Isabel aimait beaucoup cette tranquillité qui caractérisait Ouellé et le caractère sociable des gens qui y vivaient. N’étant pas vaste avec plus de 1000 habitants, presque tout le monde se connaissait. À Ouellé, les gens étaient matinaux. L’usine les avait en quelque sorte contraints à le devenir puisque, très tôt, on l’entendait toujours carillonner, le premier appel à ses ouvriers.
À son réveil ce matin-là, elle sortit la poubelle et la déposa en bordure de route comme tant d’autres le firent. Malgré ses routes poussiéreuses, Ouellé passait ostensiblement comme une terre insalubre. Deux fois par semaine, au petit matin, de grosses touques bleues servant de poubelles bordaient déjà les routes qui circonscrivaient la cité 30 décembre et les autres endroits d’Ouellé. Les habitants sortaient leurs débris lors du passage des bennes à ordures qui klaxonnaient au loin pour signaler de leur présence. Aussi, les pelouses étaient entretenues.
Le soleil s’étant déjà complètement levé, au quartier huit-palmiers, Ma Binongui remit à Joseph un billet de 10 000 FCFA. Il devait se rendre alors à l’économat pour faire quelques emplettes. Pas encore sorti du quartier, Il s’arrêta devant Petit Beni avec sa bande d’amis qui frappaient lourdement des cailloux sur le mur d’une maison inachevée près de l’école privée, Conodas. La maison inachevée abritait plein de margouillats. Quand ce n’étaient pas des parties de football qu’ils faisaient, c’étaient des parties de billes. Et souvent, ils larguaient les frondes dans les hauts arbres ou chassaient des libellules avec des bois qui arboraient au bout, des sachets en forme d’entonnoir dans les touffes d’herbe que paissaient les moutons du boutiquier du coin. Pour eux, le dehors était plus convenable que la maison. Ils concédaient une grande partie de leur temps à une activité quelconque.
— Oups ! je l’ai raté ! proféra Petit Beni dont le caillou lancé était passé à ras de la tête du petit reptile qui prit immédiatement la fuite.
Joseph en rit car à sa place, il fut certain qu’il ne l’aurait pas raté. Les autres n’avaient pas stoppé leurs lancers effrénés.
— Tête rouge ! Tête rouge ! s’écria un autre, c’était le fils de papa Zong.
Il riva avec beaucoup plus de précision son caillou qui se posa violemment sur la tête d’un autre reptile, celle-ci se retrouva tout aplatie.
Et dire que Joseph, aussi, à leur âge s’adonnait à ce crime de reptiles. C’était simplement que pour du plaisir. Ce jeu meurtrier en procurait tant. Avec Ndossi, Mbou et Mpiga, ils en venaient même à faire des compétitions. Chacun avec un lot de cailloux devait en tuer le plus possible. Les petits margouillats valaient un point, les moyens deux, et ceux dont la queue était tricolore et la tête d’un orange qui se confondait très souvent à un rouge langui, trois points. Ceux-là étaient d’ailleurs leurs cibles premières. Rares et plus gros que les autres, il était beaucoup plus difficile de les atteindre. En face, c’étaient de jeunes filles qui jouaient au galop ; un jeu qui recommandait la participation de trois personnes au minimum. Une se positionnait entre les deux autres et se chargeait d’emplir de sable une bouteille tout en essayant d’éviter leurs lancers de balle faite d’élastique, de sachet et d’éponge.
Quelques pas plus loin, sur la longue route poussiéreuse qui menait à l’usine, Joseph croisa Didi, le dernier des enfants du vieux Ivela. Comme nombreux jeunes à Ouellé, Didi avait un handicap. Il était quelque peu cambré au niveau du bas du dos ; ce qui lui conférait une démarche incommode. Il tirait une jambe et levait les fesses vers le haut parce qu’il fut de ceux-là dont la cuisse avait été soumise à la piqûre d’un certain docteur venu quelques années auparavant soumettre un vaccin qui garantirait une immunisation contre une maladie.
Ils n’échangèrent pas un mot de plus que, salut. Didi avait tout d’un étranger au quartier. Il menait sa vie en marge de tout le monde, y compris de sa famille. Il ne s’adonnait quasiment à la moindre distraction commune et n’avait pas d’amis. Il n’avait des yeux que pour les cannes à sucre. Il savait les plus juteuses, il savait lequel des champs sucriers en possédait. Il pouvait faire de longues distances pour aller en déraciner.
