Lorsque Contrée est publié par les éditions Robert-J. Godet en mai 1944, Robert Desnos est déjà déporté en Allemagne. Il ne verra donc pas le recueil de ces vingt-cinq poèmes, qu’illustre une eau-forte2 de Picasso, représentant un chevalier en armes appuyé sur des livres — symbole du poète résistant — et qui est dédié à sa compagne inlassablement aimée Youki. Pas plus qu’il ne verra publiés la même année Le Bain avec Andromède, aux éditions de Flore, et Trente chantefables pour les enfants sages aux éditions Gründ. Quant à Calixto, suite poétique aux formes mêlées, achevée en septembre 1943, le recueil n’avait pas encore trouvé d’éditeur à l’arrestation du poète, le 22 février 19443.
Au camp de Flöha où il est déporté, Desnos reste préoccupé par le sort de ses œuvres en cours de publication : « Que deviennent mes livres à l’impression ? », demande-t-il à Youki dans sa lettre du 15 juillet 19444. Et c’est à la poésie qu’il se fie pour survivre aux épreuves de l’internement : « Pour le reste je trouve un abri dans la poésie. Elle est réellement le cheval qui court au-dessus des montagnes dont Rrose Sélavy parle dans un de ses poèmes et qui pour moi se justifie mot pour mot5. » Ainsi Rrose Sélavy accomplit-elle dans la réalité sordide les promesses de liberté proférées dans la jubilation verbale en 19226. Indéfectiblement poète, donc libre, tel s’affirme Desnos tout au long de sa vie. De cette revendication, Contrée et Calixto apportent à leur manière un témoignage.
Dans une lettre à Paul Éluard datée du 8 octobre 1942, Desnos évoque le séjour qu’il vient de faire en septembre en Normandie7 : « Me voici de retour à Paris après une belle campagne normande, où les champignons en ont vu de cruelles. Mais je ne me suis pas borné à chasser le cèpe et les girolles, j’ai continué Contrée […]. C’est pour moi une curieuse expérience. Je vais à tâtons mais les images, les mots, les rimes s’imposent comme les détails d’une clé pour ouvrir une serrure8. » Desnos semble dire qu’il est en face d’une énigme poétique qu’il tente de résoudre. Cette recherche inscrit ses premiers résultats à la fin d’État de veille, qui paraît en avril 1943. Ce recueil, publié chez Robert-J. Godet, joue le rôle de charnière entre une ultime référence à l’avant-guerre — réécriture de « poèmes forcés » de 1936, création de « couplets » destinés à être mis en musique, selon la pratique radiophonique des années trente —, et la mise en œuvre d’une poétique assumant des contraintes nouvelles : « Quelques poèmes, en apparence plus classiques, est-il précisé dans la postface, terminent ce recueil. Ils font partie d’une expérience en cours dont il m’est impossible de prévoir l’évolution et dont je ne saurais parler clairement9. » Quatre poèmes aux formes régulières, dont deux sonnets, terminent État de veille, donnant les premiers exemples des formes classiques qui s’imposent dans Contrée.
Telle qu’il l’évoque dans sa lettre à Éluard, l’expérience qui conduit à Contrée ne va pas sans surprises. C’est « à tâtons », il y insiste, qu’il découvre et expérimente les rouages de formes dès longtemps inscrites au panthéon littéraire mais dont il s’était tenu éloigné, captivé à l’époque surréaliste par la continuité du discours intérieur dont il s’agissait alors de saisir des moments, puis, dans les années trente, requis par l’agencement de la parole aux rythmes de la musique. Si les Chantefables publiées en 1944 sont encore « à chanter sur n’importe quel air », les poèmes de Contrée visent à une autonomie formelle rigoureuse : Desnos remarque alors que le sonnet tend à imposer sa loi. Le poète ne jette pas pour autant l’anathème sur l’expérience surréaliste : il la situe dans un parcours d’apprentissage et en marque les limites10. Ainsi dit-il à Éluard qu’il croit « de plus en plus que l’écriture et le langage automatiques ne sont que les stades élémentaires de l’initiation poétique. Par eux, ajoute-t-il, on enfonce des portes. Mais derrière ces portes il y en a d’autres avec des serrures de sûreté qui ne cèdent que si on cherche et trouve leur secret11. » Cette idée d’étapes à franchir revient sous une forme plus explicite dans une réflexion de janvier 1944 : « Il me semble qu’au-delà du surréalisme il y a quelque chose de très mystérieux à réduire, au-delà de l’automatisme il y a le délibéré, au-delà de la poésie il y a le poème, au-delà de la poésie subie il y a la poésie imposée, au-delà de la poésie libre il y a le poète libre12. »
Qu’en est-il donc au juste de l’expérience de Contrée ?
Quand il écrit les poèmes de Contrée, en 1942-1943, Desnos tente « d’arriver à une “poétique fine” comme les mathématiciens sont arrivés à des “calculs fins” indispensables en relativité ou en mécanique ondulatoire14. » Le modèle mathématique le retient par son exigence du détail exact. En somme le poème dans sa clôture peut devenir une mécanique de précision dont les pièces sont ajustées minutieusement pour assurer le fonctionnement de l’ensemble. Le flux verbal que tentait de saisir dans sa continuité l’écriture automatique a fait place à l’assemblage de groupes de vers en attente de trouver leur juste contexte. La forme poétique — sonnet, ballade, ode — est l’horizon d’attente où des fragments surgis indépendamment viennent s’assembler — et révéler leur intime proximité. Une unité potentielle aimante les éclats dispersés ou mal appariés. Au poète de faire le montage des éléments que l’inspiration lui donne. Rythme, sonorités, images, motifs ou thèmes peuvent contribuer à la tenue de l’ensemble.
Sous le titre de « Souvenir d’Orphée », nous disposons d’un manuscrit15 qui laisse percevoir ce jeu de mise en place de fragments, consacrés à des personnages légendaires (Bacchus, Orphée, Don Juan, l’évêque Denis) que pourrait rassembler une commune descente aux Enfers (« Orphée précède Don Juan dans les escaliers de l’Enfer », note le poète). Des fragments de deux à quatre vers — des alexandrins —, disséminés sur une page, se rassemblent et s’étoffent pour former « Souvenir d’Orphée » :
Le cortège était prêt pour suivre en sa conquête
Bacchus. On lui remit la tunique et l’épieu.
Des souffles s’épuisaient à raviver les feux.
Sur le seuil de l’Asie Orphée hantait les bêtes.
Il fallait à tous deux de pressantes ténèbres
À l’un pour y coucher Eurydice au tombeau
À l’autre pour garder dans le fond des caveaux
Le vin qui doit vieillir pour devenir célèbre
Le chef décapité de l’évêque Denis
Saigne avec les raisins d’Argenteuil et Suresnes
On enchaîne à des chars des héros et des reines
Les temples un à un croulent sur les parvis
Les fauves sont partis, soumis au vendangeur
Tandis que la cité surgit au son des flûtes
Mais le laurier se fane au cirque après les luttes
Et le nom des champions s’efface au mur d’honneur.
