Les livres contiennent des figures de toutes les parties insérées dans le cadre du récit, en sorte que le corps disséqué est placé, pour ainsi dire, sous les yeux de ceux qui étudient les œuvres de la nature.
VÉSALE, 1543
Par-delà un abîme d’un millénaire, qui vit la chute de Rome et l’essor du christianisme, Galien s’adressa sans difficulté, en diverses langues vernaculaires, aux artisans et marchands, aux sages-femmes et barbiers-chirurgiens, de l’Europe de la Renaissance et de la Réforme. Des traductions latines, des compendia et intermédiaires arabes divers transmirent le corps unisexe de l’Antiquité jusque dans l’âge de l’imprimerie. « La matrice de la femme », écrit Guillaume Bouchet dans un pot-pourri des connaissances de la fin du XVIe siècle, « n’est que la bourse et verge renversée de l’homme ». De même, un médecin allemand sans grande réputation pouvait décréter : « Wo du nun dise Mutter sampt iren anhengen besichtigst, So vergleich sie sich mit allem dem Mannlichen glied, allein das diese ausserhalb das Weiblich aber inwendig ist. (Si l’on regarde bien l’utérus et ses appendices, il correspond à tous égards au membre masculin, si ce n’est que ce dernier est à l’extérieur quand le premier est à l’intérieur.) » Ou encore, dans les mots prosaïques du chirurgien-chef de Henri VIII, « la ressemblance d’icelle [de la matrice] est telle qu’on dirait verge renversée ou tournée vers l’intérieur ». Au XVIe siècle, comme dans l’Antiquité classique, il n’y avait donc qu’un seul corps canonique et ce corps était mâle1.
Les diverses langues vernaculaires reprirent aussi avec des voix nouvelles le complexe linguistique latin et grec des liens entre organes auxquels, dans nos textes médicaux, nous donnerions des noms précis et singuliers. La bourse, par exemple, c’est-à-dire le mot qu’employait Bouchet pour désigner le scrotum, n’évoquait pas seulement un porte-monnaie ou un sac, mais aussi le lieu de rassemblement des marchands et banquiers. Bourse, poche ou sac, elle jette adroitement un pont entre les corps mâle et femelle. Dans l’anglais de la Renaissance, en effet, purse pouvait désigner à la fois le scrotum et l’utérus2. Ainsi que l’affirme haut et fort un texte allemand anonyme dans une image qui relève du lieu commun, « l’utérus est un vase parfaitement scellé, semblable à une bourse (Seckel3) ». La matrice se « ferme comme une bourse (bursa) » après qu’elle a aspiré la semence mâle et femelle, explique le Pseudo-Albert le Grand, dans son De secretis mulierum, ouvrage qui jouit d’une immense popularité et fit l’objet de nombreuses traductions4. Le scrotum se rattache également à la matrice à travers sa signification plus sociale et économique. La « matrice », c’est le terme qu’emploie Bouchet pour désigner l’utérus, aussi bien que sa variante anglaise matrix, avait le sens d’un lieu où quelque chose se produit et se développe : ainsi, « les montagnes sont les matrices de l’or ». Se trouve ici suggéré le trope commun de l’utérus comme l’organe miraculeusement génésique le plus remarquable du corps. La « matrice » est donc le lieu de production d’une vie nouvelle, tandis que la « bourse » est le centre d’un échange, c’est-à-dire d’une forme de productivité différente, culturellement moins prisée. Deux sacs d’une espèce différente, deux manières différentes de « faire » de l’argent et de le conserver, rattachent des organes qui n’ont plus aujourd’hui de résonance commune.
Les plaisirs du corps demeuraient aussi intimement liés à la génération qu’ils l’avaient été pour Hippocrate. « Moult délice accompagne l’émission de semence, en expulsant l’esprit turgescent et la raideur des Nerfs », explique le manuel de sexualité le plus omniprésent de la tradition occidentale5. À travers une physiologie partagée avec l’homme, la femme « souffre des deux manières », fait valoir Lemnius, le médecin du XVIe siècle, et éprouve un double plaisir : « elle arrache la semence de l’homme et jette la sienne avec elle » ; aussi « y prend-elle plus de plaisir et en est-elle plus reconstituée6 ».
Mais parmi ces échos de l’Antiquité, une science nouvelle et qui se voulait révisionniste explorait le corps avec hardiesse. En 1559, par exemple, Colomb — non pas Christophe, mais Realdus — prétendit avoir découvert le clitoris. À son « très noble lecteur », il explique que tel est, « par excellence, le siège du plaisir féminin ». Comme un pénis, « si vous le touchez, vous le verrez devenir un peu plus dur et oblong au point qu’on dirait alors un genre de membre viril ». Conquistador en terre inconnue, Colomb fait valoir ses droits : « Puisque nul n’a discerné ces projections et leur ouvrage, s’il est permis de donner des noms aux choses que j’ai découvertes, qu’on les appelle donc amour ou douceur de Vénus7. » De même qu’Adam, il s’estimait en droit de nommer ce qu’il avait découvert dans la nature : un pénis femelle.
Le récit de Colomb est significatif sur deux niveaux. En premier lieu, il postule que l’observation et le toucher révéleront des vérités radicalement nouvelles sur le corps. Le découvreur du clitoris n’a que mépris pour ses prédécesseurs, qui soit ne fondaient point leurs thèses sur la dissection, soit se montraient bien incapables de rapporter avec exactitude et courage ce qu’ils avaient vu. Mondino de’ Luzzi (1275-1326), par exemple, qui fut le premier anatomiste médiéval, se trouva en butte à une ironie appuyée pour avoir affirmé que l’utérus comptait sept cellules, propos relativement nouveau mais qui relevait tout à fait du lieu commun ; il aurait pu tout aussi bien « parler de porches ou de chambres à coucher8 ». Dans le même temps, Colomb fut soumis à des attaques en règle de la part de ses collègues. Gabriel Fallope, qui lui succéda à Padoue, prétendit que c’était lui — Fallope — qui le premier avait vu le clitoris et que tous les autres n’étaient que plagiaires9. Enfin, au XVIIe siècle, Kaspar Bartholin, l’éminent anatomiste de Copenhague, plaida à son tour que Fallope et Colomb avaient tous deux fait montre de vanité en revendiquant « l’invention ou la première Observation de cette Partie », puisque le clitoris était connu de tout le monde depuis le IIe siècle10.
Le débat un peu sot mais compliqué autour de l’invention du clitoris est bien moins intéressant que l’unanimité des protagonistes à postuler que, quel qu’en pût être l’auteur, quelqu’un pouvait en revendiquer la paternité sur la base de l’observation et de la dissection du corps humain. Un empirisme militant envahit la rhétorique des anatomistes renaissants.
La découverte de Colomb semblait aussi fatale, ou tout au moins très menaçante, pour les antiques représentations du corps unisexe. Dans les limites du bon sens, sinon de la cohérence logique, les femmes ne sauraient avoir un pénis en bonne et due forme à l’intérieur (le vagin) et un petit homologue du pénis à l’extérieur (le clitoris). Mais les auteurs renaissants s’abstinrent d’une telle inférence. Jane Sharp, sage-femme anglaise bien renseignée du milieu du XVIIe siècle, affirme dans une page que le vagin, « qui est le passage de la verge, lui ressemble, tourné vers l’intérieur » puis, sans gêne apparente, précise deux pages plus loin que le clitoris est le pénis de la femme : « Il se dressera et retombera comme le fait la verge ; c’est lui qui rend les femmes sensuelles et leur donne du plaisir dans la copulation11. » Peut-être ces positions sont-elles conciliables en ce que le vagin ressemble seulement au pénis tandis que le clitoris en est bel et bien un ; toutes deux perpétuent l’insistance du modèle unisexe sur la valeur d’étalon du mâle. Mais la question n’intéressait pas Sharp. Deux explications apparemment contradictoires coexistaient très nettement, et l’ancien isomorphisme demeura en paix avec le nouvel et étrange homologue venu d’une autre galaxie conceptuelle.
Au moment même où Colomb menace d’apporter une nouvelle intelligence de la différence sexuelle, son texte renoue avec les sentiers battus et les anciennes tensions. Que l’on interprète le vagin ou le clitoris comme un pénis féminin, la femme n’en disparaît pas moins. Le plaisir sexuel continue à découler du frottement homo-érotique du « pareil au même » ; le plaisir est dissocié de la volonté, en sorte que l’esprit de la femme ne compte pour rien. « Frottez-le [le clitoris] vigoureusement avec un pénis, ou même touchez-le avec le petit doigt, la semence jaillit de la sorte plus rapide que l’air, et cela à cause du plaisir, même à leur corps [le corps des femmes] défendant12. » Il ne subsiste qu’un seul sexe, ou en tout état de cause qu’une seule espèce de corps.
La découverte du clitoris et la facilité avec laquelle le modèle unisexe l’absorba soulèvent la question centrale de ce chapitre. Comment se fait-il que des observateurs compétents, qui se voulaient attachés à de nouveaux canons d’exactitude et d’illustration naturaliste, continuèrent à penser l’anatomie et la physiologie de la reproduction d’une façon qui est manifestement fausse et heurte de manière insigne l’intuition et la sensibilité modernes ? Pour commencer, une bonne partie de l’enjeu n’est pas empiriquement décidable. Que le clitoris ou le vagin soit un pénis féminin, ou que les femmes n’aient point de pénis, ou encore qu’il importe ou non : ce ne sont pas là des questions auxquelles des recherches plus approfondies pouvaient en principe apporter une réponse. L’histoire de l’anatomie renaissante laisse penser que la représentation anatomique du mâle et du femelle est tributaire d’une politique culturelle de la représentation et de l’illusion, non pas de preuves concernant les organes, les canaux ou les vaisseaux sanguins. Aucune image, verbale ou visuelle, des « réalités de la différence sexuelle » n’existe indépendamment de thèses antérieures concernant le sens de pareilles distinctions13.
En revanche, l’explication de Colomb et le modèle unisexe en général contiennent des propositions empiriquement décidables. Le clitoris (dulcedo amoris), affirme-t-il avec raison, est le centre du plaisir vénérien chez les femmes. Par ailleurs, il assure — à tort, dans une perspective moderne — que cette semence qui ressemble fort à celle du mâle jaillit pareillement quand elle est stimulée et que, sans cela, les femmes ne concevraient pas14. Autant d’affirmations que l’on est censé pouvoir vérifier en consultant le corps :
Vous qui lisez ces études anatomiques miennes, fruit de mon labeur, vous savez que, sans ces protubérances [le clitoris] que je vous ai fidèlement décrites auparavant, les femmes ne prendraient point plaisir aux étreintes vénériennes ni ne concevraient aucun fœtus.
Voici qui est vraiment remarquable : des testicules se produisent chez les femmes en sorte qu’elles puissent produire de la semence. En vérité, je puis moi-même témoigner que, dans la dissection des testicules femelles, j’ai parfois trouvé de la semence qui est blanche, épaisse et fort bien concoctée, ainsi que tous les spectateurs l’ont reconnu d’une seule voix15.
De surcroît, depuis l’Antiquité on savait la précarité de l’idée spécifique qu’il n’y a pas de conception sans orgasme féminin.
Aristote avait fait valoir que, dans certaines circonstances, les femmes pouvaient concevoir « même en l’absence du plaisir qui pour les femelles accompagne d’ordinaire ce genre de rapport » et que, à l’inverse, il arrive que la femelle ne conçoive pas alors que « mâle et femelle ont marché du même pas16 ». Savant du XIIIe siècle qui, même en cet âge prolixe, était connu sous le sobriquet de « docteur verbeux », Gilles de Rome avait longuement soutenu, pour des raisons théoriques, que la semence femelle n’était d’aucun intérêt pour la conception et que l’orgasme féminin y était plus étranger encore. Mais il agrémentait son propos de preuves empiriques diverses. Des femmes lui avaient prétendument confié qu’elles avaient conçu sans émission et, vraisemblablement, sans orgasme. De surcroît, une autorité aussi éminente qu’Averroès (Ibn Ruchd, 1126-1198), philosophe arabe à qui l’on doit une grande encyclopédie médicale, rapporte, dans un dossier clinique, le cas d’une femme qui tomba enceinte, engrossée par la semence qui flottait dans un bain chaud. Si, comme ce dossier est censé le montrer, la pénétration ne joue qu’un rôle accessoire dans la fécondation, que dire du plaisir sexuel de la femme, sinon que son rôle est plus subalterne encore17 ? Et deux mille ans après Aristote, William Harvey répéta le vieil argument (certes fondé, assure-t-il, sur l’évidence d’« un nombre infini » de cas ou, tout au moins, « pas d’une poignée ») : la « violente secousse ainsi que la dissolution et l’écoulement des humeurs » qui se produit fréquemment « chez les femmes dans l’extase du coït » ne sont pas vraiment nécessaires à la fabrique des bébés18.
On a aussi peine à croire que les consommateurs d’ouvrages médicaux — un fort échantillon du public lettré et ceux qui les pouvaient entendre — aient eu besoin du poids de la tradition et de la science pour savoir que l’orgasme de la femelle n’accompagnait pas toujours la conception19. Des études modernes établissent de manière très cohérente qu’un tiers, voire la moitié, des femmes n’ont jamais d’orgasme dans le cadre des rapports sexuels, tandis que la proportion des femmes stériles n’a certainement jamais été nulle part aussi forte20. Sans doute un pourcentage plus élevé de femmes connaissaient-elles l’orgasme à une époque où ce que nous appelons de nos jours les « préliminaires » était reçu comme un indispensable prélude à la fécondité de rapports voués à la procréation, mais nul doute, néanmoins, que l’expérience quotidienne n’infirmât bien souvent l’existence d’un prétendu lien entre orgasme féminin et conception. Toujours est-il que le témoignage des doctes ni les expériences concrètes du mariage ne triomphèrent de l’ancien modèle des corps et des plaisirs.
Certes, d’aucuns pourraient dire : celles qui savaient — les femmes — n’écrivaient pas et ceux qui écrivaient — les hommes — ne savaient pas. Mais l’argument est loin de porter autant qu’on pourrait le croire. En premier lieu, le corpus hippocratique et le Livre X de l’Histoire des animaux d’Aristote, par exemple, peuvent fort bien exprimer la voix des femmes, et il ne manque pas d’autres ouvrages qui brossent des tableaux similaires. De surcroît, lorsque, à partir de la Renaissance, des femmes se mirent à publier sur le métier de sage-femme, elles exprimèrent, concernant la physiologie de la génération des points de vue parfaitement orthodoxes : Louise Bourgeois, Jane Sharp et Madame de la Marche reprirent toutes à leur compte les idées reçues rattachant plaisir, orgasme et génération. Les rares récits de femmes à la première personne où soient évoquées ces affaires intimes, telle la remarquable autobiographie de l’épouse d’un ecclésiastique hollandais du XVIIe siècle, Isabella de Moerloose, accréditent encore l’idée que les textes que je cite exposent des croyances largement partagées21. Bien que la tradition savante eût de plus en plus tendance à prendre ses distances par rapport aux « erreurs populaires », mon sentiment demeure que médecins, auteurs profanes, ainsi qu’hommes et femmes, dans leur couche, partageaient grosso modo la même idée du fonctionnement du corps en matière de reproduction22. Il fallut attendre la consolidation d’une profession fondée sur la science — mouvement qui s’amorça au XVIIIe siècle pour ne s’épanouir complètement qu’à la fin du siècle suivant — pour que se produisît un genre de cassure hautement politisée, entre la vision par les femmes de leur propre corps et le point de vue du corps médical23.
Enfin, les indications modernes ne manquent pas qui laissent penser que les femmes du passé n’avaient sans doute ni plus ni moins d’intelligence du calendrier de la conception que leurs médecins. Si l’on peut attacher la moindre valeur aux rubriques médicales de la grande presse, l’idée que l’orgasme est nécessaire à la conception persiste encore aujourd’hui ; les médecins, tant hommes que femmes, qui tentèrent au début du siècle, à travers des entretiens, de déterminer le calendrier de l’ovulation au cours du cycle menstruel ne parvinrent à obtenir des réponses cohérentes. Et les enquêtes anthropologiques donnent à penser que les femmes vivantes qu’il est possible d’interroger s’en tiennent bel et bien à des points de vue semblables à ceux qu’exposaient les manuels de sage-femme et les guides de santé de la Renaissance. Ainsi un informateur de Suye Mura confia à une anthropologue parlant le japonais qu’à son avis, « si une femme n’atteint pas à l’orgasme, elle ne peut pas concevoir parce que sa matrice demeure fermée24 ». Les Samo du Burkina Faso donnent de la semence — l’« eau de sexe », que déchargent les femmes aussi bien que les hommes —, du sang, du lait et des règles une explication qui ressemble étrangement à celle qui domina la tradition occidentale25.
Tout ceci n’infirme aucunement l’idée qu’il dut y avoir parmi les femmes en Europe à l’aube des temps modernes une sagesse locale nourrie ainsi qu’une tradition orale florissante que les sources imprimées, si populaires fussent-elles, et les sources modernes, si vaste qu’en soit le champ, ne sauraient jamais recouvrer. Elles sont à jamais perdues pour les historiens. Cela ne prouve pas non plus que les gens ordinaires, hommes ou femmes, pensaient très largement dans le cadre des isomorphismes anatomiques du modèle unisexe, mais laisse penser que le genre de littérature sur lequel je m’appuie dans ces chapitres — le seul et unique genre dont nous ayons des chances de disposer — partage le même univers conceptuel des renaissants et ce de « ceux qui connaissaient » (les femmes), même si ce ne sont pas leurs voix que l’on entend.
Si les éléments de preuve se rapportant aux thèses empiriquement testables du modèle unisexe ne parvinrent pas à les déloger, ce n’est pas que ces données furent étouffées, mais parce que les thèses en question s’inscrivaient dans le cadre d’une conception du corps bien plus générale, complexe et polymorphe qu’aucune observation, isolément ou en combinaison, ne pouvait directement infirmer (falsify). Willard Quine en suggère les raisons sur des bases philosophiques. La totalité de nos croyances « est une étoffe tissée par l’homme, et dont le contact avec l’expérience ne se fait qu’aux contours ». Ce qu’on appelle la connaissance, pour changer de métaphore,
est comparable à un champ […] tellement sous-déterminé par ses frontières, c’est-à-dire par l’expérience, qu’on a toute liberté pour choisir les énoncés qu’on veut réévaluer, au cas où intervient une seule expérience contraire. Aucune expérience particulière n’est, en tant que telle, liée à aucun énoncé particulier situé à l’intérieur du champ26.
