Chapitre 4 :
Captain America : Le Soldat de l’hiver

Véritable pivot dans l’histoire du MCU, Captain America : Le Soldat de l’hiver est sans conteste l’une des plus grandes réussites de Marvel Studios depuis ses débuts. Pourtant, bien malin qui aurait pu prédire que les frères Russo, jusque-là réalisateurs méconnus de sitcoms télévisés, allaient être ceux qui mèneraient Steve Rogers au firmament du box-office...

 

Comme pour Thor : Le Monde des ténèbres, on ne perd pas de temps chez Marvel Studios : First Avenger n’est pas encore dans les salles que le travail sur une suite potentielle des aventures de notre héros étoilé a débuté. Une fois de plus, c’est Christopher Markus et Stephen McFeely qui héritent de l’ouvrage. Après avoir signé le scénario du premier opus et finalisé celui du dernier Thor, les deux scribes ont définitivement gagné la confiance de Kevin Feige, patron de Marvel Studios et grand architecte du MCU. Et chez Marvel, on ne change pas une équipe qui gagne.

Nous sommes en avril 2011 quand le projet démarre officiellement et, d’emblée, le duo fait face à un premier problème : leur rêve est d’adapter l’un des arcs les plus iconiques des comics, Winter Soldier, que l’on doit à la plume du génial scénariste Ed Brubaker. Malgré l’expérience déjà acquise sur les précédents tournages, les deux hommes doutent dans un premier temps de leur capacité à faire honneur au matériau original, et piétinent pendant plusieurs mois, explorant d’autres pistes, au cas où ; sans succès...

Finalement, après six mois de tergiversations, ils s’en reviennent à leur idée initiale et retrouvent suffisamment de confiance en eux pour mener à bien cette entreprise délicate (même si, au final, ils s’orienteront vers quelque chose de relativement nouveau, plutôt que de se contenter d’une transposition pure et simple du travail de Brubaker).

L’écueil que les deux hommes souhaitent à tout prix éviter s’incarne en ce qu’ils qualifient de « syndrome du poisson hors de l’eau » (« fish out of the water », pour reprendre leurs propos en V.O.). En clair : plutôt que de mettre l’emphase sur un Steve Rogers luttant pour s’acclimater à la technologie de notre époque (ce qui risque de tourner rapidement au ridicule, en mode « Steve découvre le micro-ondes et le Wi-Fi »), ils souhaitent mettre en avant l’aspect sociétal du choc que vit désormais le super-soldat. Deux ans se sont écoulés depuis les événements d’Avengers (l’attaque de New York par Loki et ses aliens) et Steve Rogers gravite toujours dans un univers qui lui est relativement étranger. Au manichéisme des années quarante s’opposent les zones de gris du monde moderne, où il devient de plus en plus délicat pour Steve de trier le bon grain de l’ivraie, et de tracer une ligne claire entre les gentils et les méchants. Symbole absolu de ce contraste flou : le SHIELD, incarné dans le film par Nick Fury et Black Widow, à qui Rogers va avoir de plus en plus de mal à faire confiance...

Cette paranoïa latente qui l’accable constitue l’essence du film, que McFeely et Markus voient comme un hommage aux œuvres conspirationnistes des années soixante-dix, et en particulier au film Les Trois Jours du Condor (Three Days of the Condor), dans lequel le héros, incarné par un certain Robert Redford, doit faire face aux agissements opaques de son employeur, la redoutable CIA. Ce n’est donc pas un hasard si ce même Redford finira au casting de The Winter Soldier et se retrouvera au centre de la conspiration qui menace le SHIELD. Ajoutez à cela le fait que les petits-enfants de l’acteur sont de grands fans des films Marvel, et vous tenez deux bonnes raisons pour lui de prendre part au projet.

 

Contrairement à Iron Man ou Thor, le bon vieux Captain n’a pas (ou plus) de sidekicks historiques qui peuvent l’épauler dans ses aventures : les Howling Commandos, ses camarades de front pendant la Seconde Guerre mondiale, appartiennent désormais au passé (comme le rappelle la scène où Rogers visite le Smithsonian Museum) et Peggy Carter vit ses dernières heures sur un lit d’hôpital. Quant à Bucky, on apprend assez vite qu’il officie désormais de l’autre côté de la barrière sous le pseudonyme peu engageant de Soldat de l’hiver. Il faut donc au Captain de nouveaux alliés.

