Chapitre premier

Edmund Smyth, vicomte Motton, essaya d’ouvrir la porte-fenêtre. Elle céda sans opposer de résistance. Tss… Le majordome était terriblement négligeant ou, plus probablement, soûl comme un Polonais.

Il poussa les battants et pénétra dans le cabinet de feu ce pauvre Clarence Widmore. Mrs Parker-Roth et sa fille logeaient actuellement dans la maison. Il faudrait en toucher un mot à Stephen, qui lui saurait gré de l’avertir que sa mère et sa sœur n’étaient pas en sécurité. C’était Londres, tout de même ! N’importe quelle canaille pouvait entrer par effraction…

Motton prit une bougie sur le manteau de la cheminée et l’alluma aux braises du foyer.

Bien sûr, si Parker-Roth avait vécu sous ce toit, la situation ne lui aurait pas échappé. Cependant, Motton ne pouvait lui reprocher de vivre tout seul, car il aurait aimé en faire autant, à cause de ses tantes qui lui rendaient la vie impossible. Winifred était arrivée le jour même, accompagnée de son perroquet et de son singe. En conséquence, ses cinq tantes paternelles et leurs animaux de compagnie étaient à présent installés chez lui. Nom de Zeus, un asile d’aliénés n’aurait pas été plus agité que son hôtel particulier ! Le pire était que ces dames s’étaient réunies pour ourdir une conspiration contre son célibat. À cet égard, la présence de tante Winifred était particulièrement inquiétante. Elle excellait dans l’art du complot, et le vicomte devrait se montrer extrêmement vigilant, jusqu’à ce qu’elle retourne à la campagne.

Motton inspecta la pièce et se dit qu’il aurait été diablement pratique de savoir où chercher. S’il devait ouvrir chaque livre pour trouver le mystérieux croquis des espions français convoité par le comte d’Ardley, il y passerait la nuit ! Hélas, la mère et la sœur de Stephen seraient de retour avant qu’il n’ait fini.

Il prit le premier volume qui se présentait et en explora les pages. S’il n’avait pas habité la maison voisine de celle de Widmore – et souffert d’un ennui mortel –, il aurait poliment – ou peut-être vivement – refusé l’offre d’Ardley. Ce dernier était un crétin prétentieux aux lubies franchement bizarres. Mais quand, au club White’s, il l’avait pressé d’intervenir, Motton avait été en plein marasme. Les réjouissances de la Saison commençaient à le lasser, et même ses activités annexes – traquer et éradiquer la pègre – s’avéraient cruellement décevantes.

Si seulement il parvenait à mettre la main sur celui qui pilotait la plupart des actions criminelles de la ville ! Hélas, toutes ses tentatives avaient échoué. Le scélérat était connu sous le nom de « Satan », et Motton commençait à croire que le gaillard était aussi évanescent que le prince de l’enfer.

Il reposa l’in-quarto sur l’étagère et en prit un autre. Tout cela n’avait aucun sens ! Comment Widmore, avec son gros ventre et sa calvitie, aurait-il pu espionner pour les Français ? Depuis des années qu’il vivait à côté de chez lui, Motton n’avait jamais soupçonné qu’il travaillait pour les mangeurs de grenouilles. À l’évidence, Widmore était un type louche, mais cela n’en faisait pas un traître.

Diable ! En parlant d’ambiguïté, les relations qu’Ardley entretenait avec Widmore battaient tous les records. Ardley était en effet présent chez lord Wolfson le jour où Widmore avait trouvé une mort prématurée en atterrissant, fesses à l’air, sur un nid de vipères.

Pourquoi Widmore gambadait-il ainsi tout nu ? Motton ne voulait pas le savoir.

Par ailleurs, pourquoi Ardley s’était-il ainsi acoquiné avec Widmore, s’il le suspectait de trahison ? Qui plus est, pourquoi s’était-il soudain inquiété de prétendus portraits d’espions français, à présent que Widmore était mort et que la guerre était terminée depuis longtemps ?

Le vicomte remit en place le volume qu’il venait de retourner. Mieux valait commencer par le bureau. La fouille ne s’annonçait pas prometteuse, car le dessus du meuble était aussi vide que la lande par un jour de grand vent. À moins, peut-être, que quelque chose ne soit resté plaqué au fond d’un tiroir, ou, mieux encore, que le meuble ne contienne un ou deux doubles-fonds.

Soudain, quelque chose attira son attention. Peu de gens prennent la peine de décorer leur cabinet d’un objet d’environ deux pieds de haut pour le recouvrir ensuite de toile de Hollande. Le drap blanc, gonflé par la brise qui entrait par la fenêtre ouverte, prenait des allures fantomatiques. Peu de chance que l’objet ait un lien avec ce qu’il cherchait, mais il ne fallait rien négliger. Il arracha donc le morceau d’étoffe.

Bonté divine !

C’était une statuette du dieu Pan – une représentation, disons, très érotique du dieu-satyre !

