Pieter Bruegel lAncien, La Pie sur le gibet (détail), 1568.

Huile sur panneau, 45,6 x 50,8 cm.

Hessisches Landesmuseum, Darmstadt.

 

 

Introduction

 

 

Ce livre, loin de prétendre à une histoire complète de la peinture de paysage, tentera de donner quelque idée de l’ordre suivant lequel sont apparus, entre le XVIe siècle et la naissance de l’impressionnisme, les différents maîtres qui y figurent, et de l’importance qu’il convient d’attribuer à chacun d’eux.

C’est aux Temps modernes que commence notre étude. L’imitation de la nature n’ayant joué dans l’Antiquité qu’un rôle très effacé, celle-ci ne compte pas, à vrai dire, de maîtres du paysage. En Grèce, l’anthropomorphisme de la religion se retrouve dans la littérature comme dans l’art, et c’est à peine si parmi les œuvres de la statuaire de la grande époque on pourrait relever çà et là un fragment de rocher, un tronc d’arbre autour duquel s’enlace un lierre ou un cep de vigne. Bien que le paysage occupe parfois une place assez importante dans les peintures des villas romaines ou campaniennes, il y reste toujours purement décoratif, et les éléments pittoresques qui s’y trouvent réunis semblent associés comme au hasard. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que ce ne sont là que des travaux secondaires et anonymes dont l’exécution facile dénote une certaine habileté, mais n’a rien à voir avec celle de l’interprétation intime de la nature dans laquelle tous les détails profitent à l’aspect d’une œuvre et en fortifient l’impression.

Nous ne parlerons pas davantage, au surplus, de la façon dont la peinture de paysage a été comprise et pratiquée dans l’Extrême-Orient. Si dans les albums japonais, particulièrement dans ceux d’Hokusai, les motifs les plus variés sont rendus avec une vive et piquante concision, il faut convenir que, sauf les différences d’une dextérité plus ou moins grande, ces ébauches assez sommaires, tracées avec une légèreté spirituelle, mais dépourvues de modelé, dérivent de formules pareilles. Pour charmantes qu’elles soient, elles ne montrent jamais ce caractère d’originalité personnelle, ni cette riche diversité de sentiment que nous admirons chez nos maîtres de l’Occident. C’est donc à ceux-ci que nous nous bornerons.

On ne s’étonnera pas que parmi eux nous ayons fait une assez large part à des peintres qui n’ont pas été exclusivement paysagistes et que, à côté du Lorrain, de Van Ruysdael, de Constable, de Corot, de Rousseau et de Daubigny, plusieurs grands artistes qui ont pratiqué tous les genres, comme les Van Eyck, Titien, Dürer, Poussin, Rubens, Rembrandt et Velázquez, aient trouvé dans ce volume la place qui leur était due, à raison du talent avec lequel ils ont interprété la nature et exprimé ses beautés. Afin de mieux les comprendre, c’est à la fois dans leurs œuvres et dans les pays où ils ont vécu que j’ai étudié tous ces artistes, cherchant à relever les traits vraiment significatifs qu’ils en ont rendus et la sincérité plus ou moins grande qu’ils ont mise dans leurs traductions. On ne goûte pleinement le Lorrain et Poussin qu’après avoir vu l’Italie, et si différents qu’ils soient l’un de l’autre, on peut s’y convaincre que c’est bien la même nature qui les a inspirés tous deux. De même, à chaque pas, en Hollande, on découvre les humbles motifs dont Van Goyen, Van Ruysdael et Van de Velde nous ont donné de si fidèles et si poétiques images. En revivant avec eux, dans les contrées où s’est formé leur talent, il m’est arrivé plus d’une fois de retrouver leurs stations familières et la place même où ils s’étaient assis.

Pour ce qui concerne l’époque moderne, c’est un privilège peu enviable de mon âge que d’avoir approché la plupart des paysagistes qui ont illustré l’École française au XIXe siècle. Quelques-uns des détails que je donne sur eux, sur leur carrière, sur l’idée qu’ils se faisaient de leur art, c’est de leur bouche que je les tiens, ou c’est en questionnant leurs amis et leurs proches que j’ai pu les recueillir.

Des comparaisons fréquentes d’œuvres très dissemblables n’ont fait que développer en moi le besoin inné de concilier entre elles les admirations les plus diverses et de reconnaître le talent partout où il se trouve.