— Comment cela, vide ? C’est impossible ! s’écria Jane en lui arrachant le membre des mains pour regarder à l’intérieur. Vous avez peut-être les doigts trop gros.
Levant le bras droit pour fouiller la verge de plâtre, elle tira sur la chaîne et entraîna le bras gauche d’Edmund.
— Flûte ! Reprenez-le.
Le jeune homme reprit le pénis et enfonça les doigts de Jane à l’intérieur. Nom d’une pipe, Edmund avait raison : il était vide. Sans doute la feuille était-elle restée dans le corps de la statuette. À genoux devant le dieu grec, elle farfouilla aussi loin qu’elle put.
— J’imagine que le dessin sera tombé dedans. La statue est entièrement creuse.
— Le seul moyen de s’en assurer est de la briser, suggéra Edmund.
— Hum…
Ils ne pourraient le faire discrètement, même si l’orchestre, et surtout les invités, couvriraient sûrement le bruit. De toute manière, puisque se passer du quatrième fragment mènerait inévitablement à l’échec, ils ne pouvaient rester les bras ballants.
Elle donna une petite poussée à la statuette pour vérifier sa mobilité. Il serait facile de la renverser car, ayant perdu son sexe, elle n’était plus stable. Il suffit donc d’une simple pichenette pour la faire basculer en arrière et s’écraser sur le sol de marbre – une seconde après que l’orchestre eut fini de jouer !
— Oh !
— Ne vous inquiétez pas. C’est fait, maintenant. Voyez-vous le papier ?
Jane examina attentivement les restes. Pour tout éclairage, la pièce possédait un candélabre accroché au mur, et une partie des débris avait été projetée dans la zone d’ombre. De plus, l’alcôve était trop exiguë pour permettre de déplacer le socle nu de la statue, surtout avec une main attachée.
— Non, mais il est peut-être dans l’ombre, répondit-elle. Passez-moi le pénis.
Edmund le lui donna, et elle s’en servit pour retourner les morceaux de plâtre.
— Je ne vois rien. Et vous ? Vous croyez que l’on nous aura devancés ? demanda-t-elle en levant la tête.
— Je ne pense pas, dit Edmund, sceptique. Comment auraient-ils su où chercher ? À ma connaissance, nous n’avons laissé aucun indice.
Jane essaya de s’épousseter de la main gauche.
— Le premier Pan a fini en miettes, le second est resté intact, mais le troisième… Croyez-vous que quelqu’un de la galerie s’est aperçu qu’il était amputé d’un membre en regardant dans le placard ? demanda-t-elle.
— J’en doute, même si ce n’est pas impossible, répondit Edmund en rajustant la capuche de Jane afin de mieux dissimuler son visage. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas comment ils en auraient deviné la signification. Ce cagibi était un vrai dépotoir. Pourquoi s’intéresser à une statuette cassée ?
— Vous avez raison. Clarence a dessiné plusieurs Pan, et ma mère a dit qu’il en avait moulé des quantités, rappela Jane, qui commençait à se demander si le dessin n’était pas dans une autre statuette.
— Hum, murmura Edmund en considérant les éclats qui jonchaient le sol. Alors vous pensez que ce n’est pas la bonne statue ?
— Exactement, conclut-elle à regret. Nous devons continuer à chercher.
Edmund fit triste mine.
— J’espérais que nous en avions fini.
— Il faut croire que non. Allez, venez, lança-t-elle en tirant le rideau.
Elle tomba alors nez à nez avec Paddington, qui lui jeta un regard plein de sous-entendus salaces.
— Alors, on se déchaîne un peu ?
Grâce à sa capuche et au masque, il ne vit pas qu’elle rougissait. Edmund, sans s’abaisser à répondre à l’importun, prit le bras de Jane et l’entraîna vers la pièce suivante.
— N’hésitez pas à me faire signe quand il en aura terminé avec vous, mademoiselle. Vous ne trouverez pas plus lascif que moi, lança Paddington.
— Lascif ? répéta son accompagnatrice. Lascif et expéditif, oui !
L’assistance éclata de rire.
— De quoi vous plaignez-vous ? demanda Paddington. Au moins, avec moi, vous n’attendez pas.