Toi seul restes vivant ô vin dans tes barriques
Tu teindras notre lèvre à tes couleurs mystiques
Puis nous irons rejoindre en terre les palais
La cloche qui rythmait la chanson des cigales
S’est tue comme autrefois la flûte et les cymbales
Le vent même s’est tu. Le tonnerre se tait.
Cet assemblage laisse le poète insatisfait. Il le fait donc exploser pour en redistribuer les strophes dans plusieurs poèmes. C’est ainsi que de « Souvenir d’Orphée » naissent « La Vendange », « L’Équinoxe », deux poèmes qui se suivent dans Contrée.16 « La Vendange » prélève les trois dernières strophes auxquelles est adjoint un quatrain17 pour former un sonnet ; « L’Équinoxe » insère le quatrain consacré à l’évêque Denis au sein de trois strophes qui forment également un sonnet18. Bacchus enfin apparaît dans « La Plage » par une reprise ponctuelle de la première strophe de « Souvenir d’Orphée »19. Quant aux deux premières strophes de ce montage, elles ne semblent pas avoir trouvé, en l’état, de réemploi dans un poème de Contrée.
Dans sa forme expérimentale première, « Souvenir d’Orphée » se présente comme une rêverie inspirée de la mythologie ou d’un lointain passé historique. Il en est de même de « La Nymphe Alceste ». Contrée pourrait alors passer pour un simple divertissement, nourri de culture et d’imaginaire. Il l’est sans doute et Desnos y retrouve ses héros favoris, Don Juan, Orphée, Bacchus. Toutefois, à se déplacer dans d’autres contextes apparemment plus centrés sur l’évocation de la réalité présente, les strophes mythologiques de « Souvenir d’Orphée » perdent de leur gratuité pour venir brouiller l’allusion trop directe aux événements du moment. Les contrées du rêve se soumettent, de l’aveu même du poète, à « l’influence de l’actualité la plus immédiate20 ».
Cherchant à préciser ce que peut être la poésie en 1944, Desnos est surtout sensible aux tensions, voire aux contradictions auxquelles elle lui paraît être soumise. « La poésie peut être ceci ou cela. Elle ne doit pas être forcément ceci ou cela… sauf délirante et lucide22. » Ouverte sans limites aux divagations de l’imagination, elle doit aussi à la fois leur donner forme transmissible et prendre en compte l’urgence du moment présent. En ce sens « la grande poésie peut être nécessairement actuelle, de circonstance… elle peut donc être fugitive23. » En ces années d’Occupation, affiner et parfaire « la technique poétique » n’a de sens qu’à porter le moment présent et à témoigner de ses violences. La science poétique est indissolublement liée à la conscience politique. « Il y a une constante poétique. Il y a des changements de mode. Il y a des changements de manies. Il y a aussi des motifs d’inspiration si impérieux que, à tout prix, il faut qu’ils soient exprimés. Ces motifs d’inspiration existent en ce moment et ils doivent s’exprimer en ce moment24. »
Dans quelle mesure les vingt-cinq poèmes de Contrée répondent-ils à cet impératif catégorique ? On ne peut guère douter que l’Occupation, la France envahie, les rafles et les violences qui se multiplient ne figurent parmi les motifs impérieux auxquels Desnos fait allusion. Plus encore, dans de telles circonstances, la nécessité de ne pas perdre espoir, de ne pas céder au malheur.
Le titre du recueil — « contrée » désignant « une certaine étendue de pays », « une région » — brille par sa banalité et son économie : nul qualificatif ne vient spécifier le lieu. Comme les titres des poèmes y incitent — titres génériques qui apparient l’article défini au nom —, le lecteur se voit proposer diverses versions du locus amoenus de la tradition poétique : la cascade, la rivière ou la plage pour se rafraîchir, les activités champêtres saisonnières — la moisson, la vendange, les plaisirs simples de la sieste, de la nuit d’été. À l’appel de ces noms, chacun peut évoquer en écho les paysages qui lui sont familiers — Desnos s’inspire peut-être de sa Normandie d’origine. Bref, idylles et églogues pourraient illustrer cette « contrée » aussi littéraire que vécue. Cependant en 1942-1943 ces joies du passé se révèlent hors d’atteinte ou plutôt défigurées par les horreurs du présent. Les paysages ne sont plus accueillants aux jouissances simples et aux amours heureuses. D’amoenus le lieu est devenu horribilis : meurtres et saccages envahissent une contrée qui n’y était nullement destinée. C’est cette intrusion dévastatrice, parfois ponctuelle, parfois plus développée, qui donne au paysage son ambiguïté et le soumet à d’étranges métamorphoses.
L’on ne peut alors que souscrire à l’interprétation des commentateurs qui entendent « contrer » dans « contrée ». Pour le poète il s’agit de rappeler qu’il faut contrer l’adversaire nazi, s’opposer à ses exactions, lui signifier qu’il ne remplira pas son contrat d’écraser le pays qu’il occupe. Le lecteur est donc amené à une lecture soupçonneuse des poèmes de Contrée, qui proposent des tableaux faits de contrastes, où le réel et l’imaginaire, le constat et la prophétie, le désespoir et l’espoir coïncident de façon « délirante et lucide ».
Cette pratique du mélange se saisit d’abord dans la composition de l’ensemble du recueil. Ainsi la chanson alerte du « Souvenir » trouve-t-elle un écho optimiste dans « La Prophétie » qui s’achève sur « le gage le plus sûr des printemps à venir25 », mais elle contraste avec « La Peste » et son affiche jaune ou « Le Sort » qui jette l’anathème sur un « tu » qui ne saurait être obscur pour un lecteur un tant soit peu sur ses gardes : « J’ai souhaité ta mort et rien ne peut l’empêcher de venir prématurément26. » C’est toutefois au sein même des poèmes que le jeu des tensions et des métamorphoses opère avec le plus d’effet.
Il suffit de trois strophes au poème « Le Coteau »27 pour créer une double scène : la scène tenue pour réelle, une forge à la campagne le soir, avec des cris d’enfants et des abois de chien, sur laquelle se greffe l’autre scène de terreur :
Les cris sont déchirants de l’enfant qu’on égorge.
Le chien appelle en vain. Un sort est sur ces lieux.
Fantasme passager ? Plutôt signe d’une angoisse profonde que rien ne vient apaiser :
L’aube peut revenir et le soleil nous prendre.
En vain : les aboiements et les cris perceront
L’épaisseur de la nuit, l’épaisseur de la cendre
Qui remplissent nos cœurs, qui brûlent sous nos fronts.
« La Route »28, poème formé de trois huitains d’heptasyllabes, avec quatrain final, offre une « moralité » qui clôt une vision ancrée dans le réel immédiat :
Une route est près d’ici,
J’entends le bruit des voitures,
Le vent, les pas indécis
D’une lourde créature…
Cette « créature » se déploie « jusqu’aux nuages » — « Est-ce Hercule ? Ou est-ce Atlas ? » — puis s’effondre, sans laisser de traces. Envoi :
Ainsi disparaît celui
Qui voulait dicter aux âges,
Aux vents, aux jours et aux nuits.
Ainsi doit disparaître le monstre hitlérien : telle nous paraît ici la leçon de cette fable.
