Antoine Watteau, LEmbarquement pour Cythère, 1718.

Huile sur toile, 129 x 194 cm. Schloss Charlottenburg, Berlin.

 

 

Les Précurseurs du paysage moderne

 

Dans l’art, comme dans la société française elle-même, à la pompeuse magnificence du règne de Louis XIV, allaient succéder la grâce charmante et la vive élégance des maîtres de l’École française, au temps de la Régence et de Louis XV. À leur tête, un des plus grands peintres français, Antoine Watteau (1684-1721), a fait dans ses œuvres une place assez importante au paysage. Attiré instinctivement par les Vénitiens et par Rubens, il avait su, tout en s’inspirant d’eux, conserver entière son originalité.

Les fonds de ses Fêtes galantes ne sont pas des frottis quelconques : autour de ce Gilles d’une niaiserie si spirituelle, le ciel est respirable ; le terrain sur lequel il repose est solide. À côté de ces gentils muguets et de ces jeunes femmes aux allures ingénument coquettes, les ombrages épais et les eaux tranquilles des grands parcs où s’abrite leur désœuvrement nous feraient presque croire à l’existence de la Finette, du Mezztin, de l’Indifférent et de tant d’autres personnages inutiles et séduisants. Si dans LEmbarquement pour Cythère (ci-dessus), le but lointain du voyage se perd dans les contours flottants et les vagues colorations des montagnes, du moins le lieu du départ et les premiers plans qu’anime la troupe chatoyante des pèlerins sont pris en pleine nature, avec de beaux arbres amoureusement entrelacés et des guirlandes de vraies roses, épanouies sous leurs feuillages frémissants. Toutes ces formes précises et ces tonalités harmonieuses ont été fidèlement copiées par le fin dessinateur et le rare coloriste en qui se personnifient les qualités exquises d’un art très original.

Hubert Robert (1733-1808) avait été dès sa jeunesse attiré à Rome. Dans la littérature, comme dans les jardins, les Ruines (Architecture dans un paysage avec un canal) étaient alors fort en vogue et Robert s’appliquait à étudier les monuments de l’Antiquité, et les nombreux dessins qu’il fit alors à Rome manifestent son habileté. Pendant les douze années qu’il passa hors de France, Robert ne cessa pas d’amasser une quantité considérable d’études faites sur place d’après tous les édifices ou les sculptures antiques qu’il put voir. Rentré à Paris, il y fut successivement nommé membre de l’Académie, puis conservateur des peintures du roi et dessinateur des jardins royaux. Il s’est plu à rendre les contrastes piquants de la vie moderne en contact familier avec les restes augustes du passé et les étranges vicissitudes de ces temples et de ces palais devenus les refuges de vagabonds et de miséreux. Emprisonné pendant la Révolution, Robert faisait les portraits de ses compagnons, ou retraçait les scènes dramatiques auxquelles il avait assisté. Après la tourmente, il continuait sa vie laborieuse et la mort le surprenait à son chevalet en 1808.