Photo d’Albert Camus prise en 1957.
Le père d’Albert Camus, Lucien Auguste (1885-1914), descendant d’une vieille famille d’origine alsacienne qui s’est installée en Algérie à la fin du XIXe siècle, est un ouvrier caviste agricole vivant à Alger avec sa femme d’origine majorquine, Catherine Hélène Sintès (1882-1960), et leurs deux fils, Lucien Jean Étienne (né en 1911) et le futur écrivain. Celui-ci, qui a vu le jour le 7 novembre 1913, perd son père alors qu’il n’a pas un an : Lucien Auguste est tué par un éclat d’obus lors de la bataille de la Marne. La famille déménage alors chez les parents de Catherine, dans le quartier populaire de Belcourt. On dit que c’est la pauvreté, l’analphabétisme ambiant et le silence de cette mère partiellement sourde et illettrée qui pousse Camus vers l’écriture.
En 1930, le futur romancier, qui vient d’obtenir une bourse d’étude, est élève au collège d’Alger. C’est là qu’il rencontre Jean Grenier (philosophe et écrivain français, 1898-1971), qui est alors son professeur et qui deviendra rapidement son ami. Grâce à lui, Camus découvre la philosophie et commence à lire les œuvres d’auteurs tels qu’André Gide (1869-1951) et André Malraux (1901-1976) ou de philosophes comme Blaise Pascal (1623-1662) et Søren Kierkegaard (1813-1855). Il se lance également dans le football, mais, à la fin de l’année, on lui diagnostique une tuberculose qui signe la fin de ses loisirs sportifs et inaugure le début de son inspiration philosophique. Le jeune Camus se découvre mortel et solitaire. Optant pour des études poussées de littérature et de philosophie, il se passionne pour le théâtre et continue à lire énormément, notamment Fedor Dostoïevski (1821-1881), Friedrich Nietzsche (1844-1900) et Franz Kafka (1883-1924).
Vers le milieu des années trente, Camus adhère à différents mouvements contre le fascisme et en faveur de la paix, et lutte activement pour la consécration de la culture populaire. Il milite également pour le Parti communiste algérien et fonde le Théâtre du travail, au sein duquel il est à la fois acteur, auteur, metteur en scène et adaptateur : c’est le début de son activité littéraire. En parallèle, il exerce différents métiers, dont celui de journaliste qui devient rapidement une vocation. Il poursuit néanmoins ses travaux philosophiques et obtient son diplôme de l’université d’Alger en 1936. L’année suivante, il publie L’Envers et l’Endroit, un recueil d’essais traitant du quartier dans lequel il a vécu, et intègre un journal républicain après avoir rompu avec le Parti communiste. Sa deuxième publication, Noces (1938), préfigure L’Étranger par sa poésie du décor et son lyrisme mystique : on y découvre un Camus amoureux de la terre, de la chaleur, de la richesse linguistique et de la sensualité charnelle ; bref, un vrai Méditerranéen.
En 1940, il quitte son pays d’origine pour s’installer à Paris, où il travaille pour Paris-Soir. L’écrivain veut s’engager, mais sa santé fragile l’en empêche. Il voyage néanmoins à Lyon et à Oran, et entre dans la Résistance. C’est à cette époque que ses théories sur l’absurde, encore balbutiantes, évoluent vers quelque chose qui tient plutôt de l’humanisme et de la révolte. C’est précisément cette nouvelle philosophie qui fera son succès populaire, elle qui touche les jeunes marqués par la guerre. En 1942, la parution de L’Étranger, son premier grand roman, le révèle au public et le hisse sur le devant de la scène littéraire. À partir de 1943, il est lecteur chez Gallimard, où il rencontre beaucoup d’auteurs renommés, et crée de manière anonyme le périodique Le Combat, dont la devise, polémique, est « De la Résistance à la Révolution », en collaboration avec l’écrivain Pascal Pia (1903-1979). Même s’il est souvent taxé de patriotisme aveugle et angoissé, Camus se révèle pourtant un homme lucide et idéaliste, qui lutte pour ses valeurs et ses idées de manière démocratique.
