Chapitre 7 : Le MCU de Netflix

Après une incursion un peu molle dans l’univers de la télévision avec Agents of SHIELD, le MCU tente d’étendre sa présence sur les petits écrans, via une collaboration avec Netflix. Quatre séries inédites sont annoncées conjointement : Daredevil, Jessica Jones, Luke Cage et Iron Fist. Quatre arcs qui culmineront avec une mini-série mélangeant tout ce beau monde, The Defenders. L’ambition est énorme, et rappelle beaucoup ce qui a déjà bien fonctionné au cinéma. Les séries Netflix, un MCU dans le MCU ?

 

Avant d’attaquer ce chapitre sur les séries coproduites par Marvel télévision, ABC et Netflix, il est sans doute de bon aloi de préciser quelques points de détails : comme nous l’avons vu dans les précédents chapitres, l’idée du MCU, le sujet de ce livre, est à mettre au crédit de Marvel Studios et c’est seulement lorsque la maison-mère Marvel Entertainment a été rachetée par Disney en 2009 qu’un département télévision a été créé, destiné à surfer sur le succès des aventures du grand écran et inonder la petite lucarne de héros maison.

Là où le bât blesse, c’est que la paternité du MCU revenant à Marvel Studios, les malheureux de Marvel télévision ne récupèrent en général que les miettes, au bon vouloir des premiers cités. C’est ce qui a posé souci durant toute la première partie de la première saison d’Agents of SHIELD, nous en parlions auparavant, quand il a fallu attendre que la révélation autour d’Hydra soit faite dans le film pour que la télévision ait l’autorisation de rebondir dessus.

Cette volonté de « reproduire » l’expérience de l’univers partagé à l’échelle de la lucarne magique, avec ses propres franchises, peut sans conteste être vue comme une tentative de s’émanciper de la tutelle des pontes du grand écran ; tout en reproduisant un schéma qui a déjà fait ses preuves et qu’il suffit dès lors de décliner.

On ne s’attardera pas ici en détail sur les phases de production propres à chaque série, mais on tentera plutôt d’analyser cette opération Netflix dans son ensemble.

 

À tout seigneur, tout honneur, c’est bien entendu par Daredevil que commence cette nouvelle aventure pour Marvel télévision. Un personnage qui a pas mal souffert d’une piètre adaptation en long-métrage, que Marvel traîne comme un boulet depuis bien trop longtemps. À la base, d’ailleurs, cette première série Netflix devait en fait être un film prévu pour une sortie en salles.

Quand les droits liés à l’avatar de Matt Murdock ont réintégré le giron de Marvel Studios en octobre 2012 (une information qui ne sera confirmée que le 23 avril 2013), un certain Drew Goddard (scénariste de Cloverfield, réalisateur de La Cabane dans les bois), un autre membre éminent de « l’écurie Whedon », arrive avec un projet de scénario sous le bras. Kevin Feige et ses acolytes décident finalement de laisser tomber l’idée, craignant que le film ne requière un label Rated R (interdit aux moins de dix-huit ans) dont ils ne veulent pas pour leur MCU.

Il faudra attendre un an pour que tombe l’annonce officielle de la collaboration de Marvel télévision avec Netflix (et ABC, qui coproduit le tout) et du retour du projet Daredevil initialement « pitché » par Goddard. Malheureusement, il ne pourra assurer le poste de showrunner sur la série à cause d’autres engagements, notamment sur le projet un peu curieux de Sony autour des Sinister Six (faisant partie de l’univers du film The Amazing Spider-Man, qui sera finalement mis au placard indéfiniment), et passera le relai à Stephen S. DeKnight, autre membre de l’équipe Mutant Enemy. Même s’il a quitté le navire, Goddard continue de superviser le projet et signe d’ailleurs les deux (excellents) premiers épisodes de la série. Son ambition est de proposer un univers plus sombre que le MCU cinéma, plus adulte, plus gritty comme disent les Anglo-Saxons ; avec du sang, de la sueur et, tant qu’à faire, un peu de sexe. Goddard cite notamment en référence des films comme Taxi Driver ou des séries comme The Wire, autant dire que l’on n’est clairement pas là pour rigoler.

Côté casting, on est gâté aussi. Pour l’anecdote, Charlie Cox, qui endosse le costume de l’Homme sans peur dans la série, avait été repéré par Joe Quesada (l’homme qui a relancé la série comics pour Marvel via Marvel Knights) bien avant que le projet ne prenne forme, avant même que les droits ne reviennent chez Marvel. Quesada aurait à l’époque déclaré : « J’ai trouvé notre futur Daredevil ! ». Dont acte quelques années plus tard.

Le succès récent de Marvel au cinéma et le pitch de la série attirent quelques gros calibres au générique, notamment Vincent d’Onofrio. L’acteur est impérial en Wilson Fisk torturé, et considéré par beaucoup comme le meilleur big bad du MCU, devant Loki. Pour le reste, la qualité est au rendez-vous : Deborah Ann Woll (True Blood), Rosario Dawson (Eagle Eye) ou encore le vétéran Scott Glenn (qu’on ne présente plus), l’affiche donne envie.