L’occasion pour Marvel d’introduire un de ses compagnons les plus emblématiques des comics dans le MCU : Sam Wilson, alias Falcon. Rogers, Fury, Widow, Falcon... Même Hawkeye était initialement prévu au générique, avant d’en être écarté à cause de l’emploi du temps chargé de Jeremy Renner, retenu par d’autres tournages. Une équipe bien étoffée donc, qui vaudra au film son surnom d’Avengers 1.5. Un titre non officiel mérité, mais qui occulte une autre facette du long-métrage, sans doute tout aussi importante : la quête personnelle de Rogers. Un périple intérieur difficile durant lequel il va être confronté à la fois à la corruption de notre société moderne, mais aussi à la découverte traumatisante que son meilleur ami qu’il croyait mort est désormais l’homme à abattre, sa Némésis.

Tout ça s’annonce fort passionnant, mais il manque encore un léger détail pour que le tableau soit complet : Markus et McFeely sèchent sur le troisième acte et manquent d’une idée un peu folle pour offrir au film l’apothéose qu’il mérite. C’est Kevin Feige lui-même qui viendra à la rescousse des deux scénaristes en proposant ni plus ni moins que de faire imploser le SHIELD, rongé de l’intérieur par Hydra, avec les répercussions que l’on connaît sur le reste du MCU, et particulièrement Agents of SHIELD, la série centrée sur l’organisation secrète, menée par Phil Coulson (ce qui plaira moyennement à Joss Whedon, comme nous avons déjà pu le voir). S’agissait-il d’une volonté consciente et mesquine de Feige de « torpiller » la division télévision, en lui tirant le tapis sous les pieds ? Difficile à dire, même si la théorie est crédible. Toujours est-il que ce choix, comme on l’a vu dans le chapitre précédent, va au final s’avérer providentiel et libérateur pour Marvel télévision : le SHIELD n’étant officiellement plus au menu du MCU cinématographique, Jeph Loeb et son équipe ont toute latitude pour en faire ce qu’ils veulent, et vont du coup pouvoir redonner un second souffle à une série qui en avait bien besoin.

 

Revenons au film. Après quasiment une année de travail, le scénario est enfin terminé à la fin de l’année 2011. Reste maintenant à déterminer la personne providentielle pour en tenir les rênes et passer derrière la caméra. Pour le poste, Marvel Studios a plusieurs pistes, parmi lesquelles George Nolfi (à qui l’on doit l’étrange L’Agence, The Adjustment Bureau en V.O.) et F. Gary Gray (qui avait déjà signé l’excellent Braquage à l’italienne, The Italian Job en version originale). Deux réalisateurs qui ont clairement déjà bien œuvré dans des films mettant en avant des conspirations et représentent donc des candidats idéaux pour superviser Le Soldat de l’hiver. Malheureusement, le courant ne passe pas bien avec George Nolfi, et F. Gary Gray décide quant à lui de retirer in extremis sa candidature, pour s’envoler vers Straight Outta Compton, le biopic consacré au groupe de rap NWA.

Retour à la case départ donc. C’est finalement sur deux inconnus que le choix de Feige va s’arrêter : les frères Joe et Anthony Russo. Si les deux hommes sont venus à la réalisation avec l’ambition de réaliser de gros films d’action (ce sont notamment des fans inconditionnels de The Raid), ils n’ont pour le moment brillé que dans des sitcoms sur le petit écran. À leur actif, quelques épisodes d’Arrested Development et de Community, mais pas vraiment de quoi leur faire une confiance aveugle pour la réalisation d’un long-métrage qui s’annonce explosif.

Ce qui va convaincre Feige, outre la passion immodérée des frères Russo pour l’arc des comics dont s’inspire le film (et les comics Marvel en général), réside dans le tour de force que représente le double épisode final de la saison 2 de Community, réalisé par Joe Russo, qui parodiait le jeu vidéo Call of Duty par l’entremise d’une épique partie de paintball. Pour le patron de Marvel Studios, aucun doute, c’est exactement ce genre de traitement dont le film a besoin : nerveux et caméra au poing.

Les trois hommes se rencontrent, les frères Russo alignent les références qui font mouche (outre The Raid, ils mentionnent également leur amour pour la scène de casse du fabuleux Heat de Michael Mann) et achèvent de séduire Feige en apportant quelques précieuses suggestions pour améliorer le scénario de McFeely / Markus, pourtant déjà très abouti. N’en jetez plus, pense sans doute Feige, qui les signe rapidement, après une courte période de négociations entamée en juin 2012.

