Dimanche soir. Les quais de Livry-Gargan sont couverts de neige. Une jeune mère et son fils attendent de monter dans le train qui glisse vers nous en silence. Elle est d’un blond pâle, les lèvres à peine rosées. Lui doit avoir cinq ou six ans. Par la vitre, nous apercevons des contrôleurs à l’intérieur du wagon. Lorsque nous montons à bord, elle se dirige droit sur eux pour qu’ils valident leurs tickets. Elle n’est pas d’ici et n’a pas vu de composteur sur le quai. Les dos des contrôleurs l’escamotent à mon regard. J’entends seulement leurs voix sourdes qui réclament l’amende et ses protestations indignées :

— Pourquoi je serais venue vous voir ? J’ai dit à mon fils : « Tiens, voilà les contrôleurs. Viens, on va leur donner nos tickets pour qu’ils les compostent. » Alors on aurait mieux fait de frauder ? D’aller dans l’autre wagon ? Qu’est-ce que je fais ? Je jette mon ticket ? Je suis outrée.

Elle est sincère, sa voix ne trompe pas. La machine va-t-elle s’emballer contre elle ? Je me sens sur le point d’intervenir pour prendre fait et cause en sa faveur. Je construis mentalement les phrases que je vais prononcer, crains seulement d’envenimer la situation en intervenant trop tôt, que leur décision de verbaliser cette femme se fige en voyant quelqu’un prendre son parti, alors je temporise un peu. Heureusement, l’humain l’emporte. Ils partent en fermant les yeux sur l’infraction, convaincus de la bonne foi de cette femme, et je me replonge dans L’Homme qui rit de Victor Hugo.