— Espèce d’abruti, grommela-t-elle. J’attends encore !
Motton brûlait d’envie de rebrousser chemin pour faire avaler son dentier à Paddington, mais il ne pouvait se permettre ce luxe. On aurait pu espérer que le ridicule finisse par tuer cet idiot, mais il ne comprenait sans doute pas le sens des invectives dont la prostituée l’accablait.
Edmund emmena Jane jusqu’au seuil de la pièce suivante, où il s’arrêta net. Fichtre ! C’était la salle des orgies. Des couples s’y livraient à diverses combinaisons sur les nombreuses méridiennes posées de-ci de-là. Un rapide coup d’œil ne révéla aucune pratique bizarre, mais la soirée ne faisait que commencer.
— Rassurez-moi, ils ne vont pas nous obliger à les imiter ? demanda Jane d’une voix fluette en se collant presque à Edmund.
— Non, répondit-il, même s’il ne pouvait en jurer. Allons-nous-en. Il doit bien exister un autre moyen de trouver le dernier dessin.
— N-non, protesta Jane en secouant la tête d’un ton pourtant hésitant. Nous devons rester.
— Ah, je vous trouve enfin ! lança, en les prenant par le bras, un homme imposant qui portait le même déguisement qu’eux. On m’avait dit que nous avions deux initiés ce soir, mais je n’avais pas eu le temps de vous rencontrer. J’ai certainement mangé quelque chose qui ne m’a pas réussi, voyez-vous, confessa-t-il un peu honteux, du coup, je suis resté, comme qui dirait, coincé aux toilettes. C’est très incommode de rester si longtemps dans les commodités ! s’esclaffa-t-il en lâchant Jane pour se mettre la main devant la bouche sans toutefois parvenir à endiguer ses miasmes odorants. Bon, il vaut mieux que je vous installe avant de devoir y retourner. Venez.
Sans leur laisser le temps de décliner l’invitation, il les poussa derrière une porte, leur fit monter un escalier puis emprunter un petit couloir avant de s’arrêter devant une porte à double battant.
— Entrez. Vous n’avez qu’à attendre dans la salle de cérémonie, comme ça, je saurai où vous trouver le moment venu.
— À quelle heure ? demanda Motton, soucieux de s’éclipser avant qu’il ne soit trop tard.
— À minuit, quelle question ! dit l’homme en tirant sa montre. C’est-à-dire dans… environ vingt minutes, précisa-il en leur ouvrant la porte. Surtout n’oubliez pas de…
Le visage congestionné, il se plaqua une main sur la bouche et leur fit un signe désespéré de l’autre avant de filer à toute allure.
— Le pauvre ! s’exclama Jane en faisant la grimace. Je me demande ce que nous ne sommes pas censés oublier, ajouta-t-elle d’un ton inquiet.
— Je n’en ai aucune idée, reconnut Edmund en examinant la salle en question. Oh ! J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle, annonça-t-il d’une voix légèrement étouffée.
— Quoi ? Oh ! s’exclama-t-elle quand elle se fut enfin retournée.
La pièce avait la forme d’un amphithéâtre, avec des rangées de sièges à degrés. Tout au fond, posé sur une petite estrade, se trouvait le cercueil dessiné par Clarence.
Mais ils n’étaient pas au bout de leurs surprises. Au moins une centaine de Pan en érection étaient disséminés un peu partout.
— Pas étonnant que Cleo ait cru que son frère était devenu fou, fit remarquer la jeune femme. Comment allons-nous nous y prendre pour trouver le bon ?
Edmund fouilla dans sa poche.
— Il ne nous reste plus qu’à les briser tous, dit-il en consultant sa montre. Nous avons vingt minutes, rappela-t-il en extirpant la clé des menottes. Disons quinze, c’est plus sûr. Nous devons être dehors avant qu’ils n’arrivent. Occupez-vous de ce côté-ci, je prends l’autre.
— Non, attendez, dit-elle en l’arrêtant tandis qu’il se libérait. Ils sauront que c’est nous.
— Ils le sauront de toute façon. Notre guide à l’estomac fragile les en informera.
— Pas s’il est coincé dans les…, enfin vous savez, s’il est coincé quand la cérémonie commence.