 

Miss Jane Parker-Roth soupira en refermant son exemplaire de Frankenstein. Elle éprouvait toujours des regrets à finir un livre aimé ; c’était un peu comme prendre congé d’un ami cher. Prétextant une migraine, elle avait échappé à la soirée musicale des Hammersham pour rester lire à la maison. Sa mère n’avait sans doute pas été dupe, mais, Dieu merci, s’était abstenue d’ergoter. Elle posa le roman sur la table de chevet. L’avantage d’un séjour à Londres résidait grandement dans ses bibliothèques de prêt. Bien sûr, le Prieuré possédait une importante collection d’ouvrages, mais une infime partie seulement était composée de romans. Son père préférait la poésie, et sa mère les livres d’art. Quant à ses deux frères aînés, John et Stephen, ils amassaient les traités d’horticulture. Lire des romans n’était pas leur affaire !

On aurait pu s’imaginer qu’une artiste peintre et un poète se montreraient plus libéraux quant aux lectures de leurs enfants, mais il n’en était rien. À treize ans révolus, Lucy, la benjamine, avait déjà mémorisé la Défense des droits de la femme de Mary Wollstonecraft, mais leur mère continuait de lui interdire la lecture de Jane Austen. Cependant, Lucy était rusée, et avait réussi à faire entrer clandestinement chez eux un nombre important de romans.

Par bonheur, Mrs Parker-Roth avait perdu tout espoir d’orienter les lectures de Jane depuis le jour où celle-ci avait fait son entrée dans le monde. Désormais, à l’âge avancé de vingt-quatre ans, elle était libre de lire ce qu’elle voulait, du moins quand elle se trouvait à Londres.

Quel serait le prochain livre ? Même si elle n’avait pas envie d’en commencer un autre tout de suite, elle aimait faire son choix à l’avance car cela augmentait son plaisir.

Voyons… Waverley était le plus ancien sur sa liste d’attente. Bien que fervente admiratrice de Walter Scott, elle n’avait jamais lu son premier roman. Elle jeta un coup d’œil à l’horloge. Il était bien trop tôt pour dormir. Elle décida donc de descendre discrètement dans la bibliothèque des Widmore au cas où, avec un peu de chance, le livre s’y trouverait. Et puis pourquoi ne pas en profiter pour parcourir rapidement les premières pages ?

Jane sauta hors de son lit. Sa mère ne rentrerait que dans plusieurs heures. Mrs Parker-Roth n’était guère enthousiaste à l’idée d’entendre les « miaulements infernaux », comme elle disait, des jumelles Hammersham, même si elle avait hâte de revoir ses amis artistes. Elle les entraînerait sûrement à l’écart pour échanger avec eux les derniers potins du monde artistique, et ne rentrerait pas avant l’aube.

Jane enfila ses pantoufles. Sa robe de chambre, malheureusement, se trouvait à la lingerie, car elle avait renversé son chocolat au petit déjeuner. Qu’à cela ne tienne, elle ne s’attarderait pas ! Quant aux domestiques, ils étaient tous dans leur loge, occupés à fêter l’anniversaire de Mrs Brindle, la gouvernante.

Elle s’engouffra dans le vestibule qui, comme elle s’y attendait, était désert, puis se dirigea vers l’escalier.

Jane aurait tant aimé passer tout son temps dans les bibliothèques et les musées de Londres, mais sa mère avait, bien entendu, d’autres projets pour elle. La Saison battait son plein, et la jeune femme était toujours célibataire. Impossible de prétexter une migraine tous les soirs : Mrs Parker-Roth ne tarderait pas à faire venir le médecin. Cette sainte femme prenait très au sérieux le moindre accès de fièvre, le moindre petit rhume de ses enfants.

Jane soupira. Il lui faudrait donc suivre sa mère dans autant de soirées mondaines que possible, dans l’espoir que naisse une passion immortelle dans le cœur de quelque galant.

Sa mère vivait dans ses rêves. Quand regarderait-elle la réalité en face ? C’était sa… Bigre ! Jane agrippa la rampe et s’arrêta au sommet des marches pour compter sur ses doigts : c’était bien ça, elle entamait sa huitième Saison.

Elle n’était pas vieille fille par accident, mais par vocation, et ne s’en plaignait pas.

Jane descendit les marches. Elle avait rencontré tous les bons partis, et d’autres moins bons, et les avait tous trouvés absolument ennuyeux.

Sauf, à vrai dire, le vicomte Motton, avec son mètre quatre-vingts de muscles élégamment vêtus, ses yeux bleus, ses cheveux châtains et sa charmante fossette à la joue gauche.

Non qu’il ait particulièrement attiré son regard !

Jane grommela. Motton ne l’avait sûrement pas remarquée. Ou alors, il n’avait dû voir en elle que la jeune sœur de John et Stephen Parker-Roth, car il ne lui avait jamais demandé de danser avec elle à un bal ou à un rassemblement. C’est à peine s’ils avaient échangé deux mots durant toutes ces années.

Naturellement, il participait rarement aux soirées, se contentant, chaque année, d’une brève apparition au cours des deux ou trois premières. Elle était persuadée que d’autres femmes s’étaient aperçues des habitudes du vicomte à cet égard.