Afin d’attaquer l’impressionnant chantier et mettre toutes les chances de leur côté, les Russo vont solliciter une rencontre avec Brubaker, non seulement pour obtenir sa bénédiction, mais aussi pour lui soutirer quelques recommandations afin de mener à bien le projet. Brubaker les adoube sans hésiter (il se verra offrir en remerciement un petit caméo dans le film), les choses sérieuses peuvent désormais commencer.

Comme pour chaque film du MCU, les scénaristes sont très présents à chaque étape de la production, mais, cette fois-ci, il n’y a que très peu de réécritures sur le plateau. En dehors de quelques menues retouches, et de l’aide ponctuelle apportée par Chris McKenna (avec qui les Russo ont travaillé sur Community) pour pimenter l’intrigue avec quelques notes d’humour, le résultat final restera très fidèle au scénario achevé l’année précédente.

Il s’agit d’un moment-clé dans l’histoire de Marvel Studios. Le quatuor que forment les frères Russo et la paire McFeely / Markus a fonctionné à merveille, ce qui ouvrira la voie à de futures collaborations avec le département cinéma de la Maisons des idées, sur Civil War d’abord (mai 2016), puis sur le plat de résistance en deux parties que constitue Avengers : Infinity War et sa suite (attendus, eux, pour mai 2018 et 2019).

 

Du côté des acteurs, toujours la même dévotion à la tâche : sous l’impulsion des Russo, tout le monde s’investit et prend part à un maximum de scènes d’action, sans rechigner. Chris Evans suivra un long entraînement pour moderniser les techniques de combat du Captain. Sebastian Stan (qui incarne le Soldat de l’hiver) se baladera en permanence un couteau à la main, pour apprendre à le manipuler sans se couper les doigts (au grand dam de ses amis, un peu inquiets de le voir jongler avec une lame tranchante lors de soirées au bar). Et de son côté, Anthony Mackie n’hésitera pas à entreprendre un régime drastique de plusieurs mois pour atteindre la masse musculaire dont il a grandement besoin pour incarner le vaillant Falcon.

Comme à l’accoutumée, la phase de production se terminera par une inévitable séance de reshoots, histoire de peaufiner quelques détails et assurer une narration fluide et sans heurts. Au final donc, un projet rondement mené.

Cerise sur le gâteau : l’ami Joss Whedon viendra (une fois encore) marquer un film MCU de son empreinte, en réalisant la scène post-générique, présentant les personnages de Scarlet Witch et Quicksilver, ainsi que le sinistre baron Von Strucker, annonçant le très attendu Avengers : L’Ère d’Ultron qui sortira dans les salles en 2015.

Captain America : Le Soldat de l’hiver sera présenté en avant-première au El Capitan Theatre d’Hollywood le 13 mars 2014 et inondera le marché international treize jours plus tard, rencontrant à la fois un succès critique et commercial (714 millions de dollars accumulés au box-office, pour un budget de 170 millions).

Petit bémol, néanmoins, à l’euphorie entourant ce deuxième opus : on regrettera cette étrange sensation d’avoir assisté à une première partie qui ne dit pas son nom (à l’instar de ce que fut L’Empire contre-attaque dans la saga Star Wars, par exemple). Sentiment qui se verra confirmé plus tard, dans Civil War, où l’arc de Bucky, le Soldat de l’hiver, sera enfin exploré et bouclé.

Mais ne boudons pas notre plaisir : le film fut une réussite globale, probablement l’un des projets les plus aboutis de Marvel Studios depuis les débuts du MCU, et dont les ramifications ont renforcé, peut-être sans le vouloir, le concept pourtant déjà bien établi d’univers partagé, ainsi que la richesse inhérente au concept.

Soulignons enfin l’incroyable « vista » de Kevin Feige (une fois encore) qui a misé gros en confiant les clés du projet à deux frères sans grande expérience, pari qui s’est avéré on ne peut plus payant, non seulement sur Le Soldat de l’hiver, mais également à plus long terme sur toute la franchise MCU. L’homme a clairement le nez creux...

Illustration

Fiche technique

Captain America : The Winter Soldier (2014)

Chronologie : Phase II, 3/6

Durée : 136 minutes

Titre français : Captain America : Le Soldat de l’hiver

Réalisateurs : Anthony et Joe Russo

Producteur : Kevin Feige

Scénario : Stephen McFeely / Christopher Markus

Acteurs principaux : Chris Evans (Steve Rogers), Scarlett Johansson (Natasha Romanoff / Black Widow), Sebastian Stan (Bucky Barnes / Le Soldat de l’hiver), Anthony Mackie (Sam Wilson / Falcon), Cobie Smulders (Maria Hill), Frank Grillo (Brock Rumlow), Emily VanCamp (Sharon Carter / Agent 13), Hayley Atwell (Peggy Carter), Robert Redford (Alexander Pierce), Samuel L. Jackson (Nick Fury)