— Peut-être, mais nous n’avons pas le temps de dévisser et revisser chaque fichu pénis.
— Nous n’aurons pas non plus le temps de fouiller les débris de toutes ces statuettes.
Edmund émit un bref soupir d’ennui.
— Et que suggérez-vous ?
— Je réfléchis.
Edmund leva les yeux au ciel puis consulta de nouveau sa montre.
— Réfléchissez, mais vite. Je vous donne trois minutes, le temps de chercher une autre issue. Après, je fais de la castration de masse ! la prévint-il en faisant tourner les menottes au-dessus de sa tête.
Il traversa la pièce à grands pas jusqu’à une petite porte isolée, à demi cachée derrière un régiment de Pan.
Jane se gratta le front, s’efforçant d’oublier les secondes qui la rapprochaient du moment où Edmund mettrait son plan à exécution.
Clarence avait pris soin, jusque-là, de laisser des indices clairs : le magnolia grandiflora dans le parc de lord Palmerson, puis la toile de Cleo pour les mettre sur la piste de la galerie de Harley Street. La jeune femme était certaine qu’il avait, cette fois encore, laissé une indication précise. Sachant que la pièce était remplie de statuettes, il s’était contenté d’en représenter un petit nombre.
Il avait aussi dessiné le cercueil, sans doute dans un but bien précis. C’était donc par là qu’il fallait commencer. Elle se dirigea vers l’estrade.
Au même instant, Edmund pénétra de nouveau dans la salle.
— Plus qu’une minute…
— Dans ce cas, consacrez-la à m’aider.
Elle contourna le cercueil en passant la main sur la paroi, mais ne vit ni griffon ni planète Saturne. Clarence les avait sûrement ajoutés sur le dessin pour orienter les recherches.
Edmund ronchonna mais la rejoignit néanmoins sur l’estrade.
— Trente secondes…
— Oh, allez-vous vous taire ?
Certes, Clarence avait enjolivé la représentation du cercueil, mais était-ce le cas de tous les éléments du dessin ? Non, bien sûr, car cela n’aurait eu aucun sens. Le sculpteur avait voulu qu’on découvre tous les fragments.
Sa mère discourait souvent au sujet de l’importance de voir le monde en artiste, de choisir un sujet, de l’étudier dans ses moindres détails, de scruter les jeux de lumière à la surface des choses…
Jane fit halte face aux rangées de sièges. Le dessin représentait le cercueil sous un certain angle, qui n’était pas celui de l’assistance.
Une seule possibilité s’offrait à Jane.
Elle tourna la tête et s’arrêta sur un groupe de statuettes qui lui faisait face. L’une d’entre elles arborait un grand sourire.
— Le temps est écoulé ! annonça Edmund en remuant la chaîne comme s’il voulait se faire la main. C’est parti ! Commençons par ceux-ci…
Jane l’attrapa par le bras.
— Attendez, je sais lequel est le bon.
— Vous êtes sûre ?
— Je crois, oui, répliqua-t-elle en attrapant la statue hilare par le sexe pour le dévisser.
Mon Dieu, faites que le dessin s’y trouve !
Si Jane s’était trompée, elle devrait capituler et aider le vicomte à briser autant de dieux que possible. L’énorme verge lui remplissait à présent la main.
— Vous avez raison ! s’exclama Edmund en retirant le morceau de papier, qu’il mit dans sa poche. Bravo ! Maintenant revissez cela et filons d’ici avant que… Mince !
La porte venait de s’ouvrir. Edmund se hâta d’aider Jane à replacer le pénis, profitant de l’occasion pour montrer à la jeune femme comment manipuler une verge.
— Comme cela, mon amour, dit-il de sa voix aiguë et frêle à l’accent vaguement français. De la base au sommet, en serrant bien fort… Oh ! s’exclama-t-il en se retournant, faussement surpris. Oui, de quoi s’agit-il, monsieur ? demanda-t-il à leur guide, de retour des toilettes.
— Je vois que vous préparez la petite dame. Bien, bien. Comptez sur moi pour passer en premier, après vous, bien sûr, dit-il en étouffant un renvoi avec sa main. Hum, en supposant que je ne sois pas obligé de filer au petit coin.