L’antique explication des corps et du plaisir se trouvait si profondément empêtrée dans l’écheveau de la théorie médicale et physiologique de la Renaissance, dans ses incarnations les plus hautes mais aussi les plus populaires, et si bien attachée à un ordre politique et culturel, qu’elle échappait entièrement à tout contact logiquement déterminant avec les limites de l’expérience ou, en vérité, tout essai de mise à l’épreuve explicite27.
L’argument est désormais tellement classique en histoire et philosophie des sciences qu’il porte même un nom : la thèse de Quine et Duhem. Mais il vaut la peine de le reprendre pour deux raisons. Les thèses empiriquement testables de l’ancien modèle, qui représentent l’idée transcendantale qu’il n’existe qu’un seul et unique sexe en même temps qu’elles sont représentées par elle, sont si outrées pour les conceptions scientifiques modernes qu’il faut consentir un considérable effort d’imagination pour comprendre comment des gens raisonnables ont jamais pu y adhérer. C’est un effort qui en vaut la peine, ne serait-ce que pour ébranler la stabilité de nos propres constructions de la différence sexuelle en mettant en évidence les soutiens d’une autre vision et en montrant que les différences qui font la différence sont historiquement déterminées.
Ensuite, en révélant la toile des connaissances et de la rhétorique qui étayait le modèle unisexe, je campe la scène où se présentèrent ses détracteurs aux XVIIIe et XIXe siècles. Si l’on peut attribuer sa stabilité à son imbrication en d’autres modes discursifs, il ne sera pas nécessaire d’expliquer son effondrement par une seule et unique découverte spectaculaire ni même par des bouleversements sociaux majeurs. Il convient plutôt d’envisager la construction du modèle des deux sexes dans la multitude de liens nouveaux — et d’un nouveau genre — entre le discours sexuel et les autres discours, ou à l’intérieur même du discours sur le sexe.
« Masculin ou féminin », disait Freud dans ses observations sur « La Féminité » des Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, « est la première différence que vous faites quand vous rencontrez une autre créature humaine et vous êtes habitués à effectuer cette distinction avec une assurance dénuée d’hésitation ». La science anatomique paraît au départ étayer cette certitude, mais après plus ample réflexion elle se révèle bien moins formelle : « Ce qui fait la masculinité ou la féminité est un caractère inconnu, que l’anatomie ne peut saisir28. »
Dans une grande mesure, la science nouvelle renforça considérablement l’ancien modèle pour la simple et bonne raison qu’elle proclama avec la plus grande vigueur que Vérité et progrès résident, non pas dans les textes, mais dans le corps ouvert et convenablement exposé29. Une rhétorique de l’emphase renforça l’idée qu’il n’y avait d’autre obstacle que l’erreur et l’adhésion fourvoyée à l’autorité et que, pour peu qu’on en prît la peine, on pouvait voir, entre autres choses multiples, que les femmes étaient des hommes à l’envers. Vésale dénonça publiquement tous ses prédécesseurs, y compris son maître Jacobus Sylvius, pour avoir cru Galien infaillible et Colomb put évoquer les « corrections aucunement négligeables » qu’il avait apportées à Vésale afin de produire un manuel de dissection « qui dise la vérité sur le corps humain30 ». Fallope fit savoir qu’il allait réfuter les explications des auteurs anciens ou plus modernes et qu’il allait complètement renverser quelques-unes de leurs doctrines, « ou tout au moins les faire vaciller31 ».
Qui plus est, la pratique nouvelle et extravagante de la dissection dans un théâtre d’anatomie ouvert au public ainsi que ses représentations visuelles proclamaient la conviction que le corps ouvert était la source et la pierre de touche de la connaissance anatomique32. Ce qui était demeuré caché auparavant — l’Antiquité n’avait guère sinon pas connu de dissection du corps humain ni d’illustration anatomique — et l’anatomie qui ne s’était pratiquée qu’épisodiquement et discrètement dans les universités médiévales était désormais offerte à la consommation générale. Il n’était plus nécessaire d’imaginer les transformations topographiques de Galien ; on les pouvait vérifier de visu. Ainsi que le plaide Harvey Cushing, le célèbre frontispice du De Humani corporis fabrica de Vésale, l’ouvrage fondateur de l’anatomie moderne (fig. 3) apparaît comme un blâme à l’endroit de ceux qui se contentaient de lire les textes anciens tandis que les barbiers pratiquaient la dissection. Comparez-le, par exemple, au frontispice de l’Anathomia de Mondino (fig. 4 et 5), le manuel classique des écoles de médecine avant « le » Vésale. C’est le texte, sous la forme, en l’occurrence, du titre ou d’un « lecteur » discourant ex cathedra, qui domine les illustrations antérieures. On dirait presque que le corps a été rajouté après-coup, tant il gît passivement dans le plan de l’image. Sur la fig. 5, le regard de l’anatomiste se pose sur le visage du cadavre, plutôt que sur ses viscères exposés, comme si c’était son humanité qui appelait l’attention, plutôt que sa valeur en tant que matériel mort à étudier. Vésale devait imaginer des scènes de ce genre lorsqu’il condamna les anatomistes qui « du haut de leur chaire caquettent avec arrogance comme des corneilles de choses auxquelles ils ne se sont jamais frottés ». Un boucher à son étal en savait plus long qu’un docteur33.
En revanche, sur la fig. 3, le corps ouvert est la source indiscutable de l’autorité, renforcée par le squelette souverain qui préside à la scène. À la différence des corps dans les représentations antérieures, il se détache du plan de l’image pour venir vers nous ; ses entrailles exposées occupent le point mort, entre le titre de l’ouvrage et le bas de l’image. Une ligne imaginaire passe par l’épine dorsale du squelette, entre ses seins et à travers ses viscères, coupant l’image et divisant en deux parties la magnifique rotonde dans laquelle repose le gisant. Des statues classiques prêtent une certaine dignité à la scène, de même que dans la suite du livre, lorsque sont étalées les entrailles, elles tempèrent la violence de la dissection et définissent les caractéristiques mises en évidence comme celles d’un corps médian, normatif. Et, comme dans les frontispices de maintes anatomies renaissantes, une foule d’observateurs des plus divers se pressent autour de lui. Bref, c’est une illustration de la majestueuse puissance de la science, capable d’affronter, de maîtriser et de représenter les vérités du corps de façon à dessein théâtrale et publique34.
On peut aussi interpréter l’image, en un sens plus étroit, comme l’affirmation du pouvoir mâle : pouvoir de connaître le corps de la femelle et, par conséquent, de connaître et de dominer une Nature féminine35. Vésale préside ici une assemblée de messieurs qui scrutent du regard le corps infortuné, nu et éventré d’une femme allongée devant eux. Le cadavre du frontispice (fig. 6) d’une édition hollandaise plus tardive de l’Epitome de Vésale, sorte d’introduction pour étudiants à la Fabrica, de proportions plus imposantes, est encore mieux fait : ses organes génésiques apparaissent plus clairement encore tandis qu’elle a le visage mystérieusement voilé de manière à souligner que son corps est à la merci du regard masculin. Il n’est pas jusqu’aux porte-étendard qui ne soient des hommes, la cape et la pelle de fossoyeur ne laissant aucun doute sur le sexe du squelette.
Mais la politique du genre dans l’illustration anatomique est loin d’être aussi simple. Le frontispice de l’Anatomische Tafeln (fig. 7) reprend la gravure de la fig. 6 mais remplace le corps de la femme par celui d’un homme. Son visage est également drapé, son corps est si possible plus soumis encore à la domination des instruments qui se trouvent derrière lui et du scalpel qui repose sur sa cuisse. Le cadavre du jeune homme, d’un extraordinaire érotisme, qui est disséqué sur la fig. 8 et qui sert de frontispice au texte de Jean Riolan, est de toute évidence un homme, quand bien même ses traits ont une délicatesse d’androgyne. Plus généralement, il est tout simplement faux que, sensuelles ou non, les femmes soient un objet d’étude anatomique de prédilection. Sur les frontispices de quatorze ouvrages d’anatomie publiés entre 1493 et 1658, le corps disséqué est dans neuf cas celui d’un homme et dans quatre celui d’une femme. Dans le dernier cas, il est indéterminé. Peut-être est-ce le matériel disponible, plutôt que la politique sexuelle, qui déterminait le sexe du cadavre générique36. En tout cas, c’est le corps en tant que tel qui importe et l’objet programmatique du frontispice anatomique renaissant est clair : les anatomistes ont le pouvoir d’ouvrir le temple de l’âme et d’en révéler les arcanes (la fig. 9 a valeur de paradigme à cet égard37).
Les corps de femmes doivent être vus dans le cadre de deux autres stratégies de représentation, qui toutes deux privilégient l’étalage théâtral des corps pour attester les thèses des anatomistes. En premier lieu, même lorsque les anatomies médiévales — et, en vérité, même les livres de la Renaissance avant l’Isagoge brevis de Berengario da Carpi, en 1522 — étaient illustrés, autrement dit, rarement, les images qu’ils contenaient n’avaient dans le meilleur des cas qu’un rapport superficiel avec le texte, dont l’autorité reposait sur les mots et la réputation de l’auteur. Chez Berengario, cependant, il s’était produit quelque chose de nouveau. Il s’était attaché à une anatomia sensibilis, à une anatomie de ce qui se laisse voir, et les illustrations devaient en être l’aspect imprimé, le substitut graphique de la vision réelle des structures en question, destiné à confirmer de bonne grâce les propos de l’anatomiste38. Les frontispices et les nombreuses gravures spectaculaires de Vésale et des ouvrages ultérieurs continuèrent à invoquer l’autorité, d’abord d’un corps dramatiquement ouvert et exposé puis, de manière dérivée, de la représentation naturaliste proprement dite39.
Même sans légendes, ces nouvelles illustrations étaient des proclamations de leur propre vérité. On y voit les morts agir comme si, d’une manière ou d’une autre, ils étaient encore vivants — et absolument pas des cadavres — et ainsi à même de corroborer en personne les faits que présente l’anatomiste et la rectitude épistémologique de l’anatomie en général. L’écorché éminemment classique de l’Anatomia de Juan de Valverde (fig. 10) s’écorche lui-même pour faire apparaître sa musculature tout en brandissant sa dépouille — allusion à l’autoportrait de Michel-Ange, mi-Marsias, mi-saint-Barthélemy, du Jugement dernier — pour donner à la scène un surcroît d’émotion40. Plus loin, dans l’ouvrage de Valverde, une créature qui paraît assez perdue dans ses pensées soulève paisiblement la graisse et la peau de son ventre pour dévoiler son fascia abdominal ; pour la commodité du spectateur, le personnage suivant relève plus haut encore ses habits de chair pour que l’on voie bien son épiploon. Il fait un geste de sa main gauche et se tourne, comme s’il posait en modèle ou répétait un rôle sur scène, pour demander à l’artiste ou au metteur en scène qui a eu recours à ses services si cette pose ou ce geste fera l’affaire. Un troisième comparse doit, pour sa part, se servir de ses mains et de sa denture — grâce à laquelle il retient l’épiploon — pour s’assurer que plus rien ne nous empêche de lui examiner les viscères (fig. 11). Dans une édition belge de l’Epitome (fig. 12), un anatomiste éventré — on ne se sacrifie jamais assez dans l’intérêt de la science ! — lève les yeux au ciel tandis que de ses doigts il résèque les côtes d’un Apollon du Belvédère vésalien, si ce n’est de lui-même. Dans La Dissection des parties du corps humain d’Estienne, la plus somptueuse des anatomies prévésaliennes, divers messieurs bien proportionnés paraissent plus ou moins satisfaits, affligés ou pathétiques, tandis qu’ils s’éventrent pour l’édification anatomique quelque peu minimale du spectateur (fig. 13-14).
L’art et la rhétorique des anatomies renaissantes proclament ainsi l’autorité de la vision et la puissance de la dissection. Divers stratagèmes pour créer un « effet de réalité » permettent aux images de représenter les corps eux-mêmes et de corroborer les vérités des textes dans lesquels les spectateurs sont invités à voir tout simplement un « relevé » du cadavre proprement dit. Voir c’est croire au corps unisexe. Ou inversement.
La nouvelle anatomie exposait, à de multiples niveaux et avec une force sans précédent, le « fait » que le vagin est en réalité un pénis, et l’utérus un scrotum41. Berengario entend s’assurer que ses lecteurs saisissent bien de quoi il est question ou ne gardent pas le moindre doute : « Le col de l’utérus est pareil au pénis, et son réceptacle avec les testicules et les vaisseaux est pareil au scrotum42. » Sur la première des images qui accompagnent cette assertion désormais familière, une statue classique d’une femme d’une incontestable féminité paraît s’être animée comme par miracle ; elle se débarrasse de son manteau et descend prudemment de son piédestal pour apporter la preuve au lecteur (fig. 15). Sur l’image suivante (fig. 16), d’un geste flamboyant, elle lance d’une main son manteau par-dessus sa tête tandis que, de l’autre, elle attire l’attention de son public sur ce qui vient d’être retiré de son ventre et que l’on a placé sur le piédestal qu’elle vient de quitter : son utérus. Dans un geste épidictique, elle — ou le cadavre désormais animé dont la voix est devenue indissociable de celle de l’anatomiste — montre la chose et proclame avec une évidente autorité : « Voyez combien le col [de l’utérus] […] ressemble au membre viril » (p. 78). Enfin, une troisième illustration — un plan rapproché — enfonce le clou sur le plan visuel et par des légendes qui assimilent ovaires et testicules, mais aussi trompes de Fallope et canaux spermatiques (fig. 17).
Les organes des femmes sont représentés comme des versions de ceux de l’homme dans les trois ouvrages de Vésale qui, tous, eurent une influence considérable et furent très largement plagiés. Parmi les images fondatrices de l’anatomie moderne figure un nouveau registre puissant pour l’ancien arrangement des corps. Son image la plus reproduite, mais aussi la plus explicite, du vagin envisagé comme un pénis est l’une des illustrations du Tabulae sex, série de planches bon marché et éphémères destinées aux étudiants en médecine ou au public profane (fig. 18). L’Epitome contient également des gravures d’organes génésiques mâles et femelles presque impossibles à distinguer, à charge pour les étudiants de les découper et de les coller sur des figures proposées à cette fin43 (fig. 19). Mais, sur un plan visuel, la plus saisissante des illustrations de Vésale sur ce thème se trouve dans la Fabrica elle-même. L’utérus, le vagin et les pudenda externes d’une jeune femme (fig. 20) ne sont pas spécifiquement déployés, comme dans les Tabulae et l’Epitome, afin de démontrer que ces structures et celles du mâle sont isomorphes ; elles sont seulement vues comme telles.
Je souligne « vues comme » parce que ces images, et bien d’autres semblables à celles-ci, ne sont pas simplement le fruit de conventions régissant la représentation ni le résultat d’une erreur. C’est toute une vision du monde qui donne au vagin les allures d’un pénis aux yeux des observateurs renaissants. Bien sûr, il y a une convention, un schéma de représentation à l’œuvre ; les illustrateurs anatomiques de la Renaissance apprirent à dépeindre les organes génitaux de la femme d’après d’autres images et non pas d’après la seule nature (cf. fig. 21-24). Mais cela ne veut pas dire que des préoccupations stylistiques leur interdisaient de voir l’anatomie génitale « telle qu’elle est en réalité » ou telle que la voient les modernes44.
L’étrange qualité des images des fig. 21-24 n’est pas non plus le fruit des efforts de quiconque pour rendre le corps féminin conforme à quelque texte erroné ou dénaturer les organes génitaux de la femme pour en faire une caricature de ceux de l’homme. Le dessinateur à qui l’on doit la fig. 21, par exemple, n’est pas coupable d’avoir subrepticement substitué une anatomie animale à une anatomie humaine, ainsi que Vésale accuse timidement Galien de l’avoir fait dans la fameuse gravure sur bois de la Fabrica juxtaposant un crâne de chien et un crâne d’homme (fig. 25). Il est de surcroît innocent d’une faute que Vésale en personne commit à l’occasion et qui consiste à « voir » quelque chose qui n’existe pas parce qu’une autorité en certifie la présence45. On trouve de grossières erreurs de cette espèce dans les illustrations renaissantes des genitalia femelles, mais elles ne sont d’aucune importance pour les desseins rhétoriques des illustrations. De fait, eussent-elles été plus exactes que leur impact eût été plus puissant encore. Si, par exemple, sur les fig. 16-17, on gommait les « cotylédons » inexistants — les points qui représentent l’anastomose des veines de l’utérus — et que l’on éliminait ainsi la suggestion des deux chambres tout en rendant au vagin des proportions normales par rapport à l’utérus, les organes ressembleraient bien plus encore à un scrotum et à un pénis femelles. De même, si l’on effaçait les « cornes de l’utérus » (GG) de la représentation que donne Johann Dryander des organes de reproduction de la femme (fig. 26) ou d’autres illustrations de la Renaissance (fig. 32-33, par exemple), l’utérus et le vagin ressembleraient plus encore, et non moins, à une vessie et à un pénis ; enfin, si l’on redessinait dans un souci d’exactitude l’artère et la veine ovariennes EE de la fig. 26 en sorte qu’elles ressemblent moins à l’épididyme, II sur la fig. 37, l’effet général demeurerait au pire le même46.
Si grotesque ou monstrueuse qu’ait pu paraître à certains commentateurs modernes la gravure sur bois des organes génitaux féminins de la Fabrica, elle n’est pas incroyable ni « fausse ». Ses proportions sont grosso modo celles de gravures « exactes » du XIXe siècle (fig. 28) ou d’illustrations d’un ouvrage moderne (fig. 29), bien que celles-ci ne fussent pas destinées, bien sûr, à illustrer l’isomorphisme des organes mâles et femelles47.
Les découvertes ultérieures qui allaient entraîner des changements dans la légende des illustrations sont d’une importance également mineure dans l’histoire du « semblant » (seeing as, ou « voir comme »). Les testicules, ou Zeuglin, et les vésicules séminales, ou Samadern, n’existaient pas, ainsi que l’affirme Dryander dans ses dénominations, chez les hommes et chez les femmes ; l’histologie du XIXe siècle allait montrer qu’il n’y a rien de bien intéressant à tirer de l’observation que l’utérus, marqué F sur la fig. 26, a la même forme que la vessie mâle, le G de la fig. 27. Mais ces progrès font pâle figure à côté des faits que connaissaient les anatomistes renaissants et cela ne contribua aucunement à discréditer l’ensemble des conventions de représentation qui voulaient que l’on donnât à l’anatomie génitale de la femme l’apparence d’une version interne de l’anatomie mâle. L’utérus porte les enfants, ce qui n’est pas le cas du scrotum ; la délivrance des bébés se fait par le vagin, non par le pénis. Et alors ? L’organe de la fig. 30, par exemple, pourrait être le vagin d’une femme aussi bien que le pénis d’un homme. La fig. 31 met fin au suspens. C’est un vagin, nous pouvons en juger maintenant, parce que ce qui aurait pu être un scrotum aussi bien qu’un utérus enferme en fait un enfant ! La matrice avec son extension en forme de pénis qui figure dans l’ouvrage populaire et largement traduit de Walther Ryff joue le même tour, car elle se fait étrangement transparente pour permettre aux lecteurs de voir à l’intérieur un bébé parfaitement formé (fig. 32). Une petite fenêtre a été découpée dans le scrotum femelle, autrement dit dans l’utérus, des fig. 33-34 qui illustrent un autre ouvrage d’obstétrique bien connu, pour montrer un bébé parfaitement formé, le dos tourné aux intrus et au vagin pénien par lequel il passera.