Il portait une dizaine de cannes sur son épaule. Et tandis que l’une de ses mains les tenait en équilibre, l’autre tenait une canne qu’il avait commencé à déguster. Chaque fois que les yeux de Joseph le croisaient, il était toujours dans cette posture.
Joseph se retrouva au niveau de l’usine, un grand édifice qui occupait un espace de quinze mille mètres carrés. Avant de se rendre à l’économat, il décida de faire un détour, il entreprit de rendre visite à monsieur Cyrille, un des enseignants qui l’avaient tenu au primaire. Celui-ci se trouvait dans l’enceinte des Hibiscus. Voilà bientôt cinq ans que maître Cyrille n’enseignait plus à l’école publique Ouellé-Sucaf mais dans cet établissement privé Les Hibiscus. Joseph n’avait eu d’enseignant plus rigoureux et réfractaire au mauvais travail d’un élève que cet homme grand de taille avec des yeux louches qui n’avait pas de réticence, encore moins de pitié à vous martyriser le postérieur ou les pommes. Comment oublier d’ailleurs que Ndossi, Mbou, Mpiga et lui avaient pris cette habitude de doubler les vêtements du bas pour que la douleur que leur infligerait sa chicotte soit modérée ? Bien que très rigoureux, Joseph considérait maître Cyrille comme le meilleur enseignant qu’il avait eu au primaire.
Le cadre était cerclé de sapins clairsemés. Paisible et silencieux, il insufflait un agréable air. Tout ici donnait du plaisir aux sens. Ici, chacun était chez soi. En regardant autour où aucun enfant ne jouait, un sourire se dévoila sur le visage de Joseph. Il n’avait jamais compris pourquoi les enfants de cadres qu’il voyait très peu s’amuser dehors avaient autant de vêtements accrochés sur leurs séchoirs pendant que ceux qui jouaient tous les jours de la plus salissante des manières au quartier avaient à peine deux vêtements sur les leurs. Fallait-il croire bêtement qu’ils jouaient peu et se lavaient beaucoup contrairement à ceux du quartier qui jouaient beaucoup et se lavaient moins pour ne pas avoir à changer de vêtements ?
Après sa rencontre avec son ancien enseignant, Joseph entra, au bout d’une vingtaine de pas, dans le plus grand magasin d’Ouellé. Ce n’était pas seulement le lieu de commerce de tout ce qui concernait l’alimentation à des prix convenables à tous mais bien plus encore. Il y avait plusieurs rayons sur lesquels étaient installés différents produits. Trois jeunes femmes et quatre jeunes hommes y travaillaient. Une jeune fille postée à la caisse se chargeait de réceptionner les achats des clients qu’elle emballait dans un sachet. À côté, sur un grand fauteuil, un monsieur au nom de Bader ne cessait de faire clignoter avec célérité sa calculatrice. Sans jamais oublier de distribuer des mercis et sourires continuellement. Un must pour créer de l’empathie à son égard. Cela faisait déjà une vingtaine d’années qu’il était parti de son pays d’origine. Et malgré le temps écoulé, son accent de Maghrébin n’avait pas été enrayé.
Pendant ce temps, papa Saga buvait avec quatre amis à La Canne. Parmi eux, monsieur Fam, un homme, de taille moyenne, replet sur les bords et pourvu d’un orgueil prononcé. Cet homme était le cadre de la Sucaf qu’on voyait le plus à la cité 30 décembre. Bien que marié depuis près de vingt ans et père d’une ribambelle de mioches dispersés un peu partout dans la province des plateaux et même au-delà, il s’occupait financièrement de plusieurs jeunes filles quand elles en retour, s’occupaient de lui sexuellement. Sa bonne situation financière lui permettait d’attirer plus facilement les femmes. L’argent était un critère déterminant pour nombreuses célibataires d’Ouellé. « Ayez de l’argent et les femmes seront systématiquement aimantées par vous ». Tel était son avis. Un avis qu’il partageait avec papa Saga.
À côté de la table de papa Saga et ses amis, deux jeunes gens enchaînaient des bières. Quand la table se saturait de bouteilles, faute de place pour les contenir, Séti venait desservir. Les bouteilles vides étaient remplacées par des pleines qu’ils déglutinaient en un temps record. Le temps en ce snack-bar passait discrètement et les présents bavassaient incessamment. Les bouteilles de bière étaient continuellement servies et chacun buvait pour oublier un tant soit peu les tribulations de sa vie.
