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DE QUOI JE RÊVAIS, DÉJÀ ? De panaches d’encre mortelle ? Des longs cheveux d’Astrid me caressant la figure ? D’un meurtrier venu secouer la grille d’entrée ?

Sais plus. Quand Niko m’a réveillé, je me suis assis tellement vite que ça a chassé tout ça de ma tête.

— C’est quelle heure ? ai-je marmonné, les yeux plissés dans la lumière tamisée du magasin.

— 7 heures, m’a répondu Niko. 7 heures. J’ai besoin de toi en cuisine.

— Tu déconnes ? Repasse plutôt dans deux heures.

J’ai refermé les yeux et me suis tourné sur le côté.

Niko restait là, au-dessus de moi. Les mains sur les hanches. Il attendait.

— C’est bon, c’est bon, ai-je capitulé.

— Rejoins-moi à la cuisine.

 

Niko avait récupéré deux grands tableaux et une boîte de feutres. Là, il finissait de mettre au point un plan du Greenway ainsi que le programme détaillé de la journée.

Il avait passé l’après-midi de la veille à faire le tour du magasin avec Alex, pendant que j’aidais Josie à s’occuper des gosses. Le dîner s’était plutôt bien passé – Jake et Brayden, bourrés, étaient occupés ailleurs à faire Dieu sait quoi ; Sahalia, elle, traînait sa mauvaise humeur dans notre périmètre ; et Josie jouait la mère aimante avec toute sa marmaille.

J’ai préparé du café en bâillant.

— Pourquoi je suis obligé de me lever si tôt ? ai-je demandé à Niko.

— Tu es notre cuisinier, m’a-t-il expliqué. J’ai besoin que tu prépares le petit déjeuner, ensuite on réveillera les autres et je leur remettrai leur programme pour la journée.

— Ils vont trop adorer…

— Question de structure, a rétorqué Niko. Les enfants ont besoin de structure.

— Tu ne comptes pas essayer d’embarquer Jake et Brayden dans ton plan, si ?

Niko a dégagé les cheveux qu’il avait dans les yeux. Il m’a jeté un petit coup d’œil.

— Pas vraiment, a-t-il avoué.

— Bien, ai-je aussitôt approuvé.

C’était marrant, on s’est marrés.

Je crois que c’était la première fois qu’on riait ensemble.

Là, j’ai entendu une voix se mêler à nos rires. Je me suis retourné, c’était Ulysses. Il portait un pyjama Batman, son petit ventre rond pointait dessous.

Ulysses, vous pouvez compter sur lui pour se poiler avec vous même s’il ne capte pas la blague.

— Soy tu « assistant » ! a-t-il dit en se martelant la poitrine du pouce. Ulysses il aide auyourd’hui.

— Tout à fait, ai-je confirmé en lui ébouriffant les cheveux. Qu’est-ce qu’on prépare de bon ?

— Huevos rancheros !

— OK. Tu sais les faire ?

— Sí, sí !

— Alors, allons chercher des œufs, ai-je décidé.

J’ai adressé un signe de tête à Niko en m’éloignant. Il s’était déjà remis à ses tableaux.

 

Si les huevos rancheros sont des œufs brouillés nappés de sauce piquante, alors Ulysses savait bel et bien préparer les huevos rancheros.

 

— OK, l’équipe, nous a dit Niko après le petit déj’. Nous allons faire deux choses aujourd’hui. D’abord, commencer à ranger et nettoyer le Greenway. Ensuite, faire le point sur nos ressources.

Chloe a aussitôt râlé, comme si ses parents l’obligeaient à faire le point sur leurs ressources tous les dimanches matin.

— Alex, toi et moi on va dresser l’inventaire de tout ce qui est électricité et sécurité. Les autres, vous commencez l’opération rangement.

Là-dessus, Niko nous a montré son plan du magasin. Les prénoms de tout le monde étaient notés sur des autocollants et affectés à un rayon.

Sahalia – Multimédia.

Chloe – Pharmacie.

Max et Ulysses – Auto.

Batiste – Jouets.

Jumeaux McKinley – Maison & bricolage.

Moi – (surprise, surprise) Alimentation & boissons.

— Pourquoi Josie elle a pas un rayon ? a remarqué Chloe.

— J’ai un projet secret, nous a confié Josie.

