Au 140 de la rue du Bac, face aux magasins du Bon Marché, sur l’emplacement de l’ancien hôtel de La Vallière, se trouve un des lieux de culte les plus étranges et les plus fréquentés de Paris : la chapelle Notre-Dame de la Médaille miraculeuse. Le miracle s’y vend au prix de douze euros sous la forme d’une petite médaille ovale en métal argenté représentant la Vierge Marie. Tirée à des dizaines de millions d’exemplaires depuis plus d’un siècle et demi, cette médaille est un des best-sellers du merchandising catholique romain. Située au fond d’une cour perpétuellement hantée par des fidèles venus du monde entier, et plus particulièrement d’Asie et d’Amérique latine, la chapelle, consacrée en 1815 au moment de la Restauration, fut à l’origine dédiée à saint Vincent de Paul. La momie du saint, grande figure cadavérique moulée dans la cire, s’y trouva exposée longtemps avant d’être transférée, non loin de chez Joris-Karl Huysmans, dans la très curieuse église lazariste du 95, rue de Sèvres (au métro Vaneau, face aux anciens bâtiments de l’hôpital Laennec), où elle se trouve encore. Le saint détrôné y repose en haut d’un double escalier de chêne ciré dans une châsse d’argent massif. Cette relique splendide, sommet de l’art funèbre, ne reçoit plus guère de visites. Paradoxe des voies de la Providence divine, c’est l’apparition de la Vierge en 1830 qui a entraîné cette désaffection. Le culte de la Médaille miraculeuse commandée directement par Marie elle-même aux sœurs de la Charité a pris un tel essor que le modeste bâtiment ne suffit pas à contenir tous les fidèles.
Seize ans avant La Salette, vingt-quatre ans avant Lourdes et près d’un siècle avant Fatima, l’apparition de la Sainte Mère de Dieu à la novice Catherine Labouré marque la première étape de cet extraordinaire élan de dévotion mariale qui a animé le catholicisme durant tout le xixe siècle. Les paroles d’or prononcées par l’Apparition à la jeune fille : « Je suis la Vierge conçue sans péché » sont à l’origine de la bulle papale Ineffabilis Deus dans laquelle Pie IX énonça, au grand dam des éléments rationalistes et progressistes de l’Église d’alors, le dogme de l’Immaculée Conception. Rappelons aux lecteurs oublieux de leur catéchisme que les termes d’Immaculée Conception ne font pas référence à l’enfantement de Notre Seigneur Jésus-Christ par l’opération du Saint-Esprit, mais à une grâce antérieure à la naissance de la Vierge : sa conception sans tache, soustraite à la souillure du péché originel. La Vierge serait donc la seule créature humaine née hors de la malédiction d’Adam, ce qui peut être interprété en forçant le trait comme une soustraction au libre arbitre : le choix de Marie de répondre par l’affirmative à l’archange Gabriel venu lui proposer d’enfanter le Messie ne serait plus aussi libre, humain et joyeux.
Ce dogme placé en opposition à la théorie de la sanctification mariale (Marie serait une sainte dès sa naissance au même titre que saint Jean-Baptiste) a été perçu par certains, dès le décret romain, comme une dérive dangereuse qui tendrait à faire de la Vierge une divinité. L’archevêque de Paris paya de sa vie ces conflits internes. Mgr Sibour fut poignardé par le prêtre interdit Verger en 1857 au cri de « Mort à la déesse ! ». En réalité, la théorie de l’Immaculée Conception remonte aux pères de l’Église et a influencé en partie les croisades. Le choix de Pie IX d’en faire un dogme peut être interprété non comme une dérive hasardeuse, mais comme une saine résistance à l’hérésie protestante et à l’influence qu’elle exerce au xixe siècle sur la bourgeoisie industrielle et certains catholiques progressistes. Rappelons qu’à cette époque le terme de miracle est remis en question par toute la science rationaliste, le Grand Larousse du xixe siècle n’hésitant pas à écrire qu’« un seul miracle soit possible et nous devrons jeter au feu nos livres, fermer nos observatoires et nos laboratoires, construire au hasard nos machines, nos navires, nos chemins de fer, et nous en remettre à la sagesse divine de la conduite des choses de ce monde ».
L’objet du scandale, dont des centaines de milliers d’exemplaires se vendent encore chaque année, est une petite médaille ovale d’environ deux centimètres de hauteur représentant à l’avers Marie, bras ouvert piétinant le serpent, au revers une couronne d’étoile et les deux cœurs, celui de la Mère et de l’Enfant, dont l’un, celui de Marie, est percé d’une épée.
D’après le prospectus qui l’accompagne, les miracles accomplis par ce pieux bijou sont nombreux. La plupart remontent à l’épidémie de choléra de 1832, un autre fréquemment cité (notamment sur Wikipédia) serait la conversion d’un fils de banquier juif alsacien, Alphonse Ratisbonne, à Rome, en 1842. L’époque moderne, plus impie et rationaliste que jamais, en recenserait moins. Mais les ex-voto qui tapissent le mur d’entrée de la chapelle font état d’interventions divines remontant à 2005.
2015