S. L. : La première fois que je t’ai vu, c’était en 1976 dans un cinéma des Champs-Élysées qui projetait Madame Claude, tu jouais le fils de Klaus Kinski et tu te faisais dépuceler sur un yacht par Dayle Haddon. Tu t’en souviens ?
P. G. : Oui. C’était mon deuxième film. J’ai eu de la chance, j’ai commencé par deux énormes succès : Madame Claude et Docteur Françoise Gailland.
S. L. : Ah oui, avec Annie Girardot… Oui, Annie Girardot était une grande star à l’époque, mais j’aimais moins ce film, je préférais Madame Claude.
P. G. : Docteur Françoise Gailland a été un succès phénoménal. Annie était gentille avec moi. J’ai fait aussi une pièce avec elle, une pièce de Roberto Athaydé mise en scène par Lavelli. C’était la première fois que je jouais au théâtre. Elle était toute seule sur scène et elle me donnait une gifle… La pièce s’appelait Madame Marguerite. Comme je ne disais rien, je n’avais le droit de saluer qu’une seule fois.
S. L. : Revenons à l’autre Madame, Madame Claude. Dayle Haddon était très belle…
P. G. : Oui, j’avais une scène de nu avec elle (rires). Moi, je tombais amoureux d’elle.
S. L. : Je me rappelle que tu pleurais sur ta planche à voile quand tu découvrais qu’elle était call-girl… Et juste à ce moment on entendait la chanson de Jane Birkin.
P. G. : Oui, sauf que je n’arrivais pas à pleurer, alors, comment il s’appelle… le metteur en scène Just Jaeckin m’a dit de me mettre de l’eau de mer sur le visage pour simuler les pleurs.
S. L. : J’ai revu ce film récemment à la télévision. Il est resté charmant. C’était comment, le tournage ?
P. G. : On était sur la côte et aux Antilles, je crois. Just Jaeckin exigeait que tout le monde voyage en classe économique ; moi, j’étais jeune, je m’en fichais, mais les autres étaient moins contents. Tu sais, j’avais vingt ans à l’époque, j’étais tellement étonné d’être dans le monde du cinéma. C’était inespéré. J’étais comme un enfant.
S. L. : Tu viens d’un milieu bourgeois, ton père était un industriel, dans quelle branche ?
P. G. : Il était ingénieur, il avait inventé la signalisation horizontale en caoutchouc. C’est à cause de lui que les clous ont disparu des passages piétons. Il a fait aussi les lignes jaunes sur les autoroutes, les aéroports… c’était les Trente Glorieuses. Le théâtre, c’était un moyen d’échapper à ce carcan protestant. J’avais sûrement des prédispositions. Quand j’étais petit, j’avais refait tout l’enterrement de Kennedy dans ma chambre. Tous les rôles, je faisais le mort, je faisais Jackie Kennedy, je faisais le fils, le petit.
S. L. : Tu vivais dans le seizième arrondissement.
P. G. : Oui, parce que mon père avait ses bureaux à Colombes.
S. L. : Tu fais souvent de la planche à voile dans les films. À part la scène de Madame Claude. Il me semble que tu donnes un cours à Arielle Dombasle dans Pauline à la plage d’Éric Rohmer ?
P. G. : Oui, c’est vrai, ce sont les deux seules fois…
S. L. : Entre 1976 et 1983, tu avais fait des progrès ?
P. G. : Tu parles ! Éric m’avait payé des cours. Comme c’était les films du Losange qui produisaient, j’avais eu droit à des cours sur le lac d’Enghien (rires). Alors le lac d’Enghien, c’est calme, un petit sifflet de vent. J’étais champion. Mais quand je suis arrivé à Granville, je me suis cassé la gueule. À peine on a dit : Moteur ! Je tombe. On en a fait trois ou quatre comme ça. Il y a une prise où je tiens à peu près quinze secondes, il l’a gardée.