Ainsi l’histoire de la représentation des différences anatomiques entre homme et femme est-elle extraordinairement indépendante de la structure réelle de ces organes ou de ce que l’on savait d’eux. C’est l’idéologie, et non l’exactitude de l’observation, qui détermina la vision que l’on avait d’eux et des différences qui comptaient.
Le « bon sens » de la Renaissance et l’observation critique dirigée contre la vision de la femme comme un homme dedans dehors ne parvinrent à ouvrir la moindre brèche dans le modèle unisexe. Pour l’imagination moderne, par exemple, les arguments contre l’idée du vagin-pénis sont plus étranges encore que l’assimilation proprement dite. Au niveau le plus élémentaire, le genre de pensée magique qui pousse à prendre son désir pour la réalité et qui sauve quotidiennement des phénomènes dans la science normale aurait pu compenser l’impossibilité manifeste de trouver des équivalences entre hommes et femmes. Hormis dans les temps de crise révolutionnaire, il y a toujours une issue. Sans doute les femmes n’ont-elles point de scrotum et, en vérité, on aurait du mal à trouver chez les femmes d’autres parties de l’homme et inversement. Mais ces difficultés, prétend Charles Estienne, se peuvent résoudre par référence à la position : « Bien est vray que si tu retournes & renverse l’amarry [la matrice] tirée hors du corps (dit Galien) tu trouueras que les testicules apparoistront au dehors : lesquelsz ladicte matrice enuelopera par dessus en façon de bourse48. » Si nous suivions ses instructions, peut-être parviendrions-nous à deviner quel était au juste le propos de l’anatomiste, mais l’exercice ne serait d’aucun intérêt dans un monde convaincu de l’existence de deux sexes. Nous aurions beau retourner les surfaces dans tous les sens, jamais cela ne nous convaincrait de voir dans la matrice un scrotum pas plus qu’un topologiste ne parviendrait à nous faire prendre une tasse de thé pour un tore, même si ses procédures étaient saines, ce qui n’était pas le cas de celles d’Estienne.
Inversement, les observations anatomiques parfaitement solides produites contre les vieilles homologies paraissent, dans une perspective moderne, si curieusement périphériques, qu’elles ne contribuent qu’à jeter des doutes supplémentaires sur toute l’entreprise d’investigation des corps en quête de quelque signe transculturel de différence. Un éminent anatomiste anglais, Helkiah Crooke, s’inscrivait en faux, par exemple, contre « toute similitude entre le bas de la matrice inversée [le cervix], et le scrotum ou cod d’un homme », sous prétexte que la peau du « bas de la matrice (bottom of the wombe) est une membrane très épaisse et serrée, toute charnue à l’intérieur », tandis que « le scrotum est peau rugueuse et fine ». (Ce qui est vrai, mais n’est guère probant et n’appartient pas aux différences les plus parlantes qui viennent à l’esprit entre le cervix et le sac qui enferme les testicules.) Quant à la réponse de Crooke à l’affirmation suivant laquelle le vagin est en réalité un pénis, elle est encore plus stupéfiante. « Quelle que soit la manière dont on retournera le col de la matrice, cela ne fera jamais un membre viril », assure-t-il. Pourquoi ? « Parce que d’un seul corps creux, on n’en fera jamais trois ; or la verge consiste en trois corps creux » et, ainsi qu’on nous l’a déjà expliqué, « le col de la matrice n’a qu’une seule cavité ». (Comme il ressort clairement des fig. 35-36, Crooke a raison d’un point de vue anatomique, si étrange que puisse paraître son argument pour une sensibilité moderne.) De surcroît, « la cavité de verge d’un homme n’est pas non plus aussi large et grande que celle du col de la matrice ». Bref, le pénis n’est pas un vagin, parce qu’il est trois fois creux, ou parce qu’il ne l’est pas assez49.
Mais pour d’autres le test du creux invitait à la conclusion opposée — en confirmation des isomorphismes galéniques — s’il n’était pas, au pire, dénué d’intérêt.
Car tout ainsy que tu voy (dit Galien) vne maniere de couuerture a l’entour de l’orifice & entrée de la matrice des femmes : au cas pareil y a une maniere d’excrescence cuticulaire/cauée par dedens : laquelle fait la meilleure partie de la couuerture du membre viril. Bien y a ceste difference que la cavité de la ssusdicte est beaucoup plus dilatée aux femmes qu’aux hommes50.
On voit ici à l’œuvre une sensibilité radicalement différente de celle des médecins dans le monde des deux sexes.
Alors même que le contexte culturel plus général du modèle unisexe était clair pour le critique des isomorphismes galéniques, une toile de significations veillait que l’attaque demeurât étroitement ciblée et inoffensive pour les structures d’ensemble. Bartholin avait, par exemple, une parfaite intelligence de la politique sexuelle galénique. « Nous ne devons pas penser avec Galien […] et d’autres », expliquait-il, « que ces parties génitales femelles ne diffèrent de celles des Hommes que par leur Situation », parce que ce serait tomber victime d’un complot idéologique « ourdi par ceux qui ont prétendu qu’une Femme n’est jamais qu’un Homme imparfait ». Ses auteurs, en expliquant comment le « tempérament froid » de la femme gardait les organes féminins à l’intérieur, ne faisaient qu’exprimer leurs préjugés dans le langage de la science. (On aimerait savoir comment et pourquoi Bartholin conçut une critique si politique et si avisée.) Mais en dehors de toute politique, Bartholin reprochait à Galien et à ses disciples de ne pas aller droit au but. Le pénis femelle, était-ce le « col de la matrice » ou le clitoris ? La matrice était-elle la bourse femelle ou était-ce, pour une partie tout au moins, sa version du « gland de la verge » ? Et les vaisseaux spermatiques préparatoires, faisait-il valoir, diffèrent par leur nombre, leur origine et leur fonction chez les hommes et chez les femmes ; qui plus est, le mâle a une prostate, tandis que la femelle n’en a pas51. Enfin, les illustrations enfonçaient le clou. Le clitoris y apparaît clairement comme le pénis femelle, tandis que la représentation de la matrice et du vagin ne souffre plus aucune ambiguïté et n’a plus rien de pénien (fig. 37).
Mais malgré ces critiques bien développées et systématiques, Bartholin paraissait incapable de dépasser les images antiques qu’il rejetait formellement. L’orifice, ou la bouche intérieure de la matrice (le cervix), expliquait-il, fonctionne « comme le trou du gland de la verge (like the Hole of the Nut of the Yard) », en sorte qu’« aucune chose blessante ne puisse y pénétrer ». Le « col de la matrice » — observez l’usage du mot traditionnel pour désigner le vagin — « s’allonge ou se raccourcit, s’élargit ou se rétrécit, ou s’enfle de diverses manières suivant l’appétit de la femme ». Sa substance est « d’une chair dure et nerveuse, et quelque peu spongieuse, comme la Verge ». Autrement dit, dans son imagination, le vagin redevenait un pénis. Or, comme le vagin, le clitoris ressemblait lui aussi au pénis. C’est « la verge ou la queue femelle », parce qu’il « ressemble à la verge d’un homme par sa situation, sa substance, sa composition, par son entrain (repletion with spirits) et son érection » et qu’il a « quelque chose qui ressemble au gland et au prépuce d’une Verge d’homme52 ». De toute évidence, Bartholin était prisonnier d’une façon de voir qui l’attachait aux images du sexe unique. En vérité, plus il regardait, plus il voyait, et plus l’image se brouillait sous ses yeux, tant et si bien qu’il lui fallait s’accommoder non plus d’un pénis femelle mais de deux.
De surcroît, il ne devait pas échapper aux observateurs renaissants que les inversions topologiques de Galien donnaient des résultats risibles. Une fois encore, il n’en sortit rien. Le modèle unisexe absorba une nouvelle catégorie d’images de plus. Éminent médecin du XVIIe siècle, Jacques Duval, par exemple, tenta l’expérience intellectuelle de Galien et en conclut à juste raison que « si vous imaginez la vulve du tout renversée […] pour la rendre pendante en dehors, vous représenterez plutost à vostre entendement une forme de bouteille à large goulot ou orifice, pendue devant la femme, dont l’orifice sera attaché au lieu de l’ovale et le fond pendant en dehors53 ».
« Et n’y aura aucune similitude de ce que vous demandez », conclut-il. Pour d’autres, en revanche, une bouteille en forme de vagin et de matrice suspendue par le goulot ressemblait bel et bien au pénis et au scrotum, suffisamment en tout cas pour servir de base à une métaphore descriptive. William Harvey, l’inventeur de la circulation du sang, décrivit un utérus prolabé, « si grossier et ridé qu’il en prend l’apparence du scrotum » ; il pend, ainsi qu’il est précisé quelques paragraphes plus loin, « comme la bourse d’un taureau54 ».
Décrivant l’habillement de Gargantua, Rabelais élida également la distinction entre la matrice ou, comme dans les vers cités plus loin de George Gascoigne, le berceau de l’enfantement, d’une part, et la braguette qui enferme le pénis et la bourse de l’autre55. Certes, la braguette a deux crochets d’émail, « en un chascun desquelz estoit enchassée une grosse esmeraugde de la grosseur d’une pomme d’orange », ce qui est judicieux, précise Rabelais, car « elle a vertu érective et confortative du membre naturel ». Mais la braguette ressemble à une « belle corne d’abondance » joliment brodée et garnie de pierres, « telle que donna Rhea ès deux nymphes […] nourrices de Jupiter ». Tout en en promettant « bien dadvantaige au livre que j’ay faict de la dignité des braguettes », le narrateur ajoute qu’elle est « tousjours gualante, succulente, resudante [suintante], tousjours verdoyante, tousjours fleurissante, tousjours fructifiante, plene d’humeurs, plene de fleurs, plene de fruictz, plene de toutes délices56 ». Bref, la braguette a tout l’air d’avoir été métamorphosée en matrice, ce qui n’est pas si étrange quand on songe à l’antique assimilation de l’utérus au ventre et à la comparaison médiévale plus tardive de la bourse (cod) à un ventre ou à un sac. (Dans les Contes de Canterbury de Chaucer, le marchand d’indulgences proclame ainsi : « Ô matrice ! Ô ventre ! Ô bourse puante ! »)
De surcroît, la matrice qui, aux yeux de Duval, ressemblait à une bouteille suspendue par le col et faisait donc un piètre candidat pour un pénis retourné, a la forme exacte de la braguette, signe phallique évident dans l’habillement dont les représentations visuelles sont en même temps souvent résolument peu phalliques (fig. 38-39). De même que la bouteille de Duval, la braguette avait tendance à être plus large à l’extrémité qu’à la base, émoussée plutôt qu’effilée, et ornée de galons. Dans le portrait d’un jeune aristocrate inconnu (fig. 40), on ne sait pas très bien si la fleur de fiançailles qu’il tient est une allusion à la puissance génésique espérée de son membre ou de la structure utérine dans laquelle il est douilletté57. En vérité, la braguette accuse une forte ressemblance avec un utérus prolabé, certes, mais aussi avec un enfant emmailloté.
Ainsi la boucle est-elle bouclée et retrouve-t-on Galien, c’est-à-dire la matrice envisagée comme un pénis qui n’est pas né, mais aussi au trope renaissant de l’organe viril assimilé à un petit enfant. Voici, par exemple, « La Berceuse d’un amant » selon Gascoigne :
Voici une berceuse, mon bon ami,
Mon petit lutin, du calme.
Une berceuse, allons, prends congé,
Une berceuse et tes songes abusent,
Et lorsque tu te lèveras l’œil en éveil
De cette berceuse souviens-toi58.
Ainsi l’argument de Duval se retourne-t-il contre lui et d’une curieuse manière étaie la thèse contre laquelle il était dirigé. Voir l’opposition dans les organes était infiniment plus problématique avant le XVIIIe siècle qu’il ne devait le sembler par la suite.
Je souhaite passer maintenant des images aux mots. L’absence d’une nomenclature anatomique précise des organes génitaux féminins, et plus généralement du système de la reproduction, est l’équivalent linguistique de la propension à voir le corps féminin comme une version du corps mâle. Toutes deux attestent non pas de l’aveuglement, de l’inattention ou de la confusion d’esprit des anatomistes renaissants, mais de l’absence d’un besoin impératif de créer des catégories biologiques incommensurables du mâle et du femelle à travers des images ou des mots. Le langage gênait la vision d’opposés et confortait la position de forme humaine canonique dévolue au corps mâle. Et, inversement, comme l’on ne voyait qu’un seul sexe, même les mots qui désignaient les parties féminines s’appliquaient en définitive aux organes mâles. En un sens, il n’y avait pas d’anatomie femelle de la reproduction, ce qui explique que les termes modernes qui s’y réfèrent — vagin, utérus, vulves, lèvres, trompes de Fallope et clitoris — ne trouvent jamais tout à fait leurs équivalents à la Renaissance. (Je crois que l’anatomie est, plus encore que la physique, l’exemple paradigmatique de la thèse de Thomas Kuhn, suivant laquelle il n’est de traduction possible d’une théorie à l’autre par-delà l’abîme d’une révolution.)
Certes, il y a toujours eu, dans la plupart des langues, une forte propension à forger des expressions métaphoriques pour désigner les organes et fonctions qui sont osés ou honteux. (Lorsque des adolescents, de nos jours, parlent de getting a piece of ass [littéralement, « s’envoyer du cul », c’est-à-dire faire « une partie de jambes en l’air »], ils ne songent pas à l’anus.) Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, cependant, il est souvent impossible de déterminer dans les textes médicaux, à quelle partie précise de l’anatomie féminine de la reproduction s’applique un terme particulier59.
« Il importe peu », explique Colomb avec plus d’intuition qu’il n’en avait sans doute conscience, « que vous l’appeliez matrice, utérus ou vulve60 ». Et apparemment, il importe peu de savoir où une partie s’arrête, où commence l’autre. Il n’entend pas distinguer le vrai cervix — « la bouche de la matrice (os matricis) », qui de l’extérieur « offre à vos yeux […] l’image d’une tanche ou d’un chien qui viendrait de voir le jour » et qui, dans les rapports sexuels, se « dilate sous l’effet d’un plaisir extrême » pour « s’ouvrir au moment où la femme émet la semence » — de ce que nous appellerions le vagin, « cette partie en laquelle le pénis (mentula) s’insère, en quelque sorte, dans un fourreau (vagina)61 ». (Observez l’usage métaphorique de vagina, le mot latin classique pour désigner le fourreau et qui, autrement, n’était jamais employé pour la « partie » à laquelle il s’applique aujourd’hui.) Mais il n’offre pas d’autre terme pour « notre » vagin, il décrit les petites lèvres comme des « protubérances » (processus), qui sortent de l’utérus près de cette ouverture qui s’appelle « bouche de la matrice » et appelle le clitoris, dont il vante au passage les vertus érectiles et érogènes, « cette même partie de l’utérus (hanc eadem uteri partem)62 ». La précision que Colomb chercha à introduire en présentant le cervix comme la vraie « bouche de la matrice » se dissipe lorsque l’orifice vaginal devient la bouche de la matrice et le clitoris l’une de ses parties. Le fait est tout simplement qu’il n’existait pas de langage pour distinguer les organes mâles des organes femelles et que l’on n’en éprouvait pas le besoin. On retrouve très clairement ce même genre de tension chez d’autres anatomistes. Fallope se montre très soucieux de différencier le cervix [col de l’utérus] proprement dit du vagin, mais il n’a pas, pour le désigner, de mots plus spécifiques que ceux de « pudenda femelles », ou partie d’un « creux » (sinus) général. Les trompes de Fallope, telles qu’il les décrit, ne sont pas les trompes qui transportent les œufs des ovaires jusqu’à la matrice mais des protubérances jumelles de tendons (beruei) qui pénètrent le péritoine, sont creuses et n’ont pas d’ouverture dans l’utérus. Fallope demeurait attaché au modèle phallocentrique et, nonobstant sa rhétorique révolutionnaire, il reprit à son compte le lieu commun qui voulait que « toutes les parties qui sont chez les hommes [fussent] présentes chez les femmes63 ». À vrai dire, si tel n’était pas le cas, les femmes n’eussent pas été humaines.
Gaspard Bauhin (1560-1624), professeur d’anatomie et de botanique à Bâle, s’efforça, mais avec un égal insuccès, de mettre un peu d’ordre dans la nomenclature. La tentation de voir tous les organes génitaux par rapport à l’homme est trop profondément inscrite dans le langage. « Tout ce qui touche aux organes génitaux femelles est appréhendé en terme de nature (phuseos) », affirme-t-il, avant de signaler ensuite à ses lecteurs que certains auteurs anciens appelaient aussi phuseos les organes génitaux mâles. Parmi les mots qui désignent les lèvres, il cite le grec mutocheila, qui désigne le museau ou le mufle, avec son évidente connotation phallique ou, pour donner une traduction plus explicite, « lèvres péniennes64 ». Ce qui, à son tour, cadre avec l’habituelle confusion des lèvres avec le prépuce qui remonte au moins à l’auteur arabe du XIIe siècle qui fait valoir que l’intérieur du vagin — curieuse description — « possède des prolongements de la peau nommés clitoris [= lèvres ?] », et qui sont « l’analogue du prépuce chez l’homme et son utilité consiste à garder et à protéger la matrice contre l’air froid65 ». Selon Mondino, les lèvres gardent le « col de la matrice », de même que « la peau du prépuce garde le pénis » : c’est bien pourquoi « Haly Abbas les appelle praputia matricis [prépuce de l’utérus, du vagin ?]66 ». Berengario emploie tout simplement le mot de nymphae pour désigner à la fois le prépuce de la verge et celui du vagin, autrement dit, les petites lèvres (labia minora)67. (Et lorsque apparaît un nouveau pénis femelle, les lèvres en deviennent également le prépuce. Ainsi John Pechy, écrivain anglais à la mode sous la Restauration, décrit la « production membraneuse ridée [qui] enveloppe le clitoris [non le vagin] comme un prépuce68 ».)
