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LE CORPS INERTE DE M. APPLETON GISAIT SUR SON MATELAS GONFLABLE au milieu du rayon auto. Josie avait dû essayer de l’éloigner de Brayden quand elle avait compris qu’il était mort. Là, on aurait dit un mannequin de cire.

Jake était assis à côté de Brayden. Il avait le regard absent, braqué droit devant lui, et il se balançait d’avant en arrière.

Couchée à côté de lui, Luna a levé la tête vers moi et a battu quatre fois de la queue, faiblement, en me voyant.

— Hé, Jake, la forme ? ai-je demandé.

— Nan, m’a-t-il répondu en chassant la question d’un geste.

J’ai tâté le front de Brayden. Moite.

Il a battu des paupières, comme s’il me reconnaissait l’espace d’un instant.

Astrid s’est agenouillée et lui a relevé un peu la tête. Elle lui a versé de l’eau dans la bouche.

Il a crachoté et failli s’étouffer.

— Si seulement on pouvait le conduire à l’hôpital, a soupiré Astrid.

— Si seulement on savait s’il est ouvert, ai-je ajouté. On manque d’infos, là.

Au même instant, j’ai eu une idée.

— Les talkies-walkies vidéo d’Alex ! me suis-je exclamé en me levant.

— De quoi ? a fait Jake.

— Je reviens, ai-je lâché en fonçant trouver Niko.

 

— Niko ! criais-je en traversant le Greenway.

Je suis revenu à la « clairière » où il était resté avec Josie. Aussi sec, ils se sont dégagés l’un de l’autre. Comme si ça pouvait faire quoi que ce soit que je les voie ensemble !

— Les talkies-walkies vidéo d’Alex ! ai-je lancé, essoufflé. Écoute, Brayden doit être conduit à l’hôpital. On ne sait pas s’il est ouvert. Mais je peux m’équiper d’un talkie-walkie et aller voir. Comme ça, vous saurez ce qui se passe dehors. Si c’est risqué ou pas.

— Hein ? a répliqué Niko.

Je lui ai tout réexpliqué en retournant au Train.

J’avais envie de réveiller Alex et de lui demander si c’était faisable.

— Je porterai l’émetteur, et vous verrez ce qui se passe dehors, ai-je annoncé aux autres dans le salon. Je pourrais même pousser jusqu’à l’autoroute, voir si c’est dégagé.

— Mais c’est dangereux de sortir ! a protesté Josie.

— Qu’est-ce qu’on en sait ?! ai-je pratiquement crié. Est-ce qu’on peut vraiment croire ce que nous ont raconté ces mecs ? Robbie ne voulait pas qu’on sorte. Il voulait rester à l’intérieur. Il a pu dire n’importe quoi. Si ça se trouve, l’hosto est ouvert !

Je délirais légèrement. L’épuisement me faisait peut-être perdre un peu les pédales, mais l’idée paraissait bonne.

— Mission de reconnaissance ! ai-je claironné.

Alex était à présent réveillé. Sahalia s’agitait dans son sommeil.

— Je pars en reconnaissance ! C’est comme ça qu’on dit.

Je me suis tourné vers mon frère.

— Tes talkies-walkies, tu crois qu’ils fonctionneront si je vais avec l’émetteur jusqu’à l’hôpital ?

— Non, m’a répondu Jake. Ça marchera pas.

Je le dévisageais littéralement.

— Par contre, avec moi oui, ça va le faire, a-t-il précisé.

Niko secouait la tête, mais l’autre ne lâchait pas l’affaire.

— Je sais. J’ai bien merdé. J’ai… déconné grave. Mais je cours vite. J’ai la forme et j’appartiens au groupe B. Ni cloques, ni hallus, ni colère.

— Je ne pense pas que tu sauras gérer ça, lui a dit Niko. Désolé. C’est trop dangereux.

— Tu dois me laisser faire un truc pour Brayden. C’est mon pote. Mon meilleur ami. Et s’il meurt parce que j’ai laissé Robbie me reprendre le flingue…

Il nous regardait tous tour à tour.

— S’il te plaît, laisse-moi le faire.

Astrid s’était jointe à nous pendant son petit speech.

— Je ne comprends pas votre plan, l’a-t-elle coupé. Jake va sortir ?

— Ouais. Et vous pourrez tous voir ce que je verrai.

— Mais si quelqu’un t’attaque ? a repris la fille.

— Il pourrait emporter un pistolet, a proposé Niko.

Astrid a baissé la tête et s’est reculée. Jake s’est levé et s’est approché d’elle.

Ils se sont mis un peu à l’écart, mais on les entendait quand même.

On les voyait aussi, comme le magasin était éclairé en plein.

C’était limite indécent, d’ailleurs, d’éclairer le Greenway comme ça.

— Je dois le faire pour Brayden, disait Jake à Astrid. C’est ma faute s’il s’est pris une balle. Si j’avais pas touché aux cachetons, ça serait pas arrivé.

— Tu vas mourir, et tout ça pour essayer de le sauver.

— Je t’en prie, a-t-il ajouté tout doucement. Je veux faire quelque chose. Quelque chose de bien. Pour une fois.

Ils se sont enlacés, j’ai détourné le regard.

Elle l’aimait et il l’aimait. C’était comme ça. Je pouvais lui laver les cheveux jusqu’à la Saint Glin-Glin – elle était amoureuse de Jake.

Relevant la tête, j’ai vu Alex qui m’observait, de la pitié dans les yeux.

Pile ce dont j’avais besoin.

C’est à ce moment-là qu’Ulysses est apparu à la porte ; il se frottait les yeux.

— Je veux Robbie, a-t-il dit.

Les petits étaient réveillés.

C’était le matin.