Enfin « Le Réveil »29 commence par jouer sur quatre strophes d’alexandrins une incitation à la vie quotidienne :
Il est tard. Levez-vous. Dans la rue un refrain
Vous appelle et vous dit « Voici la vie réelle ».
pour détacher, en contraste final, un rappel abrupt du règne de la mort :
Pourtant pensez à ceux qui sont muets et sourds
Car ils sont morts, assassinés, au petit jour.
Dans la plupart des poèmes de Contrée le réel quotidien, le paysage le plus familier se transforment un instant pour accueillir des fantômes — issus de la mythologie, de l’imagination du poète ou de sa veille inquiète — porteurs évanescents du sens qui anime les images.
Quelques poèmes, peut-être parce qu’ils usent moins de détours, et sans doute aussi parce que le sort du poète semble s’y jouer, ont retenu l’attention des lecteurs. Citons les deux poèmes où Desnos évoque sa propre mort, à venir dans « Le Cimetière », accomplie dans « L’Épitaphe ». Dans ce dernier texte, il rappelle son combat : « J’étais libre parmi les esclaves masqués » et ses convictions matérialistes athées :
Vivants, ne craignez rien de moi, car je suis mort.
Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps30.
Le ton presque allègre de ces deux poèmes dans lesquels le poète signe sa propre mort laisse paradoxalement entendre sa détermination à défendre la vie et ce qui fait son prix : la liberté. Il rejoint le cri révolutionnaire : « La liberté ou la mort ! »
Sans doute « La Voix » est-il le poème le plus cité de Contrée. On sait que le motif de la voix court à travers toute l’œuvre du poète31 et que Desnos a revendiqué une poésie faite pour l’oralité, qui se dit plus qu’elle ne se lit. Le poème suggère « une voix », issue peut-être de la rêverie du poète, ou parvenue plus sûrement de Radio-Londres — l’une n’excluant pas l’autre.
De ce poème dédié à l’espoir, il subsiste d’intéressants manuscrits de travail32. Le premier met en place le thème d’un sonnet, en prose cadencée. Un premier titre « Le Cri » a été biffé et remplacé par le titre définitif.
Une voix qui ne fait plus résonner
les oreilles tant elle vient de loin
parvient cependant jusqu’à nous
et ses syllabes sont distinctes bien
que prononcées sur un timbre
de ténèbres.
Cette voix est à la voix normale
ce que la nuit est au jour et
bien qu’elle couvre le monde entier
celle d’une femme.
Je l’écoute. Elle me parvient à
travers tous les fracas de la vie et
des batailles et des bavardages
Ne l’entendez-vous pas ? Elle dit :
« Confiance, courage, espoir » et « Gardez
le même cœur. »
Le mouvement d’ensemble est repris dans une deuxième version, qui module les images et dégage les rythmes :
Une voix qui ne fait plus résonner les oreilles
Tant elle vient de loin
Parvient pourtant distinctement jusqu’à nous
Voilée comme un tambour funèbre.
Elle ne parle cependant que d’été et de printemps
Et bien qu’elle semble sortir d’un tombeau
Elle allume le sourire sur les lèvres
Et met la joie au cœur
Je l’écoute. Ce n’est qu’une voix humaine.
Elle me parvient à travers tous les fracas de la vie et des batailles
Le bruit du tonnerre et le murmure des bavardages
Ne l’entendez-vous pas aussi ?
Elle dit que notre peine sera de peu de durée
Elle dit : courage ! Elle dit : espoir.
La version publiée33 amplifie la présence de la voix, dans le premier quatrain par la répétition du mot, dans le second par l’insistance sur « elle ». Répondant à « Je l’écoute », noyau resté stable depuis la première version, la formulation du tercet final, par l’interpellation directe « Et vous ? » et la répétition de « vous » dans « ne l’entendez-vous pas ? », insiste sur l’oralité, de même que l’introduction en discours direct des paroles prononcées par la voix. Surtout les phrases qui remplacent les incitations premières au courage et à l’espoir miment de façon efficace les messages codés envoyés de Londres. Enfin, l’ultime répétition de l’adresse au lecteur laisse peu de chance à ce dernier de se dérober à l’écoute.
L’année 1943 est marquée par une intense activité littéraire pour Desnos. Le recueil État de veille, le roman Le vin est tiré… paraissent. Le Bain avec Andromède est confié à l’éditeur. Contrée s’achève, Calixto est sur le métier. Jalonnant ce travail, des notes, brèves mais souvent incisives, voire polémiques, accompagnent l’œuvre en cours d’élaboration. Ainsi disposons-nous de « Notes sur le roman », de « Réflexions sur la poésie » ou de « Notes Calixto » pour suivre le poète dans ses expériences d’écriture. Nous avons déjà cité certaines remarques ; nous y revenons ici pour préciser quelques références assez éclectiques et personnelles que le poète revendique pour conforter ses propres recherches.
De toujours grand lecteur, le poète en vient à se demander si « l’immensité du bagage poétique après tant de siècles ne justifierait pas un utile travail de classification. » Ce tri, Desnos l’amorce pour lui-même, en fonction des questions que l’urgence du moment impose35. Quelques noms reviennent avec insistance. « Villon, Gérard de Nerval, Góngora me paraissent avec le grand Baffo des sujets de réflexions actuelles quant à la technique poétique. Unir le langage populaire, le plus populaire, à une atmosphère inexprimable, à une imagerie aiguë, annexer des domaines qui, même de nos jours, paraissent incompatibles avec le satané “langage noble” […], voilà qui me paraît besogne souhaitable36. » Revenant sur ces noms37, Desnos précise les motifs de ses choix : Villon, maître d’une « poésie populaire et secrète », « plus hermétique d’être masquée par la simplicité » ; Nerval, « de qui il faudra bien repartir pour se libérer de Mallarmé, de Rimbaud, de Lautréamont » ; Góngora, pour « l’étonnante vie que gardent ses images » ; Baffo, pour sa « liberté de parole » dans le domaine érotique38.
Ces références du passé devenues majeures pour Desnos en 1943-1944 n’en excluent pas d’autres, moins insistantes mais également significatives. Le poète n’ignore pas les publications du moment dans lesquelles puiser. Ainsi note-t-il dans « Réflexions sur la poésie » : « Chacun trouve son aliment poétique où il lui plaît. La lecture des Dieux verts de Pierre Devaux m’a plus appris sur un mécanisme possible de l’image poétique que tel ou tel pesant article39. » En 1943 Les Dieux verts paraissent aux éditions de la Nouvelle Revue Critique, à Paris, avec, comme sous-titre, « Nouvelle mythologie écrite en langue verte » et des illustrations de l’auteur. De « L’Amour et Psyché » à « Pygmalion », dix-neuf récits traitent avec un humour gaillard d’épisodes de la mythologie gréco-latine, où se glissent parfois des allusions à la vie contemporaine. La jouissance verbale de l’argot n’entraîne aucune obscurité dans la lecture — sans doute parce que le lecteur connaît la trame des aventures évoquées, mais aussi parce qu’il s’agit d’un argot littéraire, porté par une syntaxe limpide. D’où la remarque de Desnos, dans « Notes Calixto » : « L’inimitable sens de Pierre Devaux qui invente l’argot au fur et à mesure qu’il l’écrit40. » C’est bien le « don de l’invention » et la saveur de la langue verte que Desnos goûte dans Les Dieux verts de celui auquel il dédie lui-même un sonnet en argot, « À Pierrot les grandes feuilles sur le fait des Dieux verts »41.