— Oooh… c’est quoi, c’est quoi ? ont aussitôt fait les petits.

— Vous verrez bien, leur a-t-elle répondu avec un clin d’œil.

Niko a ensuite précisé ce qu’il attendait de nous : à savoir remettre chaque rayon dans l’état dans lequel il se trouvait avant le séisme.

Après, il a désigné une file de chariots situés à côté de notre bus scolaire.

Six chariots remplis attendaient. Ils contenaient chacun une serpillière, un balai, une pelle, des serviettes en papier, du nettoyant liquide, du désinfectant, des chiffons et des sacs-poubelle – une tonne de sacs-poubelle.

Dans un premier temps, nous a expliqué Niko, on devait mettre tout ce qui était cassé ou endommagé dans les chariots et les transporter au rayon puériculture – notre décharge. Ensuite, on retournait remettre les articles en bon état sur les rayons et on nettoyait.

Tout ça, de 9 heures à midi. Puis déjeuner. Puis repos.

Josie approuvait de la tête. Niko l’avait manifestement consultée.

Après, encore trois heures d’opération rangement.

Les petits avaient ensuite quartier libre jusqu’au dîner.

Je m’attendais à ce que les mioches se révoltent. Pas du tout : ils sont allés prendre leurs chariots bien gentiment.

Bon, tous, sauf Sahalia. Elle a empoigné le sien en râlant, puis est partie en grommelant un tombereau de jurons.

Les petits, ça les motivait, d’avoir un truc à faire.

— C’est moi qui vais finir la première, a frimé Chloe.

— Nan-nan, lui a rétorqué Max. L’équipe à battre, c’est moi et Ulysses.

Jake et Brayden, ça va sans dire, n’ont pas participé.

Ils s’étaient construit un petit bunker au rayon sport, où ils passaient leur temps à boire de la bière et à jouer au Laser Game. Un peu comme s’ils avaient décidé de ne pas reconnaître Niko comme notre chef.

Toute la journée, on les a entendus beugler, jurer et jouer. Ils avaient l’air de casser pas mal de trucs.

Pile ce qu’il nous fallait : du nouveau bazar à ranger.

Mais bon, apparemment, ils s’éclataient.

Ranger les rayons aussi c’était fun, d’une certaine façon.

Niko nous avait montré comment lire les étiquettes, de sorte que chaque produit retrouve bien son emplacement d’origine. Il était perfectionniste et attendait de nous la même attention au moindre détail.

Exemple :

— Caroline, je vois que tu as trié les rideaux, mais je remarque aussi que tu as mélangé les couleurs crème d’un mètre cinquante avec les blancs d’un mètre vingt.

— Justement, on se posait la question, lui a répondu la petite, du haut de son escabeau.

Alors, son frère et elle ont retiré les rideaux crème, trouvé leur bon emplacement, les y ont rangés, et tout allait mieux.

— Hé, Chloe, regarde ces flacons d’Advil : ils ont un bouchon sécurité, d’accord ? Alors, ils vont ici. Ceux-là, avec le bouchon normal, ils vont là-bas.

— D’aaaaccord, a râlé la petite.

Mais elle est quand même partie les mettre à la bonne place ; en tapant des pieds, certes.

C’était vachement apaisant, ce boulot répétitif. J’aurais pu continuer comme ça jusqu’à la fin des temps.

Après avoir servi les enchiladas au fromage qu’Ulysses et moi avions préparées pour le dîner, et après avoir fait la vaisselle et le ménage, je dormais quasiment debout, mais j’avais quand même envie d’aller chercher Astrid. J’ai pris une assiette d’enchiladas recouverte d’alu.

— Tu comptes faire quoi, avec ça ? m’a demandé Niko.

— Les déposer quelque part, pour Astrid.

— Bonne idée, a approuvé Niko en bâillant. J’ai pensé à elle, aussi.

Et moi donc…

J’étais certain qu’elle était toujours dans le Greenway – elle n’avait aucun moyen ni aucune raison de partir.

Mais où est-ce qu’elle se terrait ?… Même après une journée entière de ménage, ça restait le grand foutoir, alors allez chercher des indices…

J’ai installé un tabouret au milieu du rayon alimentation et j’ai posé l’assiette dessus.

Sans petit mot. Trop crevé.