Elle considéra un angelot de plâtre de taille assez modeste, que Mrs Brindle n’avait pas pris la peine de recouvrir. Non, lord Motton n’était pas obligé de se rendre à tous les bals et à tous les petits déjeuners. Parce qu’il était un homme, il était libre de décider de sa vie. Comme John, il pouvait rester sur ses terres, ou, comme Stephen, voyager. Quand il se déciderait enfin à fonder une famille, il n’aurait qu’à choisir l’une des nombreuses jeunes aristocrates que l’on mettrait à sa disposition sur le marché du mariage.

Quelle injustice ! Il était infiniment préférable de naître homme plutôt que femme ! Les hommes pouvaient courir le monde pendant que les femmes devaient les attendre à la maison en reprisant des chaussettes et en maternant.

Arrivée en bas de l’escalier, Jane regarda autour d’elle : toujours pas de domestiques en vue. Il ne lui restait donc plus qu’à longer discrètement le corridor jusqu’au bureau. Avec un peu de chance, les livres seraient à peu près classés, mais compte tenu de l’état général de la maison, elle s’attendait à trouver une véritable pagaille. Peu importait, car elle avait tout son temps pour flâner le long des rayonnages.

Elle avança jusqu’à la porte du cabinet de lecture, posa la main sur le loquet et s’arrêta un instant pour humer l’air. N’était-ce pas une odeur de fumée ? L’odeur à peine perceptible d’une bougie qu’on vient d’éteindre ? Étrange !

C’était absurde. Le frisson de ses lectures gothiques lui montait à la tête. Elle n’était pas chez Frankenstein mais à Londres, où rien de passionnant ne lui arrivait jamais.

Elle chassa cette idée stupide, fantasque même, et ouvrit la porte.

Au même instant, sa chandelle s’éteignit. Zut ! Elle se dirigea vers la cheminée pour la rallumer aux braises du foyer, et fut caressée par une brise légère : la porte-fenêtre était entrouverte. Jane était occupée à se demander ce que cela pouvait bien signifier quand, soudain, un homme la prit avec force par la taille, lui plaqua sa large main sur la bouche, et la serra contre sa robuste poitrine.

Mon Dieu ! Jane essaya de donner un coup de bougeoir derrière elle, mais ne réussit qu’à renverser l’affreuse statuette du dieu Pan qui se trouvait sur le bureau. Elle n’avait pas assez de champ pour frapper son assaillant. Il était décidément trop fort pour elle. Mais il était aussi plus grand. Ainsi, elle abattit son arme par-dessus sa tête et sentit, que cette fois, elle avait fait mouche.

— Sacré nom d’une…

L’homme retira sa main pour s’emparer du chandelier, et Jane put reprendre sa respiration. C’était le moment ou jamais. Bien sûr, personne ne l’entendrait crier. Les domestiques étaient trop loin, et sûrement trop ivres pour lui venir en aide, mais ce malfaiteur ne le savait pas.

Elle hurla donc aussi fort qu’elle put.

— Eh, doucement, ma petite madame, vous m’avez fait éclater le tympan !

— Je vous ferais bien éclater autre chose, monsieur, si vous ne me lâchez pas immédiatement !

Chose étrange, l’individu avait une voix raffinée et très vaguement familière.

Il se mit à glousser.

— Qui aurait cru que vous étiez aussi enragée !

Enragée ? Ha, ha, ha ! Elle n’avait pas grandi au milieu de trois frères pour rien. Qu’il bouge d’un pouce, et il le regretterait toute sa vie. Elle se remit à crier en se débattant avec encore plus d’énergie.

— Avez-vous bientôt fini ?

— Pas tant que vous ne me lâcherez pas, espèce de… oh !

Il avait réussi à la retourner face à lui, le bras gauche autour de sa taille, la main droite sur le candélabre, et le visage… mon Dieu, son visage était si proche !

Elle perdit le souffle. Dans le clair de lune, elle eut le temps d’identifier le visage du brigand avant que ses lèvres touchent les siennes.

Jane se trouvait dans les bras du vicomte Motton qui… hum, eh bien oui, l’embrassait.

Elle lâcha le bougeoir, qui tomba avec fracas sur le sol. Mais ni l’un ni l’autre ne s’en soucia. La bougie s’étant éteinte, elle ne pouvait, par conséquent, causer d’incendie.

Il en était tout autrement de Jane, qui était en feu, elle ; un feu circonscrit par l’odeur – mélange d’eau de toilette et de cuir – du vicomte, par sa présence… Par son baiser, il empêchait la jeune femme de crier, mais Jane en avait perdu toute envie. De tout autres désirs l’agitaient. Elle se sentait défaillir, comme si ses jambes allaient se dérober sous elle d’un instant à l’autre.

Le vicomte effleura de sa bouche les lèvres de la jeune femme, les mordilla légèrement, puis lui embrassa la joue jusqu’à un endroit très sensible juste sous l’oreille.

C’était son premier vrai baiser. Elle n’avait jamais rien connu d’aussi merveilleux. Comme c’était bon !

Mais que faisait Motton dans ce bureau ? N’habitait-il pas la maison voisine ? Bien sûr, elle s’était parfois arrangée pour sortir en même temps que lui afin de l’apercevoir. S’était-il égaré puis trompé de maison ?

Détourné pour de bon du droit chemin, il l’embrassa dans le cou tout en effleurant le creux de ses reins.