Une bonne partie de la controverse autour du véritable inventeur du clitoris vient précisément de ce que les frontières métaphoriques et linguistiques sont brouillées, du fait d’un modèle de la différence sexuelle dans lequel les noms dénués d’ambiguïté des organes génitaux féminins importent peu. Je ne donnerai ici qu’un exemple. Lorsque Thomas Vicary, écrivant en 1548 avant que Colomb ne publiât, explique que la vulve « a en plein milieu un pannicule musculaire (Lazartus pannicle) qui a pour nom latin Tentigo », la référence ne souffre apparemment aucune ambiguïté. De surcroît, en anglais, au début du XVIIe siècle, tentigo signifie « tension ou désir charnel (lust) ; crise de priapisme ; érection ». Il est moins douteux encore que la structure en question soit le pénis femelle, autrement dit le clitoris. Mais lorsque Vicary aborde les fonctions de cette partie, ses « deux utilités », il paraît évoquer un organe entièrement différent. Il n’est pas question de plaisir. « La première [utilité] est que par là jaillit l’urine, sans quoi elle se répandrait à travers toute la Vulve. La seconde est que, lorsqu’une femme ouvre grand les cuisses (does set hir thies abrode), elle altère l’air qui entre jusqu’à la Matrice pour en modérer la chaleur. » Alors que par le nom même on aurait attendu un pénis femelle, on se retrouve, au bout du compte, avec une paire de deux rabats d’un habit de tous les jours, un prépuce femelle qui sert une double fin69. Mais quel que soit le propos de Vicary, toute traduction est impossible par-delà l’abîme qui sépare son univers du nôtre.
Une toile de mots, comme la constellation d’images évoquées dans les précédentes sections, exhalait une forte odeur de théorie de la différence sexuelle et préservait ainsi le modèle unisexe de toute mise à l’épreuve plus générale. Les textes comme les images se singularisaient par une sorte d’insistance obsessionnelle, une révolution permanente qui ramenait toujours au mâle comme à un étalon. Un caractère presque défensif laisse penser que la politique du genre implicite explique l’insistance du texte à affirmer que, somme toute, il n’y avait pas vraiment de femmes.
Comme je l’ai dit, le modèle de la chair unique se prêtait en principe et dans certaines de ses parties à une vérification empirique et donc aussi à une infirmation (falsification). Il demeura cependant à l’abri de toute vérification empirique, non seulement pour les raisons mentionnées plus haut, mais aussi parce qu’il s’entremêlait à tout un tissu d’interprétations, de pratiques cliniques et d’expériences quotidiennes grâce auxquelles les preuves contraires, comme nous dirions aujourd’hui, n’avaient aucune prise sur lui.
Que des hommes et des femmes aient pensé qu’il y avait un corrélat phénoménologique avec un processus aussi effrayant et mystérieux que la génération n’est guère pour surprendre. (Aujourd’hui encore, l’orgasme demeure lié à la conception dans l’imagination de bien des gens.) Par ailleurs, il eût été facile de trouver des preuves contraires, que souvent femme concevait sans orgasme. Pour un certain nombre de raisons, la conception ancienne n’en survécut pas moins. Les données systématiques en la matière sont fort difficiles à rassembler et, même si l’on avait interrogé les femmes, il est plus que probable qu’elles eussent donné la réponse que dictait la tradition. Leur mémoire eût flanché concernant la nuit de la conception ou elles eussent trahi leurs véritables sentiments parce qu’il n’est que trop facile d’écarter une conception non orgasmique comme une simple anomalie ou, de longs mois plus tard, d’avoir oublié purement et simplement les circonstances de la conception, en particulier lorsque agir autrement eût été se dérober aux idées reçues. Bref, on fait état de l’expérience et l’on s’en souvient en sorte qu’elle confirme les paradigmes dominants.
Sur un plan plus technique, il n’était pas difficile de réfuter, ou de repousser aux marges, des faits fâcheux. Aristote était, par exemple, une proie facile. Ainsi était-il coutumier de retourner contre lui son propre dicton, suivant lequel « la nature ne fait jamais rien sans finalité ni n’abandonne rien qui soit nécessaire70 ». Les femmes ayant des organes qui ressemblent aux testicules mâles et alors que de toute évidence elles connaissent l’orgasme sexuel — « vous observerez le même plaisir et la même secousse que chez les mâles » —, il semblait n’y avoir aucune raison de leur nier un rôle aussi actif que les hommes dans la génération humaine. « Pourquoi supposerions-nous que Nature, outrepassant sa coutume, abonde en superfluités et parties vaines », demande dans une figure de rhétorique un médecin progressiste d’Oxford, Nathaniel Highmore71. Ou encore, suivant une image de Lemnius en 1557, qui avait une résonance certaine dans une société de plus en plus vouée au commerce, d’aucuns veulent faire croire aux mères que tout se passe « quasi comme si seulement elles louoient leur ventre aux hommes, auquel, comme en quelque navire, ils portassent leurs marchandises et y deschargeassent leurs ordures ». Et même si — ce qu’il niait — la semence des femmes n’avait d’autre fin « que d’exciter, remuer et aiguillonner la femme au plaisir », elle eût été d’une importance immense parce qu’à défaut du « désir et de l’appétit ardents et véhéments » d’union charnelle, ni l’homme ni la femme ne suivraient la divine injonction de croître et multiplier. Ainsi que les femmes eussent des gonades comme les hommes, qu’elles eussent des désirs sexuels, qu’elles produisissent généralement un fluide pendant les rapports sexuels et montrassent vraisemblablement des signes de « plaisir et de secousse » étaient autant de confirmations du lien entre orgasme et conception qu’Aristote avait cherché à nier, tout au moins dans sa persona philosophique72.
Certes, le fluide que produisaient les femmes ne ressemblait pas à l’éjaculation masculine, mais c’était précisément ce à quoi il fallait s’attendre. En premier lieu, une chose n’avait pas forcément à ressembler à autre chose pour être telle : témoin, le pain et le vin dans la communion. Plus prosaïquement, le modèle galénique de sexes hiérarchiquement ordonnés eût prédit des différences de qualité entre les deux. Le patriarcat lui-même reposait sur le fait que lorsque, « par l’ouvrage et le frottement des testicules ou des pierres », le sang était transformé en sperme, celui de l’homme était « chaud, blanc et épais » tandis que celui de la femme était « plus fin, plus froid et plus faible73 ».
Le lien entre chaleur (orgasme) et conception était aussi profondément mêlé à la pratique médicale et à la théorie en général. Ainsi que nous l’avons vu, le modèle de la chair unique, et le rôle qu’y jouait l’orgasme, est représenté dans l’économie corporelle des fluides en général et rejaillit sur toute la structure de la médecine hippocratico-galénique. L’expérience des patients l’eût confirmée, ne fût-ce qu’en raison de l’universelle propension à croire en l’efficacité de leurs guérisseurs, quand bien même ils la tournent en ridicule.
Mais la chaleur, plus précisément l’orgasme, était partie intégrante de la thérapeutique plus prosaïque de l’infécondité, de l’aménorrhée et des états voisins, sans parler des dysfonctionnements sexuels dont les causes physiologiques sont les mêmes. Consulté au sujet de l’un quelconque de ces problèmes, en particulier pour cause de stérilité, un médecin, un chirurgien, une accoucheuse, une sage-femme, ou un autre guérisseur eût aussitôt soupçonné quelque pathologie calorique. Et comme l’analyse statistique de la conception n’a évolué que depuis peu, et que l’on a de très bonnes chances de soigner l’infécondité en ne prenant aucune initiative thérapeutique, il est vraisemblable que tous les conseils que les guérisseurs renaissants pouvaient donner à leurs patients concernant la chaleur et le plaisir sexuel devaient paraître assez souvent efficaces pour confirmer le modèle sur lequel ils s’appuyaient74.
Les défauts anatomiques suspectés pouvaient être eux-mêmes réputés dommageables à cause de leur effet sur le plaisir. Si, comme on le pensait, le corps générateur, pendant le coït, « agite » la semence, les irrégularités dans le contact physique effectif des corps figuraient parmi les premières possibilités qu’envisageaient les médecins chez les patients qui venaient les consulter pour infécondité75. Si le pénis ne parvenait à frotter convenablement, l’un des partenaires, sinon les deux, n’avait point d’orgasme et ne parvenait donc à produire de semence. Fallope assure qu’il faut redresser un pénis mal formé, et ce moins pour des raisons cosmétiques qu’à cause de l’absence de « lubrification naturelle » d’un pénis sans prépuce ; la « lubricité » est nécessaire au plaisir sexuel, et « lorsque le plaisir est au plus fort, la femme émet semence et matériaux adéquats pour la formation du fœtus et la production de membranes76 ». Sans prépuce, le frottement est moindre, tandis que l’absence d’orgasme féminin est une certitude de stérilité. Un pénis trop court pouvait avoir le même résultat pour la même raison : l’inaptitude à satisfaire une femme. (Avicenne faisait autorité en la matière.) Il en allait de même si le membre était excessivement gros au point de diminuer le plaisir de la femme, bien qu’un médecin allemand du XVIe siècle se déclare sceptique : « Peut-être n’avez-vous point entendu de trop nombreuses plaintes au sujet d’un pénis trop long », et il ajoute, « c’est moi qui vous le dit, plus l’herbe pousse, mieux c’est77 ».
Mais la chaleur génitale, celle que procure le frottement des parties, était conçue comme un élément d’une économie calorique plus générale, de même que la semence fait partie d’une circulation plus générale de fluides fongibles. Ainsi l’excès de chaleur passait pour être à l’origine des émissions nocturnes ou des éjaculations précoces, mais il était possible d’y remédier en réduisant la consommation d’aliments épicés, en supprimant les « images de femme désirée » ou en ne dormant pas trop longtemps sur le dos (parce que cette position avait pour effet de réchauffer les reins et ainsi d’accroître la production d’excréments en général et donc aussi de semence78).
C’étaient là des affaires sérieuses. Dans une société où un enfant sur cinq mourait avant l’âge d’un an, et où même les familles prospères pouvaient se considérer chanceuses si elles parvenaient à se reproduire, toute perte de semence était une affaire d’une gravité des plus poignantes. Un médecin français rapporte ainsi l’histoire d’un homme qui vint le consulter en mars 1694 parce que « toutes les fois que le désir d’approcher sa femme l’occupait, l’érection et l’éjaculation se faisaient si brusquement qu’il lui était impossible d’avoir le temps d’accomplir l’introduction, ce qui le privait d’avoir des enfants, et comme il ne lui en restait qu’un seul de plusieurs qu’il avait eus, il était dans une vraie crainte de s’en voir privé ». De la Motte lui prescrivit des remèdes rafraîchissants et lui conseilla de « ne boire à ses repas que peu ou point de vin, de s’abstenir des ragoûts et de toutes sortes d’épiceries ». Son état s’améliora, mais sa femme demeura stérile, « quoique fort jeune79 ».
Le problème d’une chaleur excessive chez les femmes faisait aussi partie à la Renaissance de tout diagnostic différentiel des causes de la stérilité. Excès de désir ; chevelure bouclée, noire et abondante (la chevelure était chez les hommes signe de virilité, de bravoure, mais aussi de la chaleur vitale qui surgissait dans l’adolescence et les distinguait finalement des femmes) ; la brièveté ou l’absence des règles (le corps chaud consumait l’excès de matériaux que les femmes normales éliminaient lors des menstrues) et ainsi de suite : c’était là autant de signes d’un problème de chaleur excessive qui brûlait la semence. Les remèdes rafraîchissants étaient de rigueur dans ces cas-là80.
L’insuffisance de chaleur occupait cependant une place bien plus importante dans la littérature que sa surabondance. L’absence de désir sexuel chez les hommes, mais aussi chez les femmes moyennant des ajustements mineurs, se pouvait guérir en frottant les reins de remèdes calorifiques ou en tenant des propos lascifs ; d’autres médicaments, la coquetterie et un surcroît de propos pouvaient soigner un « défaut d’esprit », l’incapacité d’avoir une érection quand le désir lui-même était insuffisant. Chez les femmes, l’adversité et l’indisposition « aux plaisirs des draps légitimes », surtout lorsqu’elles s’accompagnaient d’un pouls faible, d’une petite soif ou d’une urine légère, « l’absence de plaisir et de volupté » pendant le coït, une toison pubienne clairsemée et les signes similaires étaient autant d’indicateurs importants, d’un point de vue diagnostique, d’une froideur excessive des testicules et donc d’une chaleur insuffisante pour concocter leur semence. Ainsi que le dit Jacob Rueff évoquant le problème de la frigidité, « la fécondité de l’homme et de la femme peuvent souffrir grandement du peu de désir à lier connaissance avec Vénus81 ».
Le désir était donc un signe de chaleur et l’orgasme, signe qu’elle était suffisante pour assurer « la génération à l’heure de la copulation ». Afin de produire assez de chaleur chez les femmes, la parole et la titillation étaient considérées comme un bon début82. Il les faut « préparer aux douces étreintes par des paroles lascives mêlées de baisers lascifs », parce que si « l’homme est prompt et la femme trop lente, il n’y a point concours des semences au même instant ainsi que le veulent les règles de la conception83 ». (Invariablement, les hommes sont présumés plus prompts à s’exciter que les femmes.) Ambroise Paré, qui fut le plus éminent chirurgien de son temps, commence son explication largement traduite de la génération en insistant sur l’importance du flirt, des caresses et de l’excitation. (À l’évidence, il s’adresse à un public masculin.) Suivant son explication, les hommes devaient littéralement faire sortir la semence des femmes à force de cajoleries. « L’homme estant couché avec sa compagne et espouse, la doit mignarder, chatouiller, caresser et esmouvoir, s’il trouuoit qu’elle fust dure à l’esperon » ; il « n’entrera dans le champ de Nature humaine à l’estourdy, sans que premièrement n’aye fait ses approches, qui se feront en la baisant, et luy parlant du ieu des Dames rabattues : aussi en maniant ses parties genitales et petits mamelons, à fin qu’elle soit aiguillonnée et titillée ». Le rythme et l’à-propos sont d’une importance suprême, conseille-t-il, et pour que « les deux semences se puissent rencontrer ensemble », l’homme doit prendre garde qu’« aucunes femmes ne sont pas si promptes à ce ieu que les hommes » ; de surcroît, « l’homme ne doit promptement se desioindre, afin que l’air n’entre en la matrice » et ne refroidisse la semence tout juste ensemencée84.
Si tout cela échouait, la pharmacopée renaissante, de même que les compilations antérieures, ne manquait pas de médicaments réputés agir directement, sinon par une magie sympathique. « Et pour encore auancer la besongne », recommandait Paré, « la femme fera vne fomentation d’herbes chaudes, cuites en bon vin ou maluoisie, à ses parties genitales, et mettra pareillement dedans le col de sa matrice vn peu de musc et ciuette ». Genièvre et camomille, un cœur de caille mâle accroché autour du cou de l’homme et un cœur de femelle autour du cou d’une femme — vraisemblablement à cause de la nature lubrique des oiseaux en général et des cailles en particulier — sabot de bière et paille de bois étaient autant de préparations disponibles pour manipuler la chaleur du corps unisexe85. Ainsi vit-on prescrire la sabine (le genièvre, aisément disponible sous forme de gin) afin de permettre à un homme impuissant d’avoir des érections, pour réchauffer les parties génitales infécondes d’une femme, ou encore pour produire dans la matrice une chaleur inhospitalière chez une prostituée de Somerset qui souhaitait interrompre une grossesse. Il en va de même de la barbotine (armoise commune et armoise amère), du calament, d’épices comme le gingembre et la cannelle, et de concoctions de parties animales diverses86.
Un immense corpus de pratique clinique et d’érudition se constitua ainsi autour de la chaleur, de l’orgasme et de la génération. Il était et il reste difficile d’évaluer l’efficacité de thérapies particulières, et il n’y a rien d’étrange à ce que l’expérience des patients, à défaut des techniques modernes de surveillance et d’analyse statistique, vînt confirmer l’idée que les rapports sexuels qui procuraient le plaisir le plus intense étaient aussi les plus féconds.
L’économie des fluides analysée dans le deuxième chapitre relevait en partie de l’idéologie : c’était en effet une manière de parler des femmes comme de créatures plus froides, moins bien formées et plus protéennes que l’homme. Mais c’était aussi, plus généralement, une manière de comprendre le corps, un corps bien moins asservi et contraint que ce n’est le cas aujourd’hui. C’était enfin une façon d’organiser des observations empiriques, qui l’étayaient en même temps que la vision de la différence sexuelle qu’elle formait.
Pour commencer, certaines découvertes anatomiques qui marquèrent un progrès sur l’anatomie galénique semblaient bel et bien confirmer la physiologie fondamentale du modèle unisexe, quand bien même nul n’eût jugé nécessaire une telle mise à l’épreuve. Vésale, par exemple, observa à juste titre que, contrairement à ce que pensait Galien, les veines ovariennes et spermatiques, naissent non pas de la veine cave, mais de la veine rénale gauche (fig. 41). De ce constat, il conclut que si la veine droite transporte sans doute « le sang pur jusqu’aux testicules », celle de gauche, qui trouve son origine tout près du rein, pourrait plus spécialement transporter un sang plus aqueux et séreux, dont la « qualité saumâtre et âcre provoque sans doute une démangeaison pour l’émission de semence ». Ce en quoi l’on voyait un correctif important à Galien cadrait ainsi parfaitement avec l’idée profondément galénique de prurit génital, d’une sensation sexuelle qui est au moins en partie le fruit des qualités corrosives de certains fluides corporels87.
Inversement, une découverte qui aurait pu militer contre l’économie des fluides du corps unisexe — par exemple, le fait, déjà connu de Léonard, que les vaisseaux épigastriques qui vont jusqu’à la poitrine n’avaient point pour origine les vaisseaux utérins et que, en conséquence, la transformation du sang matriciel en lait, et vice versa, n’était pas chose si facile — était sans mal passée sous silence. Un nouveau pan de tuyauterie faisait pâle figure face à la sagesse clinique et populaire qui remontait à Hippocrate et à l’ordre macrocosmique tout entier dont cette sagesse faisait partie88. Et n’est-ce pas le même sang qui, après avoir été dans la matrice, est maintenant dans les seins, blanchi par l’esprit vital à travers sa chaleur naturelle ? demande sur un ton rhétorique Laurent Joubert, l’un des grands vulgarisateurs médicaux du XVIe siècle. Bien entendu. Tout un chacun croyait savoir que les femmes qui allaitaient n’avaient généralement point de règles et, comme le dit Joubert, les femmes qui avaient des flux menstruels excessifs (signe d’un excédent) avaient aussi toutes chances de produire une forte quantité de lait une fois l’écoulement endigué. (Cette discussion a pour cadre un effort délibéré pour répondre aux questions de l’histoire naturelle en se fondant sur l’observation et trouver ainsi la réponse juste. Joubert, par exemple, conteste que l’excès de sang menstruel puisse produire des taches de naissance ainsi que le voulait Paré89.)
