SAN DIEGO, Californie. En ce samedi 23 juillet 2006, le thermomètre affiche une température de 86 ° Fahrenheit, soit l’équivalent de trente de nos degrés Celsius. Une douceur dont les aficionados de l’annuelle Comic-Con, la grand-messe des fans de comics, séries et films dérivés, n’ont que faire. Massés dans les différents halls du Convention Center, ils sont surtout là pour voir les stars du milieu, et s’abreuver de news sur leurs franchises préférées, qu’elles soient sur papier ou sur les écrans.
Pour la première fois depuis sa création en 1996, Marvel Studios, la division cinéma de Marvel Entertainment, viendra y présenter ses propres projets. Jusqu’ici, lorsqu’on mentionnait la Maison des idées (le petit nom de Marvel) dans les couloirs des conventions, c’était exclusivement pour parler de licences en développement dans d’autres studios, comme la Fox (avec les X-Men) ou Sony (avec le gentil voisin Spider-Man).
Mais cette fois-ci, le fondateur et CEO Avi Arad est venu parler de ses films, ceux qu’il est amoureusement en train de développer avec son équipe, grâce à un joli prêt de 525 millions de dollars que viennent de leur accorder les banques.
Agglutinés dans une « petite » salle du Convention Center, la Room 6CDEF, quelque deux mille fans découvrent, un large sourire aux lèvres, les premières images d’Iron Man, le long-métrage adapté des comics du même nom, que le réalisateur Jon Favreau est en train de finaliser. On y parle aussi de L’Incroyable Hulk (The Incredible Hulk), que supervise le Français Louis Leterrier, et d’un certain Ant-Man qu’est venu présenter le cinéaste britannique Edgar Wright.
L’ambiance est électrique. Les fans de comics ont le sentiment d’enfin reconnaître les versions cinéma de leurs personnages favoris. Et non seulement l’acteur américain Robert Downey Jr. fait l’unanimité en Tony Stark, mais pour beaucoup, les extraits présentés proposent quelque chose de neuf dans un genre jusqu’alors un peu trop codifié. Une nouvelle race de films de super-héros est en train de naître, à mi-chemin entre la production indé et le blockbuster...
Plus que tout, le ton de ce que peut découvrir le public à l’écran s’avère au diapason de ses attentes, emballant à la fois les fans de comics, mais aussi les profanes cinéphiles. Avi Arad et ses petits camarades sont heureux : l’avenir s’annonce sous de bons augures pour le jeune studio. Comme quoi, on n’est effectivement jamais aussi bien servi que par soi-même.
Quand vient le moment des questions du public, un anonyme s’avance timidement vers le micro et interpelle Kevin Feige, alors bras droit d’Arad, et plus officiellement Président de la Production : « Vu la manière dont est constitué le nouveau studio aujourd’hui, et la façon dont fonctionnent dorénavant les choses, est-ce qu’il y a une plus grande probabilité d’un crossover ici et là, avec les personnages Marvel dans les films ? »
Après avoir esquissé un sourire amusé qui en dit long, Feige lance nonchalamment une petite bombe : « Si vous réfléchissez aux personnages que j’ai nommés, sur lesquels nous travaillons en ce moment, et si vous les mettez tous ensemble, ce n’est pas un hasard si cela pourrait un jour mener aux Avengers... »
La salle explose. Pas littéralement, mais presque. Ça hurle, ça applaudit, ça se pince aussi, surtout. Et pendant que tout le monde saute au plafond de joie, Feige ajoute : « Je pense que cette perspective nous enthousiasme tous beaucoup. »
La suite, on la connaît : en une dizaine d’années, et une quinzaine de films ayant accumulé plus de quatre milliards de dollars au box-office, Marvel Studios a réussi son pari complètement fou de créer un univers cinématique partagé rentable, le désormais célèbre Marvel Cinematic Universe (MCU en abrégé). Un succès qui lui a permis de rejoindre le club très fermé des gros studios qui comptent à Hollywood, et a incité la concurrence à emboîter le pas au concept de franchises évoluant dans un même univers. Un succès que personne n’avait vraiment vu venir, pas même ses fondateurs.
Interrogé récemment par le magazine Wired, Kevin Feige s’exprimait avec nostalgie sur les timides premiers pas du MCU : « On a commencé petit, avec le personnage de Clark Gregg, l’agent Coulson, parce qu’on voulait qu’il y ait une organisation gouvernementale qui fouine autour de ce que faisait Tony Stark dans le premier film Iron Man. Tony est un gros industriel de l’armement, et on sait que ça attirera l’attention du gouvernement. Alors, on s’est dit : “Hé, on est Marvel après tout, est-ce qu’on ne pourrait pas utiliser le SHIELD ?” Clark a fait un tellement bon boulot qu’on lui a écrit de plus en plus de scènes pendant la production. »
Le reste s’enchaîneraassez naturellement, et de manière plutôt organique : caméo de Nick Fury à la fin d’Iron Man, apparition surprise de Tony Stark à la fin de L’Incroyable Hulk, premières baffes distribuées par Black Widow dans Iron Man 2... Ce qui avait commencé modestement comme de petits easter eggs pour les fans évoluera assez rapidement en univers partagé, le MCU, culminant (une première fois) avec « l’assemblage » des Avengers en 2012. Tout cela sous le regard bienveillant du grand architecte de ce gigantesque crossover, l’incontournable Kevin Feige.
Nier le rôle central du bonhomme dans le succès de Marvel Studios serait un non-sens. Cette encyclopédie vivante des comics a fait ses premières armes dans l’ombre de Bryan Singer au début des années 2000, sur les films X-Men, pour grimper ensuite rapidement les échelons hiérarchiques, et ravir le trône de grand patron des studios Marvel en 2007.
De simple assistant, Feige est aujourd’hui devenu l’un des hommes les plus puissants d’Hollywood, hautement populaire et capable (comme on le verra dans cet ouvrage) de faire plier les puissants, tel Disney, pour obtenir ce qu’il veut. Son « bébé », le MCU, succès à la fois critique et commercial, a fait des envieux parmi la concurrence. Qu’il s’agisse de Warner (avec la franchise cinéma basée sur les comics DC) ou, plus récemment, d’Universal (avec l’univers partagé autour de monstres classiques du cinéma), tout le monde tente de reproduire la formule magique. Mais comme pour les scientifiques du MCU, tentant de percer les mystères du super-sérum inventé par le professeur Erskine, leurs tentatives n’ont jusqu’ici engendré que de pâles copies, voire de franches abominations.
Pour tenter de comprendre comment cette entreprise un peu folle a pu se concrétiser et devenir en quelques années une machine à imprimer des dollars, nous vous proposons de parcourir ensemble l’histoire assez extraordinaire des studios Marvel, depuis la création de Marvel Films, jusqu’au retour très attendu de Spider-Man sur les grands écrans au mois de juillet 2017. Sans oublier, bien évidemment, de faire un petit détour par la télévision, sur les chaînes ABC et Netflix, où le MCU a également étendu sa toile.
Alors, si vous êtes prêts, amis true believers, nous activons la Pierre du Temps et vous invitons à nous suivre. Première étape : la fin des années 1990, une sale période pour Marvel, la maison-mère de nos héros favoris, à deux doigts de mettre la clé sous la porte...