump Blondes, me donna l’autobiographie de Mamie Van Doren, Playing the Field, traduite en français par un petit éditeur éphémère sous le titre : Hollywood flash-back. Je retrouvai dans le cahier photo le fameux photogramme de Jeunesse droguée, perdu depuis longtemps lorsque j’ai dû quitter mon appartement du quartier des Halles.

« Jeunesse droguée » fut un des titres que j’ai envisagé de donner à Anthologie des apparitions.

Dans le cahier photo, j’ai redécouvert une fille aux traits fins assez froide, à la Eva Marie Saint, nantie d’une belle plastique. Très spectaculaire à la fin des années 1960 lors de ses tournées de pin-up au Vietnam. Cheveux raides, pas de perruque, contrairement à Jayne, cool dans son short et ses mules à talons bobine, Mamie est sexy au soleil de Da Nang avec ses boys, poupins et fatigués, qui portent les chemises qui se chinent encore aujourd’hui dans les mêmes surplus qu’autrefois. J’aime le kaki américain, tirant sur le bleu.

Le livre est marrant parce qu’elle raconte tout avec un naturel de looseuse : les écoles de la Universal en 1949 avec Clint Eastwood et Anita Ekberg, les pipes aux producteurs, les gouines sympas, les méchancetés entre starlettes, la guerre pour récupérer les meilleurs soutiens-gorge renforcés au magasin des accessoires. Un peu comme dans les mémoires d’un pompiste gigolo d’Hollywood parues récemment… À travers le destin de Mamie (un surnom qu’elle doit à Mme Roosevelt), obscure starlette qui s’acharne à se faire passer pour une rivale crédible de Monroe (elle est de la même promo que Norma Jean, un peu antérieure à Jayne), on découvre le destin ordinaire des semi-prostituées qui devinrent pour certaines de grandes actrices. Ce que Mamie raconte, les vraies stars l’ont vécu, mais ne s’en vantent pas.

La bonne nouvelle, c’est que Mamie n’est pas morte, elle a survécu à Marilyn Monroe, à Jayne Mansfield, à Diana Dors et même à Pauline Lafont… elle continue à poster des photos d’elle au Vietnam ou ailleurs sur sa page Facebook. Van Doren (Joan Lucille Olander de son vrai nom) est la dernière des blondes explosives, la plus rock, la seule à avoir chanté au cinéma des chansons composées pour elle par Eddie Cochran (Oobala Baby). Sur les derniers posts la plus ancienne starlette (on disait alors « glamour girl ») semble invulnérable avec une belle dentition que les teddy girls d’autrefois lui envieraient et qu’elle doit peut-être à son troisième et dernier mari, dentiste et comédien, deux professions rarement associées.

2016