Éloge de Jean-Jacques Schuhl

À supposer qu’un lecteur d’Obsessions, le cinquième livre de Jean-Jacques Schuhl, suive le mauvais exemple de William Burroughs, tel qu’il apparaît à la page 77 en avatar d’une conversation sur le quai des États-Unis en Mercedes 350 CV, entre l’auteur et Jim Jarmush, à supposer donc que ce lecteur à la tête fragile – il y en a encore – s’exerce à tirer au revolver sur le volume Gallimard ISBN 978-2-07-014534-8 achevé d’imprimer sur Roto-Page le 18 mars 2014, il faudrait qu’il vise à deux centimètres cinq de la marge du bas et que la balle, d’un calibre plus petit que le 32 de Burroughs, s’arrête par un bon effet de la balistique à la page 88, pour atteindre le cœur secret du livre, car tout bon livre a un cœur, c’est-à-dire les chaussures de Merle Oberon telles que Schuhl les a vues lui apparaître à Noël de 1978 dans le hall du Waldorf Astoria à New York. Tirer sur un livre ne vise pas bien sûr à le descendre, mais à l’envoyer au ciel (le livre et non l’auteur) dans quelque éther platonicien où il puisse y briller en tant qu’idée pure des chaussures d’une fée hollywoodienne qui interpréta Les Hauts de Hurlevent.

Il y a une géométrie du disparate, un art long à acquérir et qui demande beaucoup de patience et d’immobilité, Jean-Jacques Schuhl en a la connaissance, et il en fait montre dans cet Art poétique, ou ce Comment j’ai écrit certains de mes livres qu’il a écrits au fil des années sous la forme de nouvelles ou, à mon sens, plutôt de pièces romanesques.

Hormis le cœur, tout bon livre a aussi une âme, comme on dit des miroirs, mais aussi des violons, c’est-à-dire un effet de profondeur. Celle-ci transparaît quelque part, je ne sais plus où, à travers cette formule, presque un poème japonais, peut-être une citation, un collage, mais je n’en suis pas certain :

Il existe certaines empreintes de pattes d’oiseaux plus délicates que des rameaux de givre.

C’est la délicatesse d’empreinte qui différencie Jean-Jacques Schuhl d’un Raymond Roussel ou d’un William Burroughs, sa griffe. Voilà pourquoi il parle si bien des danseuses et de la couture, deux arts qui honorent la France. Comme disait l’autre : il y a des raffinés…

2014