Le 10 avril 2015, date à laquelle Netflix lâchera Daredevil dans la nature, le succès critique et populaire est au rendez-vous. La série est louée pour son ton mature, adulte, qui tranche radicalement avec celui auquel nous a habitué le ciné. La première étape du périple est remportée, une saison 2 déjà commandée, il est déjà l’heure pour Marvel télévision de passer à la suite.

 

L’annonce de cette vaste entreprise autour de quatre héros new-yorkais moins connus de l’univers Marvel intrigue. Aux côtés de Daredevil, dont le public (hors amateur de comics) a déjà vaguement entendu parler, on retrouve des personnages moins populaires, comme Jessica Jones, Luke Cage et Iron Fist.

Et la suite donc, c’est cette Jessica Jones, ancienne super-héroïne, alcoolique, plutôt dure à cuire, et reconvertie en détective privé. Une fois encore, la série décrochera moult éloges, de la part de la presse comme des spectateurs, et se verra, sans surprise, commander une seconde saison dans la foulée.

Toujours pour emboîter le pas au MCU cinéma, ce nouveau MCU Netflix profite aussi de ses franchises pour introduire des personnages secondaires d’importance. Luke Cage fait ses débuts dans Jessica Jones, avant d’officier au sein de sa propre série ; la saison 2 de Daredevil va leur permettre de la même façon d’introduire de nouvelles versions d’Elektra et du Punisher, ce dernier aura même droit à une série dédiée, c’est dire si Marvel et Netflix croient en leur petit univers partagé à eux.

 

Reste que ce « nouveau MCU » (à défaut d’un meilleur nom) s’accompagne de son lot de dangers. Déjà parce qu’il est géré par Marvel télévision, et non Marvel Studios, mais surtout parce que depuis la réorganisation administrative effectuée par Disney début 2015, un véritable fossé de communication s’est créé entre les deux entités. Marvel télévision répond directement à Marvel Entertainement, et au très radin Ike Perlmutter, tandis que Marvel Studios dépend aujourd’hui de Disney en ligne directe. Alors oui, le département cinéma a toujours la priorité sur le catalogue, mais les contacts semblent être réduits au strict minimum.

À tel point que l’on voit de plus en plus se séparer les deux univers. D’un côté, les gros blockbusters à 200 millions de dollars, garnis d’effets spéciaux, fun, légers, dotés d’intrigues cousues de fil blanc et de couleurs éclatantes. De l’autre, un univers sale, poisseux, terriblement ancré dans la réalité de la vie quotidienne, qui détone complètement avec son modèle. Et entre les deux, quelques vagues références, et encore...

Si vous avez prêté attention aux plans de New York dans Jessica Jones ou dans Iron Fist, vous remarquerez avec stupeur qu’on n’y aperçoit pas la Stark Tower, emblème pourtant incontournable du MCU. Manque de moyens ou volonté de la part de Marvel télévision de se démarquer ? Les fans en ont longuement débattu, pour en conclure que, peu importent les raisons, ces « oublis » dénotaient tout de même un certain laxisme.

Rupture ou pas, il semble évident aujourd’hui que les deux univers semblent prendre des routes différentes. Et quelque part, ce n’est foncièrement pas une mauvaise nouvelle. Ça prouve que Marvel a aussi des choses à dire dans un registre différent. Et puis surtout, ça va permettre à la Maison des idées d’exploiter des personnages et des franchises moins faciles à faire évoluer sur le grand écran, notamment ceux au ton plus adulte.

Reste la question de savoir si ces nouveaux héros vont pouvoir un jour partager l’affiche avec leurs alter ego cinéma. Kevin Feige avait promis plus d’interactions entre les deux médias, or dans les faits, on constate plutôt le contraire. Quand on les interroge sur la possibilité d’une apparition des héros Netflix dans Infinity War, les frères Russo restent très évasifs et se contentent de répondre par un laconique « Ça dépendra des plannings ». Pour le moment, en dehors de quelques easter eggs pas toujours très heureux, les séries Netflix restent délibérément dans leur petite bulle, loin de Tony Stark ou de Natasha Romanoff. Les modules cinéma et télévision du MCU suivent leur bonhomme de chemin, chacun dans leur coin sans (trop) se contredire, assurant le minimum syndical au niveau de la cohérence globale. Certes, plus on avance, plus il devient difficile d’expliquer l’absence de ces héros « de la rue » sur le radar des Avengers.

L’espoir est en tout cas permis, Marvel télévision ayant bien réussi à s’entendre avec Sony (pour le retour de Spider-Man dans le MCU) et même avec la Fox (avec qui les relations étaient très compliquées) pour produire deux séries, dont l’extraordinaire Legion. Donc tout est possible !