Si la connivence du poète avec Pierre Devaux ne saurait surprendre, la référence à André Chénier par le biais de Pierre Naville est de prime abord inattendue : « Naville dans son d’Holbach m’a réconcilié, en quelques lignes, avec Chénier42. » En 1943 en effet, l’ancien compagnon de l’aventure surréaliste publie chez Gallimard Paul Thiry d’Holbach et la philosophie scientifique au XVIIIe siècle. André Chénier s’y trouve évoqué, en particulier pour son poème « L’Invention » et son ambitieux projet « Hermès ». Sous la bannière du messager des dieux, qui pouvait figurer l’humanité conquérante sur le chemin de la civilisation, des sciences et des arts, Chénier avait entrepris une vaste fresque embrassant l’histoire de l’homme dans le monde. En s’appuyant sur les découvertes les plus récentes de son époque, il travaillait à une œuvre rivale de celle d’un Lucrèce pour l’Antiquité. Seules des notes et des ébauches subsistent de cette entreprise qui, par son souci de témoigner du temps présent tout comme de concilier poésie et savoir scientifique, pouvait retenir Desnos. De plus les deux poètes n’étaient-ils pas soumis l’un et l’autre à une oppression sanguinaire, dont Desnos sentait de plus en plus imminente la menace ? Celui qui jadis s’était identifié, par jeu onomastique et conviction révolutionnaire, à Robespierre, et celui qui était tombé victime de la Terreur n’incarnaient-ils pas tous deux le poète traqué pour n’avoir pas renoncé à ses convictions ? Sans doute aussi, à lire « L’Invention », Desnos reconnaissait-il un choix poétique qui était alors le sien : interroger les œuvres du passé non pour les imiter mais pour s’en inspirer ; telle était la leçon de Chénier par rapport aux anciens :
Pour peindre notre idée empruntons leurs couleurs ;
Allumons nos flambeaux à leurs feux poétiques ;
Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques43.
Témoignage encore de cette attention de Desnos au passé littéraire, ravivé par l’actualité : les annotations que Desnos a portées sur certaines pages de l’Anthologie de la poésie religieuse française, établie par Dominique Aury et publiée chez Gallimard en 1943. La Céppède ou Sponde retiennent particulièrement son intérêt. Comment n’aurait-il pas entendu la méditation de ce dernier sur la précarité de la vie humaine dans ses Sonnets de la mort ?
J’ai vu fondre la neige et ses torrents tarir,
Ces lions rugissants je les ai vus sans rage,
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir44.
La première apparition de la nymphe antique dans les ébauches manuscrites dont nous disposons45 se fait par une dénomination directement issue de l’étymologie grecque :
Chair de la nymphe Callisto,
Comme une étoile se libère.
Callisto, dont la légende est rapportée dans Les Métamorphoses d’Ovide est, selon l’étymologie, « la plus belle » des nymphes qui entourent Artémis, la chaste déesse chasseresse. Prise dans son sommeil par Zeus, dont la libido sans frein est notoire, elle subit diverses métamorphoses : enceinte, elle est d’abord transformée en ourse par Héra, puis tuée d’une flèche par Artémis et finalement devient, par l’intervention de Zeus, la constellation de la Grande Ourse au ciel : quel destin ! Et que de changements de nature ! Femme, animal, étoile, capable de porter tous les symboles, érotique et pensive, terrestre et stellaire, victime vouée à la mort et pourtant sauvée pour l’éternité.
Sans doute hérite-t-elle d’apparitions antérieures dans l’œuvre de Desnos. Érotique-voilée, humaine et animale, elle fait écho à Louise Lame, au moment où celle-ci se dévêt progressivement pour ne plus garder sur sa chair désirable que son manteau de léopard : « Nue, elle était nue maintenant sous son manteau de fourrure fauve46. » Vivante et minérale, elle assure par sa double nature un lien entre les règnes hétérogènes, comme la nageuse des « Veilleurs » qui « s’illuminant à chaque brasse […] conciliera l’amour avec la liberté47. » En 1943, Andromède lui fait en quelque sorte directement concurrence : elle aussi, jeune fille hantée par un monstre qu’elle suscite et dont elle est victime, devient constellation au ciel.
Enfin, « La Nymphe Alceste » dans Contrée, apparaît comme la sœur de la Grande Ourse au ciel :
Mais saurai-je à ta sœur qui doit naître en plein jour,
Nymphe Alceste, annoncer, dès midi, le retour
Du crépuscule, de la nuit et du silence48.
« Callisto », en général « Calisto » dans les dictionnaires mythologiques49, devient sous la plume du poète « Calixto ». On peut s’interroger sur cette métamorphose linguistique, très vite intervenue dans les manuscrits, qui renvoie au prénom masculin espagnol « Calixto ». Ce passage du « s » au « x » répond-il à une préférence sonore — le « x » éclatant là où le « s » s’insinue ? Ce motif a pu jouer50. Mais on ne peut écarter l’ambiguïté que la graphie choisie par le poète introduit entre féminin et masculin. En 1943 paraît aux éditions de la Nouvelle France, une adaptation par Paul Achard de La Célestine, tragicomédie de Calixte et Mélibée51 — Calixte désignant le rôle masculin. Pour l’hispanisant qu’était Desnos, Calixto sonne vraisemblablement masculin. Pour suivre jusqu’au bout cette piste, l’hypothèse n’est pas exclue qu’un Calixto historique ait pu faire pencher la balance dans le choix de ce nom. En effet, Desnos qui, depuis son voyage à Cuba en 1928, restait en contact actif avec les révolutionnaires cubains qui voulaient renverser le dictateur Machado, était bon connaisseur de l’histoire de l’île : à la fin du XIXe siècle, le général cubain Calixto Garcia avait lutté avec un acharnement exemplaire pour libérer Cuba de l’occupation espagnole. Calixto était ainsi l’image même du résistant qui lutte sans faiblir jusqu’à la victoire.
Pour dire ce qui semble résulter de ces remarques, c’est que la nymphe Calixto, qui n’en serait plus à une métamorphose près, serait un symbole ouvert à toutes les incarnations possibles : le masculin comme le féminin, le vivant comme le monde au sein duquel le vivant s’inscrit. Ou autrement dit, Calixto détiendrait la clé qui permet de passer d’un domaine à un autre, porterait une image collective au-delà de toute identification sexuelle. Allégée de son histoire mythologique, elle peut accueillir en son image le destin de l’univers.
Ces glissements et échanges entre masculin et féminin, on en saisit le jeu et la trace tout au long du parcours de Desnos. Il prend un malin plaisir à s’emparer du travesti féminin de Marcel Duchamp, Rrose Sélavy, pour en faire le symbole de la poésie ; crée Louise Lame, dans La Liberté ou l’amour ! à partir de Louis Morin, de Nouvelles Hébrides. Quand en 1942, il reprend un poème de 1936 « Histoire d’un ours », il en développe les cinq premières strophes pour y ajouter onze strophes supplémentaires et transforme alors l’« ours » en « ourse »52.
