MARIZIBILL1

Dans la Haute-Rue à Cologne

Elle allait et venait le soir

Offerte à tous en tout mignonne

Puis buvait lasse des trottoirs

  5  Très tard dans les brasseries borgnes

 

Elle se mettait sur la paille

Pour un maquereau roux et rose

C’était un juif il sentait l’ail

Et l’avait venant de Formose

10  Tirée d’un bordel de Changaï

 

Je connais gens de toutes sortes

Ils n’égalent pas leurs destins2

Indécis comme feuilles mortes

Leurs yeux sont des feux mal éteints

15  Leurs cœurs bougent comme leurs portes3

1 Pré-originale : Les Soirées de Paris, no 6, juillet 1912, avec « Clotilde » et « Rosemonde », sous le titre « Marie-Sybille ». En février 1904, Apollinaire fait un court séjour à Strasbourg pour le Lundi gras. Il écrit le poème « 1904 » (Po, p. 355) et il fait une allusion à ce voyage dans Le Festin d’Ésope de mars 1904 (p. 92), à la rubrique Epistolæ novæ obscurorum virorum : « Gottfried Hinterteil / Libraire à Strasbourg en Alsace / à Moritz Damerlag / Conseiller de Régence / à Cologne-sur-le-Rhin / Nous avons joyeusement enterré le Carnaval. Pas si joyeusement qu’à Cologne peut-être. La ville des trois mages et de Stollwerck est trop fameuse. M. le conseiller de régence par la gaîté sublime de ses habitants pour que je compare notre modeste carnaval à celui de vos Marizibill Drikkes, Haenneschen (etc.) ». Marizibill appartient donc au folklore de Cologne. Mais Apollinaire déplace le prénom du folklore sur la réalité plus triviale de la prostitution et du mal-être dans les villes modernes (voir « Le Dôme de Cologne », Po, p. 538-539, et L’Amphion faux messie, Pr, 1, p. 211).

2 Les destins de Marizibill et de son maquereau. Le poème se ferme sur « portes », et « Le voyageur », qui fait suite, s’ouvre sur l’appel à l’ouverture d’une porte.

3 Ce dernier quintil se trouve dans un manuscrit de « La Chanson du mal-aimé » (voir p. 396).