EGLOGUE AU ROY,
SOUBS LES NOMS DE PAN ET ROBIN455
Ung Pastoureau, qui Robin s’appelloit,
Tout à part soy n’agueres s’en alloit
Parmy fousteaulx (arbres, qui font umbraige)
Et là tout seul faisoit de grand couraige
Hault retentir les boys et l’air serain,
Chantant ainsi : « Ô Pan Dieu souverain,
Qui de garder ne fuz oncq paresseux
Parcs et brebis, et les maistres d’iceulx,
Et remects sus touts gentilz pastoureaulx,
Quand ilz n’ont prés ne loges ne taureaulx,
Je te supply (si oncq en ces bas estres
Daignas ouyr chansonnettes champestres)
Escoute ung peu, de ton vert cabinet,
le chant rural du petit robinet456.
Sur le printemps de ma jeunesse folle457,
Je ressembloys l’Arondelle, qui volle
Puis çà, puis là ; l’eage me conduysoit
Sans peur ne soing où le cueur me disoit.
En la forest (sans la crainte des Loups)
Je m’en alloys souvent cueillir le houx,
Pour faire gluz à prendre oyseaulx ramaiges,
Touts differents de chants et de plumaiges ;
Ou me souloys (pour les prendre) entremectre
À faire brics, ou caiges pour les mectre.
Ou transnouoys les rivieres profondes,
Ou r’enforçoys sur le genoil les fondes.
Puis d’en tirer droict et loing j’apprenoys
Pour chasser Loups et abbattre des noix.
Ô quantes foys aux arbres grimpé j’ay
Pour desnicher ou la Pie ou le Geay,
Ou pour jecter des fruictz jà meurs et beaulx
À mes compaings qui tendoyent leurs chappeaulx.
Aulcunesfoys aux montaignes alloye,
Aulcunesfoys aux fosses devalloye,
Pour trouver là les griffes des Fouynes,
Des Herissons, ou des blanches Hermines ;
Ou pas à pas le long des buyssonnetz
Alloys cherchant les nids des Chardonnetz,
Ou des Serins, des Pinsons, ou Lynottes.
Desjà pourtant je faisoys quelcques nottes
De chant rusticque ; et dessoubs les Ormeaulx,
Quasi enfant, sonnoys des Chalumeaulx.
Si ne sçauroys bien dire ne penser
Qui m’enseigna si tost d’y commencer :
Ou la nature aux Muses inclinée,
Ou ma fortune, en cela destinée
À te servir ; si ce ne fut l’ung d’eulx,
Je suis certain que ce furent touts deux.
Ce que voyant, le bon Janot mon pere458,
Voulut gaiger à Jacquet son compere,
Contre ung Veau gras, deux Aignelletz bessons,
Que quelcque jour je feroys des Chansons
À ta louange (ô Pan Dieu tressacré),
Voyre Chansons qui te viendroyent à gré.
Et me souvient que bien souvent aux Festes,
En regardant de loing paistre noz bestes,
Il me souloit une leçon donner
Pour doulcement la Musette entonner,
Ou à dicter quelcque Chanson ruralle
Pour la chanter en mode pastoralle.
Aussi le soir, que les trouppeaulx espars
Estoyent serrés et remis en leurs parcs,
Le bon vieillard après moy travailloit,
Et à la lampe assez tard me veilloit,
Ainsi que font leurs Sansonnetz ou Pyes
Auprès du feu bergeres accropyes.
Bien est il vray que ce luy estoit peine ;
Mais de plaisir elle estoit si fort pleine
Qu’en ce faisant sembloit au bon berger,
Qu’il arrousoit en son petit verger
Quelcque jeune ente, ou que teter faisoit
L’aigneau qui plus en son parc luy plaisoit.
Et le labeur, qu’après moy il mist tant,
Certes c’estoit affin qu’en l’imitant
À l’advenir je chantasse le los
De toy (ô Pan) qui augmentas son clos,
Qui conservas de ses prés la verdure
Et qui gardas son trouppeau de froydure.
“Pan, disoit il, c’est le Dieu triumphant
Sur les pasteurs ; c’est celluy (mon enfant)
Qui le premier les roseaulx pertuysa
Et d’en former des flustes s’advisa.
Il daigne bien luy mesme peine prendre
D’user de l’art que je te veulx apprendre459.