S. L. : Revenons à tes vrais débuts, ton premier grand rôle au cinéma, Les Sœurs Brontë, d’André Téchiné (1979).
P. G. : Ça, c’est grâce à Adolfo Arrieta. Je l’avais rencontré au 7. Adolfo prenait des jeunes acteurs de la mouvance de la nuit parisienne. Il aimait bien ça. J’ai tourné Flammes avec Caroline Loeb (1978). Techiné était fan d’Arrieta. Mais ça ne suffisait pas. Moi, je voulais travailler, j’avais une ambition qui était… développée. Mon agent à l’époque était fou amoureux d’un autre acteur, même âge, mêmes rôles que moi. Tout le monde savait que Téchiné préparait un film et cherchait un jeune homme. Donc mon agent poussait l’autre. Je disais que moi aussi je voudrais bien rencontrer Téchiné. Mais l’agent disait : « Non, non, il adore l’autre. » Un jour, je suis arrivé à l’agence, j’ai profité du moment où la secrétaire devait être allée aux chiottes et j’ai ouvert son agenda, j’ai regardé le numéro de téléphone de Téchiné, je l’ai noté. Je lui ai téléphoné en rentrant chez moi, j’ai pris rendez-vous et c’est moi qui ai eu le rôle. Alors j’ai appelé l’agent et je lui ai dit : « Voilà, c’est moi qui ai le rôle, mais malheureusement ça ne sera pas toi qui discuteras le contrat et je suis parti chez Artmédia. »
S. L. : C’était qui, l’autre acteur ?
P. G. : … (Silence. Il ne veut pas le dire…) C’est triste, cette histoire. Il avait commencé très fort avec de très grands metteurs en scène, mais il n’a pas fait Les Sœurs Brontë.
S. L. : Tu sais, j’ai entendu parler de toi à peu près à l’époque des Sœurs Brontë par Jean-Bernard, un type qui t’a vendu une voiture américaine ancienne du genre American Graffiti, tu te souviens ?
P. G. : Absolument, j’ai eu une Ford Fairlane Victoria de 1956… Mais je ne sais plus qui me l’a vendue.
S. L. : Je peux te le dire, c’est Jean Bernard, il avait une boutique place Sainte-Opportune qui s’appelait Les Messageries. Il vendait des fringues américaines 1950 et des vieux talons aiguilles Ernest. Il sortait avec la nièce de Robert Taylor, Siovan… Toi qui t’intéresses à la mort de Kennedy, il possédait la même Lincoln convertible que celle dans laquelle il a été assassiné, mais en jaune poussin.
P. G. : Je me souviens, maintenant que tu le dis, c’est vrai.
S. L. : Tu étais content de ta Ford ?
P. G. : Oui, elle était belle, elle était vert et blanc, je l’ai gardée quatre ans. C’etait la frime, elle était merveilleuse. Pour écouter de la musique, il y avait l’ancêtre de la K7.
S. L. : Je ne vois pas du tout de quoi tu parles…
P. G. : Tu sais, il y avait les cassettes, c’était petit, mais juste avant il y avait un truc plus gros.
S. L. : Un mange-disque ?
P. G. : Non, un truc qui ressemblait un peu à des cassettes vidéo VHS. Une cartouche, tu vois pas ? Je ne sais plus comment ça s’appelait1.
S. L. : Tu aimes bien les voitures… Un jour, tu m’as raconté que Marisa Berenson t’avait prêté sa mini.
P. G. : Oui, c’était David de Rothschild qui lui avait offert, elle était sublime… Aubergine et blanc. Avec l’intérieur tout en cuir aubergine et blanc, et du bois partout. Marisa est très gentille, elle me l’avait prêtée…
S. L. : Tu aimes beaucoup Marisa ?
P. G. : Oui, j’adore Marisa, j’adore sa voix… (soudain sérieux) Tu sais, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir eu une vie très amusante. À partir du moment où on se parle comme ça, que tu m’interviewes sur des choses de ma vie, j’ai l’impression que je devrais avoir des choses amusantes à raconter, mais en fait j’ai eu une vie normale, pas très… décalée. J’ai eu une vie de bosseur. La grande chance que j’ai eue, c’est que j’ai rencontré des gens merveilleux. J’ai travaillé avec ces gens-là. Téchiné, Rohmer et toute la liste…
S. L. : Il y a eu Chéreau aussi, il me semble qu’il est très important pour toi, non ?
P. G. : Oui, aussi parce que j’ai vécu avec lui aussi.
S. L. : Quand vous jouez au théâtre Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, c’est un moment important de ta carrière ?