Les médecins continuèrent à écrire comme si les sentiers vasculaires réels n’avaient guère d’importance. Les nouvelles observations cliniques paraissaient confirmer que la menstruation était tout bonnement une façon pour le corps d’évacuer un excédent plutôt qu’une chose propre à l’organe féminin ou une route unique. Ainsi un médecin dressa-t-il une liste circonstanciée de tous les endroits où pouvait aller le sang, sous des formes diverses, quand il ne sortait pas par l’endroit habituel : chez une Saxonne, il lui sortit par les yeux ; chez une nonne, par les oreilles ; une femme de Stuttgart le vomit, une esclave s’en défit par crachat ; une femme de Trente l’évacua par le nombril ; et enfin (même si la chose lui paraît des « plus stupéfiantes »), une certaine Monica l’évacua par l’index et les petits doigts90. Christoph Wirsung, auteur allemand à succès, prétendait que le flux menstruel suivait trois trajectoires distinctes au cours de la grossesse, même s’il ne savait pas précisément comment le corps effectuait cette division : le plus tendre et le plus raffiné était réservé au fœtus, le sang de médiocre qualité s’en allait par « diverses veines jusqu’aux seins » pour être transformé en lait et le plus commun demeurait en arrière, attendant d’être évacué lorsque le bébé naîtrait. La route de la matrice à la mamelle a nettement moins d’importance que la poétique du lait et du sang. Un esprit aussi à la page que l’anatomiste anglais Helkiah Crooke, qui devait savoir qu’il n’y avait pas le moindre lien entre les vaisseaux de l’utérus et ceux de la poitrine, n’en affirmait pas moins que les seins étaient exceptionnellement bien situés pour « altérer et transformer » le sang en lait du fait de leur proximité avec le cœur, la « chaufferie » (shop of heate)91. Ainsi, alors même que l’anatomie ne corroborait pas le lien entre le sang et le lait, celui-ci trouvait une confirmation dans l’idée du cœur conçu comme le fourneau du corps.
Des observations à la périphérie de la civilisation occidentale et dans des conditions pathologiques apportaient en apparence de nouvelles preuves directes de la nature irrécusable des fluides de l’identité sous-jacente, entre hommes et femmes et parmi eux, des diverses formes de saignement. Les Indiennes du Brésil « n’ont jamais leurs fleurs », écrit au XVIIe siècle un compilateur anglais de curiosités ethnographiques, parce que les « mères entaillent les flancs de leurs filles dès l’âge de douze ans, et ce de l’aisselle jusqu’au genou [et] d’aucuns conjecturent qu’elles empêchent de la sorte leur flux menstruel ». Joubert croyait pareillement que les Brésiliennes n’ont jamais de règles, pas plus que les femelles dans le règne animal, tandis que Nicholas Culpeper, l’infatigable auteur et éditeur anglais du XVIIe siècle, voit dans le fait que d’aucunes, tout au moins, « n’ont jamais les moindres fleurs » mais sont néanmoins fécondes la preuve de la théorie générale suivant laquelle les femmes chaudes peuvent concevoir même si elles n’ont pas de menstrues92.
Inversement, dans l’économie des fluides unisexe, des hommes étranges ou féminins pouvaient avoir du lait. Hieronymus Cardanus, médecin à la cour du roi du Danemark, explique sur la foi de récits de voyageurs qu’en certaines contrées « presque tous les hommes ont grande quantité de lait à la mamelle93 ». (Un commentateur italien cite l’un des cas les plus proches de Cardanus : « Antonio Benzo, 34 ans, pâle, gras et presque imberbe, avait tant de lait à la mamelle qu’il pouvait allaiter un bébé94. ») S’ils étaient « d’une complexion froide, humide et féminine », les hommes avaient toute chance d’avoir du lait à la mamelle, pensait un médecin anglais, et Joubert partageait son point de vue tout en ajoutant que c’est surtout en Orient que l’on trouve ce genre d’hommes. Outre ce qu’en dit Aristote, il donne l’exemple d’un comte syrien qui allaita son enfant pendant plus de six mois95.
Non qu’il faille interpréter comme des exemples ethnographiques de l’espèce que l’on vient de citer la présence d’un Christ qui allaite métaphoriquement, dont le lait nourrit son Église ainsi que celui de Marie l’avait nourri, ou d’un Enfant Jésus représenté avec des mamelles d’où le lait ne demande qu’à gicler. Mais ces faits laissent penser que dans le monde du sexe unique, le corps était bien moins fixe et bien moins contraint par les catégories de la différence biologique qu’il ne devait l’être après le XVIIIe siècle. La frontière entre un Christ plus féminin, plus maternel et donnant le lait, dans l’imagerie religieuse, et les hommes qui ont du lait dans l’ethnographie prosaïque et les dossiers cliniques est loin d’être claire96.
De toute évidence, il ne faut pas nécessairement voir dans les cas d’aménorrhée parmi les Indiennes ou les histoires plus bizarres d’hommes donnant le lait une confirmation de l’économie des fluides fongibles. L’absence de règles au cours de l’allaitement serait aujourd’hui attribuée à des changements hormonaux, plutôt qu’à la conversion de l’excédent de sang en lait. Il faut donc consentir un certain effort d’imagination pour imaginer comment, à la Renaissance, médecins et sages-femmes voyaient dans un corps imposant de matériaux cliniques la confirmation d’une intelligence théorique très différente du corps. Or le fait est là ; les fluides que nous imaginerions distincts et sexuellement spécifiques se trouvaient métaphoriquement mêlés dans le modèle unisexe. L’« irrégularité » (Gebrechen) que « les femmes nomment matière blanche et les médecins menstrua alba » n’avait rien d’une décharge vaginale anormale pour un médecin allemand du XVIe siècle, qui y voyait plutôt un fluide qui « rappelle fort l’écoulement de la semence masculine » et qui apparaissait lorsque une chaleur désordonnée, un excès de chaud ou de froid, transformait les menstrues en quelque chose de semblable à la « semence masculine97 ». (En allemand, le même mot — Regel, ici déformé — désigne la régularité ou la loi et les règles.)
De même, dans les décharges de sang chez les hommes, qu’elles se produisissent naturellement ou par phlébotomie, on ne voyait pas de simples cas de saignement mais un substitut mâle des menstrues dans le cadre d’une économie de fluides dont le genre demeurait contingent. La saignée des hommes était une affaire de routine : elle s’opérait généralement au printemps, plus souvent chez ceux qui ne prenaient guère d’exercice, afin de les débarrasser d’une pléthore qui chez les femmes s’évacuait tous les mois. Jusqu’en plein XVIIIe siècle, on persista à associer certains cas de saignement pathologique chez les hommes à la menstruation. Dans l’esprit d’Albrecht von Haller, les saignements de nez débarrassaient les garçons pubères d’un excédent de sang qui chez les filles trouvait « plus facilement à s’écouler par le bas » et Hermann Boerhaave rapporta le cas de « certain marchand de Leyde, un Homme de Bien, qui décharge tous les mois une plus forte Quantité de Sang par les artères hémorroïdales que n’en décharge l’Utérus de la plus saine des femmes98 ». (Cette association remonte au moins à Aristote.)
En fait, toute la matrice de la pratique médicale rattachait la physiologie des fluides, l’orgasme, la conception et la chaleur. Les hommes froids, moins désireux, moins puissants, moins féconds, étaient plus susceptibles de souffrir de saignements quasi menstruels mais aussi d’une foule de maux physiques et mentaux ; les femmes froides étaient plus enclines à souffrir de rétention de la semence ou du sang excédentaire, d’aménorrhée, ce qui pouvait avoir toute une série de séquelles cliniques : dépression, langueur des membres, stérilité, chlorose, hystérie. Les médicaments calorifiques — se faire frotter les parties par une sage-femme (dans le cas des femmes) — ou les ardeurs du coït proprement dit — réchauffaient le corps froid et moite pour le rendre à la normalité et rétablir en lui l’équilibre des fluides. Tout le problème était celui de la chaleur.
Le public renaissant eût jugé physiologiquement anodin le cas de cette fille, évoqué dans l’Anatomy of Melancholy, de Robert Burton, censément perturbée par le retard de ses règles et qui, par un heureux hasard — dans la perspective de Burton —, atterrit dans un bordel où elle connut quinze hommes la même nuit. L’expérience la guérit de son aménorrhée et lui rendit la santé. Par ailleurs, on voyait dans la menstruation — normale ou même vicaire — un signe de chaleur normale du corps et de réceptivité sexuelle. Le chevalier des Adventures of Master F. J. de Gascoigne poursuit douloureusement une dame de ses assiduités jusqu’au jour où celle-ci souffre d’un saignement de nez torrentiel. Lorsqu’avec son aide prend fin l’épistaxis, il a gagné sa place dans la couche de la dame.
Toute une tradition clinique embrassait ainsi les parties testables du modèle de la chair unique. Des découvertes et observations spécifiques — que l’orgasme n’allait pas toujours de pair avec la conception, qu’il n’y avait pas de routes directes entre l’utérus et les seins, que la sécrétion vaginale des femmes ne ressemblait aucunement à la semence des hommes — ne pouvaient pas ébranler, même considérées toutes ensemble, des croyances antiques aussi profondément gravées dans le regard qu’hommes et femmes portaient sur leur corps et leur manière de le gérer. Enfin, interprétées dans les contraintes du modèle, toute une série d’observations réelles ou putatives ne pouvait qu’en confirmer les dogmes.
Dans le prochain chapitre, j’examinerai explicitement la relation extraordinairement chargée entre l’univers social des deux genres et du corps unisexe, mais je n’entends pas terminer celui-ci sans explorer brièvement une autre rhétorique de la différence que l’anatomie des isomorphismes et la physiologie des fluides fongibles sur lesquelles j’ai insisté, une rhétorique qui proclame les qualités uniques du corps féminin et le rôle supposé de ces attributs corporels dans la détermination de la santé et de la position sociale des femmes. Dans le chapitre XXXII du Tiers Livre de Pantagruel de Rabelais, par exemple, le docteur Rondibilis explique que « Nature leurs a dedans le corps posé en lieu secret et intestin un animal, un membre, lequel n’est ès hommes99 ». Louise Bourgeois, sage-femme du XVIIe siècle, laisse le problème de la stérilité masculine aux médecins de sexe masculin mais soutient que, chez les femmes spécifiquement, elle est le plus souvent due à l’humidité de la matrice, que les femmes seraient aussi saines de corps et d’esprit que les hommes n’était cet organe et, plus généralement, que Dieu créa ses qualités singulièrement pathogènes — sa tendance à errer et à causer de l’hystérie, par exemple — de manière à empêcher l’envie entre les sexes et à inspirer à l’homme pitié et amour envers la femme100. De surcroît, il existe une littérature considérable qui rattache les humeurs froides et humides, censées dominer le corps des femmes, à leurs qualités sociales — tromperie, caractère changeant et instabilité — tandis que les humeurs chaudes et sèches chez les hommes expliquent prétendument leur honneur, leur vaillance, la force musculaire en même temps que la fermeté générale du corps et de l’esprit.
Bien entendu, les deux façons de parler proclament sans ambiguïté la différence. Toutes deux disposent la différence sexuelle sur un axe hiérarchique vertical. Toutes deux prennent acte de l’évidence : les femmes ont une matrice, pas les hommes. Toutes deux, pour paraphraser Ian Maclean au sujet de la logique aristotélicienne de l’opposition sexuelle, renvoient tantôt à une opposition « de privation », tantôt à une opposition de contraires qui peut admettre ou non des intermédiaires, et parfois — je dirais même toujours — à d’autres parties d’un système cognitif, d’autres « opposés corrélatifs101 ».
Mais ces façons de parler diffèrent également à deux égards importants. Le premier est rhétorique. Les anatomistes, les médecins et même les sages-femmes que j’ai cités écrivaient pour faire comprendre à leurs lecteurs le corps et ses fluides d’une façon bien particulière. Ils exprimaient une série d’affirmations de l’ordre de la représentation ou de la sémiotique : qu’il faut comprendre la matrice comme un pénis intérieur, qu’il faut comprendre la menstruation comme une manière pour les femmes de se débarrasser d’une pléthore que le corps plus chaud et plus actif des hommes consume dans la vie quotidienne. Cette compréhension des choses était lourde de sens sur le plan culturel, mais son dessein premier n’était pas de mettre en évidence les fondements corporels de l’ordre social. Par ailleurs, certains ouvrages d’obstétrique ou de médecine, d’auteurs qui entendaient faire valoir leur savoir spécialisé, ainsi qu’un large éventail de livres sur les femmes, pour ou contre, traitaient du corps comme s’il enfermait les raisons nécessaires et suffisantes de problèmes médicaux et de traits de comportement qui retenaient plus particulièrement leur attention.
La seconde différence (qui est en même temps une affinité) a trait à la façon dont ces deux discours renaissants interprétaient le corps en rapport avec ses significations culturelles. Dans aucun des deux, le classement des sexes dans la grande chaîne des êtres n’est simplement métaphorique — dans ce système culturel rien n’est jamais simple métaphore — mais il n’est pas non plus purement corporel. Le discours de la chair unique que j’ai expliqué paraît considérer les organes et les qualités des corps, en général, comme autant de façons d’exprimer la hiérarchie, ou autant d’éléments d’un réseau de significations. Par ailleurs, le discours sur la singularité de la femme paraît postuler une théorie réductionniste quasi moderne de la causation temporelle, même si elle ne pousse pas la notion d’opposition corporelle incommensurable aussi loin qu’on devait le faire après les Lumières. Pourtant, et c’est là le point critique, le métaphorique et le corporel sont si intimement liés l’un à l’autre qu’entre les deux la différence est d’accentuation plutôt que de nature.
Même une affirmation apparemment directe sur le corps, comme celle que place Rabelais dans la bouche du docteur Rondibilis, se retourne contre elle au point de porter finalement sur autre chose : la matrice finit par ressembler une fois encore à un pénis. Seules les femmes ont une matrice. Mais la matrice est « un animal », poursuit-il, en adoptant une métaphore tout en faisant allusion au Timée (91 b-d), où Platon évoque les organes génitaux tant mâles que femelles comme des animaux enclins à se balader tant qu’ils n’ont pas trouvé satisfaction102. Puis, conformément à l’usage renaissant habituel, les images se superposent et cet organe — la matrice — dont on dit qu’il n’existe pas chez l’homme, devient « un membre », terme qui peut bien sûr désigner tout simplement un organe, mais qui au XVIe siècle s’appliquait plus spécifiquement à un appendice — bras ou jambe — ou, employé seul, comme lorsqu’on parlait de « son membre », désignait le membre viril. Mais en aucun cas le membre ne se pouvait féminiser103. En l’occurrence, le problème n’est pas que Rondibilis fasse une affirmation controversée en affirmant que seules les femmes ont une matrice ; nul ne le niait. Il est plutôt qu’une fois encore l’organe féminin se laisse entraîner dans l’orbite métaphorique du mâle, non pas pour en souligner la ressemblance mais pour affirmer que toute différence est figurée sur l’échelle verticale de l’homme.
C’est aussi précisément dans ces contextes où la matrice apparaît comme une source on ne peut plus claire de maladie organique — ainsi dans la thèse suivant laquelle l’hystérie résulte des errances de la matrice — qu’elle se trouve le plus profondément liée à un sens extracorporel. Même dans les textes classiques, on saisit mal le point d’appui de l’idée que la matrice erre et provoque l’hystérie. Au troisième siècle avant notre ère, Hérophile de Chalcédoine découvrit les ligaments utérins et Galien se borna à reprendre de vieux arguments lorsqu’il expliqua que « ceux qui ont une expérience en anatomie » savent bien à quel point est « absurde » l’idée d’une matrice errante104. Il fallait bien que quelqu’un crût littéralement à l’utérus déchaîné — croyance populaire, peut-être — sans quoi les médecins n’eussent point jugé nécessaire d’en dénoncer sans cesse l’idée et les thérapies dominantes par la fumigation laissent penser que leurs adeptes souscrivaient à cette interprétation littérale. Mais au XVIe siècle, la place manquait manifestement dans le corps pour de telles errances utérines.
La nouvelle anatomie et, plus précisément, la large diffusion des illustrations anatomiques (comme dans les fig. 42-44) bien au-delà du cercle des savants, parmi les sages-femmes, les barbiers-chirurgiens et les profanes, firent comprendre que non seulement de gros ligaments maintenaient plus ou moins en place l’utérus, mais que l’espace compris entre lui et la gorge était plein d’autres organes et divisé d’épaisses membranes. Galien avait déjà observé que le péritoine recouvrait la vessie et l’utérus, mais le fait se trouva désormais splendidement exposé à la vue de tous sous la forme de l’habituel torse classique, légèrement brisé105. Ainsi la nouvelle anatomie rendit-elle impossible l’interprétation littérale de la matrice baladeuse ; pour autant, elle ne produisit point une rhétorique moderne de la maladie. De même que la iatrochimie paracelsienne ressemble à une version de la chimie médicale moderne, sans en être une, la nouvelle anatomie nous invite à penser que les auteurs renaissants devaient parler des organes comme nous le faisons, ce qui n’est pas le cas. Quel que fût l’objet de leurs débats lorsqu’ils méditaient sur les possibles errances de l’utérus, leur discussion ne portait pas sur les déplacements effectifs d’un organe ancré par des ligaments en bas du corps à travers quarante ou cinquante centimètres d’organes entassés les uns sur les autres.
Au XVIIIe siècle, l’affaire était parfaitement entendue. Lorsque Tobias Smolett, auteur de Humphrey Clinker mais aussi chirurgien et auteur hétéronyme du célèbre traité d’accouchement de Smellie, tourna en ridicule Elizabeth Nihell, sage-femme anglaise, parce qu’elle invoquait la matrice errante de Platon, Mrs. Nihell répliqua que, bien entendu, elle ne l’avait entendu qu’au figuré. Smolett, assurait-elle, l’avait citée hors contexte à seule fin de la dénigrer106.