— Oh !

N’aurait-elle pas dû s’effrayer ? Non, car il ne semblait pas lui vouloir de mal. Il connaissait ses frères et jouissait d’une réputation sans tache.

Eh, voilà qu’il lui caressait les fesses à présent ! La chemise de nuit de Jane était si vieille et usée, qu’il lui sembla sentir la main du jeune homme sur sa peau nue.

Dire qu’elle avait rêvé du jour où il la ferait danser en lui donnant sa main gantée. Et voilà que…

Ils étaient seuls, ne risquaient pas d’être dérangés et personne ne saurait si elle avait profité de cet étrange concours de circonstance.

Il l’embrassa de nouveau sur la bouche. Était-ce sa langue qui lui caressait les lèvres ? Devait-elle en faire autant ?

Oh !

Motton faisait jouer sa langue contre celle de Jane. C’était répugnant ! Mais pas autant qu’elle l’aurait cru… Une fois l’effet de surprise passé, c’était même plutôt délicieux. La jeune femme perçut une saveur de cognac, humide et chaude.

Trop excitée pour encore ressentir la moindre gêne, elle était déjà folle de désir, prête à le recevoir.

Jane avait trois frères, ainsi qu’une mère artiste qui possédait plus d’un nu dans son atelier et n’avait jamais hésité à leur expliquer la vie. Tout en interdisant à ses filles de lire des romans, Mrs Parker-Roth insistait pour qu’elles ne restent pas dans l’ignorance. En outre, âgée de onze ans lors de la naissance de sa sœur Lucy, Jane avait posé bon nombre de questions. Elle savait très bien ce que son corps réclamait et quelle partie de l’anatomie de lord Motton pouvait la satisfaire, car elle en sentait la rigidité contre son ventre.

D’une main, il continua de suivre la courbe de ses hanches, tandis que, de l’autre, il remontait jusqu’à ses seins.

— Bonté divine !

Lorsque le jeune homme posa la main sur son sein, Jane en perdit toute pudeur.

Quant à Motton, il était assailli par un déluge de sensations provoquées par l’abandon de la jeune femme, si douce entre ses bras, par ses jolies formes que nul corset ne dissimulait, par l’odeur citronnée de sa peau qui lui donnait une touche de pureté et d’innocence, par la chaleur musquée de son désir et par ses petits gémissements.

Elle, qui s’était d’abord montrée si bagarreuse, si fougueuse, devenait à présent complètement ensorcelante dans sa manière, si féminine, de s’abandonner. Fougueuse, elle l’était toujours, mais d’une tout autre façon ! Certes, le jeune homme, dont le pantalon faisait une bosse, n’était pas en reste.

Il plaqua les hanches de la jeune femme contre les siennes pour la serrer contre son membre tendu, avide, mais ce geste ne fit qu’accroître son désir. Il lui caressait le sein. Celui-ci, ferme, doux et sublime, tenait dans le creux de sa main comme s’ils avaient été faits l’un pour l’autre. Puis il en titilla le téton tout en couvrant de baisers le visage de la jeune femme. La belle était haletante entre ses bras.

Il gloussa de plaisir et l’embrassa dans le cou en passant de nouveau le pouce sur le mamelon durci. Jane gémit derechef.

Motton était lui-même presque hors d’haleine, et avait de plus en plus de difficulté à tenir sur ses jambes. Hélas, le sofa était bien trop petit, mais il restait le bureau. Très bonne idée de l’avoir débarrassé de cette monstrueuse statue ! Quoi qu’il en soit, il aurait parié qu’en cet instant son propre sexe dépassait en grosseur celui de Pan.

Jane effleura la taille du vicomte puis le serra contre elle en prenant ses fesses à pleines mains.

En réponse, Motton lui souleva le menton et l’embrassa de nouveau. Avant même qu’il ait eu le temps d’introduire sa langue, elle lui offrit timidement la sienne. Qui aurait cru que cette demoiselle était si exquise, si avenante, si… ingénue, si respectable et… hélas, si proche de ses deux amis !

Soudain, il se figea. Il avait eu envie d’asseoir Miss Parker-Roth à même le bureau, de relever sa chemise de nuit et de la prendre. Mais le bon sens lui revint avec la violence d’une migraine. Il se redressa brusquement.

— Que… Qu’est-ce que vous faites ? demanda Jane dans un murmure à peine audible qui trahissait son trouble.

Même si cette jeune femme était tout à fait irrésistible, il était temps pour Motton de retrouver l’usage de son cerveau.

Il essaya de la repousser avec délicatesse, mais elle ne bougea pas. Les bras autour de la taille du jeune homme, elle tenait bon.

— Miss Parker-Roth !

— Appelez-moi Jane.

— Comment ?

— Jane. C’est mon prénom.

À vrai dire, il ne s’était jamais suffisamment intéressé à elle pour s’en informer. Elle n’avait été à ses yeux qu’un gracieux élément du décor des salles de bal de la bonne société, à l’instar d’un palmier ou d’un ficus en pot.

S’il avait su…

— Et vous ?

La question le fit éclater de rire. Ne connaissait-elle pas l’identité de l’homme qu’elle venait d’embrasser et plus encore ?