P. G. : Énorme.
S. L. : Il l’avait faite avec Laurent Malet avant ?
P. G. : Il l’avait créée avec Laurent Malet et Isaac de Bankolé, mais c’était passé un peu inaperçu. Ensuite Chéreau avait repris lui-même le rôle d’Isaac, toujours avec Laurent Malet, mais c’était encore passé inaperçu. De longues années après, Patrice m’a dit : « J’aimerais refaire La solitude des champs de coton, mais avec toi. On va simplifier tout, je vais refaire toute la mise en scène, ça sera plus naturaliste et psychologique. » Et ça a été un succès.
S. L. : Tu as fait partie de l’école de Chéreau aux Amandiers ?
P. G. : Non, j’ai jamais été aux Amandiers, simplement parce que j’étais trop vieux. Toute la bande des Amandiers, Vincent Perez, Valeria, Eva, etc., ils ont dix ans de moins que moi.
S. L. : Comment tu as rencontré Chéreau ?
P. G. : On avait quelques amis communs. Un soir, je vais au théâtre, ne connaissant pas trop le travail de Chéreau, je vais voir La Dispute de Marivaux à la Porte-Saint-Martin. Ça a été un des deux chocs de ma vie théâtrale (avec Bob Wilson). À partir de ce soir-là, je me suis dit : « Je veux travailler avec cet homme. » C’était le rêve de tous les acteurs de travailler avec Chéreau, mais moi je me suis dit : « Je veux être le seul, personne d’autre ne peut travailler avec Chéreau que moi. » C’est complètement débile… (rires). J’ai suivi tous ses spectacles, je me souviens d’avoir été voir Peer Gynt à Lyon, j’avais fait l’aller-retour, c’était un dimanche, quatre heures de spectacle. J’avais pris le train le matin et le soir c’est lui qui m’avait accompagné à la gare pour reprendre mon train. Donc il y avait déjà un petit truc entre lui et moi. Le temps passe comme ça. Un soir, je dînais chez Natacha (le restaurant de la rue Campagne-Première) tout seul, très desespéré. Je sortais d’une première de théâtre qui était une catastrophe, j’étais desespéré. Je me disais : « Mais comment, ce n’est pas le monde dans lequel je veux vivre. Je ne veux pas faire des trucs comme ça. » Arrive Chéreau, seul, un peu dans un état fébrile lui aussi. Je lui dis : « Patrice, ça va, t’es seul, viens dîner avec moi. » Ça a commencé comme ça. Tout est fortuit, sauf le hasard. C’est pas moi, c’est Rohmer qui a dit ça.
S. L. : Ça devait pas être facile avec Chéreau ?
P. G. : Non, moi non plus, tu sais, je ne suis pas très facile, chacun avait trouvé son maître. J’ai commencé à le sortir de son monde sombre, romantique, mortifère. Moi, je suis plutôt léger, je sortais, je m’amusais beaucoup, c’était les années de la fin du Palace. Je lui ai apporté une forme de gaîté, il a commencé à faire des dîners chez lui, ce qu’il ne faisait jamais. Je l’ai un peu embourgeoisé. Ce qui n’était pas plus mal, parce qu’il était devenu tellement sombre. Après, on a fait tout ce qu’on a fait ensemble La Reine Margot, Gabrielle…
S. L. : Il a eu une influence sur ton jeu ?
P. G. : Oui, il m’a appris à accentuer mes défauts et à toujours vieillir mes personnages. Jamais les rajeunir. En vieillissant un personnage, tu le mûris et tu le fais grandir. Tu lui apportes des choses imaginaires que peut-être ce personnage n’aurait jamais vécues, mais peu importe.