Calixto ? Vocable reflet, né du baiser de multiples sources, synonyme de liberté, d’amour et de poésie, image de tout lecteur qui vient s’y mirer, image de Desnos lui-même. « Nymphe prétexte », elle rassemble en son cri la clameur de tous : « Tu, vous, les autres, nous, clames, clamez, clamons…53 » ; elle est « l’étoile de la terre »54, accordée au « couple parfait » des « enfants de la terre »55. « Passante » en perpétuelle métamorphose, elle traverse le poème sans jamais s’y fixer : « Ton être se dissout dans sa propre légende »56 le dit exactement.
Achevé en septembre 1943, Calixto partage avec Contrée le recours aux formes closes du sonnet et, avec Le Bain avec Andromède, la volonté de donner au recueil une structure d’ensemble qui fasse sens. Toutefois la mise en œuvre d’une architecture allégorique est appuyée dans Le Bain avec Andromède : les neuf épisodes, pourvus chacun d’un titre, tout en laissant place à l’évocation de Paris occupé par le monstre nazi, brosse les tableaux de l’aventure humaine, avec ses fantasmes, ses plaisirs et ses drames, au sein de la grande mécanique du monde57. Calixto procède de façon plus nuancée, renonçant à toute coupure entre ses différents moments pour privilégier le flux d’ensemble sur l’autonomie des parties qui ne sont annoncées par aucun titre. D’où, à la lecture du recueil, le sentiment d’un tressage des textes plus que d’une succession nettement ponctuée. De ce mouvement d’ensemble Desnos a précisé le déroulement formel dans une page manuscrite : « Dix huitains classiques / dix huitains en argot / quatre sonnets / neuf sixains / deux sonnets / quatre huitains classiques / trois sixains / un huitain en argot / deux huitains classiques58. » Dans cette répartition des formes, les huitains d’octosyllabes, présents au début, au milieu et à la fin de l’ensemble en assurent de façon allègre la continuité. Les sixains, en particulier dans leur première apparition, font contraste par leur caractère massif — les vers s’y déployant jusqu’à seize syllabes et favorisant un souffle oratoire, voire démonstratif. Les sonnets, encadrant les sixains, s’individualisent par leur forme close et l’usage de l’alexandrin.
Que les préoccupations de technique poétique aient eu leur rôle dans l’élaboration de Calixto, il suffit pour s’en convaincre de consulter certains manuscrits de travail où rythmes, rimes, agencements sonores sont l’objet d’une attention méticuleuse. Par ailleurs Desnos note que « la poésie se paie de mots et [qu’]elle ne peut faire autrement59. » Ce qui ne saurait la tenir hors des « plus graves questions : le bonheur, le devenir des hommes, la nature de l’être60. » À ces questions, Calixto ne se dérobe pas : l’on y décèle une déclaration résolue d’athéisme que les progrès dans la connaissance scientifique viennent conforter. De la naissance à la mort, le destin humain s’écrit sur terre, dans un cosmos dont les lois ne sont pas tournées vers l’homme. Aussi Desnos en vient-il à suspecter « la poésie-drogue » qui donne consistance réelle à ce qui ne relève que du rêve ou de l’imagination. Assurément la poésie use de la magie des images, mais « l’image n’est pas toute la poésie61. » En particulier, il y a pour le poète une « physique de la poésie » qui doit tenir compte de la « ressemblance entre l’inspiration et le désir. » Certes « le meilleur poème n’assouvit pas son auteur62 », mais, avec Baffo par exemple, la poésie assume cette dimension érotique dont Desnos disait dès 1923 qu’elle était constitutive de l’être humain et relevait de la philosophie : « Toute philosophie est incomplète, dont la morale ne comporte pas une “Érotique”63. »
Dans Calixto, les deux parties en sixains dont les vers se déploient au-delà de l’alexandrin nous semblent consacrées à développer des choix philosophiques auxquels l’incertitude des circonstances historiques donne peut-être une urgence accrue : il faut savoir ce qu’est l’homme et ce que l’on peut attendre de lui pour le défendre dans un combat risqué.
Dans un discours véhément, le poème « Cesse, ô Calixto, de crier… », tend à conjurer la perte des plaisirs les plus simples et quotidiens : « Ah ! que le destin nous préserve toujours du pain sans levain, / Des nuits sans rêves, des ciels sans astres et des caves sans vin », tout en rappelant à l’homme qu’il ne peut compter que sur lui-même dans un monde qui l’ignore : « Et s’il est une cause au tourbillon d’étoiles et d’atomes / […], si elle est, elle est indifférente à nous, / À nos vertus et à nos lois. Époussetez donc vos genoux64 ! »
En écho à cette harangue, une idylle naïvement tendre décrit le bonheur d’un couple naissant, celui de l’avenir, « le couple parfait », lavé du péché originel : « On dit, et de cela on est sûr, qu’ils sont les enfants de la terre / Que leurs vertus, leurs pensées et leurs désirs ignorent tout ce qui n’est pas la terre, / Qu’ils goûteront sans danger à tous les fruits65. »
Entre cette profession de foi matérialiste et ce conte laïc, situés l’un et l’autre hors temps, la suite des séquences en huitains revient à la situation la plus immédiate, celle où le poète se débat. Sa pensée, où passent des fantasmes érotiques, est tendue vers l’attente d’une délivrance — celle que doit apporter le débarquement allié : « Avec des femmes que j’ignore, / Ô mes amis d’Outre-Océan […] / Vous déterrez la mandragore. / Je suis toujours du même clan, / Je guette au même sémaphore, […] / Le prochain signal de morte-eau66. » Est-ce en réponse à l’évocation de ces amis lointains que Desnos, dans la deuxième séquence de huitains, désigne un hic et nunc précis : « Baignant nos pieds, voici la Saône / Voici des ponts, voici du vent, / Voici Lyon et voici le Rhône67 », où semble se dérouler une scène érotique : « Car cette nuit est nuit de noces », « Un couple, sous le ciel, s’épouse » — couple préfigurant peut-être celui du conte qui va suivre. Rappel peut-être aussi d’un moment de jouissance volé à la mort qui menace ?
L’irruption de strophes en argot dans un poème en langue classique est sans doute la hardiesse formelle qui donne à Calixto sa saveur particulière : « le satané “langage noble”68 » accueille en son sein la forme la plus extrême de la « poésie populaire et secrète69 ». Comme l’a superbement montré Victor Hugo70 dans Les Misérables, l’argot est la langue des pauvres, de la pègre, des opprimés, des « ténébreux71 ». C’est « toute une langue dans la langue72 », qui donne la parole à ceux qui en sont privés et leur permet une entente secrète. C’est une langue qui, sous des aspects facétieux, libère les passions autrement réduites au silence. L’argot, qui libère la parole empêchée, est d’abord d’usage oral. Mais, avec Villon par exemple, il s’inscrit dans le panthéon littéraire. Contestataire ou transgressif, l’argot fait partie de la littérature.
