Avertissement

Le Temple du goût a fait à M. de Voltaire plus d’ennemis peut-être que ceux de ses ouvrages où il a combattu les préjugés les plus puissants et les plus funestes.

On ne pardonna point à l’auteur de la Henriade, d’Œdipe, de Brutus et de Zaïre, d’oser juger les poètes du siècle passé, trouver des défauts dans Corneille, dans Racine, dans Despréaux, et apprécier ce qu’on était convenu d’admirer. Cependant un demi-siècle s’est écoulé, et il n’y a peut-être pas un seul des jugements du Temple du Goût qui ne soit devenu l’opinion générale des hommes éclairés.

Nous croyons devoir dire un mot des variantes de ce poème.

La Critique conseillait à M. de Voltaire de ne point faire de vers dans sa vieillesse, et de ne pas aller en Allemagne. Il n’a point profité de ces conseils, et nous y aurions beaucoup perdu s’il avait suivi le premier. Il a laissé subsister ces vers pour éviter apparemment qu’on lui reprochât de les avoir ôtés : mais il a supprimé

Donnez plus d’intrigue à Brutus,
Plus de vraisemblance à Zaïre ;

parce que ces conseils de la Critique étaient moins l’expression de son jugement qu’un sacrifice qu’il faisait à l’opinion publique du moment.

Il a supprimé également quelques louanges qui n’étaient que des compliments de société, et qui, dans un ouvrage lu par toute l’Europe et destiné pour la postérité, auraient contrasté avec les jugements sévères, mais justes, que contient le reste du poème.

Il n’a pas cru devoir conserver non plus les éloges qu’il avait donnés d’abord au cardinal de Fleury, parce que le cardinal se rendit, peu de temps après, l’instrument de la haine des cagots contre M. de Voltaire, quoiqu’il les méprisât autant que M. de Voltaire lui-même pouvait les mépriser.

Toutes les fois qu’un homme de lettres loue un ministre ou un prince, il conserve le droit d’effacer ses éloges s’ils cessent de les mériter.

K.