S. L. : L’autre grande rencontre, c’est Rohmer ?
P. G. : Oui, j’ai joué d’abord dans deux mises en scène de théâtre montées par Rohmer. L’une, c’était Catherine de Heilbronn de Kleist avec Pascale Augier, Arielle Dombasle à Nanterre juste avant que Patrice ne récupère les Amandiers. Un jour, j’étais dans ma loge et j’entends frapper, c’était Éric. Il a sorti un portefeuille de sa veste, il a ouvert le portefeuille devant le nez, j’ai eu le temps de voir une photo très rapidement, il l’a refermé et il est reparti. J’ai compris que c’était une photo de son fils, et j’ai compris que je lui ressemblais, et j’ai compris que je faisais partie de sa famille…
S. L. : Je ne savais pas qu’il avait un fils, Rohmer…
P. G. : Il a deux fils…
S. L. : Et ils font quoi ?
P. G. : Rien à voir avec le cinéma… Ils sont prof, médecin, je ne sais pas, enfin rien à voir avec le cinéma. Il aurait assassiné ses enfants s’ils avaient voulu faire du cinéma. C’était la honte, c’est pour ça qu’il a changé de nom. Il s’appelait Schérer. Il ne voulait pas que sa mère sache qu’il faisait du cinéma. Il avait un frère philosophe…
S. L. : Oui, René Schérer, c’est Djemila qui m’a donné de ses nouvelles. Il a quatre-vingt-dix ans, mais je crois que Djemila le voit toujours.
P. G. : Ah, Djemila, oui, je l’ai vue récemment.
S. L. : Moi aussi, j’ai fait un article sur Edwige dans Vanity Fair qui m’a valu d’être traité de vipère.
P. G. : Par Djemila ? C’est normal elles sont toutes jalouses ces filles du Palace, Djemila, même Eva…
S. L. : Non, non, Djemila a été gentille, Eva aussi… c’est pas les filles c’est les garçons qui m’en ont voulu.
P. G. : Ah bon ? Qui ?
S. L. : Eric Busch et Robert Behar…
P. G. : Ah ! Eric, je l’aime beaucoup, il était très beau… Robert qui ?
S. L. : Robert Behar, c’est lui qui a incinéré Edwige. Je crois qu’il est habilleur de Janet Jackson, il est très susceptible, il m’a traité de vipère…
P. G. : Habilleur de Janet Jackson… c’est tout un programme, on a le droit d’être très susceptible, quand on est habilleur de Janet Jackson. Djemila, je l’ai connue chez Philippe Morillon avec Paquita. Et, pour revenir au théâtre, c’est aussi chez Philippe que j’ai connu Christophe Bernard qui a fait partie de la troupe des Amandiers. Christophe, bien plus tard, a fait la chorégraphie pour Patrice de Dans la solitude des champs de coton. Parce qu’il faisait de la Capœira et qu’il était très proche de Patrice qui l’aimait beaucoup. Il y avait un intermède, parce que la pièce était lourde et c’était Christophe qui avait fait une chorégraphie sur une musique de Massive Attack. Cette danse qu’on dansait tous les deux sans se regarder a eu un gros succès. Je crois qu’elle a pas mal contribué au succès de la mise en scène.
S. L. : Il était beau, Christophe, il était charmant. Il a commencé à sortir très jeune, à quinze ans. Je me rappelle, il habitait chez moi, et il dérobait des scooters rue Saint-Denis.
P. G. : Oui, je l’aimais beaucoup. J’ai joué avec lui dans un film de Rosette, tu sais, toujours dans la bande de Rohmer. Rosette a fait des courts-métrages et moi je jouais toujours son fiancé, et je crois que Christophe a joué dans un des courts. Aux Halles. Le titre, je crois que c’est Rosette cherche une chambre.