Apprend[s] le donc, affin que montz et boys,
Rocz et Estangs, apprennent soubz ta voix
À rechanter le hault nom après toy
De ce grand Dieu que tant je ramentoy ;
Car c’est celluy par qui foisonnera
Ton champ, ta vigne, et qui te donnera
Plaisante loge entre sacrés ruisseaulx
Encourtinés de flairants arbrisseaulx.
Là d’ung costé auras la grand’closture
De saulx espais, où pour prendre pasture
Mouches à miel la fleur succer yront,
Et d’ung doulx bruyt souvent t’endormyront,
Mesmes alors que ta fluste champestre
Par trop chanter lasse sentiras estre460.
Puis tost après sur le prochain bosquet
T’esveillera la Pie en son caquet ;
T’esveillera aussi la Colombelle,
Pour rechanter encores de plus belle.”
Ainsi soigneux de mon bien me parloit
Le bon Janot ; et il ne m’en challoit
Car soucy lors n’avoys en mon courage
D’aulcun bestail ne d’aulcun pasturage.
Quand printemps fault et l’esté comparoist,
Adoncques l’herbe en forme et force croist.
Aussi quand hors du printemps j’euz esté,
Et que mes jours vindrent en leur esté,
Me creust le sens mais non pas le soucy ;
Si emploiay l’esprit, le corps aussi,
Aux choses plus à tel eage sortables,
À charpenter loges de boys portables,
À les rouler de l’ung en l’aultre lieu,
À y semer la jonchée au milieu,
À radouber treilles, buyssons et hayes,
À proprement entrelasser les clayes,
Pour les parcquetz des ouailles fermer,
Ou à tissir (pour fourmaiges former)
Paniers d’osiere et ficelles de jonc,
Dont je souloys (car je l’aimoys adonc)
Faire present à Heleine la blonde461.
J’apprins les noms des quatre parts du monde,
J’apprins les noms des ventz qui de là sortent,
Leurs qualités et quels temps ilz apportent ;
Dont les oyseaulx, saiges devins des champs,
M’advertissoyent par leurs volz et leurs chants.
J’apprins aussi allant aux pasturages
À eviter les dangereux herbages
Et à congnoistre et guerir plusieurs maulx,
Qui quelcque foys gastoyent les animaulx
De noz pastiz ; mais par sus toutes choses,
D’aultant que plus plaisent les blanches Roses
Que l’Aubespin, plus j’aymois à sonner
De la musette ; et la feis resonner.
En tous les tons et chantz de Bucolicques,
En chantz piteux, en chantz melancolicques,
Si qu’à mes plainctz ung jour les Oreades,
Faunes, Silvans, Satyres et Driades,
En m’escoutant jectarent larmes d’yeulx462.
Si feirent bien les plus souverains Dieux,
Si feit Margot, bergiere qui tant vault.
Mais d’ung tel pleur esbahyr ne se fault
Car je faisoys chanter à ma Musette
La mort (helas) la mort de Loysette,
Qui maintenant au ciel prend ses esbats
À veoir encor ses trouppeaulx icy bas463.
Une aultresfoys, pour l’Amour de l’Amye,
À touts venants pendy la challemye,
Et ce jour là, à grand peine on sçavoit
Lequel des deux gaigné le prix avoit :
Ou de Merlin, ou de moy ; dont à l’heure
Thony s’en vint sur le pré grand’ alleure
Nous accorder ; et aorna deux Houlettes
D’une longueur de force violettes,
Puis nous en feit present, pour son plaisir ;
Mais à Merlin je baillay à choysir464.
Et penses tu (ô Pan, Dieu debonnaire)
Que l’exercice et labeur ordinaire,
Que pour sonner du Flajolet je pris,
Feust seullement pour emporter le pris ?
Non ; mais affin que si bien j’en apprinsse,
Que toy, qui es des Pastoureaulx le Prince,
Prinsses plaisir à mon chant escouter,
Comme à ouyr la marine flotter
Contre la rive, ou des Roches haultaines
Ouyr tomber contre val les Fontaines.
Certainement c’estoit le plus grand soing,
Que j’eusse alors ; et en prends à tesmoing
Le blond Phebus, qui me voyt et regarde,
Si l’espesseur de ce boys ne l’en garde,
Et qui m’a veu traverser maint Rochier,
Et maint torrent pour de toy approcher465.