Toutefois, jouer le rôle de l’inconnu qu’on retrouve à la nuit tombée ne lui déplaisait pas.

— Motton.

Jane secoua la tête.

— Je sais qui vous êtes !

Oh, elle voulait connaître son prénom. À l’exception de ses tantes, personne ne l’utilisait. Cela ferait d’eux des intimes.

— Edmund.

— Edmund, répéta-t-elle dans un murmure comme pour en savourer tout le goût dans sa bouche.

Diable, comment pouvait-il associer Miss Parker-Roth – Jane – à des pensées aussi sensuelles ? Il est vrai que la jeune femme était très douce et très appliquée. Il lui aurait volontiers donné autre chose à savourer…

Essaie de penser avec ta tête, pour changer, Motton !

Il se décolla avec fermeté de la jeune femme et recula d’un pas pour se mettre hors de portée.

— Miss Parker-Roth, il ne vous aura pas échappé que nous sommes dans une pièce obscure sans chaperon, et que vous ne portez qu’une simple chemise de nuit.

Jane esquissa un sourire. La coquine !

— Oui, je sais.

— Je n’ose m’imaginer ce que les gens diraient s’ils venaient à l’apprendre !

Mais de quoi s’agissait-il au juste, d’un scandale, d’un désastre, d’une fatale erreur de jugement ? De tout à la fois ?

D’ailleurs, pourquoi Miss Parker-Roth n’avait-elle pas ses vapeurs ? Tout de même, une jeune femme de bonne famille aurait dû faire une crise de nerfs après un tel épisode. Jane ne s’était pas même débattue. Au contraire, elle s’était montrée très consentante, voire entreprenante.

Elle leva la tête, un air malicieux sur le visage. Elle avait décidément un très beau sourire.

— Eh, ne prenez pas cet air endurci ! gronda-t-elle.

Hélas, sa mine n’était pas la seule à se durcir. S’il ne détournait pas très vite sa pensée de la langue de Jane – de Miss Parker-Roth –, de ses fesses soyeuses et de ses adorables seins, il serait dans l’incapacité d’allumer une bougie sans lui révéler son érection discourtoise.

Malheur ! La jeune femme s’était justement placée dos à la cheminée, dont les braises mettaient en lumière le galbe appétissant de ses jambes et de ses hanches.

Il tourna les talons pour se diriger vers la fenêtre toujours entrouverte. Une chaleur insupportable régnait dans ce satané bureau.

— Les gens ne diront rien, parce que personne ne le saura, annonça Jane. Comme vous l’avez fait remarquer, nous ne sommes que tous les deux, et ce n’est certainement pas moi qui vendrai la mèche…

Elle fit une pause, et il en profita pour se retourner. Il aurait mis sa main au feu qu’elle rougissait dans le noir. Mais il fut contraint de baisser les yeux, car l’obscurité n’était pas, en fait, aussi totale qu’il l’avait cru.

— Ce n’est pas moi, reprit-elle, qui vais aller raconter… ce qui s’est passé. Vous peut-être ?

— Non, bien sûr que non ! (Il se força à regarder la jeune femme dans les yeux.) Je ne suis pas complètement idiot.

— Alors nous sommes d’accord !

Soudain de mauvaise humeur, Jane lui jeta un regard noir. Elle venait de vivre le plus beau moment de sa vie avec l’homme qui la faisait fantasmer depuis des années, et voilà qu’il faisait son timide. Il était soudain devenu aussi guindé que John, son puritain de frère !

John, Dieu merci, n’était pas à Londres pour la Saison. Il séjournait chez le baron Tynweith. Chose étrange, car les parties de campagne du baron étaient souvent peu recommandables, même si, avant de quitter le Prieuré, John avait fait allusion à un certain jardin topiaire. Le frère de Jane avait l’amour des plantes. À l’inverse de Stephen, il était l’homme d’une seule passion.

Quelle était celle de lord Motton ?

En tout cas, elle aurait bien voulu l’apprécier davantage, cette passion. Elle avait été loin de s’imaginer une telle ferveur. Malheureusement, le jeune homme semblait soudain peu désireux de recommencer.

À présent qu’elle le regardait bien en face, elle s’aperçut qu’il était habillé d’une très étrange manière. Chemise, foulard, pantalon, chaussettes : tous ses vêtements étaient noirs. En outre, il ne portait ni gilet ni manteau. Au vrai, elle s’était vaguement avisée de cet oubli tandis qu’elle était collée à lui.

On aurait presque pu croire qu’il avait cherché à passer inaperçu. Pour quelle raison ? Plus exactement, que faisait-il dans la bibliothèque ? En outre, Mr Hunt, le majordome, étant à l’anniversaire de Mrs Brindle, comment était-il entré ?

Motton ne décrochait pas les yeux du devant de sa chemise de nuit. Était-elle, elle aussi, tachée de chocolat ? Elle vérifia et… fila se cacher derrière un des fauteuils. Heureusement, le dossier était haut et elle n’était pas très grande. Bon sang ! Si lord Motton avait été un vrai gentleman, il lui aurait offert son manteau, mais… il n’avait pas de manteau, flûte !

