Charbon black

Une complainte amoureuse s’échappe de la courbe planétaire et souffle sur le silence astral. Vague invisible, elle déferle sur le vide absolu. Interpellée, une conscience répond au signal. Se faire masculin, goûter à la vie. Pourfendre le néant et arriver, innocent, devant l’amour humain. Saisir le pronom de l’être individué et dire : « Je ». Écarter l’inexistence. Se glisser dans l’arrondi du mystère. Délaisser les solitudes infinies et parvenir à la plénitude organique d’une identité de chair. Apprendre le travail de l’homme et le destin du vivant. Échanger cette condition d’irréalisé cosmique contre un pouls, une biographie et un nom.

Babel hallucinée.

Le jour, vieillard aux retours épuisés, arrive en traînant des lambeaux d’âme. Son matin, vert-nausée, compose avec le temps et s’inféode à son autorité. Une autre journée. Les sempiternels lendemains du monde, effilochés comme les oripeaux d’un vieux qui se prend pour un matin.

Appel vertige.

On dit que l’aube est blanche, la pure et vierge toile où réinventer le jour et recommencer le monde. Pourtant, ce matin, loin d’annoncer un réveil cocoriqué et blond, elle semble maladive et blafarde, comme ces brouillards marins obsédés d’horizons lointains. L’aurore cède sa grâce, sa majesté d’aigle et passe à la gaucherie de la cigogne.

L’aurore va accoucher.

Dans le temps.

C’est un beau mal. Une beauté souffrance. Un plaisir douleur. Autour de lui, un monde éblouissant avec sa lumière, sa transparence, son papillotement incessant. Partout, des objets concrets et diaprés. Textures affriolantes.

Il râle devant la splendeur de la Création. Le vert bronze, le prune de Monsieur, le gorge de pigeon gênent sa respiration. Un ailé jaseur se perche sur son genou et l’apprivoise de son chant. Son gazouillis le fait sourire. Il se sent ivre et aussi fébrile qu’un nouveau-né. Il se touche, s’examine, découvre ses yeux, ses mains, ses jambes, ses pieds.

Longtemps, il contemple la vie. S’attarde à décoder l’énigme à laquelle il participe désormais.

Un murmure le caresse. Sa peau frémit.

Soudain, la lumière triomphante se fatigue. La lune emporte dans ses jupes tout ce qui l’émerveille. Le monde s’en va. Il a peur. Tout cela n’aura été qu’illusion?

Un malaise s’installe sur ses paupières. Il s’entoure les jambes de ses bras.

L’inconçu a emprunté un corps et participé à la planète. Bel intermède.

Déjà, il retourne dans son charbon black.

 

Surpris par un écureuil, il ouvre les yeux sur le matin qui l’entoure et pousse un cri de surprise. Il a une voix. Il se met à rire d’un grand tonnerre qui ébranle le coin de jardin où il se trouve.

Il est frigorifié, mais il est vivant.