« Passer en premier ? » Voulait-il dire que… Jane en eut un haut-le-cœur. Elle risquait de devoir courir aux toilettes avant l’affreux bonhomme.
— Naturellement, répondit Edmund en consultant sa montre. Mais il n’est pas encore l’heure, je crois.
— Oh, non. Il reste au moins cinq bonnes minutes. Je voulais juste vous rappeler qu’un coffre est à votre disposition derrière l’estrade, pour les vêtements. Avec tous mes, euh, problèmes, il m’a semblé que j’avais omis de vous le préciser.
— Ah oui, le coffre, acquiesça Edmund d’un air entendu.
Jane serra les poings en cherchant à reprendre son souffle. Il était hors de question qu’elle s’évanouisse. Du moins, espérait-elle tenir bon, même si l’idée de se déshabiller et de s’occuper de ce fâcheux à l’estomac fragile – ainsi que d’autres verges – lui ôtait toute énergie. Elle se mordit les lèvres pour étouffer une plainte.
— Exactement. Vous le trouverez derrière cette statue. À moins que vous ne soyez déjà nus sous votre habit ? demanda-t-il avec un grand sourire. Certains le font, mais il fait un peu froid dehors, surtout pour les dames. Ne vous inquiétez pas, ajouta-t-il à l’intention de Jane, si vous avez de la lingerie fine, vous pourrez la récupérer après.
Jane jeta un coup d’œil à Edmund. Voyait-il son supplice ?
— Bon, il faut qu’elle se prépare. Si vous voulez bien nous laisser ? conclut Edmund en désignant la porte à leur guide.
— Bien sûr, s’esclaffa le bonhomme. Elles font toutes leurs timides au début, mais une fois qu’elles ont goûté au cocktail du diable, on ne peut plus les arrêter, pas vrai ? fit-il remarquer en se dirigeant vers la porte. Ne traînez pas trop quand même, conseilla-il en regardant sa montre. Les laquais ne vont pas tarder à apporter la boisson.
— Ah ! Nous ne serons pas longs, alors. Merci.
Quand le libertin eut refermé la porte derrière lui, Edmund prit aussitôt Jane par la main. Pas question pour lui d’abandonner sa bien-aimée à ces pratiques sordides.
— Suivez-moi, cette porte mène à une sorte d’escalier de service qui donne sur une ruelle. Nous devrions pouvoir rejoindre Jem facilement et filer d’ici pour de bon.
Jane souleva l’ourlet de son costume et lui emboîta le pas.
— Ne risquons-nous pas de croiser ceux qui apportent la boisson ? demanda-t-elle d’un ton inquiet.
— J’espère que non. Mais si c’est le cas, ils auront sûrement les bras encombrés de cruches ou de fûts. Nous devrions pouvoir nous faufiler sans problème, dit-il en marquant une halte devant la porte. S’il faut se battre, restez à l’écart. Mais si vous êtes obligée de vous défendre, servez-vous du couteau que je vous ai donné.
Jane hocha la tête, contente qu’il la considère comme une personne sensée. Edmund ouvrit la porte et la fit sortir.
Deux étages les séparaient de la liberté. Ils arrivèrent au premier sans encombre mais, une fois sur le palier, ils croisèrent deux solides domestiques de Griffin qui transportaient une vaste cuve remplie d’un liquide douteux à l’odeur de bière et d’alcool fort. Un troisième valet, qui semblait surveiller les deux autres, portait un grand calice ouvragé. Il cala l’objet contre sa hanche et leur lança un regard noir.
— L’initiation se passe en haut.
Nom d’un chien, ce n’était pas un simple serviteur, mais Helton, Belzébuth en personne.
— L’initiation ? répéta Edmund avec un accent écossais dans l’espoir de brouiller les pistes. On n’est pas là pour une initiation, répliqua-t-il en faisant passer Jane devant lui pour qu’elle puisse se sauver plus vite.
Certes, ils étaient trois contre un, mais deux d’entre eux étaient encombrés.
Il enroula la chaîne des menottes autour de sa main à l’abri de sa manche. La fuite était préférable à la bagarre mais, au cas où, il serait prêt.
— Vous êtes habillés pour l’initiation, fit remarquer Helton en le regardant de la tête aux pieds.