Il s’inclina brièvement et se racla la gorge.

— Hum, eh bien, il faut que je parte. Pardonnez mon intrusion et, bien sûr, toutes mes excuses pour… euh… pour ma conduite, dit-il en faisant un geste vague de la main, déjà prêt à sortir par la porte-fenêtre.

Cela apprit au moins à Jane par où il était entré ! Mais elle ne le laisserait pas partir avant d’en savoir plus.

Elle bondit de derrière le fauteuil et le saisit par le bras.

— Attendez ! Dites-moi d’abord ce que vous faites ici ?

Il la regarda d’un air renfrogné.

— Miss Parker-Roth, je vous en prie, maîtrisez-vous.

Soudain, il ressemblait beaucoup trop à John à son goût. Elle envisagea même lui assener l’un des gros mots que Stephen lui avait appris, mais se retint.

— Je saurai vous tirer les vers du nez !

Il marmonna quelque chose, se libéra de son emprise et tourna les talons, mais déjà Jane l’attrapait par le col.

— Allez-vous m’écouter ? J’ai trois frères et deux sœurs, et n’ignore rien du chantage et de la contrainte.

Ne prenant pas même la peine de répondre, il se contenta de retirer la main qui l’agrippait et se remit en route. Jane le poursuivit jusqu’à la terrasse.

— Je dirai à vos tantes ce que qui s’est passé ce soir.

Ces paroles l’arrêtèrent net.

— Vous n’en ferez rien. Vous causeriez votre propre perte.

— Pas si j’en parle à votre tante Winifred. Elle, au moins, n’est pas à cheval sur les principes. Je l’ai vue arriver aujourd’hui avec Theo et Edmund. Eh ! s’exclama Jane en se couvrant la bouche sans toutefois pouvoir s’empêcher de ricaner. Elle a donné votre prénom au singe, n’est-ce pas ?

Lord Motton soupira. Il doutait que Miss Parker-Roth aille jusqu’à faire des confidences à Winifred. Mais, dans le cas contraire, sa vieille tante ne laisserait pas passer cette occasion inespérée pour le faire passer devant le pasteur ; le pire étant qu’il ne pourrait pas lui en vouloir, car il n’aurait d’autre choix que d’épouser la jeune femme, si la nouvelle de leur petite aventure s’ébruitait. Il n’était pas permis de passer un moment seul avec une jeune célibataire en chemise de nuit en dehors d’un projet de mariage. Sans compter qu’ils ne s’étaient pas contentés de parler de la pluie et du beau temps.

Le vicomte était sur le point d’exploser de colère. Voir réduites ainsi à néant des années de lutte pour échapper aux pièges de l’union conjugale ! Même si, pour rendre justice à Miss Parker-Roth, celle-ci ne lui avait tendu aucun piège. Il était seul responsable de ce qui lui arrivait, mais comment aurait-il pu anticiper un tel risque lorsqu’il avait accepté de fouiller le bureau de Widmore ?

Cependant, il ne regrettait pas un instant leurs baisers.

Il s’apaisa donc, mais ne savait plus que penser. La jeune femme était extraordinairement séduisante dans sa chemise blanche, avec sa natte qui lui tombait jusqu’en bas des reins. Il aurait aimé la défaire et passer les doigts entre ses mèches châtain cuivré.

Par quel hasard ne l’avait-il jamais remarquée auparavant ? Pourtant, elle avait dû assister à toutes les insupportables manifestations mondaines des années précédentes.

La réponse tenait en peu de mots. Il ne cherchait pas d’épouse, et la sœur de John et Stephen n’était pas le genre de personne qui inspirait au badinage.

— J’attends, lord Motton !

De plus, elle commençait à avoir froid. Le jeune homme regarda les tétons qui pointaient contre le tissu, et eut envie de les voir durcir sous l’effet de ses caresses…

— Rentrons, je vous dirai tout ce que je sais, et c’est bien peu ! suggéra Motton en la prenant par le bras pour l’emmener à l’intérieur.

— Je vous préviens, vous ne réussirez pas à me faire prendre des vessies pour des lanternes ! annonça-t-elle le menton levé, ce qui lui donnait une mine très bagarreuse.

Il esquissa un sourire en la faisant asseoir dans un fauteuil avant de lui tourner le dos pour allumer les bougies. Il lui aurait été facile de l’embobiner, car il était infiniment plus expérimenté qu’elle dans l’art de dissimuler, même si elle vivait au sein d’une grande fratrie.

Pourtant, pour une raison qu’il ignorait, l’idée de mentir à Miss Parker-Roth lui déplaisait.

Il se retourna pour la dévisager. Elle était si belle, si innocente, assise dans ce fauteuil à… mais oui, bon sang, elle examinait ses fesses !

Quand il lui tourna de nouveau le dos pour allumer quelques chandelles supplémentaires, il eut l’impression de sentir le regard insistant de la jeune femme.

S’il ne parvenait pas à fixer son attention sur le sujet qui les préoccupait, il craignait de lui présenter un tout autre objet de contemplation en se retournant. De quoi était-il question, au juste ?

Ah, oui : la prétendue esquisse de Widmore !