Illustration

 

 

Joe Quesada

Scénariste et dessinateur de comics né le 12 janvier 1962 à New York. Après un passage chez Valiant Comics au début des années quatre-vingt dix, puis chez DC Comics, Quesada va fonder Event Comics, avec son ami encreur Jimmy Palmiotti. C’est en 1998 qu’il va rejoindre de manière plus permanente Marvel Comics, quand ces derniers décident de lancer la collection Marvel Knights. Il fut également responsable du lancement de MAX, le label adulte de la société, et Ultimate, destiné aux adolescents. Il gravira rapidement les échelons hiérarchiques et passera, en 2000, éditeur en chef pour la Maison des idées, avant d’être à nouveau promu en 2011, au rang cette fois-ci de CCO (Chief Creative Officer). C’est à lui que l’on doit notamment le moratoire dead is dead qui imposait aux artistes de manier la résurrection de leur personnage avec parcimonie. On le retrouvera au cœur du creative comitee chargé de passer en revue les scénarios des films du MCU, et d’y apporter les retouches nécessaires, avant que cette entité ne disparaisse suite à la réorganisation administrative qui verra Marvel Studios quitter le giron de la maison-mère pour répondre directement à Disney. Il est très impliqué sur la production des séries télé, particulièrement Daredevil.

 

 

Drew Goddard

Scénariste et réalisateur américain né le 26 février 1975 à Houston, Texas. Goddard est encore un transfuge de Mutant Enemy, la société de production de Joss Whedon, chez qui il a fait ses premières dents. Il débute en tant que staff writer sur Buffy et Angel, puis pour Alias et Lost quand il rejoindra l’écurie Bad Robot de J.J. Abrams. En 2008, il signe son premier scénario pour le grand écran, Cloverfield (produit par Abrams), qui fera un joli carton au box-office. Il passera ensuite derrière la caméra pour La Cabane dans les bois (The Cabin in the Woods) qu’il coécrit avec Joss Whedon. Encore un joli succès, critique et commercial. Après avoir été un moment pressenti pour travailler sur la franchise Spider-Man chez Sony (et notamment sur le film Sinister Six), Goddard rejoindra finalement Marvel télévision, pour superviser la première saison de Daredevil dont il signera les deux premiers épisodes. C’est également à lui que l’on doit Seul sur Mars, l’adaptation au cinéma, plutôt réussie, du roman The Martian d’Andy Weir, film qu’il devait initialement réaliser, avant de céder la place à l’illustre Ridley Scott.

 

 

Melissa Rosenberg

Scénariste américaine, née le 28 août 1962 à Marin County, dans l’État de Californie. Dire que l’annonce de Rosenberg pour diriger la première saison de la série Jessica Jones sur Netflix fut froidement accueillie serait un euphémisme. Il faut dire que son pedigree n’avait, à l’époque, pas grand-chose de rassurant. Rosenberg est surtout connue pour avoir signé l’adaptation des romans Twilight au cinéma, après être passée à la télévision, notamment sur Dexter et Newport Beach (The O.C.), où elle fit ses débuts, au début des années 2000. En 2010, Rosenberg est mandatée par Marvel télévision pour œuvrer sur un projet de série adaptée du comics Alias de Brian Michael Bendis, dont la protagoniste, Jessica Jones, est une super-héroïne à la retraite, officiant comme détective privé à Hell’s Kitchen. Initialement prévue pour être diffusée sur ABC, en suivant un modèle procédural (un épisode pour une enquête), la série migrera ensuite sur Netflix, où elle sera plutôt bien accueillie, à la fois par la critique et le public.

 

 

Cheo Hodari Coker

Scénariste et réalisateur américain, sur lequel on sait finalement peu de choses. Ancien journaliste musical pour VIBE magazine (fondé par Quincy Jones), reconverti dans l’écriture, Coker est surtout connu pour avoir été le showrunner de la première saison de la série Luke Cage sur Netflix. Son nom avait déjà été mis en avant en 2009, lors de la sortie du biopic sur The Notorious B.I.G., sobrement baptisé Notorious, et dont il cosignait le scénario. Sorti de ces faits d’armes, il a surtout travaillé pour la télévision, sur des séries comme Southland, NCIS : Los Angeles ou encore Ray Donovan.

 

 

Scott Buck

Scénariste américain, principalement de télévision, Buck a fait ses débuts dans le milieu en signant des épisodes de Six Feet Under, Rome, puis en prenant les rênes de la série Dexter, pendant ses laborieuses dernières saisons. Du coup, son recrutement par Marvel télévision pour superviser la série Iron Fist avait de quoi inquiéter. Sa diffusion en mars 2017 a confirmé ces doutes, l’accueil critique et public ayant été particulièrement désastreux. Cela n’a pas empêché Marvel télévision de lui confier la gestion d’une autre série maison, Inhumans, prévue pour septembre 2017. La méfiance est de mise...