NOTE DE L’AUTEUR

En juin 2007, j’étais en Écosse pour me documenter sur Requiem, le dernier roman de ma première trilogie, basée sur la chute de l’ordre du Temple. Mon personnage principal était écossais et, depuis le début, j’avais dans l’idée qu’il revienne des croisades pour se mêler aux guerres d’indépendance de son pays. La lutte de William Wallace et de son armée rebelle constituait un puissant parallèle avec celle des templiers pour survivre au procès qui les menaçait, les deux conflits culminant en 1314 avec, d’une part, la bataille de Bannockburn et, d’autre part, le bûcher sur lequel périt le dernier grand maître du Temple, Jacques de Molay. À Paris, le mois précédent, j’avais travaillé sur la partie de l’histoire qui concernait les chevaliers, et cette excursion écossaise était donc censée m’aider à bâtir l’autre moitié du récit. J’ai passé trois semaines sur la route à écumer les champs de bataille transformés en lotissements, les abbayes écroulées et autres ruines couvertes de lierre. Jour après jour, des pages d’histoire et du paysage sauvage, une figure ne cessait de s’imposer, plus grande et distincte que les autres – celle de Robert Bruce. Il m’a littéralement happée et transportée dans une histoire qui dépassait de beaucoup l’invasion anglaise de 1296 et l’insurrection ultérieure de Wallace, une histoire composée de cruelles querelles familiales, de deux guerres civiles et d’un combat pour la Couronne. À la fin du voyage, j’avais développé une telle obsession pour Robert que j’avais presque oublié les templiers – les protagonistes de Requiem. Rentrée chez moi, je me suis aperçue qu’il n’était pas question que ce personnage ne fasse qu’une simple apparition dans l’histoire d’un autre homme. Sa vie était beaucoup trop riche, compliquée et haletante. Pour la faire entrer dans Requiem, il aurait fallu couper. J’ai préféré laisser Robert de côté et me concentrer sur l’histoire dramatique mais beaucoup plus simple de Wallace, qui fonctionnait mieux avec la partie sur le Temple. Cependant, je n’arrivais pas à évacuer Robert de mon esprit et quelques semaines plus tard, incapable de faire taire sa voix, j’ai téléphoné à mon agent, qui m’avait demandé de lui faire des propositions concernant ma prochaine série de romans. Je savais désormais de quoi ils parleraient.

 

Lorsque vous écrivez des romans historiques, vous marchez toujours sur une ligne mouvante entre faits réels et fiction. Ce sont les faits qui inspirent nos histoires et permettent aux lecteurs d’entrer dans ces mondes disparus, mais ces faits peuvent parfois nuire à un roman. Les sources, qu’elles soient historiques ou contemporaines, sont parfois plus que contradictoires et les choses restent souvent sans explications – nous pouvons savoir qui a fait quoi, mais nous ignorons pourquoi. Un historien dit : voilà ce qui s’est passé ; voilà les faits à l’appui. Nous le croyons. Mais un romancier doit inventer les motifs sous-jacents de ces actions et offrir au lecteur un cadre crédible. Par exemple, nous n’avons pas d’explication concrète sur la raison qui a poussé Robert à abandonner la cause de son père et du roi Édouard devant le château de Douglas, le jour où il a décidé de rejoindre les rebelles écossais. Il avait tant à perdre et si peu à gagner. Même la plus simple théorie, à savoir qu’il s’agissait d’un acte de pur patriotisme, ne tient pas tout à fait la route quand on y regarde de plus près. C’est pour cela que je le fais agir de façon plus individualiste – non seulement pour une cause nationale mais pour une autre, personnelle, qui relève à la fois de sa frustration et de son antagonisme avec son père. D’ailleurs, bien souvent, c’est ce genre de circonstances personnelles qui nourrissent les grands événements. Nous prenons des décisions extrêmes, nous le faisons sur le coup, nous comprenons à peine que nous participons à quelque chose de plus grand jusqu’à ce que nous nous retournions, des siècles ou des années plus tard. L’histoire ne tient qu’à un fil.

 

La première liberté que j’ai prise avec l’histoire concerne le meurtre d’Alexandre III. Les chroniqueurs de l’époque et les historiens modernes considèrent sa mort sur la route de Longhorn comme un accident et il n’y a pas de raison de soupçonner le contraire. Mais en tant que romancière, je suis prompte à formuler des soupçons : la rapidité avec laquelle Édouard Ier a reçu du pape l’autorisation que son enfant épouse Marguerite de Norvège, ajoutée au fait qu’Alexandre pouvait avoir discuté de la possibilité d’une telle union deux ans plus tôt dans une lettre adressée à Édouard, sachant que toute progéniture issue de son mariage avec Yolande eût proprement annulé cette proposition, tout cela m’a rapidement mis sur la route du Et si… De la même façon, rien ne permet de penser que la mort de Marguerite soit autre chose qu’un coup du sort venant s’ajouter à un autre. Ses meurtriers, les Comyn, sont ici décrits plus noirs qu’ils n’étaient – on pense en effet que la princesse est morte durant son voyage à cause de la nourriture avariée, et non en raison de desseins malfaisants. Cependant, il est vrai que les Comyn ont enlevé Alexandre quand il était mineur pour tenter de prendre le contrôle du royaume.