C’est bien à cet argot littéraire que Desnos a recours dans Calixto. Le poète y trouve à la fois la jubilation de dire, sous couvert, ce qui doit être tu, mais plus encore, il y expérimente ce qu’il considère comme la forme la plus accomplie de la poésie. Par la formule « L’argot et ses sens incertains, vibrants, oscillants. Le langage poétique73 », Desnos identifie le fonctionnement du langage poétique à celui de l’argot ; une même oscillation du sens les caractérise : à la signification univoque du discours ordinaire, la poésie comme l’argot oppose le déploiement possible de sens variés. « Théorie du double sens (immédiat et second) indispensable à la poésie74 », note le poète : le poème doit laisser entendre un autre sens sous le sens offert à la première lecture. C’est ainsi que, dans les circonstances les plus répressives, « la poésie peut parler de tout en toute liberté75 », car le dit couvre l’interdit.
Dès « Le Fard des Argonautes », en 1919, Desnos laissait entendre cette vocation à l’ambiguïté de la poésie et dans Calixto, l’allusion aux « jours de la nef Argo » renvoie moins aux temps mythiques qu’aux débuts littéraires du poète. Le « fard » de 1919 se trouve vite relayé en 1922 par les jeux de Rrose Sélavy, créateurs eux aussi d’une langue dans la langue à la manière de l’argot : « L’argot de Rrose Sélavy, n’est-ce pas l’art de transformer en cigognes les cygnes76 ? » Ces raffinements littéraires, s’ils manifestent l’intérêt précoce du poète pour les doubles fonds de la langue, laissent surtout entendre une jouissance virtuose dans l’usage qui en est fait.
Cette jouissance reste perceptible dans les strophes en argot de Calixto. En 1943, pour le poète « traqué », « prisonnier aux aguets », l’argot est devenu le moyen de débonder sa colère et sa haine contre l’oppresseur. En écho aux sonnets d’« À la caille » qui fustigent Pétain, dit « Maréchal Ducono », ou Pierre Laval, dit « Pétrus d’Aubervilliers », les strophes argotiques de Calixto jettent de façon jubilatoire l’anathème sur l’occupant et les collaborateurs qui le soutiennent. L’usage humoristique de l’argot proposé par Pierre Devaux dans Les Dieux verts vire, sous la plume de « Canrobert », à l’insulte ordurière. Si les éléments — feu, eau, air, terre — sont appelés à la rescousse pour liquider l’ennemi, c’est l’action des résistants qui est mise en avant :
Mais plus que rif, air, bouzin, lance
Feront les pognes des butteurs
Pour liquider la connivence
Et le sapement en instance77.
La dernière strophe en argot de Calixto s’achève par une signature qui fait de multiples manières écho. D’abord et de toute évidence écho à un maréchal de France tenace dans l’optimisme, qui terminait régulièrement ses rapports de campagne en Crimée par « Tout va bien, signé Canrobert78 ». Écho également à ces emprunts onomastiques dont Desnos était coutumier. Ainsi, dans les années vingt, Desnos pouvait se sentir investi d’une vocation révolutionnaire par ses prénoms Robert Pierre qui rappelaient le nom de Robespierre ; dans les années trente, parmi les « Sans cou », il déclinait ses identités variées : « “Vous avez le bonjour, / Le bonjour de Robert Desnos, de Robert le Diable, de Robert Macaire, de Robert Houdin, de Robert Robert, de Robert mon oncle” / J’en passe et des meilleurs79. » Un tel Frégoli allait donc trouver en 1943 son ultime métamorphose, l’une des plus significatives, eu égard à la situation du moment. Le message final de Calixto devait être entendu comme « Tout va bien, signé Canrobert / Robert Desnos. »
Cet optimisme était-il fondé ? En septembre 1943 — date d’achèvement de Calixto que Desnos a pris soin d’indiquer —, le sort de la guerre était en train de changer : Rommel était battu en Afrique ; les Anglo-Américains avaient débarqué en Italie pendant l’été ; l’Armée Rouge reprenait l’offensive sur le front est ; les bombardements alliés se multipliaient sur l’Allemagne et sur la France. Les conditions semblaient réunies pour qu’un prochain débarquement allié ait lieu et mette enfin l’occupant hors de France. Dans l’opinion publique l’espoir d’une fin prochaine du conflit se propageait80. Desnos lui aussi espérait proche « le jour de la Saint-Bâton » : « Elle n’est pas folle la guêpe / Qui, dans la noye, ô Calixto / Entrave ce jour pour bientôt81. »
Ces prévisions d’une libération proche se trouvèrent démenties par le cours plus lent des événements : les Allemands opposaient une forte résistance en Italie, le débarquement de Normandie n’interviendrait qu’en juin 1944. Le « tout va bien » de Desnos/Canrobert relevait donc de l’acte de foi — ou de la méthode Coué — plus que d’une estimation exacte de la situation militaire. Le moment était toutefois venu pour Desnos d’inciter à une mobilisation pour la lutte armée dans Paris. « Gigot », c’est-à-dire « J’y vais », indique clairement que Desnos allait passer à l’action directe82.
La liberté, l’amour, la poésie, cette trilogie de valeurs indissociables, hautement revendiquée par Desnos au temps du surréalisme, restait d’actualité au moment où s’achevait Calixto. Une ultime note de janvier 1944, qui joue sur les trois termes, se termine par cette pirouette désinvolte : « Pas besoin de se tourmenter. Comme dans la chanson : “C’est l’amour qui nous la rendra la… la poésie”83. » Ici un mot en laisse entendre un autre : sous la poésie, la liberté. En effet, Desnos renvoie son lecteur à la valse des Saltimbanques84, dont voici quelques vers :
Après le sombre orage
Vient le soleil doré
Après notre esclavage
Viendra la liberté […]
C’est l’amour qui flotte dans l’air à la ronde
C’est l’amour qui console le pauvre monde
C’est l’amour qui rend chaque jour la gaîté
C’est l’amour qui nous rendra la liberté.
« Pas besoin de se tourmenter », dit le poète : est-ce si sûr ? En recourant à cette rengaine populaire n’essayait-t-il pas au contraire de calmer une sourde inquiétude que son arrestation le 22 février allait confirmer ? Ce jour-là Desnos perdait la liberté. Mais, emprisonné, il n’allait pas cesser de miser jusqu’à son dernier souffle, le 8 juin 1945, sur la poésie et l’amour. Mourant libéré au camp de Terezin, il avait pu dire aux jeunes Tchèques qui l’assistaient et avaient reconnu son nom : « Oui, oui ! Robert Desnos, poète français, c’est moi ! C’est moi85 ! » Il avait pu évoquer pour eux Youki, Paris où il fait bon vivre, les amis à retrouver.
Canrobert donnait le dernier mot à Robert Desnos.
