Avec les débris de la fortune de Cambart, qui lui donnèrent une somme de deux cent mille francs, Gabrielle se lança audacieusement à la poursuite de cette richesse qu’elle avait d’abord voulu conquérir par le mariage.
Grâce à ses deux cent mille francs, qu’elle gaspilla volontairement en toilettes étourdissantes, en magnifiques attelages, en fêtes bruyantes, le nom de guerre qu’elle avait adopté fut vite célèbre et elle prit sa place en tête des femmes les plus encensées de la haute galanterie parisienne.
Aujourd’hui elle est riche des dépouilles de ceux qu’elle a ruinés… et ils ont été nombreux. C’est à peine si elle se souvient de l’assassinat de Barutel qu’elle croit ignoré de tous, car Désormeaux et Crapichette ont gardé le silence et la Boldain, réfugiée en Belgique, ne revint pas pour en bavarder.
Seulement, quelques jours après le crime, que lui apprirent les journaux en annonçant le suicide, l’institutrice, qui avait deviné la vérité, écrivit à son élève cette courte lettre qui était un modèle de chantage :
« Nous avons donc tué Barutel ! J’en ai tant ri que je suis malade. Envoyez-moi une dizaine de mille francs pour me faire soigner. »
Gabrielle s’exécuta avec un empressement qui encouragea la Boldain, car, pendant plusieurs années, elle eut des rechutes de gaieté dont la guérison coûta bien des billets de banque à son élève, jusqu’au jour où, à la suite d’une bonne pleurésie, la mort guérit radicalement l’institutrice de ce rire tant difficile à passer.
Revenons à d’autres personnages.
Le soin de faire enterrer Cambart, dont il avait été l’ami, avait retenu Désormeaux qui ne put, que vingt-quatre heures plus tard, courir chez Crapichette où il comptait retrouver Mme Dagron, sortie de prison.
– Tiens ! tu n’es donc pas parti pour l’Italie ! s’écria la lorette en le voyant apparaître.
– Où est Lucile ? demanda le jeune homme sans répondre à cette exclamation.
– Ah ! par exemple, je te croyais bien sur la route de l’Italie, insista gaiement Pichette.
– Tu auras sans doute rêvé que je devais faire ce voyage.
– C’est bien possible… Alors je vais vite écrire de revenir à Mme Dagron que j’avais fini par décider à aller t’attendre à l’hôtel Feder de Gênes.
– Non, non, n’écris pas, Pichette, je pars, je pars aujourd’hui même, dit vivement le jeune homme dont le visage s’éclaira d’une subite joie.
Puis, un peu confus d’avoir laissé paraître sa satisfaction devant cette créature dévouée dont il se savait aimé, il prononça d’un ton repentant :
– Pardon, ma pauvre amie.
Cette fois, le rire de la lorette ne fut pas franc et il y eut un petit tremblement dans sa voix, qu’elle s’efforçait de rendre gaie, quand elle répondit :
– Bah ! bah ! je ne suis qu’une bonne fille, moi… peut-être assez drôle… mais commune comme les pommes et aguichante en diable… je ne fais pas du tout ton affaire, grand chien… Donc, je passe la timbale à une autre.
Le soir même, Désormeaux partit. On prétend que, l’année suivante, à Rome, il épousa Lucile qui, au fond, était bien involontairement coupable de la faute que Barutel et Dagron lui avaient fait commettre.
Le plus drôle de l’histoire est que Crapichette, qui avait inventé la plaisanterie, a réellement fini par se marier avec un quincaillier en gros et qu’elle est aujourd’hui une des plus vertueuses épouses de son quartier. Parfois elle appelle bien encore les commis « Boule de concombre » ou « Fleur d’andouille », mais ses employés la savent si bonne qu’ils adorent leur patronne.
Nous aurons enfin terminé quand notre lecteur saura que, quinze jours après sa lettre apportée par un gendarme, Mme Joulu réintégra le domicile conjugal.
Et comme son époux s’extasiait sur sa bonne mine, la fidèle Eudoxie répondit d’une voix timide :
– Oui, la campagne m’a fait du bien, mais le médecin a dit que, tous les ans, je devais revenir au pays respirer l’air natal pendant un grand mois.
– Un mois ! ce n’est pas assez… j’entends que tu y passes six semaines ! déclara le tyran sur le ton résolu d’un homme bien décidé à faire respecter son inébranlable volonté.