— Il y a tellement de belles filles ici, je compte trouver ma côte, lança un des amis de papa Saga nouvellement employé par l’usine.
— Tu es malade, toi ! s’exclama monsieur Fam. Ici on s’amuse simplement. Si tu veux une relation sérieuse, tu te trompes d’endroit.
— Tu sembles les connaître.
— J’en ai sorti de tas et crois-moi, la plupart sont idiotes et éprises d’argent. Donne-leur-en et leurs vêtements tomberont sous tes yeux.
— Je tomberai peut-être sur une qui n’est pas de cette nature, déclara-t-il tout confiant.
— Bonne chance alors. Puisque tu t’entêtes, lança papa Saga.
— Et toi, fit papa Saga à l’endroit de l’autre. Depuis que t’es ici, t’as pas encore jeté ton dévolu sur aucune, tu n’es pas gauche tout de même ?
— Mais non, juste que mon cœur est déjà pris et dévoué à une seule.
— Les hommes fidèles existent encore. Tu devrais suivre l’exemple de ton ami, lança Séti qui passait un torchon élimé sur la table.
Elle ignorait que papa Saga entretenait une relation avec sa petite sœur Ondjuri.
— Hors de question !
— Pourquoi donc ? demanda-t-elle.
— La fidélité me débecte. J’aime trop les femmes ; ces gamines, déjà en couple, de préférence. Celles qui ont juré une fidélité indissoluble à des petits imbéciles qui ne peuvent même pas s’occuper d’elles. C’est plus glorieux de faire tomber leur fidélité que leurs sous-vêtements. Il faut les voir se complaire dans la naïveté. Il suffit à chacun de faire mine d’être un homme débonnaire et les voici, parties clamer partout qu’il est au-dessus des autres hommes. Je ne cultive pas la fidélité et je l’ai toujours dit avec fierté. La femme qui me l’imposera n’est pas encore née et ne naîtra jamais. Je n’aime pas ce mot qui restreint la liberté, dans mes oreilles. Fidélité, fidélité. Que les gens gardent ça pour eux ou vont la revendiquer ailleurs ! Pourquoi devrais-je prohiber la chaleur d’une multitude d’antres à ma verge et me contraindre à ne consentir qu’une seule ? répondit monsieur Fam sur un ton péremptoire.
— Parce qu’il est écrit dans la bible que l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à une femme, répliqua son ami.
— La bible semble se passer de notre réalité. Je ne la considère pas. Et puis, nos aïeux étaient bien attachés à plus d’une seule. Pourquoi devrais-je faire exception ?
— T’es fou. Je t’exhorte à la lire d’une manière approfondie. Sa lecture t’épargnerait beaucoup de choses, tu sais…
Le regard vers la route, papa Saga vit Isabel et Dissiale. Il se réjouit. « Une belle proie de plus, bientôt dans mon épervier », se dit-il tout confiant. Sur ce, il appela de la main un de ces jeunes sur la table d’à côté.
— Dis-moi mon petit, qui est cette charmante fille qui marche là-bas ?
— Ce que je sais c’est qu’elle est nouvelle et réside chez papa Zong. Rien de plus tonton.
— Obtiens-moi son numéro, je te promets une récompense.
— Ne vous en faites pas tonton, c’est une petite affaire, répondit-il avant de rejoindre sa table.
— Toi et les petites filles, quand vas-tu prendre ta retraite, demanda son ami.
— De quelle petite fille parles-tu, n’as-tu pas vu le même « châssis » que moi ?
— J’avais oublié qu’avec toi, le corps prévaut sur l’âge.
— Exactement, je ne me soucie pas de l’âge de qui que ce soit, tant que son corps est à sa maturité.
Sur ce, papa Saga prit son téléphone et appela l’une de ses amantes.