Sa première pièce, Le Malentendu, est jouée en 1944 et, avec Caligula publiée l’année suivante, vient clore son cycle de l’absurde, déjà composé de L’Étranger et du Mythe de Sisyphe. À cette époque, il rencontre Jean-Paul Sartre (1905-1980), avec qui il semble fait pour s’entendre. Étant tous deux de brillants romanciers et dramaturges ainsi que des intellectuels militants croyant en la révolte et la contestation, c’est tout naturellement qu’ils se rapprochent. Ils connaissent une amitié intense et pleine de tensions : ils collaborent à certains projets, mais, si leurs cercles de pensée se croisent, ils ne se supportent pas et, très vite, des divergences (notamment politiques) se font ressentir. Après avoir voyagé en Amérique du Nord en 1946, Camus s’installe à nouveau à Paris l’année suivante. Il rompra progressivement avec Sartre et ses collaborateurs de la revue Les Temps modernes. Cette rupture marque définitivement son rejet de l’existentialisme, philosophie de solitude et de négation de la vie, ainsi que l’élaboration de sa propre philosophie, tournée vers l’amour de l’existence et la croyance en la solidarité humaine.
Cette réorientation se concrétise en 1947 avec la parution de La Peste, qui inaugure un nouveau cycle, celui de la révolte. Couronnée du Prix des critiques la même année puis du prix Nobel en 1957, cette œuvre connaît un véritable triomphe. Au lieu de prôner l’abandon ou le désespoir, elle recommande la solidarité et le mouvement comme armes contre la fatalité. Celle-ci prend ici la forme d’un fléau nommé la peste brune, qui évoque métaphoriquement l’immonde guerre dont l’Europe vient tout juste de se sortir. Font également partie du cycle de la révolte, après La Peste, les pièces L’État de siège (1948) et Les Justes (1949), ainsi que l’essai L’Homme révolté (1951). Toutes ces œuvres évoquent des questions d’actualité, mais celles-ci sont toujours transcendées par une mission beaucoup plus noble, à savoir la mise en évidence des armes qui permettent de s’opposer au destin.
Une déchirure s’opère dans la vie de l’auteur quand, en 1954, éclate la guerre d’Algérie. Il vit cet événement comme une tragédie personnelle et supporte très mal la situation. En 1956, il tente de lancer un appel à la trêve, en vain. Camus se heurte à un mur d’incompréhension et de mépris : il est taxé de traîtrise aussi bien du côté français qu’algérien, et ses valeurs humanistes semblent sonner creux au milieu de cette guerre de terreur et de répression. La même année, il publie La Chute, un roman sombre et déshumanisé qui évoque la désillusion et le désespoir d’un homme face à la perversité du monde. Un an plus tard paraît L’Exil et le Royaume, un recueil de six nouvelles basées sur des thèmes qui lui sont chers (la solidarité, la fraternité, l’espoir, etc.) et qui orientent sa philosophie vers un idéal de mesure et d’amour face à l’adversité. Il s’agit de la dernière œuvre littéraire à être publiée de son vivant. Le 4 janvier 1960, alors que Camus rentre à Paris après avoir passé le réveillon à la campagne en compagnie de son ami, l’éditeur Michel Gallimard (1917-1960), il décède brutalement dans un accident de voiture. Cette mort pose un dramatique et majestueux point final à la vie et à l’œuvre de cet homme sincère et tourmenté qui a dédié son existence à s’engager pour les causes les plus nobles et qui, malgré les critiques, a toujours défendu l’amour et l’espoir.
Camus est également connu pour être un amoureux des femmes. Éduqué par une grand-mère autoritaire et une mère silencieuse, il compense le manque d’attention dont il a souffert, enfant, par deux mariages et de multiples liaisons. Sa première vraie rencontre, après les comédiennes fréquentées lors des répétitions au Théâtre du travail puis à Paris, c’est Simone Hié, qu’il épouse en 1934. Malheureusement, celle-ci tombe dans la drogue et se révèle, en outre, infidèle. Camus la quitte en 1936, puis fait la connaissance de Christiane Galindo, avec laquelle il entretient une relation à la fois amoureuse et littéraire. Mais, bientôt, il rencontre Francine Faure (1914-1979), une mathématicienne et pianiste de talent, qui deviendra la mère de ses deux enfants. Ils se marient en 1940, et la jeune femme accouche de jumeaux, Catherine et Jean, en 1945. Toutefois, malgré le coup de foudre qui l’a poussé dans les bras de Francine, Camus est indifférent aux obligations du mariage et la trompe à de nombreuses reprises, notamment avec la célèbre comédienne Maria Casarès (1922-1996), rencontrée en 1944 et qu’il ne quittera jamais vraiment. Sa femme en devient malade et sombre dans la dépression. Après la mort de son époux, elle est d’ailleurs internée dans un hôpital où elle finit par mettre fin à ses jours. La dernière femme de la vie de l’auteur, c’est évidemment Catherine, sa fille et son ayant droit. C’est elle qui, en 1994, publie sans aucune correction Le Premier Homme, roman écrit de la plume de son père et retrouvé dans le coffre de la voiture qui lui servit de tombeau.