Ah ! quelle poussiéreuse réponse obtient l’âme
Quand elle est fervente de certitudes dans notre vie d’ici… !
George Meredith, L’Amour moderne
Karl fixait la fenêtre. Comme un zombie, il regardait le flot des gens qui se rendaient au travail. Ils semblaient tous avoir le même visage inexpressif collé entre les oreilles. Il essayait de se concentrer, mais il revenait sans cesse à la désastreuse journée de la veille, au commissariat. Wilson avait raison. À quoi cela aurait-il servi d’arrêter Hannah ? Un frisson lui parcourut l’échine à l’idée de Katie mourant de faim dans quelque trou obscur. À quoi diable avait-il pu penser ? C’était bien le problème. Il ne pensait pas et laissait son cœur et ses émotions se déchaîner.
« Arrête de te torturer, Karl, dit Naomi en lui posant la main sur l’épaule. Ça s’arrangera tout seul. Tu verras.
– Je suis heureux que tu ne sois pas partie, dit-il en posant une main sur la sienne. Sinon, je serais devenu cinglé.
– Ne parlons pas de ça pour l’instant. »
Le téléphone du bureau se mit à sonner. Il décrocha en vitesse.
« Allô ?
– Je serai bref, fit Wilson à l’autre bout du fil. Je ne vais pas porter plainte contre toi. Mais je t’avertis, Hannah n’est pas très heureux en ce moment…
– Comme si j’en avais quelque chose à foutre de son bonheur ! répliqua Karl, submergé par une nouvelle montée de colère.
– Si tu voulais seulement me laisser finir, coupa Wilson de sa voix teigneuse. Il n’est pas heureux parce que pendant que nous parlons, tous ses locaux – y compris Crumlin Road Jail – sont perquisitionnés. »
Karl se sentit soudain submergé par une vague de soulagement.
« Je… merci, marmonna-t-il. J’apprécie…
– Je ne veux pas de tes remerciements. Je ne l’ai pas fait pour toi – ni pour ma sœur. Je l’ai fait parce que Katie est ma nièce et que je l’aime comme si c’était ma fille.
– Je te dois des excuses pour…
– Étouffe-toi avec ! Ne crois pas que ça change quoi que ce soit entre nous. Je te tiens toujours pour responsable de la mort de mes deux inspecteurs. Ton heure viendra, Kane », gronda Wilson avant de raccrocher.
Le téléphone se remit aussitôt à sonner.
« Allô ?
– Tu ne pouvais pas laisser tomber, hein ? siffla la voix.
– Hannah ?
– Je l’aurais relâchée au bout de quelques jours. Mais tu as changé les règles, mon cher Karl, et je ne permets pas qu’on change les règles. Pendant que nous causons, les barbares sont en train de mettre mon théâtre en pièces, et c’est à cause de toi. Je n’en ai pas le moindre doute. Tu sais ce que ça fait d’être violé ?
– Laisse partir Katie. Je t’en prie. Je ferai tout ce que tu voudras.
– Trop tard. Bien trop tard pour marchander, mon cher Karl.
– Que veux-tu de moi ?
– Je vais te tuer, mon cher Karl, et pas de manière élégante. Je vais te tuer avec le flingue que Cathy t’a fauché.
– C’était toi, cette nuit-là, n’est-ce pas ? C’est toi qui as tué Cathy ?
– Elle avait cessé d’être utile. Elle était devenue un handicap. Le bon côté, c’est que cette arme porte tes empreintes, pas les miennes. »
Karl se sentit soudain très mal.
« Est-ce que tu as déjà vu ta magnifique fille nue comme un ver, cher Karl ? »
Le sang lui monta directement à la tête. Bang ! Bang ! Bang !
« Tu m’as l’air bien calme, mon cher Karl, continuait Hannah. T’essayes de tracer cet appel ? Ça ne te servira pas à grand-chose. Je me sers toujours d’un appareil jetable. Où suis-je ? Oh ! Douce Katie. Sais-tu que ses petits tétons et son clitoris sont percés ? Assez excitant, je peux te l’assurer. Mais tu le sais probablement déjà. Hé ? Je pourrais t’envoyer une photo de…
– Salopard ! Je jure devant Dieu, espèce d’enfoiré, que si tu as touché ma fille, je…
– Je vais te dire : si je ne t’avais pas surveillé, le jour du Nick’s Warehouse, je n’aurais jamais pu deviner que Katie était ta fille. Tu m’as regardé bien en face quand je t’ai envoyé cette éponge en forme de rhino dans la figure.
– Quoi ?
– Le clown. C’était moi, mon cher Karl. Je t’ai même fait un clin d’œil en passant. J’étais en chasse pour trouver d’autres jeunes… compagnes, quand je me suis tout à coup rendu compte de la ressemblance entre père et fille.
– Enculé de bâtard…
– C’est toi qui as tout amené sur le seuil de ta porte, Karl. Tu vas vivre avec les conséquences – pour toujours. »
Le téléphone se tut.