Or m’ont les Dieux, celestes et terrestres,
Tant faict heureux, mesmement les silvestres,
Qu’en gré tu prins mes petits sons rusticques
Et exaulças mes Hymnes et cantiques,
Me permectant les chanter en ton Temple,
Là où encor l’ymage je contemple
De ta haulteur, qui en l’une main porte
De dur Cormier Houlette riche et forte ;
Et l’aultre tient Chalemelle fournye
De sept tuyaulx, faictz selon l’armonye
Des cieulx, où sont les sept Dieux clers et haulx,
Et denotants les sept Artz liberaulx
Qui sont escriptz dedans ta teste saincte
Toute de Pin bien couronnée et ceincte466.
Ainsi, et doncq’ en l’esté de mes jours,
Plus me plaisoit aux Champestres sejours
Avoir faict chose (ô Pan) qui t’aggreast
Ou qui l’oreille ung peu te recreast
Qu’avoir aultant de Moutons que Tityre467.
Et plus (cent foys) me plaisoit d’ouyr dire
“Pan faict bon œil à Robin le berger”,
Que veoir chez nous trois cents bœufs heberger.
Car soucy lors n’avoys en mon courage
D’aulcun bestail ne d’aulcun pasturage.
Mais maintenant que je suis en l’autonne,
Ne sçay quel soing inusité m’estonne,
De tel’ façon que de chanter la veine
Devient en moy non point lasse ne vaine,
Ains triste et lente ; et certes, bien souvent,
Couché sur l’herbe, à la frescheur du vent,
Voy ma musette à ung arbre pendue
Se plaindre à moy qu’oysifve l’ay rendue
Dont tout à coup mon desir se resveille
Qui, de chanter voulant faire merveille,
Trouve ce soing devant ses yeulx planté,
Lequel le rend morne et espouvanté.
Car tant est soing basanné, laid et pasle,
Qu’à son regard la Muse pastoralle,
Voyre la Muse heroyque et hardye,
En ung moment se trouve refroidye ;
Et devant luy vont fuyant toutes deux,
Comme brebis devant ung loup hydeux.
J’oy d’aultre part le Pyvert jargonner,
Siffler l’Escouffle et le Buttor tonner ;
Voy l’Estourneau, le Heron et l’Aronde
Estrangement voller tout à la ronde,
M’advertissants de la froide venue
Du triste Yver, qui la terre desnue468.
D’aultre costé, j’oy la Bise arriver,
Qui en soufflant me prononce l’yver.
Dont mes trouppeaulx, cela craignants et pis,
Touts en ung tas se tiennent accropis.
Et diroit on, à les ouyr beller,
Qu’avecques moy te veulent appeller
À leur secours et qu’ilz ont congnoissance,
Que tu les as nourrys dès leur naissance.
Je ne quiers pas (ô bonté souveraine)
Deux mile arpents de pastis en Touraine,
Ne mille bœufz errants par les herbis
Des montz d’Auvergne, ou aultant de brebis.
Il me suffit que mon troupeau preserves
Des Loups, des Ours, des Lyons, des Loucerves,
Et moy du froid ; car l’yver qui s’appreste
A commencé à neiger sur ma teste.
Lors à chanter plus soing ne me nuyra ;
Ains devant moy plus viste s’enfuyra
Que devant luy ne vont fuyant les Muses,
Quand il voyrra que de faveur tu m’uses.
Lors ma Musette, à ung chesne pendue,
Par moy sera promptement descendue ;
Et chanteray l’yver à seureté
Plus hault (et cler) que ne feis oncq l’esté.
Lors en science, en musique et en son,
Ung de mes vers vauldra une chanson,
Une chanson, une eglogue rustique
Et une eglogue, une œuvre bucolique469.
Que diray plus ? vienne ce qui pourra.
Plus tost le Rosne encontremont courra,
Plus tost seront haultes Forestz sans branches,
Les Cygnes noirs et les Corneilles blanches,
Que je t’oublie (ô Pan de grand renom)
Ne que je cesse à louer ton hault nom470.
Sus mes brebis, trouppeau petit et maigre,
Autour de moy saultez de cueur allaigre,
Car desjà Pan, de sa verte maison,
M’a faict ce bien d’ouyr mon oraison471. »
Fin de l’Eglogue
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