POUR CE DERNIER DÎNER, Batiste et moi on s’est vraiment donnés à fond.
Quand les hommes seraient partis, je comptais demander à Niko si le petit ne pourrait pas devenir mon assistant permanent. Batiste avait du talent, et je me disais que tout le monde en avait marre des menus ridicules que mes autres assistants proposaient (une fois, Ulysses avait composé un déjeuner cent pour cent cerises : tartelettes, tarte, crème glacée, etc.).
Batiste et moi avons donc fait rôtir le dernier poulet surgelé. Il a ensuite préparé un soufflé au maïs à l’aide d’un substitut d’œufs, de maïs surgelé et d’autres ingrédients. Pour le dessert, on avait prévu trois gâteaux : un jaune avec nappage choco, un au chocolat avec nappage guimauve, et un rose avec nappage vanille et vermicelles – pour la touche de nouveauté.
Le repas était vraiment réussi. Tout le monde l’a reconnu, mis à part Jake, qui a juste pris une assiette et est parti manger à l’écart, et Astrid, toujours en mode solo.
M. Appleton et Niko faisaient cause commune, c’était clair. Assis côte à côte, ils discutaient du voyage à venir. Alex avait pris place près d’eux, il écoutait leur conversation ; ravi, j’imagine, qu’on l’y autorise.
Le repas terminé, M. Appleton a prononcé un discours.
Il s’est levé, s’est tamponné le front avec une serviette.
— Je tiens à vous remercier tous de nous avoir accueillis et de nous avoir si bien traités. Vous êtes parmi les jeunes gens les plus intelligents et les plus déterminés que j’aie eu le plaisir de rencontrer. Je suis fier de vous avoir dans mes écoles.
Nouveau passage de la serviette sur son front. Pourquoi transpirait-il autant ? Il ne faisait pas chaud, dans la cuisine. Plutôt frisquet, je dirais, comme dans le reste du magasin.
— Robbie et moi-même considérons comme notre mission de retrouver vos parents et de leur indiquer où vous vous trouvez.
Les petits ont sauté au plafond.
— Vous pourriez demander à ma maman de dire à Moustaches qu’il me manque, lui a lancé la petite Caroline.
— Mais bien sûr, a accepté l’homme.
Puis il a fermé les yeux. S’est appuyé d’une main sur la table.
Niko s’est levé. À son signal, Alex nous a distribué des flûtes en plastique remplies de jus de pomme pétillant.
— Quant à nous, a déclaré Niko, nous sommes très heureux de vous avoir reçus, monsieur Appleton et Robbie. Ça a été un honneur de vous préparer pour le voyage qui vous attend, et nous vous remercions d’emporter ces lettres pour nos parents. À la santé de M. Appleton et de Robbie !
Sur ce, toast au faux champagne.
— Bien, a ensuite repris M. Appleton. Je crois qu’il est temps que nous y allions.
Grognements des petits.
— Moi, je comprends pas, a boudé Chloe. Attendez au moins le matin. Personne il voyage la nuit.
— Cela n’a pas vraiment d’importance, a expliqué M. Appleton. Dehors, il fait nuit en permanence.
— En plus, il y a moins de monde dehors la nuit, a ajouté Robbie. Donc on court moins de risques de tomber sur des individus dangereux.
Chloe a eu un frisson.
Ulysses était assis sur les genoux de Robbie, qui lui a fait un bisou sur la tête. Le petit s’est blotti contre lui et a passé les bras autour de son cou.
Ulysses allait déguster, une fois qu’ils seraient partis.
— Viens, Robbie, a décidé M. Appleton. C’est l’heure.
Il s’est levé.
— Merci encore, a dit Niko.
— C’était notre devoir, mais ce fut un plaisir, a répondu M. Appleton.
Il avait le teint pas net.
Il regardait Niko d’un œil bizarre, cherchant à lui serrer la main sans réussir à la trouver.
Il a alors voulu s’appuyer contre la table, mais il l’a ratée.
Et là, lentement, M. Appleton s’est écroulé par terre.
Niko, Robbie, Brayden et moi, on l’a ramené à leurs quartiers.
— Je savais qu’il n’aurait pas la force, a affirmé Robbie. Il se sentait un devoir par rapport à vous. D’apporter les lettres à vos parents.
Ils ont allongé M. Appleton. Sa tête est partie en arrière. Il avait perdu connaissance.
— Vous pensez qu’il va bien ? ai-je demandé.
— Allez me chercher des sels, a ordonné Niko.
Brayden s’est porté volontaire. Il a foncé à la pharmacie.
— Nous devons le conduire à l’hôpital, a déclaré Niko. (Puis, se tournant vers Robbie :) Vous pensez arriver à l’y amener, si on vous fabrique une espèce de luge ? Ça n’est pas si loin…
— Non, non, non, a protesté l’homme. L’hôpital est fermé. Ça a été un des premiers établissements à tomber. Des centaines de personnes cherchaient à y entrer. Il y a eu des émeutes.
Niko réfléchissait. J’ai vu le regard qu’il posait sur Robbie. Il ne lui faisait pas confiance.
— Crois-moi, je le jure devant Dieu, ce supermarché est le meilleur endroit pour Craig. Le seul où il ait une chance de survivre.
— Super, a conclu Niko.
Il serrait les poings.
Brayden est ensuite revenu avec les sels. Une petite bouteille de la pharmacie. Je ne l’avais encore jamais vue.
Niko l’a ouverte d’une main experte et l’a approchée à quelques centimètres du nez de M. Appleton. Il en diffusait les effluves vers lui.
M. Appleton a eu un mouvement de recul. Il était super groggy.
— Mon arme, a-t-il fait en tentant d’agripper la chemise de Niko.
Puis il a poussé un long grognement, comme un bœuf, avant de se rallonger et de se rendormir.
— Il a dû s’épuiser, a estimé Niko en regagnant la cuisine.
— Il est malade, ai-je dit.
— Mec, sa jambe est en train de pourrir, nous a sorti Brayden, le roi de la formule.
— Sais pas, ai-je repris. Moi, je le trouvais limite défoncé. Il a peut-être abusé des calmants.
— Possible, a confirmé Niko. Je lui en ai donné pas mal.
Là, il a soufflé avant de murmurer, d’un air sombre :
— Du coup, on les a sur les bras.
— T’inquiète, Niko, ai-je voulu le rassurer. Robbie est pas si mauvais.
On a organisé des tours de garde pour veiller sur M. Appleton. Niko a pris celle du coucher jusqu’à minuit. Robbie a absolument voulu la suivante. Et je me suis porté volontaire pour la tranche 3 heures-6 heures.
Quand Niko a annoncé aux tout-petits que les adultes allaient rester avec nous quelques jours de plus, ça leur a bien plu.
Ulysses nous a sorti une démo de break dance – parfait pour égayer l’atmosphère.
Niko lui-même n’a pu s’empêcher de sourire en voyant le gamin se trémousser comme un robot. Il connaissait des pas, le petit Latino potelé.