Il alluma un dernier bougeoir et s’assit aussitôt, se penchant en avant pour ne pas trahir son émotion.

— Je n’essaie pas de vous tromper. Je sais vraiment très peu de choses. Nous étions au club White’s, cet après-midi, quand le comte d’Ardley m’a pris à part pour m’annoncer que Widmore avait espionné pour les Français.

— Clarence Widmore ? Un espion ? s’étonna Miss Parker-Roth, bouche bée.

— Cela paraît incroyable, je vous l’accorde.

Motton avait eu à peu près la même réaction quand Ardley lui avait appris la nouvelle. Widmore avait été un personnage adipeux, exubérant et haut en couleurs. L’homme semblait, par nature, incapable de se mouvoir avec discrétion. Si Widmore était un espion, alors il avait été un maître de la dissimulation.

— Il arrive que les meilleurs espions soient ceux qu’on soupçonnerait le moins.

— Ah, s’exclama Miss Parker-Roth en plissant les yeux. Et vous, vous en êtes un ?

— Non, bien sûr que non.

Il disait la vérité, car il ne s’était jamais considéré comme tel, et s’il l’avait un jour été, ce temps-là était révolu.

La jeune femme ne parut pas convaincue.

— Disons qu’il m’est arrivé de faire quelques filatures et un peu d’écoute de temps à autre.

— Hum, de toute façon, j’imagine que si vous étiez un espion, vous ne me le diriez pas.

— Vous avez raison, mais il se trouve que je n’en suis pas un.

— Pourtant, je vous ai surpris ici.

— Je m’acquittais d’une simple commission pour un… pour une connaissance, rectifia-t-il, ne pouvant se résoudre à considérer Ardley comme un ami.

— Pourquoi lord Ardley ne fait-il pas ses commissions lui-même ?

— Ardley ? grommela-t-il.

En effet, le comte était encore plus obèse que Widmore.

— Vous avez raison, ni l’un ni l’autre n’a la tête de l’emploi, s’esclaffa Jane. S’il est vrai que Clarence espionnait, pourquoi s’intéresser à ses activités seulement maintenant qu’il est mort et que la guerre est finie depuis longtemps ? demanda-t-elle incrédule, faisant écho sans le savoir aux propres questionnements de Motton.

— En effet, mais selon Ardley, Clarence avait représenté au crayon quelques-uns de ses confrères. C’est ce qu’il m’a envoyé chercher. Si ce dessin existe, il pourrait servir à démasquer les traîtres qui continuent de hanter les allées du pouvoir.

C’était l’aspect politique qui avait finalement convaincu Edmund de se charger de cette mission ridicule. Son désir était de voir tous les traîtres comparaître devant la Justice.

Malgré tout, il se méfiait d’Ardley, à cause d’un je-ne-sais-quoi dans son attitude ou dans sa voix.

Certes, le comte était à la recherche d’un document, mais Motton aurait mis sa main au feu qu’il ne contenait pas les faciès de certains espions d’outre-manche.

Le comte n’était pas sot et devait bien se douter qu’Edmund examinerait attentivement tout ce qui lui tomberait sous la main.

Le jeune homme se pencha tout près de Miss Parker-Roth.

— Widmore, vous le connaissiez bien ?

— Non. Mère est amie avec Cleo, sa sœur. Elles sont toutes les deux peintres, même si Cleo ne peint que des natures mortes, alors que mère, elle, peint des… d’autres choses, expliqua la jeune femme, soudain rouge comme une pivoine.

— Oh, je vois !

Si la toile qui ornait les appartements de Stephen était représentative de l’œuvre de Mrs Parker-Roth, alors Edmund comprenait aisément la gêne de sa fille. L’artiste semblait en effet fascinée par les nus.

Il jeta un coup d’œil à sa chemise de nuit et s’aperçut qu’elle l’avait très sagement boutonnée jusqu’au menton. Seuls quelques petits boutons faisaient donc encore obstacle…

Il aurait tant aimé la voir se prélasser nue sur son lit de quasi vieux garçon.

Diable, il ne se reconnaissait pas le droit de nourrir des pensées lubriques au sujet de cette jeune personne. De tels fantasmes étaient inopportuns ! En outre, il avait un travail à terminer avant que les domestiques ou Mrs Parker-Roth elle-même ne le surprennent. Toute artiste qu’elle était, Mrs Parker-Roth n’en était pas moins mère, et ne verrait pas d’un très bon œil cette discussion entre un homme et sa fille à moitié nue.

— Je suppose que vous connaissez les lieux. Avez-vous une idée de l’endroit où Widmore aurait pu cacher ce dessin ?

La jeune femme fit signe qu’elle ne savait pas.

— Aucune, je suis désolée. D’habitude, nous descendons au Pulteney pour la Saison. Si nous logeons ici cette année, c’est uniquement parce que Cleo, qui est en lune de miel, nous a proposé de mettre la maison à notre disposition.

— Je vois.