— C’est une erreur, expliqua le jeune homme d’un ton qui se voulait apaisant.
Si au moins Jane se décidait à descendre… Il la poussa du coude, mais elle ne bougea pas.
— Je n’ai pas pu trouver d’autres costumes, poursuivit-il. J’ai appris seulement aujourd’hui que vous donniez une soirée.
— Oh, une erreur, c’est parfait, déclara Helton en esquissant un sourire antipathique. Mon maître n’y verra aucun inconvénient. Venez.
— Non, je…, balbutia Motton en désignant Jane d’un geste de la main. Nous sommes attendus, expliqua-t-il d’un air entendu. Si vous voyez ce que je veux dire…
Helton plissa les yeux.
— Je me contrefiche qu’on vous attende. Qui plus est, mon maître se vengera sur moi si je ne lui ramène pas des novices. Vous allez me suivre sans discuter.
C’est alors que tout se précipita. Helton attrapa Jane par le bras et la tira vers lui, mais la jeune femme s’entrava et lui tomba dessus de tout son poids. L’homme cria et lâcha prise, tandis qu’elle se rattrapait au rebord de la cuve, qui se renversa avec fracas.
Motton saisit l’occasion pour frapper Helton d’un coup de chaîne en plein visage. L’homme s’effondra comme un arbre qu’on abat, le couteau de Jane planté au côté.
— Bravo, ma chérie ! s’exclama Edmund en le retirant.
Pendant ce temps, les domestiques, ayant jugé que la situation dépassait leur compétence, avaient abandonné la cuve, s’étaient frayé un chemin parmi les corps et avaient filé sans demander leur reste, en priant le bon Dieu pour que Satan ne les retrouve pas.
Edmund replia l’arme et la mit dans sa poche avant de se pencher sur Jane. Elle était complètement débraillée et empestait l’alcool.
— Ça va ?
Elle écarta les cheveux qui lui barraient le visage. Sa capuche était retombée, mais le masque, au grand étonnement d’Edmund, n’avait pas bougé.
— Oui, je crois. J’ai mal au coude et au… au derrière, et j’espère que la boisson n’était pas droguée, parce que j’ai bu la tasse. Sinon, je crois que ça ira. Comment va-t-il ? demanda-t-elle en regardant Helton d’un air soucieux. Je ne l’ai pas… tué, au moins ?
— Non, hélas. Il…
Motton s’interrompit en entendant la porte s’ouvrir à l’étage supérieur et des pas se rapprocher.
— Bon sang ! pesta un homme entre deux rots. Satan va me pendre par les bijoux de famille si je ne retrouve pas ces deux tourtereaux. Vous croyez qu’ils sont partis par ici ?
— Je suppose qu’Helton les aurait croisés, répondit une deuxième voix. Mais il vaut mieux vérifier.
— Venez, susurra Motton à l’oreille de Jane en lui prenant la main. Et faites le moins de bruit possible.
Elle hocha la tête. Il lui remit sa capuche sur la tête et commença à descendre d’un pas vif et silencieux, leur fuite étant couverte par les éclats de voix de leurs poursuivants.
Quand ils atteignirent la porte, les deux sous-fifres, qui venaient de découvrir Helton, se mirent à vociférer. Il ne serait pas bien sorcier, même pour ces deux idiots, de deviner dans quelle direction ses agresseurs avaient fui, puisqu’une seule possibilité s’offrait à eux. Par conséquent, le temps pressait.
Jane et Edmund se glissèrent enfin dehors.
— Ah ! s’exclama Jane en se tenant le front. Je me sens toute bizarre…
— C’est sûrement l’air frais. Tenez bon. Nous serons bientôt sortis de cette souricière.
Du moins l’espérait-il. Sans doute auraient-ils pu se cacher dans les haies, enlever leurs déguisements et essayer de filer à l’anglaise une fois le danger passé, mais la verdure était rare alentour, sauf peut-être sur le visage de Jane, qui était d’une pâleur inquiétante.
— Hum, gémit-elle en se frottant – non, plutôt en se caressant – la poitrine.
Edmund se demanda ce qui lui arrivait soudain.