S. L. : La bande de Rohmer était très soudée, vous passiez du temps ensemble.
P. G. : Oui, on se voyait sans arrêt avec Arielle, Marie Rivière, Rosette… À une époque, j’ai beaucoup fréquenté aussi Pierre Clémenti. J’ai joué dans un de ses courts-métrages, c’était très audacieux, un peu mystique, un peu comme il était lui-même. J’adorais Pierre. Je l’aimais beaucoup, beaucoup, beaucoup. Il était très poétique, très intelligent. Une comète, quelque chose hors du temps.
S. L. : Je me souviens d’un film que tu as fait d’après le scénario d’un copain à moi. D’après son livre. Zonzon… Tu jouais un repris de justice.
P. G. : Ah oui, je me souviens très bien. Laurent Bouhnik, le réalisateur, ne croyait pas que je pouvais jouer un taulard. Alors je lui ai dit : « Oui, je peux », je l’ai convaincu et j’ai eu le rôle qui était prévu pour un autre acteur.
S. L. : Décidément !
P. G. : Oui, c’est souvent comme ça les succès. Je me souviens, j’avais deux coachs, un prof de gym qui venait tous les matins pour que je me muscle et un vrai taulard qui avait fait trente ans de prison. Il m’a raconté un truc marrant, quand il était en cavale il avait toujours quinze mille francs en argent liquide dans ses chaussettes. Alors, c’était un copain à toi qui avait écrit le livre ?
S. L. : Oui, Patrick de Lassagne. Il a un nom à particule, mais c’est le fils d’un chauffeur de taxi jamaïcain. Un type très sympa, un très bon danseur de rock. Il avait fait de la prison parce qu’il avait attaqué des touristes dans le Midi avec une mitraillette.
P. G. : Et il a aimé le film ?
S. L. : Oui, il avait aussi écrit le scénario. En ce moment, tu fais une série ?
P. G. : Oui, Section Zéro avec Olivier Marchal sur Canal+. Ça marche bien. C’est une sorte de film d’anticipation.
S. L. : Tu fais le méchant ?
P. G. : Oui, un très très méchant. Un beau méchant, un méchant qu’on aime détester (rires). Tout à l’heure, je pars à Liège, je tourne un film. C’est l’histoire d’un médecin qui est marié à une très belle femme… Une actrice, je sais plus comment elle s’appelle, c’est son premier rôle au cinéma. Elle est pas jeune, mais elle est très belle, très mystérieuse. Je découvre qu’elle a un amant. Je me débrouille pour faire venir l’amant dans ma clinique, lui faire croire qu’il a un cancer et le soigner d’un cancer qu’il n’a pas. Je lui fais faire des rayons, des machins.
S. L. : C’est horrible !
P. G. : Horrible, c’est d’après un livre.
S. L. : Tu joues encore un méchant…
P. G. : Tu sais, il y a toujours des circonstances atténuantes à être méchant ! Il est amoureux de sa femme.
S. L. : De cette femme mystérieuse, dont tu ne sais plus le nom.
P. G. : Moana, elle s’appelle… Elle est belle, mais Moana comment ?
S. L. : Elle est belge ?
P. G. : Non, elle est française. Ah ! Ça y est… Moana Ferré, elle s’appelle. Il y a des acteurs belges vachement connus. Fabrizio… Rongione qui joue avec les frères Dardenne.
S. L. : Ah zut ! On va revenir en arrière, je m’aperçois que j’ai oublié de te poser une question. Avant de te spécialiser dans les méchants, entre Rohmer et Chéreau en 1984, tu as joué le Prince charmant dans une comédie musicale pour enfants de Philippe Chatel très fameuse. Émilie Jolie…
P. G. : Ah oui, avec des costumes de Thierry Mugler. Vachement bien, les costumes de Thierry Mugler ! Oui, c’était Robert Fortune qui avait mis en scène. Ça a été un succès énorme, au Cirque d’Hiver avec Ginette Garcin. C’était rigolo, parce que je dansais et je chantais en live avec un orchestre.