Des difficultés de traduction, certes moins irréductibles, surgissent également quand il s’agit d’interpréter les humeurs. À la Renaissance, médecins et profanes croyaient que les équilibres humoraux des sexes différaient suivant l’axe du chaud et du froid, de l’humide et du sec, que ces différences avaient des implications pour l’anatomie aussi bien que pour la conduite, et que le déséquilibre humoral provoquait des maladies. Ils s’exprimaient comme s’il était, quelque part dans le corps, des qualités chaudes ou froides, dont on pouvait vérifier la présence à des traits observables : couleur de la peau, chevelure, tempérament. Par ailleurs, nul ne croyait qu’une dose quantifiable de quelque humeur fît d’un être un mâle ou une femelle. On pensait qu’il était des viragos chaudes et velues et des hommes efféminés, froids et imberbes, plus froids que des femmes exceptionnellement chaudes. La thèse était plutôt que l’espèce virile était plus chaude et plus sèche que l’espèce des femmes. Nul n’aurait prétendu non plus que l’on pouvait bel et bien sentir l’humidité ou la froideur qui distinguaient les femmes des hommes ou qui, à l’occasion, poussaient les femmes à se plaindre107. Les humeurs ne ressemblaient pas à des organes et ne jouaient pas le rôle que les organes allaient jouer dans la nosologie ou la théorie sociale du XVIIIe siècle. Assurément, les humeurs étaient « plus réelles » qu’une matrice errante et n’étaient certes pas de « simples métaphores » ou façons de parler, ni d’ailleurs de simples attributs corporels.
L’aspect le plus marquant de ces deux façons de parler du sexe à la Renaissance est peut-être, cependant, de voir à quel point le discours sur le sexe est déterminé par son contexte. Dans les mêmes textes d’où elles sont exclues et où elles se voient nier une existence et une subjectivité propres, les femmes resurgissent comme sujets. On les retrouve au lieu même de leur absence la plus insigne ! Revenons sur la découverte par Colomb du clitoris, en nous penchant cette fois sur le texte latin :
Hanc eadem uteri partem dum venerem appetunt mulieres et tanquam oestro percitae, virum appetunt, ad libidinem concitae : si attinges, duriusculam et oblongam comperies […]
Si vous touchez cette partie de l’utérus tandis que les femmes ont un vif désir de coït et sont tout excitées comme frénétiques, et qu’éveillées au désir de la chair elles ont le vif désir d’un homme, vous le verrez devenir un peu plus dur et oblong […]
Si « vous » (un homme) touchez certaine partie de la femme, « vous » la trouverez plus dure. Dans l’un des rares cas où elles deviennent le sujet grammatical, les femmes sont littéralement entourées dans la clause temporelle par le désir, le désir féminin. Appetunt — « ont un vif désir » — est répété pour flanquer mulieres, autrement dit les femmes ; percitae et concitae, prédicats redondants, attestent encore de son excitation sexuelle. Mais la phrase prend alors un tour inattendu et le lecteur scientifiquement objectif, présomptivement mâle, apprend que la partie de l’anatomie femelle en question se durcira et deviendra oblongue si on la touche… et qu’ainsi jaillira sa semence « plus prompte que l’air108 ». Ainsi la femme fit-elle son entrée dans un univers en apparence entièrement masculin comme un être de désir, distinct.
Cette tension est partout, dans le théâtre d’anatomie, mais aussi dans le Théâtre du Monde, dans les textes médicaux mais également dans les Essais de Montaigne. La politique culturelle des deux genres, au moins, n’est jamais en équilibre avec la « biologie », ou la politique culturelle alternative, du sexe unique. Nous verrons que dans l’univers des deux sexes, c’est encore le contexte qui détermine le sexe.
1. Guillaume Bouchet, Les Sérées de Guillaume Bouchet, éd. C.E. Roybet, 6 vol., Paris, 1873-1882, vol. I, p. 96 ; Christoph Wirsung, Ein Neues Artzney Buch Darinn fast aile eusserliche und innerliche Glieder des Mennschlichen leibs […] beschriben werden, 1572, p. 416 ; Thomas Vicary, The Anatomy of the Bodie of Man, 1548, rééimprimé en 1577, éd. F.J. et P. Furnivall, Oxford, Early English Text Society, 1988, p. 77.
2. De la même façon, tail (la queue) ne désignait pas seulement l’extrémité postérieure mais aussi le pénis et les pudenda féminines, même si c’est là un usage argotique que je n’ai pas rencontré dans les textes médicaux.
3. Auslegung und Bescreibung der Anathomy oder warhafften abcontersetung eines inwendigen corpers des Manns und Weibs (1539), section « von der mutter » (« De la mère »), non paginé. Sur le lien entre l’utérus et le scrotum, via les mots qui désignent le sac, ainsi que des associations avec d’autres organes également — la matrice comme « boyau de reproduction », par exemple, pour évoquer une fois encore l’association utérus/intestin — cf. Torild W. Arnoldson, Parts of the Body in Older Germanic and Scandinavian, Chicago, University of Chicago Press, 1915, pp. 160-175, et Parts of the Body in the Later Germanic Dialects, Chicago, University of Chicago Press, 1920, pp. 104-121.
4. Pseudo-Albert le Grand, De secretis mulierum (éd. de 1655), p. 19. Le contexte est une discussion de l’éjaculation chez le mâle et la femelle ; lorsque la matrice a reçu les deux semences, elle « se ferme comme une bourse (matrix mulieris clauditur tanquam bursa) ». Le paragraphe suivant reprend cette formule et avance, comme raison de la fermeture et sur l’autorité d’Avicenne, que la « matrice se complaît dans la chaleur qu’elle a reçue et n’entend point la perdre (quia guadet ex calido recepto nolens perdere) ».
5. Aristotle’s Masterpiece, 1684, p. 28.
6. Levinus Lemnius, The Secret Miracles of Nature, Londres, 1658, p. 19, ouvrage initialement publié en latin sous le titre De occultis naturae miraculis (1557).
7. Realdus Colomb, De re anatomica, Venise, 1559, 11.16, pp. 447-448. Matteo Realdo Colombo (1516-1559 ?) — mais je préfère conserver la forme francisée dans le corps du texte — fut l’éminent successeur de Vésale à la chaire de chirurgie de Padoue. [N.d.T. : Cf. Les Siècles d’or de la médecine. Padoue, XV-XVIII, Milan, Electa, 1989, pp. 28 et 124.]
8. Ibid., pp. 444-445. L’idée d’un utérus comptant sept cellules ne se trouve pas chez Galien ni chez les grands auteurs arabes, mais apparaît pour la première fois dans les écrits de l’école anatomique de Salerne, au XIIe siècle. Sur ce point, cf. Robert Reisert, Der siebenkammerige Uterus : Studien zur mittelalterlichen Wirkungsgeschichte und Entfaltung eines embryologischen Gebärmutermodells (Würzburger medizinshistorische Forschungen, t. 39), Hanovre, H. Wellm, 1986. [N.d.T. : « Sa concavité a sept cellules […] Assavoirr troys en la partie dextre, troys en la partie senestre et une en la summite ou au milieu d’elle. » cf. Mondino de Luzzi, Anatomie, Paris, Bibl. faculté de médecine, no 6524, Fac-similé no VII, chap. 19.]
9. Gabriel Fallope, Observationes anatomica, Venise, 1561, p. 193. Ces observations sont présentées comme les notes de cours de Fallope (Gabriello Fallopio, 1523-1562), l’anatomiste qui découvrit les oviductes.
10. Bartholinus’ Anatomy, Made from the Precepts of His Father, and from Observations of All Modern Anatomists, Together with His Own, Londres, 1668, p. 75. Cet ouvrage est une traduction des révisions effectuées en 1641 par Thomas Bartholin (découvreur du système lymphatique) du célèbre texte de son père, Kaspar, Institutiones anatomicae (1611). C’est Kaspar II (1655), le fils de Thomas, qui donna son nom aux glandes vulvo-vaginales qui lubrifient l’extrémité inférieure du vagin pendant le coït.
11. Jane Sharp, The Midwives Books, or the Whole Art of Midwifery Discovered Directing Childbearing Women How to Behave Themselves in Their Conception, Breeding, Bearing and Nursing Children, Londres, 1671, pp. 40-42. Mrs. Sharp explique que son livre est le fruit de trente années d’expérience, qu’elle s’adresse à un large public de femmes (ce qui explique qu’elle n’a pas écrit en latin) et qu’il lui en a coûté beaucoup pour traduire en anglais les sources françaises, hollandaises et italiennes les plus récentes.
12. Colomb, Anatomica, pp. 447-448.
13. Si je le comprends bien, l’argument de Jacqueline Rose — « il ne saurait y avoir de travail sur l’image, ni de défi lancé à ses pouvoirs d’illusion et à son discours, qui ne défie simultanément la réalité de la différence sexuelle » — signifie que les réalités de la différence sexuelle n’existent pas indépendamment des formes d’allusion et de discours. Sexuality in the Field of Vision, Londres, Verso, 1987, p. 226. Elle commente une note en pied de page de l’explication que donne Freud de la description profondément ambiguë que fait Léonard des rapports sexuels ; or celle-ci n’est pas, comme le laisse entendre Freud, un résultat idiosyncrasique de la bisexualité de Léonard, mais un lieu commun des descriptions renaissantes des organes génitaux.
14. Par « dans une perspective moderne », j’entends que les textes contemporains s’abstiendraient de ce genre de considération. Le recours aux recherches modernes comme à un étalon soulève à l’évidence un problème considérable, que j’évoque brièvement dans mon premier chapitre. Même lorsque quelqu’un soutient aujourd’hui que les sécrétions des femmes au cours de l’orgasme sont histochimiquement semblables au fluide prostatique masculin ou que la neurologie de l’orgasme est la même chez les deux sexes, ou encore que, pendant l’orgasme, des pressions négatives favorisent la conception, ces propositions ne sont pas du même ordre que celles des observateurs renaissants. À mon sens, le problème de la traduction théorique est plus aigu en biologie que dans les sciences physiques.
15. Colomb, Anatomica, pp. 448, 453-454.
16. GA, 2.4.739 a 29-30 ; 1.19.727 b 6-11.
17. M. Anthony Hewson, Giles of Rome and the Medieval Theory of Conception, Londres, Athlone Press, 1975, p. 87. Le cas que cite Averroès, et dont Gilles de Rome tire des conclusions plus extrêmes encore, était bien connu à la Renaissance.
18. William Harvey, Disputations Touching the Generation of Animals (1653), trad. Gweneth Whitteridge, Oxford, Blackwell Scientific Publications, 1981, p. 165.
19. Sur la popularité des premiers ouvrages de médecine imprimés dans l’Angleterre des Tudor, cf. Paul Slack, « Mirrors of Health and Treasures of Poor Men », in Charles Webster, éd., Health, Medicine, and Mortality in the Sixteenth Century, Cambridge, University Press, 1979, pp. 237-273.
20. Je me suis appuyé sur la recension des informations en la matière que l’on doit à Lisa Lloyd, « Evolutionary Explanations of Human Female Orgasm », manuscrit dont l’auteur m’a aimablement permis de prendre connaissance.
21. Herman W. Roodenburg, « The Autobiography of Isabella de Moerloose : Sex, Childbearing and Popular Belief in Seventeenth Century Holland », Journal of Social History, 18, été 1985, pp. 517-540. (J’examine de plus près certains aspects de ce journal intime infra, note 84.) Au XIXe siècle, une femme qui confie à son journal intime ses réflexions sur la conception parle encore largement le langage d’Hippocrate.
22. La meilleure preuve directe de l’absence de points de vue radicalement divergents entre les médecins et leurs patientes se trouve dans les dossiers médicaux de Johann Storch, médecin qui exerça au début du XVIIIe siècle dans la petite cité d’Eisenach : cf. l’analyse brillante qu’en a faite Barbara Duden, Geschichte unter der Haut, Stuttgart, Klett-Cotta, 1987. Sur la création de la culture populaire par « arrachement » d’une tradition vénérable, cf. Natalie Z. Davis, « Sagesse proverbiale et erreurs populaires », in Les Cultures du peuple, trad. Marie-Noëlle Bourguet, Paris, Aubier, 1979, pp. 366-425. Je suggère plus loin que, dans les domaines intéressant le thème de ce livre, les différences entre la nouvelle médecine fondée sur des textes classiques épurés et l’observation directe, d’une part, les points de vue traditionnels, de l’autre, étaient minimes. Cf. également Paul-Gabriel Boucé, « Imagination, Pregnant Women, and Monsters in Eighteenth Century England and France », in G.S. Rousseau et Roy Porter, éds., Sexual Underworlds of the Enlightenment, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1988, pp. 86-100, où l’on voit comment ce n’est qu’au XVIIIe siècle que les médecins commencèrent à s’en prendre, et encore pas d’une seule voix, au lieu commun suivant lequel la conduite des femmes enceintes pouvait être cause de monstruosités. [N.d.T. : Cf. également l’indispensable ouvrage de Patrick Tort, L’Ordre et les Monstres. Le débat sur l’origine des déviations anatomiques au XVIIIe siècle, Paris, Le Sycomore, 1980.]
23. Cf. Emily Martin, The Woman in the Body, Boston, Beacon Press, 1977.
24. Robert J. Smith et Ella Lury Wiswell, The Women of Suye Mura, Chicago, University of Chicago Press, 1982 : « Elle montra avec ses mains comment s’ouvre la matrice quand elle est réceptive » (pp. 63-64). L’ouvrage s’appuie entièrement sur les notes de terrain de Wiswell.
25. Françoise Héritier-Augé, « Le Sperme et le Sang. De quelques théories anciennes sur leur genèse et leurs rapports », Nouvelle Revue de Psychanalyse, « L’Humeur et son changement », no 32, automne 1985, pp. 111-122. En vérité, on ne sait pas très bien si l’anthropologue a pu interroger des hommes et des femmes Samo, mais son propos est présenté de telle sorte que l’on en conclut qu’il s’agit de points de vue généralement acceptés. [N.d.T. : Pour plus de précisions, cf. du même auteur, « L’Identité Samo », in L’Identité. Séminaire dirigé par Claude Lévi-Strauss, Paris, Grasset, 1977, pp. 51-80.] Cf. également les survols des points de vue de femmes sur la menstruation et la fécondité qui sont cités dans l’introduction de l’ouvrage de T. Buckley et A. Gottlieb, éds., Blood Magic : The Anthropology of Menstruation, Berkeley, University of California Press, 1988, pp. 42-43.
26. Willard Van Orman Quine, « Two Dogmas of Empiricism », From a Logical Point of View, New York, Harper and Row, 1963, pp. 42-43 [« Les Deux Dogmes de l’empirisme », trad. P. Jacob, in De Vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique de 1950 à nos jours, Paris, Gallimard, 1980, pp. 87-113, citation pp. 108-109] ; cf. également la formulation de Willard Quine et Joseph S. Ullian, The Web of Belief, New York, Random House, 2e éd., 1978. Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1972, défend la même idée sur des bases historiques.
27. Je songe ici à bien des auteurs différents. Pour une étude d’une immense richesse sur la logique du corps, les relations entre ses divers aspects structurels, métaphoriques et macrocosmiques, cf. Marie-Christine Pouchelle, Corps et chirurgie à l’apogée du Moyen Âge, Paris, Flammarion, 1983.
28. Sigmund Freud, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse (1933), trad. R.-M. Zeitlin, Paris, Gallimard, 1984, pp. 152-153. Traduction légèrement modifiée. (N.d.T.)
29. Ce qui ne veut pas dire que Vésale et ses successeurs se soient soustraits à l’influence du savoir classique en général ou de Galien en particulier. Toutes les œuvres de Galien furent éditées et traduites en de nombreuses langues vernaculaires ; Vésale lui-même participa à la publication des grandes Opera Galeni, qui parurent à Venise en 1541-1542 et tenait Galien pour « le prince des médecins et le précepteur de tous ». Cf. Richard J. Durling, « A Chronological Census of Renaissance Editions and Translations of Galen », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 24, 1961, qui énumère 630 publications entre 1473 et 1600, à l’exclusion des longues citations dans l’œuvre d’autres auteurs. John Bertrand de Cusance Morant Saunders et Charles Donald O’Malley, The Anatomical Drawings of Andreas Vesalius, New York, Bonanza, 1982, p. 13. [N.d.T. : En français, cf. P. Huard et M.-J. Imbault-Huart, André Vésale. Iconographie anatomique, Paris, Roger Dacosta, 1980, p. 26.] Pour des raisons évoquées plus loin, Aristote, qui n’était ni anatomiste ni médecin, eut beaucoup moins d’influence dans les publications sur le corps. Mais il y a beaucoup d’Aristote chez Avicenne, qui exerça une grande influence sur l’enseignement médical de la Renaissance. Cf. Nancy Siraisi, Avicenna in Renaissance Italy : The Canon and Medical Teaching in Italian Universities after 1500, Princeton, Princeton University Press, 1987. [N.d.T. : Cf. désormais Danielle Jacquart et Françoise Micheau, La Médecine arabe et l’Occident médiéval, Paris, Maisonneuve & Larose, 1990.] En revanche, son influence philosophique fut considérable. Cf. également Charles B. Schmitt, « Towards a Reassessment of Renaissance Aristotelianism », History of Science, II, 1973, pp. 159-193, et plus généralement, Aristotle and the Renaissance, Cambridge, Harvard University Press, 1983. [N.d.T. : En français, on pourra se reporter notamment à Jacques Roger, « La Situation d’Aristote chez les anatomistes padouans », in Platon et Aristote à la Renaissance, Paris, Vrin, 1976, pp. 217-224.]
30. Préface à The Fabric of the Human Body, trad. Logan Clendening, Source Book of Medical History, New York, Dover, 1942, p. 136.
31. Fallope, Observationes, p. 195.
32. Sur les théâtres anatomiques et les anatomies publiques, cf. Giovanna Ferrari, « Public Anatomy Lessons and the Carnival in Bologna », Past and Present, 117, 1987, pp. 50-107.
33. Harvey Cushing, A Bio-Bibliography of Andreas Vesalius, Hamden, Archon Books, 1962, 2e éd., pp. 81-82. On prétend généralement que le jeune homme en chaire, sur la fig. 3, n’est autre que le professeur et que les disséqueurs, plus bas, sont ses assistants. Mais l’homme en chaire était plus vraisemblablement un jeune assistant dont la tâche consistait à lire le texte tandis que le professeur — le vieil homme courbé au-dessus du corps — disséquait. Cf. Jerome J. Bylebyl, « The School of Padua : Humanistic Medicine in the Sixteenth Century », in Webster, éd., Health, Medicine, pp. 335-371. [N.d.T. : Cf. également Jackie Pigeaud, « Médecine et médecins padouans », in Les Siècles d’or de la médecine, op. cit., pp. 19-36.] À mon sens cela ne change rien à l’affirmation épistémologique de Vésale sur la page de titre ni au témoignage des images.
34. Ma lecture du corps sur cette image doit beaucoup à l’étude, par William S. Heckscher, de la Leçon d’anatomie du Dr. Nicolaas Tulp, dans son Rembrandt’s Anatomy, New York, New York University Press, 1958. En tant que genre littéraire, les « anatomies » reposaient sur l’examen pénétrant des représentations afin d’accéder à la vérité « vraie ». Cf. Devon L. Hodges, Renaissance Fictions of Anatomy, Amherst, University of Massachusetts Press, 1985, pp. 6-17. Sur le recours à la sculpture classique afin de contenir l’anatomie humaine, cf. Glenn Harcourt, « Andreas Vesalius and the Anatomy of Antique Sculpture », Representations, 17, hiver 1987, pp. 28-61.