« Il n’est de beau poème qu’un poème imposé à l’auteur par une puissance intime86. » Cette remarque de Desnos nous paraît éclairer sa relance de l’activité poétique en 1943. Si pressantes qu’aient été les contraintes que l’Occupation imposait, si incitante à l’écriture que se soit montrée la lecture de la grande tradition poétique — française, espagnole ou italienne —, si stimulante que se soit révélée la confrontation de la poésie avec la science, la convergence de toutes ces sollicitations n’aurait pas suffi à Desnos pour reprendre en 1943 une vie de poète — qu’il avait eu l’impression d’« enterrer » dans la postface de Fortunes en 1942 — si cette « puissance intime » qui chez lui lie de façon intense l’érotisme et le goût de la liberté ne s’était imposée à sa pensée. C’est d’abord à ces « circonstances » personnelles que Contrée et Calixto ont répondu. Le message de résistance à l’occupant est certes perceptible dans ces recueils, mais à travers les exaltations et les fantasmes d’une imagination qui ne trouvait à se satisfaire que dans l’activité poétique elle-même. Les poèmes de Contrée et de Calixto ont répondu d’abord à une urgence intime dont la violence parfois délirante trouvait à s’exprimer dans l’exercice d’une poétique méditée et dans l’affrontement d’une situation destructrice. « La poésie peut être ceci ou cela. Elle ne doit pas être forcément ceci ou cela… sauf délirante et lucide87. » Cette ardeur clairvoyante a toujours eu pour foyer une image féminine, littéraire ou légendaire, comme Rrose Sélavy, Louise Lame ou Calixto, aimée de corps et d’âme, comme Yvonne ou Youki. Et le débat fut toujours : la poésie conciliera-t-elle l’amour avec la liberté ? Peut-être est-il encore ouvert.
MARIE-CLAIRE DUMAS
1. Voir Œuvres, Gallimard, Quarto, p. 985, « Histoire d’une ourse ». Dans la suite, Œuvres renverra à cette édition.
2. L’eau-forte est datée du 23 décembre 1943. Voir p. 4.
3. Peut-être s’agit-il du livre « qui devait être édité à Bruxelles », évoqué par Desnos dans sa lettre à Youki du 7 janvier 1945, pour lequel il espérait une illustration de Picasso. Voir Œuvres, p. 1278.
4. Œuvres, p. 1277.
5. Lettre à Youki du 7 janvier 1945, Œuvres, p. 1279.
6. Desnos cite cavalièrement la formule poétique no 22 : « Rrose Sélavy peut revêtir la bure du bagne, elle a une monture qui franchit les montagnes. », Œuvres, p. 503. Rappelons que c’est encore à Rrose Sélavy que Desnos adresse ce qui est le dernier poème qui nous soit parvenu, un sonnet écrit au camp de Royallieu, daté du 6 avril 1944 : « Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres […] », faisant déjà de cette figure poétique la seule source d’évasion à la disposition du poète emprisonné.
7. En septembre 1942, Robert et Youki ont passé leurs vacances au Molay-Littry, près de Bayeux, à la lisière de la forêt de Cerisy, où une mine de charbon désaffectée avait été rouverte par les troupes d’occupation allemandes en 1940. Des rampes de lancement de V1/V2 furent également construites dans le parc du château de Molay, probablement en 1943. Outre la cueillette des champignons et la culture du sonnet, il est probable que Desnos mit à profit son séjour pour recueillir des informations sur les diverses activités de l’ennemi dans cette contrée de Normandie, qui allait être le lieu du débarquement allié en juin 1944. Il n’est pas interdit de penser que la « belle campagne normande » pouvait désigner à mots couverts, outre les charmes de la Normandie, le succès dans la recherche de renseignements sur les activités militaires des troupes allemandes.
8. Cahier de l’Herne, Robert Desnos, 1987, p. 304-305. Le manuscrit de cette lettre est conservé à la Bibliothèque Paul Destribats : il permet d’apporter une correction à la transcription fournie par L’Herne. « J’aime ton petit bouquin. C’est même un de ceux que je préfère sinon celui que dito » a été transcrit « sinon celui que j’édite ». Par « dito » Desnos fait allusion à Contrée, précédemment cité. La lettre était accompagnée du manuscrit de cinq poèmes qui allaient trouver place dans Contrée : « La Peste », « La Nymphe Alceste », « La Voix », « La Vendange », « L’Équinoxe », numérotés de XVII à XXI. Ce qui laisse penser que les poèmes de Contrée ont été composés pour l’essentiel en 1942.
9. Œuvres, p. 999.
10. Dans Robert Desnos, les grands jours du poète, José Corti, 1988, Michel Murat consacre des pages éclairantes à ces expérimentations poétiques du Desnos des années quarante (p. 163-184).
11. L’Herne, p. 304.
12. Œuvres, p. 1204, « Réflexions sur la poésie ».
13. L’Herne, p. 304.
14. L’Herne, p. 305.
15. Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, dans le fonds Desnos, le manuscrit DSN 196.
16. « La Vendange » et « L’Équinoxe » font partie, avec « La Peste », « La Nymphe Alceste », et « La Voix » des poèmes que Desnos a joints à sa lettre à Éluard comme exemples de ses recherches en cours.
17. Le quatrain ajouté brosse une vision de champ de bataille, qui fait écho de façon décalée aux jeux du cirque évoqués d’abord : « Des tas de soldats tués pourrissent sous les buttes […]. »
18. Les strophes d’accueil évoquent un paysage bouleversé, avec un « arc-en-ciel de nuit », dans lequel la présence de l’évêque Denis semble décalée, sinon qu’elle introduit des références de lieux, en particulier Argenteuil, qui a connu une rafle violente en octobre 1942.
19. Vus dans leurs détails, les états manuscrits de « La Vendange », L’Équinoxe », « La Plage » qui accompagnent le manuscrit de « Souvenir d’Orphée » montrent de façon exemplaire les « tâtonnements » du poète dans sa recherche du meilleur agencement possible pour arriver aux poèmes publiés. On a noté que les redistributions semblaient viser à associer le mythologique et le réel.
20. L’Herne, p. 305.
21. Œuvres, p. 1204. « Réflexions sur la poésie » est un ensemble de notes, datées de janvier 1944, qui ont paru sous le titre « La poésie, les poètes et leurs jeux » en 1947, dans la revue Septembre. Elles abordent des sujets généraux, comme la renaissance de la poésie, les écoles littéraires, sur un ton volontiers polémique.
22. Œuvres, p. 1204.
23. Ibid.
24. Œuvres, p. 1203.
25. Voir p. 49.
26. Voir p. 50.
27. Voir p. 41.
28. Voir p. 42.
29. Voir p. 66.
30. Voir p. 67.
31. Il suffit de rappeler le poème « La Voix de Robert Desnos », premier poème des « Ténèbres », dans Corps et biens (Œuvres, p. 545).
32. Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, les manuscrits sous la cote DSN 91. Les deux versions de travail que nous publions ici sont donc inédites.
33. Voir p. 61.
34. « Notes Calixto », voir p. 98. Cette présentation du titre, où Calixto réfère au personnage et non au titre du recueil, s’est imposée par l’usage.
35. Si les questions que se pose Desnos peuvent recouper celles que soulève Aragon, par exemple dans « Arma virumque cano », le ton et la manière de les poser diffèrent : Desnos fait des mises au point d’abord pour lui-même, sans souci de défendre son œuvre vis-à-vis du public. Aragon justifie ses poèmes en les entourant de commentaires techniques ou de références d’histoire littéraire, sans doute destinés à faire écran autant que lumière sur leur portée subversive.