De retour à la maison, Joseph trouva Ondjuri à leur cour qui se faisait tresser. Ayant remarqué que son ventre était plus prononcé que d’habitude, Joseph lui demanda :
Au prélude de l’adolescence, Ondjuri était déjà une fille qui préférait la compagnie des garçons à celle des filles. Puis, devenue adolescente, on avait terni sa réputation en lui attribuant tous les qualificatifs dépréciatifs. Mais elle semblait ne pas s’en déplaire. Les avis de ceux qui la jugeaient ne lui importaient pas le moins du monde, tant, ils n’enlevaient rien à sa beauté. Elle s’était fait un grand tatouage ; une sorte de fleur en décor sur sa cuisse droite pour marquer sa sensualité. Elle exposait cette image, quand elle venait au stade du collège. Et, les yeux des garçons, particulièrement ceux de Mpiga s’écarquillaient de désir. Les mamans d’Ouellé à l’instar de Ma Ndjôghô abominaient ce style vestimentaire qui s’apparentait à celui d’une prostituée en raison de leur longueur peu commode à la décence. Elles traitaient la jeune fille d’allumeuse, l’accusaient d’exposer avec conviction les parties de son corps dans l’intention d’aguicher leurs enfants, voire leurs maris. Ondjuri avait été sujette à toutes les injures et la proie des jalousies de celles qui ne voyaient en elle que la fille vénale qui coïtait avec tous les cadres de l’usine et même au-delà d’Ouellé au profit de l’argent. Au vu et au su de tout le monde, Ondjuri rentrait à Ouellé à bord d’un de ces véhicules qui valent beaucoup de millions. C’était la personne avec qui on ne voulait pas voir traîner son enfant de peur qu’elle ne déteigne sur lui. Elle était devenue de plus belle, la risée de toutes les filles du quartier en raison de sa première grossesse à quinze ans qui la poussa à renoncer à ses études. Le père, un jeune campagnard avait nié en être l’auteur. Mais même devenue la plus jeune maman à Ouellé, sa frivolité ne s’était pas estompée. Elle ne manquait jamais le rendez-vous du samedi soir à la discothèque Le Huit-palmiers. Elle fréquentait beaucoup d’hommes et multipliait les passades de courte durée puisque sept années plus tard, elle se retrouva mère de deux autres enfants de pères différents et inconnus. Elle avait coltiné l’entière responsabilité avec ses parents. La constance d’une telle habitude n’était pas due à l’ignorance comme on pourrait le croire mais plutôt à l’insouciance, l’une des pires choses que puisse disposer l’esprit d’une femme. Ce ne fut qu’à ce moment que Mpiga plus jeune qu’elle de 5 ans comprit pourquoi elle n’accepterait jamais ses avances incessantes. Il n’avait rien d’autre que tout son amour à lui offrir et avec une sincérité absolue. D’un côté elle était entièrement jolie, de l’autre, extrêmement matérialiste. Il fallait juste des cadeaux onéreux pour séduire ses yeux. Elle n’avait aucune relation sincère et semblait ne vouloir point. Son cœur, elle disait qu’il était hermétique à l’amour. Elle n’aimait aucun de ces hommes qui ne tiraient d’elle que du plaisir. Simplement ce qu’ils avaient à lui offrir. Ça aurait été presque un exploit si les mots de Mpiga en pénétrant ses oreilles étaient parvenus à convaincre son cœur. Son aîné Mbou lui avait maintes fois recommandé de ne plus jamais gaspiller ses mots d’amour pour ses oreilles. Ils n’allaient jamais trouver le chemin qui mène à la sensibilité de son cœur. Certes, les mots sont gratuits mais il devait avoir du respect pour ceux qu’exprimait son cœur. Les oreilles de cette fille dissolue ne s’ouvraient qu’aux mots argent et matériel. Il dut intégrer une bonne fois pour toutes dans sa cervelle têtue que tant qu’il n’aurait pas ces mots à offrir à ses oreilles, aussi sincères et bienfaisants que fussent ceux qu’exprimait son cœur amoureux, il ne serait jamais digne d’elle. Après son abandon, Mpiga disait que même si l’amour se proposait à lui sous sa plus belle parure, il veillerait à ce que sa raison atteste avant, les choix de son cœur au risque qu’il s’égare et sombre dans l’absurdité de nouveau. Car la raison est prudente et le cœur est hâtif. Tous deux sont des éternels discordants.
Le salon de coiffure d’Ondjuri était fermé pour quelque temps. C’est pour cette raison qu’elle était venue se faire tresser au domicile de Ma Binongui.
Joseph se demandait bien souvent comment cette fille était demeurée si belle. Tous ses enfantements successifs n’avaient étonnamment pas éraillé ses atouts physiques. Ses seins étaient toujours fièrement debout et plantureux.