35. Sur le déclin, au cours de la révolution scientifique, de l’idée de nature comme alma mater à laquelle l’humanité est organiquement attachée et l’essor d’une conception de la nature envisagée comme un objet féminin qu’il appartient aux hommes d’étudier et d’exploiter, cf. Carolyn Merchant, The Death of Nature : Women, Ecology and the Scientific Revolution, New York, Harper and Row, 1980.
36. Je n’ai pas dénombré les réemplois ni les remaniements des planches dans les nouvelles éditions d’une œuvre originale ou des ouvrages entièrement différents. Ce n’est aucunement un survol, au sens propre du mot, mais je serais surpris qu’une étude altérât sensiblement les résultats de ce sondage. Comme l’on exécutait plus d’hommes que de femmes, il y avait sans nul doute plus de cadavres mâles à la disposition des disséqueurs. Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui manquaient aux médecins d’examiner les femmes. Vésale, pour sa part, en disséqua au moins sept. Ainsi que l’explique Katherine Park dans son Doctors and Medicine in Early Renaissance Florence, Princeton, Princeton University Press, 1985, pp. 52-53, les autopsies relevaient de la routine ; et même les dames de la noblesse n’avaient aucun scrupule à se faire examiner de leur vivant ou dans l’attente de la mort. Elle cite le cas d’une patricienne qui souffrait d’un flux utérin et demanda à être autopsiée afin que les médecins pussent mieux traiter ses filles si par malchance elles devaient souffrir du même mal. Un témoignage anecdotique, comme Félix et Thomas Platter à Montpellier, trad. et éd. L. Kieffer, Montpellier, 1893, 11 décembre 1554, pp. 91-94, donne à penser que l’on se procurait des corps de femmes en ouvrant des tombes. [N.d.T. : Cf. Pierre Darmon, « Les Vols de cadavre et la Science », L’Histoire, 48, 1982, pp. 31-37.]
37. Samuel Y. Edgerton, Pictures and Punishments : Art and Criminal Prosecution during the Florentine Renaissance, Ithaca, Cornell University Press, 1985, pp. 215-217, et chap. 5, passim, observe que sur cette illustration, l’anatomiste est présenté comme un personnage exalté, presque comme un prêtre. Le cadavre peut faire penser au Christ mort des Pietà, mais c’est l’anatomiste qui paraît proférer des affirmations divines.
38. Voir l’étude fouillée de Roger K. French, « Berengario da Carpi and the Use of Commentary in Anatomical Teaching », in A. Wear, R.K. French et I.M. Lonie, éds., The Medical Renaissance of the Sixteenth Century, Cambridge, University Press, 1985, pp. 42-74, en particulier pp. 54-62.
39. Sur l’illustration dans les textes médiévaux, voir Karl Sudhoff, Ein Beitrag zur Geschichte der Anatomie im Mittelalter, speziell der anatomischen Graphik nach Handschriften des 9. bis 15. Jahrhunderts, in Studien zur Geschichte der Medezin, 4, 1908, pp. 1-94 et 24 planches, où il insiste sur la nature schématique des illustrations, sur la difficulté d’établir leur lien avec un texte particulier et leur façon de renvoyer à une autre illustration — surtout dans le cas des squelettes (pp. 28-51) — plutôt que de s’appuyer sur la nature. On ne connaît pas d’illustrations anatomiques de l’Antiquité, et le tout premier dessin gynécologique (d’un utérus) remonte au IXe siècle. Voir Fritz Weindler, Geschichte der Gynaekologisch-Anatomomischen Abbildung, Dresde, Zahn und Jaensch, 1908, pp. 14-15 et pp. 81-89, sur Berengario en tant que grand novateur avant Vésale. L’histoire la plus complète de l’illustration anatomique est celle de Johann Ludwig Choulant, A History and Bibliography of Anatomic Illustration, trad. Mortimer Frank, New York, Hafner, 1945, reprint en 1962). J’ai également consulté Robert Herrlinger, History of Medical Illustration from Antiquity to 1600, New York, Editions Medicina Rara, 1970. La relation manifestement nouvelle entre le texte et la gravure se laisse difficilement caractériser avec précision parce que ce n’est pas simplement, comme le laisse entendre l’histoire de la littérature scientifique, une affaire d’illustrations plus naturalistes venues en remplacer de plus schématiques. Il n’est pas vrai non plus, comme le prétend Geoffrey Lapage, Art and Scientific Illustration, Bristol, John Wright, 1961, que la vérité d’une illustration réside, d’une manière ou d’une autre, dans un but accessible : éviter tout simplement les distorsions quand une gravure est réalisée d’après des observations scientifiques. Toute illustration anatomique est nécessairement schématique par rapport à un corps infiniment moins clair et plus encombré. De surcroît, quand bien même elles pouvaient être faites sur le vif, les illustrations anatomiques dites naturalistes demeurent encore largement tributaires de conventions artistiques et même d’impératifs idéologiques (cf. chapitre VI). Sur la force des conventions, cf., l’explication que donne Ernst Hans Gombrich de la longévité du rhinocéros largement fantaisiste, mais respectueux des conventions naturalistes, de Dürer : « Le Stéréotype et la Réalité », in L’Art et l’Illusion : psychologie de la représentation picturale, trad. G. Durand, Paris, Gallimard, nouv. éd., 1987, pp. 111-113.
40. Sur l’autoportrait de Michel-Ange dans la peau de saint Barthélemy, cf. Leo Steinberg, « Michelangelo and the Doctors », Bulletin of the History of Medicine, 56, 1981, pp. 543-553, en particulier pp. 549-551. Sur son rapport avec le texte de Valverde, cf. Samuel Y. Edgerton, Pictures and Punishments, pp. 217-219 et n. 53.
41. Cf. Roger K. French, « Berengario », pp. 43-49, et Levi Robert Lind, Studies in Pre-Vesalian Anatomy : Biography, Translations, and Documents, Philadelphie, American Philosophical Society, 1975.
42. Berengario da Carpi, A Short Introduction to Anatomy [Isagoge Brevis], trad. L.R. Lind, Chicago, University of Chicago Press, 1959, p. 80. L’Isagoge est une sorte de précis du Commentaire sur Mondino (1521), bien plus important, qui fut le premier ouvrage d’anatomie à intégrer des illustrations dans le corps du texte.
43. Dans le premier cas, explique Vésale, les organes génitaux mâles et femelles doivent être attachés à « une figure que nous avons dessinée pour servir essentiellement de base à toutes les autres […] la figure représentant un nu féminin ». Le nu de la fig. 19 c, fait de vaisseaux sanguins, est, pour ainsi dire, l’intérieur d’une classique et chaste femme nue (fig. 19 d), laquelle figure dans un chapitre spécialement consacré à la terminologie anatomique de surface.
44. Malgré la thèse qu’il développe dans L’Art et l’Illusion et suivant laquelle tout art trouve son origine dans l’esprit humain, tandis qu’une convention stylistique détermine le mode de représentation, Gombrich demeure attaché, ainsi que le met en évidence Svetlana Alpers, à l’idée qu’une représentation parfaite est possible et que certains schemata sont plus susceptibles que d’autres de produire la vérité en images. Cf. Svetlana Alpers, « Interpretation without Representation, or the Viewing of Las Meninas », Representations, 1, février 1983, pp. 31-42. Sans vouloir généraliser, je tiens seulement à souligner que la forme de vision singulière que suggèrent ces images n’a pas pour cause des conventions rigides.
45. L’exemple classique en est l’insistance avec laquelle Vésale affirme qu’il existe un réseau de vaisseaux sanguins à la base du cerveau de l’homme, le rete mirabile, alors qu’en fait il n’existe pas de structure de cette nature chez les êtres humains. Voir quelque chose sur la foi d’une autorité est un lieu commun dans l’histoire de l’anatomie comme dans les laboratoires d’anatomie modernes.
46. Johann Dryander fut professeur de médecine et de mathématique à la nouvelle université protestante de Marbourg. J’emprunte illustrations et citations à son Der Gantzen Artzenei Spiegel, Francfort, 1542, pp. 17-19, livre destiné, est-il précisé dans un long titre, aux médecins, aux barbiers-chirurgiens et autres qui avaient besoin d’en savoir davantage sur le corps. Une bonne partie de son texte est repris de Mondino, nombre de ses illustrations de Vésale. Sa nomenclature vient tout droit du latin : testes, littéralement témoin [d’où testicules], devient Zeuglin en allemand, de Zeuge ou Zeugin (témoin). L’autre mot employé dans les textes allemands de la Renaissance pour désigner les testicules aussi bien que les ovaires est Hode. Notez également l’image des ovaires et des testicules assimilés à des producteurs. En allemand, Zeug désigne le matériau, tandis que erzeugen signifie produire. Dryander traduit le latin pudenda, dérivé de termes exprimant la honte ou la disgrâce, par l’allemand Scham et ne l’emploie que pour désigner les parties génitales externes de la femme. En latin, pourtant, pudenda désignait habituellement les « parties intimes », c’est-à-dire les organes génitaux des deux sexes (voir Adams, Latin Sexual Vocabulary, p. 55). Dans d’autres textes allemands, Scham désigne les organes génitaux externes mâles aussi bien que femelles. Cf., par exemple, Christoph Wirsung, Neues Artzney, p. 260, qui tient l’apparition anormalement précoce de poils autour de la Scham mâle pour un signe de chaleur excessive et, en conséquence, de stérilité. À propos de Hode et de Zeugin, cf. Jacob et Wilhelm Grimm, Deutsches Wörterbuch, Leipzig, S. Hirzes, 1965.
47. Saunders et O’Malley, Anatomical Drawings, p. 170, observent que d’autres ont jugé « monstrueux » le dessin de la planche 20 de la Fabrica ou y ont vu le fruit d’« une bizarrerie freudienne », mais ils en expliquent les singularités par la hâte avec laquelle Vésale dut accomplir la dissection sur laquelle se fonde l’illustration. Charles Joseph Singer, A Short History of Anatomy from the Greeks to Harvey, New York, Dover, 1957, pp. 119-120, en attribue les singularités, de même que les nombreuses « erreurs » de Vésale en matière d’anatomie féminine, au fait qu’il n’eut jamais l’occasion que de disséquer sept femmes. Ainsi que je l’ai montré, l’image de Vésale ne doit rien à de semblables circonstances et elle n’est aucunement extraordinaire.
48. Charles Estienne, De dissectione partium corporis humani, Paris, 1545, 3. 7, p. 289 ; Estienne était le rejeton d’une famille d’imprimeurs et était anatomiste à la cour de François Ier. Cet ouvrage parut aussi en traduction française. [Ici citée : cf. Charles Estienne, La Dissection des parties du corps humain, Paris, 1546, p. 314. Réimpression de l’édition parue en 1546 chez Simon de Colines, précédée d’une étude de Pierre Huard et de Mirko Grmek, « L’Œuvre de Charles Estienne et l’école anatomique parisienne », préface de G. Cordier, Paris, Azoulay, 1972.] D’après Charles Singer, A Short History, p. 102, Estienne ne manquait pas de matériaux de dissection et prétend avoir vu tout ce qu’il décrit. L’expérience intellectuelle qu’il propose se heurte à une difficulté anatomique grossière et majeure : les testicules de la femme ne sont pas attachés aux trompes de Fallope que les illustrations renaissantes interprètent à la fois comme les artères ovariennes et testiculaires et comme les canaux déférents des testicules.
49. Helkiah Crooke, Microcosmographia : A Description of the Body of Man, Londres, 1615, p. 250. Crooke fonde ces arguments sur les travaux de Gaspard Bauhin et sur Andreas Laurentius, d’ascendance juive, professeur de médecine à Montpellier et médecin d’Henri IV.
50. Estienne, De dissectione, 3.7., p. 289 ; traduction française, op. cit., pp. 314.
51. Bartholinus’ Anatomy, pp. 62-63. Ce livre fut publié en Angleterre, peut-être parce qu’ils avaient de la sympathie pour les idées égalitaires de Thomas Bartholin — par Nicholas Culpeper et Abdiah Cole. Culpeper prit une part fort active à la réforme politique de la médecine au cours de la Révolution anglaise ; dans ses propres ouvrages, il n’en reprit pas moins à son compte la vieille théorie des relations entre organes mâles et femelles. Sur le rôle important de Culpeper dans la production d’une littérature vernaculaire défiant l’establishment médical, cf. Charles Webster, The Great Instauration : Science, Medicine and Reform, 1626-1660, Londres, Holmes and Meier, 1975, pp. 268-271. La prostate fut décrite en détails dès 1536 par le vénitien Niccolo Massa. De nos jours, on invoque ses sécrétions pour plaider la similitude fondamentale de la sexualité mâle et femelle du fait des propriétés histo-chimiques qu’elles partagent avec les sécrétions des glandes de Bartholin.
52. Bartholinus’ Anatomy, pp. 71-72.
53. Jacques Duval, Traité des hermaphrodites, Rouen, 1612 ; rééd. Paris, Isidore Liseux, 1880, chap. LVII, « Que la vulve renversée ne peust estre convertie en membre viril […] », pp. 342-349. Par « vulve » il entend ce que nous appellerions la vulve, le vagin et le cervix avec le corpus et le fundus de l’utérus attachés. Il s’agit en fait d’une survivance de l’usage classique de vulva, pour désigner ce que nous appellerions l’utérus avec ses parties extérieures, comme chez Celse, De medicina, trad. W. G. Spencer, Londres, Heineman, 1935, 4.1.12, pp. 14-15. Que Duval attribue à Aristote plutôt qu’à Galien la paternité de l’exercice d’inversion me laisse perplexe.
54. William Harvey, « On Parturition », in The Works of William Harvey, Londres, 1847, pp. 537-538.
55. Le cod désignait littéralement le scrotum : le codpiece, ou braguette, désignait donc le sac qui enfermait le sac qui enfermait les testicules. Mais c’était aussi un appendice des atours d’une femme qui se portait sur la poitrine.
56. Rabelais, La Vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1955, pp. 27-28. Pour « cod », cf. l’English Oxford Dictionary.
57. L’œillet était « généralement reconnu comme un signe de fiançailles dans la peinture d’Europe du Nord aux XVe et XVIe siècles ». Metropolitan Museum of Art Exhibition Catalogue, Liechtenstein : The Princely Collections, New York, 1985, p. 239.
58. Je sais gré à Paul Alpers de m’avoir signalé ce poème de Gascoigne.
59. Je n’ai pas étudié systématiquement la nomenclature de l’anatomie masculine de la reproduction et je ne connais pas d’étude générale en la matière. Il existe bien sûr quantité de mots différents pour désigner le pénis, les testicules ou le scrotum, mais dans mon interprétation les référents de ces termes sont exempts de toute ambiguïté. Peut-être est-ce le corrélat linguistique du télos corporel en général : le corps mâle est stable, le corps femelle est plus ouvert et plus labile.
60. Colomb, Anatomica, p. 443. Aucun excursus métaphorique de cette nature ne s’exerce sur les organes mâles. Dans son Anatomie, Bartholin, p. 65 (chap. 28, « De la matrice en général »), consacre un paragraphe à expliquer comment, pour Pline, vulva désignait plus particulièrement la matrice d’une truie, « mets délicat » pour les Romains, mais que d’autres auteurs, tels Celse, l’employaient pour désigner la matrice de n’importe quel animal. Vulva, imagine Bartholin, est une corruption de bulga, qui désigne un sac, mais s’applique aussi à la « sacoche ou au havresac qui pend au Bras d’un Homme ».
61. Colomb, Anatomica, p. 445. Dans l’Antiquité, mentula était un mot obscène pour désigner le pénis (Adams, Latin Sexual Vocabulary, p. 9) ; à la Renaissance, ce mot s’imposa au contraire comme l’appellation classique. De même, le latin n’employait pas vagina au sens moderne : le mot désignait plutôt un tube ou un fourreau, généralement pour une épée. Il semble qu’on l’ait employé également avec humour pour désigner l’anus (Adams, pp. 20, 115).
62. Colomb, Anatomica, pp. 447-448. Comme tous les autres anatomistes renaissants, Colomb parle des ovaires comme de testicules légèrement plus gros et plus fermes que ceux du mâle, et enfermés plutôt que pendants.
63. Fallope, Observationes, pp. 193, 195-196. Il appuie sa distinction sur l’usage qu’il prête à Soranos et à Galien qui, selon lui, désignent le vagin comme un kolpos femelle et le distinguent du vrai cervix. En vérité, ils ne sont pas aussi cohérents. Singer, A Short History, p. 143, prétend que Fallope fut le premier à employer vagina au sens moderne, mais je n’en ai pas trouvé trace. Fallope n’offre aucune théorie de la fonction de ses « trompes », mais il remarque qu’elles ne touchent pas les ovaires, qui eux-mêmes ne produisent pas de semence.
64. Gaspard Bauhin, Anatomes, Bâle, 1591-1592, 1.12, pp. 101-102. Porcus (porc) était apparemment employé par les nourrices romaines pour désigner les pudenda externes des filles (Adams, p. 82). Peut-être est-ce une allusion à la ressemblance perçue entre la partie en question et l’extrémité du groin.
65. Jacquart et Thomasset, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, p. 34, citant Al-Kunnas al-maliki [dans la traduction de P. de Koning, Trois traités d’anatomie arabe, Leyde, E. J. Brill, 1903, p. 387]. L’édition française ne permet pas de dire quel est le mot arabe traduit par « clitoris ». Mais les auteurs suggèrent que l’on pourrait aussi traduire par « lèvres » et, dans le contexte, il est patent que le mot s’applique aux petites lèvres.
66. The Anatomy of Mundinus, in éd. Singer, Fasciculo, p. 76 et n. 64.
67. Berengario, Isagoge Brevis : « à l’extrémité du cervix s’ajoutent de petites peaux sur les côtés » (p. 78) ; et, à propos du pénis, « certaine peau douce entoure ce gland ; on l’appelle prépuce » (p. 72). Josef Hyrtl, Onomatologia Anatomica : Geschichte und Kritik der Anatomischen Sprache der Gegenwart, Vienne, 1880, donne « nymphae » comme synonyme de lèvres et de prépuce ; cf. l’entrée « nymphae und myrtiformis »
68. John Pechy, The Complete Midwives Practice Enlarged, Londres, 1698, 5e éd., p. 49, et A General Treatise of the Diseases of Maids, Bigbellied Women, 1696, p. 60.