36. Œuvres, p. 1203-1204.
37. Il y revient aussi bien dans « Réflexions sur la poésie » que dans « Notes Calixto ». C’est concurremment de ces deux textes que nous tirons les citations suivantes.
38. « Baffo est l’homme au sens le plus animal et le plus abstrait. Mais quel bon tempérament ! Sade a dit : “F… est-on délicat quand on b…” ; oui, mais la poésie n’a que f… aire de délicatesse. » Œuvres, p. 1205. Déjà, en 1923, dans De l’érotisme, Baffo est donné comme « maître en amour aussi bien qu’en poésie ».
39. Œuvres, p. 1203. Depuis 1930 Pierre Devaux cultive La Langue verte (réédité en 1936), L’Argot du milieu (1935) et a publié en 1939, en collaboration avec Jean Galtier-Boissière, un Dictionnaire historique, éthymologique [sic] et anecdotique d’argot.
40. Voir p. 95.
41. Œuvres, p. 1239.
42. « Notes Calixto », voir p. 97. En 1923, dans De l’érotisme, Desnos parle du « surfait André Chénier ».
43. André Chénier, Œuvres, Poésie/Gallimard, p. 345.
44. Dominique Aury, Anthologie de la poésie religieuse française, Poésie/Gallimard, p. 117.
L’édition originale du volume, avec dédicace de Dominique Aury à Robert Desnos et annotations du poète, a été retrouvée par la librairie Nicolas Malais.
45. Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, les manuscrits sous la cote DSN 25.
46. La Liberté ou l’amour !, Œuvres, p. 327.
47. Œuvres, p. 323.
48. Voir p. 60.
49. « Calisto » est d’usage à la fois dans les traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, de même que dans le Dictionnaire de la fable de François Noël, que m’a aimablement signalé Étienne-Alain Hubert, dont les multiples rééditions, à partir de 1803, font autorité.
50. On sait que le poète tenait à une prononciation sonore des « s » de son patronyme, ce qui n’est pas dans la tradition normande.
51. Le poète espagnol Fernando de Rojas a publié en 1499 La Celestina, tragi-comedia de Calisto/Calixto y Melibea, les deux graphies du prénom masculin se faisant concurrence selon les éditions.
52. Étienne-Alain Hubert nous a aimablement signalé le manuscrit d’« Histoire d’un ours », qui nous permet de comprendre d’où est partie la rêverie de Desnos, et comment elle s’est transformée pour arriver au poème d’État de veille, où l’« ourse de plume » — issue de l’écriture —, se libérant de la fable antique (« qu’importe la fable ») devient la Grande Ourse, symbole de l’insurrection résistante : « Plus lourdes que l’ourse dans la cité / Par le monde je sens monter / La grande invasion, la grande marée. / Grande Ourse au ciel tu resplendis / Tandis que j’écoute dans la nuit / Les cris, les chants de mes amis. » Œuvres, p. 985.
53. Voir p. 80.
54. Voir p. 88.
55. Ibid.
56. Voir p. 84. Dans son article « Le dieu innommé » (Europe, mars 2000, p. 150-158), Jean-Baptiste Para relève à juste titre l’abondance des nymphes dans l’œuvre de Desnos, qu’il place sous le signe du dieu Pan, non nommé mais dont la figure serait omniprésente.
57. Voir L’Étoile de mer, Cahiers Robert Desnos publiés par l’association des Amis de Robert Desnos, no 6, 2001, p. 32-48.
58. Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, la page manuscrite DSN 894/18. Ce plan semble être à la fois un programme à suivre et le constat des parties réalisées — marquées d’une croix : le début et la fin semblent alors acquis, la partie médiane restant à combler, soit le groupe de deux sonnets, les quatre huitains classiques centraux et le groupe de trois sixains. Des calculs, évaluant le nombre des vers, complètent cette page. Dans son décompte, Desnos n’a pas mentionné le distique final.
59. « Notes Calixto », voir p. 97.
60. Ibid.
61. Voir p. 96.
62. Voir p. 98. On pense à la formule de René Char : « Le poème est la réalisation du désir demeuré désir. »
63. Œuvres, p. 179.
64. Voir p. 82.
65. Voir p. 88.
66. Voir p. 73 et 100.
67. Voir p. 86.
68. Œuvres, p. 1203.
69. Voir p. 95.
70. Desnos ne cite pas Victor Hugo dans ses « Notes ». Il préfère citer Villon ou Pierre Devaux qui offrent des exemples d’argot, alors que Victor Hugo développe une longue défense de l’argot face à l’incompréhension des « lettrés ». Toutefois, sous le nom de Lucien Gallois, Desnos a consacré un sonnet « Le Legs » (Œuvres, p. 1245) à la défense de Victor Hugo, dont les collaborateurs essayaient d’utiliser le nom pour leur propagande.
71. Victor Hugo, Œuvres romanesques complètes, Jean-Jacques Pauvert, 1962, p. 711.
72. Ibid.
73. Voir p. 96.
74. Ibid.
75. Œuvres, p. 1205.
76. Œuvres, p. 509.
77. Voir p. 75. La transcription des strophes en argot, due à Alain Chevrier, se trouve dans les notes de Calixto, p. 111 et 117.
78. Ce maréchal valeureux peut être opposé au maréchal Ducono, comme plus haut le général cubain, Calixto Garcia, peut être assimilé au général résistant de Gaulle.
79. « Aux sans cou », Œuvres, p. 938-939.
80. De ce point de vue, le Journal de Gaston Sterckeman apporte de précieuses informations au jour le jour. Voir César Fauxbras (pseudonyme de Gaston Sterckeman), Le Théâtre de l’Occupation, Journal 1939-1944, Éditions Allia, 2012. Il note le 20 juillet 1943 : « Les gens croient que la fin de la guerre est pour cette année (p. 143). » ; le 3 septembre : « Tout le monde croit à la fin de la guerre pour novembre ou décembre (p. 145). »
81. Voir p. 76.
82. Desnos, aux côtés du poète André Verdet, venu de Lyon à Paris, participa à quelques tentatives de sabotage. « Le Veilleur du Pont-au-Change » va plus loin : « Et je vous dis que je veille et que j’ai abattu un homme d’Hitler. / Il est mort dans la rue déserte / Au cœur de la ville impassible j’ai vengé mes frères assassinés / Au Fort de Romainville et au Mont Valérien. » Œuvres, p. 1255.
83. Œuvres, p. 1205.
84. Les Saltimbanques, opérette dont la musique avait été composée par Louis Ganne, obtint un grand succès dès sa création en 1899. La valse « C’est l’amour » n’avait cessé d’être fredonnée par la suite. Desnos pouvait compter sur la mémoire du lecteur pour décrypter « liberté » sous « poésie ».
85. Témoignage d’Alena Kalouskova Tesarova, dans Signes du temps, no 5, 1950.
86. Mines de rien, p. 127, « Économie poétique », Aujourd’hui, 18 juin 1941.
87. Œuvres, p. 1204.