Portrait de Patty Hearst

La liberté c’est la terreur.

Saint Just

Arborer des chaussures blanches après Labour Day, voilà l’ultime provocation de Patricia Hearst, un crime que le président Clinton n’a pu absoudre, une entorse aux règles de savoir-vivre wasp, un glissement postmoderne de l’activisme révolutionnaire au white trash. C’est une des meilleures scènes de Serial Mom, le film de John Waters : Kathleen Turner, mère de famille reaganienne et tueuse en série, se laisse distraire de son propre procès par les pieds chaussés de blanc d’une des jurées. Qui a commis cette faute de goût ? Vérification faite sur IMDB, la jurée aux chaussures blanches s’appelle Patty Hearst. John Waters, cinéaste fétichiste orphelin (tous ses acteurs sont morts dans les années 1980), prend soin de ses caméos. Serial Mom annonce une importante liste de figurantes célèbres : Traci Lords, Joan Rivers, Suzanne Somers, Kathy Bates… Au générique, Patricia Hearst s’appelle Patricia Campbell Hearst Shaw. Hearst comme son grand-père Randolph Hearst (Citizen Kane), créateur du groupe de presse, Shaw non pas à cause du célèbre dramaturge mais de son homonyme, Bernard Shaw, un bodyguard que Patty H. épousa en 1979 à sa sortie de prison. Sa peine de trente-cinq ans s’était réduite à vingt-deux mois pour cause de pression démocrate.

Avant d’être une actrice comique, Patty Hearst (née en 1954) fut une vraie terroriste dont le parcours est encombré d’au moins deux cadavres. Des frasques sanglantes de Patty, libérée par Jimmy Carter, puis absoute par Bill Clinton, il ne reste quarante ans plus tard que quelques clichés, c’est-à-dire l’essentiel. D’abord, une photographie en couleur, emblématique, belle comme une couverture de SAS, représentant la nouvelle disciple de Che Guevara, fusil M1 en bandoulière et béret sur la tête devant le curieux insigne de l’Armée de libération symbionaise, puis une autre série d’images en noir et blanc, superbes, prises par la vidéo de surveillance d’une banque de San Francisco, le jour d’un hold-up meurtrier.

 

La SLA (dont le symbole s’avère être un cobra à sept têtes appartenant au bestiaire fantastique du Sri Lanka) fut un mouvement de guérilla urbaine inspiré par les Tupamaros (Uruguay), les théories de Régis Debray, les Black Panthers et quelques jeunes penseuses maoïstes lesbiennes féministes comme Patricia Mizmoon Soltysik (1950-1974), brûlée vive par la police lors d’un assaut violent contre la SLA en 1974. Membre éminent du groupuscule, Soltysik, brillante boursière à Berkeley, avait participé le 15 mai 1969 au « Bloody Thursday » de People’s Park durant lequel le gouverneur Ronald Reagan avait fait tuer au shotgun un étudiant par la police. Selon Reagan, Berkeley n’était qu’un « paradis pour communistes, agitateurs et déviants sexuels ». Vrai, du moins en ce qui concerne Soltysik. C’est cette autre Patricia qu’on aperçoit portant la sacoche de billets volés, devant Patty H., sur les belles images noir et blanc prises par la caméra de surveillance. Le troisième membre du commando pris en photo, un Afro-Américain spectaculaire, habillé comme le violeur d’un film de Charles Bronson, est en fait le créateur de la SLA, il s’agit de Donald DeFreeze (1943-1974) surnommé « Field Marshal Cinque ». Ce repris de justice, plus ou moins maquereau, avait été initié à la guérilla urbaine en prison par le groupe Vencemeros (l’aile chicano des Black Panthers). Menacé d’être brûlé vif durant le même assaut de police, DeFreeze s’est (selon le site officiel du FBI) tiré une balle dans la tête pour échapper à la douleur.

Comment l’héritière Hearst s’est-elle retrouvée une arme de guerre à la main en train d’attaquer une agence Hibernia, une banque qui appartenait à la famille de sa camarade de classe d’école chic, encore une Patricia : Patricia Tobin ? Les explications divergent, mais certains faits sont connus. Le 4 février 1974, Patty Hearst venait de prendre de l’acide avec son boyfriend quand elle est enlevée par un groupe armé dans sa chambre de la résidence universitaire du campus de Berkeley. Le but des kidnappeurs est d’échanger la jeune héritière contre deux membres de leur groupe emprisonnés pour avoir assassiné (avec une balle trempée dans du cyanure) Marcus Foster, une personnalité afro-américaine. Devant le refus des autorités, la SLA change son fusil d’épaule et réclame 5 millions de dollars à la famille Hearst. Treize jours plus tard, nouvelle bombe : une cassette audio parvient aux journaux, on y entend la voix de Patricia. Elle annonce son adhésion à la SLA, dénonce le capitalisme, règle son compte à sa famille ainsi qu’à son (ex)-petit ami qualifié d’« abominable bourgeois sexiste ». La suite, c’est les fameux hold-up, la mort des camarades dans un assaut de police, et une fin un peu terne quelques mois plus tard en 1975 : Patty H. se fait attraper en compagnie de Wendy Yoshimura, une jeune artiste membre de la SLA, après un vol de chaussettes à main armée.

 

Les Hearst n’ont pas laissé leur fille sans avocats ; c’est l’un d’entre eux, F. Lee Bailey, qui eut la bonne idée d’invoquer le syndrome de Stockholm, une invention récente datant de 1973 et d’une prise d’otages dans une banque suédoise où les employés séquestrés avaient pris le parti des gangsters contre la police. On parla aussi de viol et de lavage de cerveau. Patty Hearst n’avait certainement pas choisi d’être enlevée, mais il semble qu’elle n’ait pas détesté au moins deux de ses ravisseurs. D’un des brûlés vifs dans l’assaut de 1974, « Tania the guerilla » (son nom de guerre) disait : « He was the gentless most beautiful man I’ve ever known. » Sans doute, pour reprendre un mot de Saint-Just, révolutionnaire français, l’héritière Hearst a-t-elle connu une inavouable liberté dans ces moments de terreur.

2013