Des heures plus tard, celui à qui papa Saga, avait chargé de prendre le numéro d’Isabel, se trouva au bâtiment du domicile de papa Zong. Il attendit durant de longues minutes. Celle qu’il espérait voir sortir ne sortait pas. Au bout de vingt minutes, le petit frère de Dissiale sortit, il l’appela et lui demanda :
— Est-ce que ta grande-sœur, la nouvelle est là ?
— Oui.
— Et tes parents, eux aussi ?
— Non.
— Va me l’appeler !
Isabel sortit de la maison, pensant qu’il s’agissait de Joseph. Celui qu’elle eut en face d’elle lui était inconnu.
— Bonjour, fit posément le jeune homme.
— Bonjour, y a-t-il un problème ? demanda-t-elle surprise.
— Non, en fait je viens de la part de quelqu’un. Il se trouve que tu lui plais beaucoup et il voudrait parler avec toi.
— Désolé de te décevoir, mais je ne suis pas intéressée.
— Peut-être que si tu savais des choses sur lui, tu ne dirais pas cela.
— Va le lui dire toi-même.
— Il serait préférable de le lui dire toi, tu pourrais me passer ton numéro.
— Jamais ! maintenant si tu peux t’en aller, j’ai des travaux à faire, s’il te plaît.
Isabel rentra et le jeune homme s’en alla plus qu’en colère. Il s’en alla rapporter à papa Saga ce qu’Isabel lui avait dit. « Elle ne sait pas ce qu’elle rate », avait juste répondu ce soiffard de la peau fraîche en apprenant que la jeune fille n’était pas intéressée.
Le lendemain matin, Dissiale demanda à Otima s’il était possible que sa cousine vienne se faire tresser à la maison. Ce qu’elle accepta.
Isabel était arrivée vêtue d’une petite robe rouge légère, flottante au vent et seyante à son corps. Elle avait porté ses verres qui lui donnaient une mine de secrétaire. Joseph tomba des nues en la voyant comme un gamin qui tombe amoureux pour la première fois. Il fit gaillardement un aller-retour entre la maison et la cuisine externe. Il ne portait pas de tee-shirt pour que son tableau abdominal ne laisse guère indifférents les beaux yeux de la jeune Isabel. Cependant, sa tentative tomba en échec. Après l’avoir salué, ses yeux avaient perdu sa direction.
Après plus d’une heure, elles se levèrent et se dirigèrent vers la sortie du quartier. Joseph n’avait pas imaginé le scénario ainsi. Pour lui, c’était l’occasion rêvée de lui parler à cœur ouvert. Mais qu’est-ce qui l’avait réellement empêché de le faire ? Son attente tant espérée se ruina sans qu’il se décidât à oser la parole.
Il accepta son échec. « Une bataille vient d’être perdue par timidité et non la guerre », s’était-il dit avec optimisme. Cependant, Isabel avait conservé son refus de lui donner son numéro de téléphone. D’ailleurs, aucun garçon n’avait encore pu l’avoir. Le jeune homme avait même supplié Dissiale de le lui passer pour une simple conversation amicale. Apparemment, Isabel le lui avait interdit.
Un jour, à l’insu d’Otima qui avait déposé son téléphone portable sur la table, au salon, Joseph prit le numéro de téléphone d’Isabel et lui envoya l’instant d’après un message sans toutefois dire son identité. Il préféra garder l’anonymat pour le moment. Cela faisait déjà une heure que son message avait été envoyé. Certain qu’elle l’avait déjà lu, il s’impatientait. Sa main ne lâchait pas l’appareil et chaque fois qu’une sonnerie interpellait ses oreilles, elle s’empressait de diriger le téléphone vers ses yeux. Mais le message d’Isabel n’arrivait toujours pas. Au bout de deux heures, il se leva du lit et sortit uriner. Il avait la vessie qui menaçait d’exploser. Depuis une demi-heure, il refusait de libérer l’urine des deux chaînes qui la maintenaient prisonnière. À son retour, Il constata qu’il avait finalement reçu un message d’Isabel dans lequel elle lui rendait le bonjour et lui demandait son identité. La crainte qu’elle ne puisse plus lui répondre était bien au-dessus de la certitude qu’elle répondrait s’il disait son identité. Mais à quoi bon jouer à cache-cache ? réfléchit-il. Il lui écrivit un message dans lequel il se dénonçait et lui avouait son grand désir de la voir. Elle refusa et lui demanda de ne plus ni lui écrire, ni l’appeler.