Mieux valait partir au plus vite. Il jeta un coup d’œil autour de lui et s’aperçut – ô jour de chance ! – qu’ils se trouvaient près du portail donnant sur la ruelle où Jem les attendait avec la voiture.
Il attrapa de nouveau la main de la jeune femme et se mit à courir. Ils traversèrent une petite cour recouverte de gravier et sortirent à toute vitesse. Le domestique, qui se tenait prêt, passa devant eux au pas. Motton ouvrit la portière d’un coup sec, prit Jane par la taille et la projeta à l’intérieur puis bondit à son tour avant de refermer derrière lui. Jem accéléra immédiatement, si bien que les deux disciples de Satan durent se contenter de les voir tourner au coin de la venelle.
— Fichtre ! Nous l’avons échappée belle ! Mais nous les avons semés, affirma Edmund.
Il se hissa sur l’un des sièges et prit Jane par la main pour l’aider à faire de même. Elle vint s’asseoir directement sur ses genoux.
Il n’aurait pas cru exercer tant de force.
— Désolé, je ne l’ai pas fait exprès.
Pour toute réponse, la jeune femme l’embrassa à pleine bouche en lui arrachant son vêtement. Elle se frottait à sa cuisse comme si elle avait voulu disparaître en lui. Que cela signifiait-il ? Même s’il appréciait son ardeur, celle-ci lui paraissait trop extrême.
Motton eut un mouvement de recul. Si Jane ne faisait pas plus attention où elle posait son genou, il lui serait difficile de résister.
Il posa deux mains fermes sur les épaules de la jeune femme et la tint à bout de bras pour lui parler.
— Que se passe-t-il, Jane ?
Haletante, elle lutta pour se recoller à lui.
— J’ai envie de vous. Maintenant. Venez en moi. Tout de suite.
L’excitation d’Edmund était à son comble.
— Euh, oui, eh bien, je suis ravi que vous soyez si… comment dirais-je, amoureuse, et je vous assure que moi aussi, mais ne croyez-vous pas que nous ferions mieux d’attendre ? Nous serons à la maison d’ici quelques minutes.
— Non, j’ai déjà trop attendu ! s’exclama-t-elle en se jetant sur lui.
Mon Dieu, elle en pleurait presque. Quelque chose ne tournait décidément pas rond. Mais quoi ? Tout s’était bien passé jusqu’à ce qu’elle… Oh, non !
— Quelle quantité du breuvage de Satan avez-vous bu ?
— Je ne sais pas. Pourquoi me demandez-vous ça ? Pourquoi discutez-vous, d’ailleurs ? Déshabillez-vous.
Motton avait de plus en plus de peine à résister aux injonctions de Jane. N’était-il pas impoli de refuser ? Elle voulait visiblement qu’il la soulage.
D’ordinaire, Edmund ne recherchait pas des endroits insolites pour faire l’amour et, même s’il existait plus exotique qu’une voiture, il n’avait encore jamais essayé dans un véhicule. Où était l’intérêt ? On était bien mieux dans un lit. Hélas, Jane n’attendrait pas si longtemps.
— Oh, comme j’ai chaud ! gémit-elle. Je suis en feu ! Venez me cueillir, je suis prête, dit-elle en se frottant avec insistance. J’ai envie de vous, tout de suite. S’il vous plaît !
Bon, il faut un début à tout.
— D’accord, mais il faut que je dise à Jem de ne pas s’arrêter à Motton House, prévint Edmund, qui n’avait pas envie d’arriver chez lui en pleine action. Croyez-vous pouvoir vous tenir tranquille pendant que je lui parle ?
Il resterait vague sur ses intentions, afin de ne pas éveiller les soupçons du cocher.
— Oui, mais faites vite.
— J’en ai pour une seconde.
Il frappa au plafond et Jem ralentit aussitôt, pendant que Motton s’arrachait suffisamment des bras de Jane pour se pencher par la portière.
— Miss Parker-Roth et moi avons quelques questions à régler, Jem. Tournez jusqu’à ce que je vous indique de rentrer, voulez-vous bien ?
— Nous sommes presque arrivés, monsieur le vicomte.
— Oui, je sais, mais c’est ainsi.
Par chance, la rue était trop bruyante pour que Jem puisse entendre les gémissements qui provenaient à cet instant de l’habitacle.