Musique : Henry Jackman

Société de production : Marvel Studios

Budget : 170 millions de dollars

Box-office mondial : 714,4 millions de dollars

 

 

Antonny et Joe Russo

Réalisateurs américains nés à Cleveland, dans l’Ohio, les frères Russo ont mis le doigt dans l’engrenage du cinéma dès leur sortie de la Case Western Reserve University locale. Ils financent leur premier long-métrage, Pieces, en explosant les plafonds de leurs cartes de crédit et en vidant leurs prêts étudiants. Le film, une comédie expérimentale sur un trio de frères criminels, sera remarqué par Steven Soderbergh lors du festival Slamdance en 1997. Emballé, le réalisateur offre aux frères Russo de produire leur prochain long-métrage, avec l’aide de son associé, un certain George Clooney. Bienvenue à Collinwood (Welcome To Collinwood) sortira ainsi en 2002, sous le regard bienveillant de ses prestigieux mécènes. C’est ensuite principalement en télévision que Joe et Anthony vont exceller, recrutés par le patron de la chaîne FX Network pour réaliser le pilote d’une nouvelle série comique, Lucky. Déjà à cette époque, les frères se distinguent en filmant la caméra au poing, tout en creusant petit à petit leur place à Hollywood. Ils vont alors apparaître sur le radar de Ron Howard, qui les embauche pour travailler avec lui et son scénariste Mitch Hurwitz sur la série Arrested Development. C’est à eux qu’on doit le style très « naturel » de la série, utilisant peu, voire pas, d’éclairage artificiel. Une réalisation qui fera l’unanimité et leur vaudra de décrocher un Emmy. Ils finiront d’asseoir leur talent en participant au phénomène Community, dont un certain épisode leur vaudra d’être remarqués par Kevin Feige, le patron de Marvel Studios. Joe et Anthony Russo sont aujourd’hui les pierres angulaires du MCU, rôle pivot qu’ils partagent non seulement avec Feige, mais aussi avec le binôme de scénaristes Markus et McFeely.

 

 

Sebastian Stan

Acteur américano-roumain né le 13 août 1982 à Costanta, Roumanie. Après un passage par Vienne, il émigre avec sa mère à New York à l’âge de douze ans et s’inscrit aux cours de la Mason Gross School of the Arts, école via laquelle il effectue en outre un séjour d’un an au Shakespeare’s Globe Theatre de Londres. Le public le découvre d’abord à la télé, dans de petits rôles, puis en tant que personnage principal dans la série Kings. Du côté du cinéma, il apparaît au générique du film Black Swan de Darren Aronofsky, aux côtés de Natalie Portman. Il enchaîne ensuite avec le moins mémorable La Machine à démonter le temps (Hot Tub Time Machine), avant de décrocher le rôle de Bucky Barnes dans Captain America : First Avenger, personnage central de toute la trilogie. On le verra également à l’affiche de Disparue (Gone), dans la série Once Upon A Time, mais aussi sur les planches, à New York, dans une adaptation de Picnic de William Inge.

 

 

Anthony Mackie

Acteur américain né le 23 septembre 1978 à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Il fait ses premiers pas sur les planches au collège, à la Warren Easton Sr. High School puis au New Orleans Center for Creative Arts, avant de décrocher un diplôme en arts dramatiques à la North Carolina School of the Arts en 1997. Il fera également partie du Group 30 de la division dramatique de la Juilliard School, de 1997 à 2001, aux côtés notamment de Lee Pace. Mackie fait ses premiers pas sur les plateaux de tournage comme doublure de Don Cheadle en 2002, sur la pièce Topdop / Underdog, et remportera ensuite un prix en son nom (un OBIE award) pour son rôle dans la pièce Talk. Après un rapide passage par 8 Mile, où il interprète la Némésis d’Eminem, Papa Doc, il commencera à se faire remarquer deux ans plus tard, en 2004, d’abord dans She Hate Me de Spike Lee, puis dans le Million Dollar Baby de Clint Eastwood et Démineurs (The Hurt Locker). Il ne quittera pour autant pas le théâtre, où il continuera à s’exprimer avec plaisir, notamment dans une série de trois pièces en hommage au dramaturge August Wilson. En 2013, après un passage par L’Agence (The Adjustment Bureau), il fera ses débuts dans le MCU en tant que Sam Wilson, alias Falcon, un sidekick bien connu de Captain America, dans le film Le Soldat de l’hiver.