69. Thomas Vicary, Anatomy, p. 77. Albucasis emploie tentigo dans sa Chirurgia [Paris, Baillière, 1861], 2.71 ; cf. Hyrtl, Onomatologia, entrée « clitoris » ; Adams, Latin Sexual Vocabulary, pp. 103-104, et Oxford English Dictionary, entrée « tentigo ». Au XVIIe siècle, tentigo désignait très précisément le clitoris. Voir, par exemple, la thèse d’André Homberg (Iéna), De tentigine, seu excrescentia clitoridis (1671), citée parmi les références du long article consacré au « clitoris » dans le Dictionnaire des sciences médicales, Paris, 1813, vol. 5.
70. Aristote, De anima, 3.9.432 b 21 ; ou encore, « Dieu et la nature ne créent rien qui soit vain », in De caelo, 1.4.271 a 33.
71. Nathaniel Highmore, The History of Generation, Londres, 1651, pp. 84-85.
72. Levinus Lemnius, Les Occultes Merveilles et Secrets de nature, trad. J. Gohorry, Paris, 1574 (éd. originale en latin, 1559, chap. III, p. 15. D’une manière générale, Aristote était quelque peu discrédité. Le XVIe siècle, suivant la formule de Jerome Bylebyl, fut « l’âge d’or du galénisme » (« School of Padua », p. 340). Ian Maclean, The Renaissance Notion of Woman, Cambridge University Press, 1980, souscrit à cette appréciation dans son examen des théories spécifiques de la génération. Mais même s’il était dans certains milieux le principal représentant d’une érudition scholastique d’un autre âge, Aristote demeurait influent et valait la peine qu’on le critiquât.
73. Vicary, The Englishe Man’s Treasure, Londres, 1586, p. 55. Il s’agit d’une version de son Anatomy de 1548.
74. Sherman J. Silber, How to Get Pregnant, New York, Scribners, 1980, donne une utile analyse profane des statistiques de fécondation et précise que la moitié des femmes mariées qui ne sont pas tombées enceintes après un an d’essais planifiés sont tombées enceintes au cours des six mois suivants sans aucune intervention thérapeutique. Une simple petite tape sur la tête semblerait faire l’affaire pour une bonne moitié de la population censément inféconde. Une masse considérable de publications confirment que ceci se produit dans une forte proportion de cas.
75. René Bretonnayau, La Génération de l’homme et le temple de l’âme, Paris, A. L’Angelier, 1583, section intitulée « De la conception et sterilité ». Ici, comme dans tous mes textes, le « plaisir » renvoie à des rapports hétérosexuels voués à la procréation. Bien que les manuels que j’ai consultés aient pu aussi servir de guides du plaisir sexuel en soi, tous raisonnent en termes de procréation. Nombre de ces ouvrages font aussi valoir que les défauts qui rendent la conception impossible — l’atrésie du vagin, l’absence de matrice, une malformation du pénis — ne font pas nécessairement obstacle au plaisir.
76. Gabriello Fallopio, De decoratione, in Opuscula, Padoue, 1566, p. 49, « De praeputii brevitate corrigenda ». Cet ouvrage, comme la plupart des autres à l’exception des Anatomical Observations (1561), fut probablement écrit par des élèves de Fallope ou d’autres qui entendaient profiter de son nom. Dieu ordonna la circoncision parmi les Juifs, dit ce texte, en sorte qu’ils pussent se concentrer sur son service plutôt que sur les plaisirs de la chair. L’idée que la circoncision réduit le plaisir et, par voie de conséquence, les chances de conception est assez largement répandue.
77. Lorenz Fries, Spiegel, p. 129 ; Avicenne, Canon, 3.20.1.44.
78. J’emprunte cet exemple à Wirsung, Neues Artzney, p. 258.
79. Guillaume de la Motte, Traité des accouchements, in J. Gélis, Accoucheur de campagne sous le Roi-Soleil, préface d’E. Le Roy Ladurie, Paris, Imago, 1989, p. 52. Chirurgien et accoucheur, de la Motte exerçait à Valognes, petite cité du nord-ouest de la France. [Th. Laqueur citait le traité dans une traduction anglaise de 1746, A General Treatise of Midwifery, trad. Thomas Tomkyns, Surgeon, Londres, p. 12.]
80. Ce ne sont là que lieux communs, mais on trouve une discussion particulièrement approfondie du problème de la chaleur et de la stérilité chez Trotula de Salerne, The Diseases of Women, Elizabeth Mason-Hull, éd., Los Angeles, Ward Ritchie Press, 1940, pp. 16-19. Selon toute vraisemblance, ce texte n’est pas de la guérisseuse du nom de Trotula à qui il est généralement attribué. Mais il compte parmi les ouvrages médiévaux de gynécologie les plus diffusés (Chaucer le cite) ; traduit à la Renaissance en diverses langues vernaculaires, il trouva place dans les multiples éditions de la massive encyclopédie gynécologique de Caspar Wolf (dont la première édition date de 1566). Cf. John Benton, « Trotula, Women’s Problems, and the Professionalization of Medicine in the Middle Ages », Bulletin of the History of Medicine, 59, printemps 1985, pp. 30-54.
81. L’une des discussions les plus complètes sur la physiologie et le traitement clinique de la stérilité figure in Lazarus Rivierus, The Practice of Physick, Londres, 1672, pp. 502-509. Plus généralement, cf. Nicholas Fontanus, The Woman’s Doctour, Londres, 1652, pp. 128-137 ; Leonard Sowerby, The Ladies Dispensatory, Londres, 1652, pp. 139-140, pour des matériaux qui « font se dresser la verge » ; Jacob Rueff, The Expert Midwife, Londres, 1637, p. 55.
82. Je n’ai rien trouvé à propos de femmes tenant des propos licencieux pour influencer les messieurs, mais l’impuissance masculine et l’inaptitude à engendrer un enfant sont généralement passibles d’un traitement pharmacologique — magique, parfois — dans les opuscules et traités que j’ai consultés ; et souvent, le problème est abordé de la même façon que chez les femmes.
83. John Sadler, The Sicke Woman’s Private Looking Glass, Londres, 1636, p. 118. Le conseil qu’offre Sadler en anglais étant très explicite, il est curieux que la phrase sur les préliminaires soit en latin : « Mulier praepari ac disponi debet molli complexu, lascivis verbis oscular lasciviora miscenda. »
84. Le passage sur la titillation pour faire jaillir la semence figure dans l’édition française des Œuvres de 1579, livre 22, chap. IV ; pour le reste, cf. Le Dix-huitième Livre traitant de la generation de l’homme, in Œuvres complètes, éd. Malgaigne, Genève, Slatkine, 1970, tome II, L. XVIII, chap. IV, pp. 640-641. Ces extraits viennent à point nommé nous rappeler la complexité des métaphores renaissantes de la génération. « S’il trouuoit qu’elle fust dure à l’esperon [métaphore du cavalier, et peut-être jeu de mots sur les deux sens de venery, de venari, chasser, et vener, plaisir sexuel] : et le cultiueur n’entrera dans [charrue] le champ de Nature humaine à l’estourdy », dit l’édition française, mêlant des images de chasse à ce qui ressemble fort aux images aristotéliciennes de la matrice assimilée à un champ. Mais Paré passe ensuite au modèle galénique des deux semences lorsque, au cours de l’orgasme, les deux sexes produisent des semences qui se mêlent.
Ce mélange des métaphores n’est pas confiné aux traités médicaux. La femme d’un pasteur hollandais déplore, par exemple, dans son journal intime le penchant de son mari pour le coitus interruptus. Ça ne vaut pas mieux que la masturbation, se lamente Isabella de Moerloose. En vérité, c’est pire encore, parce que dans un rapport ainsi tronqué elle jette aussi sa semence sur la terre stérile : « Si ce n’avait été que d’un côté seulement, ce serait encore acceptable, mais deux semences qui sont déchargées en même temps doivent certainement être un enfant. » Sur ce, elle passe à une métaphore aristotélicienne : « De même que la panse fait cailler le lait, le mâle fait cailler la semence féminine. » Ici, de même que tout au long de son journal, elle mêle les images d’activité et de passivité féminines, des idées puisées à des sources contradictoires suivant les besoins du moment. Cf. Herman Roodenburg, « The Autobiography of Isabella de Moerloose », pp. 530-531.
85. Petrus Hispanus, Thesaurus Pauperum, source médiévale majeure, donne 34 recettes d’aphrodisiaques, 26 d’anticonceptionnels, mais 56 relatives au moyen d’assurer la fécondité, sans compter celles « qui, destinées à provoquer les menstrues, pouvaient être lues comme des prescriptions abortives » (Jacquart et Thomasset, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, pp. 128-129 et chap. 3). Voir également John Scarborough, in A.C. Crombie et Nancy Siraisi, éds., The Rational Arts of Living, Northampton, Smith College Studies in History, no 50, 1987. Deux herbiers, parmi les plus grands du XVIe siècle, évoquent plus de quarante plantes qui étaient censées stimuler la sexualité. Cf. Thomas G. Benedek, « Beliefs about Human Sexual Function in the Middle Ages and Renaissance », in Douglas Radcliffe-Umstead, éd., Human Sexuality in the Middle Ages and Renaissance, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1978, p. 108. [N.d.T. : Cf. Piero Camporesi, Les Baumes de l’amour, Paris, Hachette, 1990.]
86. Geoffrey Robert Quaife, Wanton Wenches and Wayward Wives : Peasants and Illicit Sex in Early Seventeenth England, Londres, Croom Helm, 1979, p. 172. Dans le Yorkshire, à l’aube du XVIIIe siècle, une jeune fille prétendit qu’un ministre du culte avait tenté d’abuser d’elle en lui promettant qu’il était trop ivre pour l’engrosser. Une autre catin assurait avaler des épices afin d’éviter la conception. S’abreuver d’eau pour refroidir le corps avait, disait-on, un effet similaire. La quasi-totalité des textes que j’ai cités ont de longues sections consacrées aux médicaments réchauffants (ou rafraîchissants) en rapport avec l’infécondité et les dysfonctionnements menstruels. Johann Dryander, Der Gantzen Artzenei, chap. 7, sur la stérilité, et chap. 19, sur la mère est particulièrement riche en médications, de même que Michael Baust l’aîné, Wunderbarliches Leib und Wund Artzneybuch, Leipzig, 1596, pp. 109-113. Le livre I du Der Ander Theil des Wunderbarliches, Leipzig, 1597, de Baust est entièrement consacré au sang humain et précise bien dans quelle mesure les deux sexes partagent une seule et même économie de fluides. Voir Nicholas Culpeper, School of Physick, Londres, 1696, p. 245, à propos du calament présenté explicitement comme un abortif et des moyens de « provoquer les termes ».
87. Vésale, Epitome, p. 84 ; p. 85, il explique qu’il en va de même pour les femmes. Harvey Cushing, A Bio-Bibliography of Andres Vesalius, pp. 44-45, ajoute foi à la lettre ouverte (1536) de Günther d’Andernach qui félicite Vésale, son élève, d’avoir découvert l’insertion asymétrique des deux veines séminales. Charles Singer et C. Rabin, A Prelude to Modern Science, pp. LXII-LXIII, affirment que le fait était connu de Mondino, qui lui-même cite Avicenne, lequel cite à son tour Galien (la citation donnée est De ven. art. diss., Kuhn, 2. 808). UP, 2.635 (cf. chap. II, note 1, supra) semble en effet en faire la remarque bien que, dans une perspective moderne, Galien inverse la droite et la gauche.
88. Sur la question des vaisseaux épigastriques, cf. Charles Singer, introduction à Johannes Ketham, The Fasciculo di Medicina, Florence, 1925, 1.104, n. 59. Certains auteurs plaidèrent aussi explicitement qu’il existait un lien étroit entre les organes génitaux et la poitrine chez l’homme : qui se laisse aller à une vie sexuelle excessive crache le sang, par exemple. Cf. Jacquart et Thomasset, Sexualité et savoir médical, p. 170.
89. Laurent Joubert, Erreurs populaires, Bordeaux, 1579, 2e éd., pp. 451, 157 ; l’auteur fut chancelier de la faculté de médecine à l’Université de Montpellier. Sur cet auteur important comme sur cette classe de textes, cf. Davis, « Sagesse proverbiale et erreurs populaires », en particulier pp. 402-405, 409-410 ; Paré, Œuvres complètes, éd. Malgaigne, vol. II, pp. 679-680, 738. L’explication de Joubert fait écho à celle d’Isidore de Séville.
90. Nicolo Serpetro, Il Mercato delle maraviglie della natura, overo istoria naturale, Venise, 1653, p. 23. Je sais gré à Paula Findlen de m’avoir indiqué cette source.
91. Wirsung, Neues Artzney, p. 440 ; Crooke, Microcosmographia, 1615, livre 3, chap. 20. On aurait pu penser que la publication, en 1628, par Harvey de l’Essay on the Motion of the Heart and Blood in Animals qui soutenait, entre autres choses, que le cœur était une pompe, plutôt qu’un fourneau, eût périmé aussitôt des points de vue comme ceux de Crooke. Or ils persistèrent envers et contre tout tout au long du XVIIe siècle. C’est vrai de quantité d’autres découvertes. En 1564, par exemple, Giulio Cesare Aranzio découvrit que le sang maternel ne formait pas d’anastomose directe avec celui du fœtus via les « cotylédons », mais cela ne changea rien à l’idée que le sang de la mère nourrissait l’enfant et qu’il n’y avait donc pas d’excédent de sang à chasser sous forme de menstrues. Sur cette découverte, cf. Howard B. Adelmann, Marcello Malpighi and the Evolution of Embryology, Ithaca, Cornell University Press, 1966, 2.754 ; l’introduction d’Adelmann est une magistrale histoire des théories de la génération de l’Antiquité jusqu’à Malpighi.
92. John Bulwer, Anthropometamorphosis, Londres, 1653, p. 390, explique que les entailles étaient une autre source d’évacuation de la pléthore du corps ; Joubert, Erreurs, pp. 159-160 ; Culpeper, Directory for Midwives, p. 68. Je m’intéresse à la logique de ces affirmations par rapport aux thèmes de ce livre. Ici comme ailleurs, je n’entends pas me prononcer sur leur véracité ou leur fausseté. Il est tout à fait possible que pour toutes sortes de raisons — exercice intensif, régime alimentaire, absence de graisse, allaitement prolongé, etc. — les Indiennes aient eu des règles moins abondantes ou moins régulières que les Européennes. D’une manière générale, on ne sait presque rien de la nature ni même de l’existence du cycle menstruel d’une culture à l’autre. Cf. Thomas Buckley et Alma Gottlieb, Blood Magic, pp. 44-47.
93. Cardanus est cité par Helkiah Crooke, Microcosmographia, pp. 193-194.
94. Serpetro, Il Mercato, p. 24.
95. A.R. [Alexander Ross], Arcana Microcosmos, or the hidden secrets of man’s body discovered, Londres, 1652, p. 88 ; Joubert, Erreurs, pp. 474-475 (sans doute fait-il référence à Aristote, HA, 3.20.522 a 13 sqq.).
96. Sur ces thèmes, cf. Caroline Bynum, Holy Feast et Jesus as Mother. Studies in the Spirituality of the High Middle Ages, Berkeley, University of California Press, 1982. [N.d.T. : Sur le lactatio mascula dans la littérature médicale et ses avatars folkloriques et symboliques, voire spirituels (avec saint Marnant), cf. Roberto Lionetti, Le Lait du père, trad. A.-M. Castelain, préface de Fr. Loux, Paris, Imago, 1988, notamment pp. 43-51.]
97. Wirsung, Neues Artzney, p. 427, « matière blanche » (weiss gesicht, littéralement « d’apparence blanche »). Observez le postulat suivant lequel il est nécessaire de préciser de quelle semence il s’agit. Pour un tableau fascinant de la manière dont un médecin allemand du XVIIIe siècle et ses patientes comprenaient la convertibilité réciproque du lait et des autres fluides, cf. Duden, Geschichte, pp. 127-129.
98. Albrecht von Haller, Physiology : Being a Course of Lectures, Londres, 1754, 2.293 ; Hermann Boerhaave, Academical Lectures on the Theory of Physic, Londres, 1757, p. 114. Haller fut l’un des géants de la biologie du XVIIIe siècle et Boerhaave fut sans doute le clinicien le plus important de la fin du XVIIe et du début du siècle suivant. Pour d’autres observations cliniques sur la relation entre le saignement en général et la menstruation, cf. John Locke, Physician and Philosopher […] with an Edition of the Medical Notes, Londres, Wellcome History of Medicine Library, 1963, pp. 106, 200.
99. Rabelais, op. cit., p. 445. (N.d.T.)
100. Je sais gré à Natalie Zemon Davis de cette indication sur Louise Bourgeois.
101. Maclean, Renaissance Notion of Women, p. 3.
102. [La traduction ici citée est celle de L. Robin, dans la Bibliothèque de la Pléiade.] Après avoir expliqué comment se créent chez les hommes et chez les femmes les substances « douées d’âme » de la procréation, Platon précise que « chez les hommes, ce qui tient à la nature des parties est un être indocile et autoritaire, une sorte d’animal qui n’entend point raison, et que ses appétits toujours excités portent à vouloir tout dominer. De même, chez les femmes, ce qu’on appelle matrice et utérus est […] un animal » (vol. II, p. 522).
103. Cf. Walther von Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1948 [Oscar Bloch et Walther von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, PUF, 1986].
104. Cité in Ilza Veith, Hysteria : The History of a Disease, Chicago, University of Chicago Press, 1965, p. 39 [Histoire de l’hystérie, trad. S. Dreyfus, Seghers, Paris, 1973] ; cf. pp. 28-29, à propos de Soranos et de sa thèse suivant laquelle la matrice n’est pas un animal. [N.d.T. : Cf. Danielle Gourevitch, Le Mal d’être femme. La femme et la médecine à Rome, préface de M. Grmek, Paris, Les Belles Lettres, 1984, chap. V.]
105. Galien, De anatomicis administrationibus, 6.5.561.
106. La charge de Smolett contre Nihell parut dans la Critical Review, 9, 1760, pp. 187-197. Le passage en question figure dans Elizabeth Nihell, A Treatise on the Art of Midwifery, Londres, 1760, p. 98, et sa réponse parut sous le titre de An Answer to the Author of the Critical Review […] by Mrs. Elizabeth Nihell, a Professed Midwife, Londres, 1760. Je sais gré à Lisa Cody de m’avoir indiqué ces références.
107. Rappelons que selon certains auteurs du corpus hippocratique les femmes étaient plus chaudes que les hommes, mais naturellement les valeurs s’en trouvaient du coup inversées. Sans doute le sens de l’opposition chaud et froid ne se réduisait-il pas à l’opposition bien et mal, mais telle était certainement l’une de ses significations.
108. Colomb, Anatomica, pp. 446-447. C’est à Mary McGarry, mon assistante, que je dois entièrement cette analyse grammaticale inédite de Colomb.