— Très bien, monsieur, comme vous voudrez.
— Parfait ! En avant.
Venait-il d’entendre le bruit d’un vêtement qu’on déchire ? Il referma et se tourna vers Jane.
Bonté divine ! Allongée, offerte, complètement nue sur la banquette, la jeune femme se caressait les seins. Edmund n’avait jamais rien vu d’aussi beau ni d’aussi voluptueux.
— Comment avez-vous fait pour vous déshabiller ?
— J’ai fait vite, répondit-elle en s’humectant les lèvres, une main sur son pubis.
Il se demanda si elle allait se caresser aux endroits les plus sensibles.
Elle glissa la main entre ses jambes puis la lui tendit en manière d’invite.
— Je suis brûlante et toute pleine de rosée.
— Euh…
Il se débarrassa comme il put de sa robe de moine.
— Enlevez tout, ordonna-t-elle en se caressant le ventre de ses doigts humides avant de jouer avec ses boucles. Si c’est moi qui le fais, il ne vous restera plus un seul bouton.
— Hum.
Edmund luttait justement avec ces fichus boutons. Au prix de quelques efforts, il défit sa braguette et jeta au loin son pantalon.
— Oui ! s’écria la jeune femme en se jetant sur lui avec tant de violence qu’il bascula sur l’autre banquette.
Elle s’assit ensuite à califourchon sur le jeune homme, saisit son sexe et l’introduisit.
— Oooh !
Elle posa quelques instants la tête sur son épaule, tandis qu’il lui effleurait les seins. Jane était effectivement brûlante entre ses mains, comme une véritable petite chaudière.
Il attendit qu’elle prenne la direction des opérations. La jeune femme agissait sous l’effet de l’aphrodisiaque, non de son propre désir, et il n’avait aucune envie de lui imposer des caresses qu’elle pourrait regretter ou lui reprocher plus tard.
L’essentiel était qu’ils s’en soient tirés sains et saufs. Imaginer sa bien-aimée dans les mêmes dispositions avec d’autres hommes lui était insupportable.
— Ah… oh ! gémit-elle en se balançant d’avant en arrière.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il en lui caressant les tétons.
Elle retint son souffle, se cambra puis enfouit de nouveau la tête dans le creux de son épaule.
— Je n’en peux plus, confessa-t-elle, au comble de la frustration. Je n’arrive pas à jouir. Aidez-moi, le supplia-t-elle en remuant de plus belle.
— Frottez-vous à moi, Jane. Oui, comme ça, dit-il en la prenant par les hanches pour la guider.
— Ah !
— À votre rythme, ma chérie.
— Oui…
La tête rejetée en arrière, les cheveux sur les épaules, elle le chevauchait avec ardeur. Edmund était ébloui par sa beauté, et terriblement excité par ses mouvements. Il était prêt à jouir, mais Jane en était encore loin.
— Oh, je n’y arrive pas ! Pourquoi refusez-vous de…
— Chut. Laissez-moi faire, commanda-t-il en l’immobilisant.
Il glissa une main le long de son ventre et commença à lui caresser le clitoris.
— Ah ! Oh !
Elle suffoquait, les yeux à la fois pleins de tristesse et d’espérance.
Edmund esquissa un sourire et continua de plus belle.
Son souffle s’accéléra et elle se mit à se débattre en émettant de petits gémissements impérieux, à peine audibles et de plus en plus aigus. Il lui répondit par de virils mouvements du bassin, sans cesser de la titiller. Soudain, elle se raidit et cria, se contractant autour de sa verge, d’où jaillissait sa semence.
— Oh !
En sueur et vidée de ses forces, elle se laissa choir dans ses bras.
— Vous vous sentez mieux ? demanda-t-il en lui caressant le dos.
— Hum, beaucoup mieux ! gémit-elle en lui embrassant la joue.
Ils restèrent quelques instants dans cette position. En entendant le bruit des sabots et des roues, Motton se dit qu’il était temps de donner à Jem le signal du retour. Encore une minute…
À moins qu’il ne remette à plus tard, car Jane recommençait à s’agiter.
— Encore ! s’exclama-t-elle en se redressant. Recommençons.