S. L. : En fait, tu n’as jamais arrêté depuis 1976 ?
P. G. : J’ai une phrase de Truffaut qui me trotte dans la tête : « Un acteur qui ne travaille pas, c’est rien. »
S. L. : C’est monstrueux.
P. G. : Oui, chaque fois que je n’ai pas de boulot, je pense à cette phrase, ça me donne un coup de pied au cul gigantesque et je vais chercher du travail.
S. L. : Il y a des limites ?
P. G. : Oui, il y a des limites. Je connais un metteur en scène qui fait des gros succès, mais c’est une horreur ce qu’il fait, mais vraiment une horreur. Il m’a proposé un des rôles principaux, je l’ai rencontré au Plaza… (S’interrompant :) Toi, ça t’amuse pas, parce qu’il y a pas de nom…
S. L. : Non, non, vas-y…
P. G. : Bon, je suis parti du Plaza, et je me suis dis : « Non, là, je peux pas, quand même », donc à un moment donné, je sais quand même où je fous les pieds. Je pense avoir quand même du goût. Je ne dis pas que j’ai bon goût, mais j’ai un style et je m’y tiens.
S. L. : C’était quoi exactement ton rôle dans Émilie Jolie ? Je ne connais pas bien le scénario…
P. G. : Euh, je jouais un éboueur, et puis à la fin j’enlève tous les vêtements de Mugler gris en mousse, les grosses chaussures… et je me retrouve dans un vêtement étincelant en cuir blanc et strass, et je suis le Prince charmant que la petite fille cherche depuis le début.
S. L. : J’avais totalement oublié que c’était Mugler qui avait fait les costumes…
P. G. : À l’époque je le voyais tout le temps il était visible.
S. L. : Oui, c’était pas encore Manfred.
P. G. : Ah non, non, on ne pouvait pas imaginer cette transformation phénoménale. C’est dommage de ne plus le voir. Je l’aimais beaucoup. Je m’entendais très bien avec lui, il était supercharmant, je le voyais beaucoup chez Natacha. Tout le temps.
S. L. : Tu étais plutôt Natacha que Davé ?
P. G. : Oui, parce que, chez Natacha, c’est là qu’il y avait tous les gens de théâtre. Chez Davé, c’était un peu jet-set. Trop chic, Davé, pour moi.
S. L. : Pas ton genre…
P. G. : Non, moi, j’aimais Natacha et le 7. La rue Sainte-Anne était très drôle. Il y avait le Colony de Gérald Nanty, puis le 7, puis la boîte où allait Mourousi qui était un peu cuir, et en face Isolde Chrétien.
S. L. : Ah ! Isolde Chrétien…
P. G. : Elle a dû mourir… La première hôtesse de l’air ! Elle avait ce bar qui s’appelait Scotch, un truc comme ça. Et puis il y avait les putes garçons.
S. L. : Oui, comme au drugstore.
P. G. : Absolument, et aussi au Trocadéro.
S. L. : Et la porte Dauphine.
P. G. : Oui, j’ai une histoire rigolote sur le bois de Boulogne. On revenait de la fête des foins à Garches chez Virginie Thévenet avec Romain Brémond et Philippe Krootchey. On s’arrête parce qu’on voulait voir les exhibitionnistes près de l’ambassade de Russie. Moi, j’étais assis derrière avec Eric Busch. Romain et Krootchey étaient devant. Alors on s’arrête, mais on n’intéresse personne. Comme il n’y avait pas de filles, pas d’exhibitionnistes… on s’emmerdait à mourir, on allait partir. Là, Krootchey a une idée : « Je vais mettre un foulard sur la tête, comme ça, on va croire que je suis une fille et je vais simuler une pipe ! » Et là, miracle !, il y a une nuée d’hommes qui entourent la voiture et au milieu de cette nuée on entend : « 22 ! V’là les flics ! » On a fini au commissariat. Et le commissaire a dit avec l’accent du Midi : « Et vous savez, hein, c’est interdit de faire des coïts buccaux sur la voie publique » (rires).
2016