Cela aurait été trop beau si Jane avait eu la clé de l’énigme. Motton jeta un coup d’œil aux rayonnages encombrés de livres. Nom de Zeus, quelle barbe s’il devait les examiner un à un ! Sans compter que Widmore aurait pu dissimuler ce chef-d’œuvre ailleurs, dans le bureau, sous un fauteuil, un lit…

Non, pas question de penser à un lit en présence de Miss Parker-Roth ! Même s’il ne serait pas déplaisant de fouiller sa chambre…

Il décida d’exclure les chambres de sa perquisition.

Au vrai, rien n’était plus facile à cacher qu’une mince feuille de papier.

— Lord Ardley n’avait-il aucune idée de l’endroit où Clarence aurait pu cacher le croquis ? demanda la jeune femme.

— Hélas, non !

Elle se leva, et Motton se retrouva nez à nez avec un point de vue imprenable sur le corsage de Jane.

Il bondit sur ses pieds.

— On dirait, comme dit le proverbe, que vous cherchez une aiguille dans une botte de foin, résuma-t-elle. Je vais donc vous aider.

M’aider ? Le parfum citronné de la jeune femme lui chatouilla les narines et finit de l’exciter. Bon sang ! La seule façon de l’aider serait de s’offrir à lui sur le tapis !

Mais il ne tarda pas à juger cette pensée trop cavalière. Son lit conviendrait mieux !

Fichtre ! Il ne se savait pas si grivois. Il avait pour habitude de prendre ce que les femmes de petite vertu avaient à offrir sans s’occuper des autres, des Miss Jane Parker-Roth.

Cette dernière venait de tirer un livre de la bibliothèque. Elle l’ouvrit, le retourna et le secoua.

— Que faites-vous ?

Elle regarda par-dessus son épaule tout en extrayant un autre volume, vide aussi.

— Je vous aide. À moins que vous ne préfériez y passer la nuit ? Dans tous les cas, vous êtes là jusqu’à demain matin.

Elle revint se placer devant l’âtre. Il distinguait très nettement le contour de ses seins, l’ombre de leurs pointes. Plus bas, il savait qu’un autre spectacle l’attendait.

Mais il se retint de baisser les yeux et se força à scruter le manteau de la cheminée.

— Vous ne m’aidez pas le moins du monde !

— Bien sûr que si ! Ne faites pas votre tête de cochon. Et puis, d’abord, qu’est-ce que vous regardez là-haut ? Vous avez vu quelque chose ? Aïe !

Accablé de désir, il venait de la saisir par le bras.

— Je vous répète que vous ne m’aidez pas ! Retournez vous coucher !

Nom d’un chien ! Elle se tourna brusquement pour lui dire le fond de sa pensée tandis qu’il s’approchait… et ils se touchèrent. Elle l’effleura de la douceur de ses seins, de ses hanches, et appuya son ventre contre son sexe dur comme du marbre.

Il se laissa envelopper par les suaves exhalaisons fruitées de la jeune femme. Que ses baisers étaient bons ! Leurs lèvres se touchaient presque. Un seul petit baiser ne pouvait pas faire de mal.

Il inclina la tête. Juste un petit baiser, léger comme un papillon. Voilà tout. Rien qu’un baiser pour lui souhaiter bonne nuit…

Pendant ce temps, Jane retenait son souffle. Il s’apprêtait à l’embrasser de nouveau. Elle le voyait à son regard perçant, presque fiévreux, rivé sur ses lèvres généreuses, si sensibles.

Elle inclina la tête à son tour et ferma les yeux. Tout son corps, jusqu’aux endroits les plus intimes, était en émoi dans l’attente de ce baiser.

Serait-ce aussi merveilleux que la première fois ?

Ou mieux ?

Serait-ce…

Tandis qu’il s’éloignait, elle rouvrit les yeux. Il avait toujours le regard brûlant, mais de rage cette fois.

— Au lit !

— Hein ?

Elle eut l’impression d’être une enfant de quatre ans qu’on envoyait se coucher sans dessert, alors qu’elle n’avait rien fait pour mériter un tel châtiment.

— Allez, montez ! ordonna-t-il en tirant la jeune femme par le bras. Maintenant !

— Non ! s’écria-t-elle en résistant.

Hélas, elle n’était pas de taille. Il l’entraîna vers la porte.

— Vous me faites mal !

Il fit halte.

— Vous fais-je vraiment mal, ou bien me jouez-vous encore l’un de vos petits tours ?

Lord Motton apprenait vite pour un homme qui n’avait ni frère, ni sœur. Jane jugea inutile de répondre.

— Dieu du ciel, vous savez bien que vous avez besoin de mon aide.

— Pas le moins du monde !

— Mais si !

Pour toute réponse, il continua de l’entraîner jusqu’à la porte. Elle devait donc agir vite.

Ils étaient arrivés à hauteur de la statuette du dieu Pan. L’objet, brisé en mille morceaux, était apparemment un moulage en plâtre, non le marbre solide qu’elle avait cru apercevoir en entrant. Elle mit un coup de pied dans l’énorme verge du dieu grec qui alla valser sous une petite causeuse à l’autre bout de la pièce.

N’était-ce pas un morceau de papier qu’elle avait vu pointer hors du membre escamoté, avant qu’il disparaisse sous le meuble ?

Un frisson lui parcourut l’échine. Il fallait à tout prix qu’elle s’empare de ce pénis.