 

J’ai simplifié la procédure de ce qu’on appellerait plus tard la « Grande Cause ». L’audience organisée par Édouard Ier pour choisir un nouveau roi d’Écosse a duré longtemps et, bien que ce soit intéressant sur le plan historique, cela ne fonctionnait pas dans le roman, puisqu’il s’agit essentiellement de discussions politiques et de longues périodes d’attente. En conséquence, le chapitre qui se déroule à Norham est un amalgame des nombreuses réunions qui ont eu lieu sur une période bien plus longue et en divers endroits.

 

Le grand-père de Robert a effectivement fait valoir ses droits sur le trône d’Écosse en rappelant qu’Alexandre II l’avait désigné comme héritier, mais j’ai un peu grossi l’affaire par rapport à la réalité. Robert a bien hérité du comté de Carrick peu après l’intronisation du roi Jean, mais le passage de relais entre grand-père et petit-fils relève de la fiction. À ce stade, c’est bien au père de Robert que revenait le droit de prétendre au trône, un droit qu’il pouvait transmettre à ses héritiers. Mais à la lumière de son revirement brutal d’allégeance, et en raison du fait que dès Irvine on l’accusait de prétendre au trône, j’ai choisi de renforcer la charge symbolique et de ne pas brouiller les pistes.

 

Les prophéties de Merlin sont réelles. Elles ont été écrites au XIIe siècle par Geoffrey de Monmouth, qui prétendait les traduire d’une autre source. Avec sa très populaire Histoire des rois de Bretagne, les Prophéties circulaient beaucoup et l’on sait qu’Édouard en possédait des copies. La Dernière Prophétie, telle qu’elle apparaît dans le roman, est de mon invention ; néanmoins, Monmouth suggérait qu’il en existait d’autres. À la fin de l’Histoire, alors qu’il évoque les invasions saxonnes, Monmouth parle d’une voix angélique qui annonce aux Bretons qu’ils ne régneront pas sur leur royaume avant d’avoir rassemblé les reliques des saints. Les quatre reliques sur lesquelles je me suis concentrée ont toutes existé. Édouard s’est emparé de la Couronne d’Arthur, mais plus tôt que dans mon roman, au cours de la conquête de 1282-1284. Il a aussi mis la main sur la Pierre du Destin de Scone, mais le trône dans laquelle elle a été insérée n’a été réalisé que plusieurs années plus tard. En lisant ce passage dans l’Histoire de Monmouth et en observant les actions d’Édouard durant les invasions du pays de Galles et d’Écosse – où il a saisi tous les attributs du pouvoir – j’ai eu le sentiment qu’il y avait là un lien. Édouard était connu pour la fascination qu’exerçaient sur lui les légendes arthuriennes. La reine Éléonore et lui ont réenterré les dépouilles d’Arthur et de Guenièvre lors d’une cérémonie fastueuse à l’abbaye de Glastonbury. Comme d’autres nobles à cette époque, il organisait des joutes de la Table ronde et s’était construit la sienne propre. On peut la voir aujourd’hui au château de Winchester. Les Chevaliers du Dragon sont fictifs, mais ses membres ont existé.

 

Les expériences de Robert au pays de Galles sont également fictives, mais on pense qu’il a passé du temps à la cour d’Édouard à cette période et il semble qu’il soit devenu proche de certains jeunes chevaliers de la noblesse anglaise. Son père et l’un de ses oncles s’étaient battus pour Édouard lors de la conquête du pays de Galles, en 1282-1284, et s’étaient mis à son service pour conserver leurs domaines en Angleterre. Il ne m’a donc pas paru incohérent d’incorporer Robert dans cette armée. Le soulèvement et la campagne de 1295 sont basés sur des faits réels, à l’exception de l’exécution du frère de Madog, Dafydd, qui est inventée.

 

J’ai distordu ou altéré certains petits détails, soit pour faciliter la lecture, soit pour mettre en place l’intrigue et les personnages. Par exemple, la première femme de William Douglas était la sœur de James Stewart, mais à l’époque où il apparaît, il était marié à une Anglaise. Le père de Robert, quant à lui, se remaria après la mort de Marjorie de Carrick. Les Seton n’étaient sans doute pas de la même famille, même s’ils portaient le même nom, mais cela me semblait plus logique de les faire cousiner. John Comyn le Jeune et plusieurs autres nobles écossais ont bien servi Édouard en France, mais pas avant 1296. Le père de Humphrey de Bohun n’est pas mort à Falkirk, mais juste après. Ceux qui aimeraient en savoir plus sur cette période peuvent se reporter à la bibliographie.

 

L’histoire de Robert Bruce est complexe, et pas seulement à cause des caprices de l’histoire. Il n’est pas aussi monolithique que William Wallace. Ni noir ni blanc, il est gris ; c’est une figure changeante, souvent insaisissable, qui passe d’un camp à l’autre pendant les guerres d’indépendance, disparaît parfois dans l’obscurité avant de réapparaître au premier plan, pour modifier le cours de l’histoire. Je n’ai jamais cru qu’il serait facile de raconter sa vie. Mais c’est cette complexité, ce que certains pourraient appeler la perfidie de Robert, qui donne à son histoire sa valeur et sa beauté : l’exceptionnelle fragilité de l’homme, sa force, sa capacité à évoluer, à se tromper, à s’adapter. Et chez Robert, la volonté de forger son propre destin, contre toutes les prévisions, et en même temps celui de toute une nation.

Robyn Young
Brighton
Mai 2010