La diarrhée tue trente fois plus que le terrorisme
Nous sommes en guerre. Officiellement en tout cas, puisque les politiques ne cessent de le répéter et que la plupart des médias leur donnent raison. L'état d'urgence, qui restreint les libertés en facilitant les perquisitions, les assignations à résidence et l'interdiction de manifestations 1, est désormais devenu un mode de vie auquel nous nous sommes habitués. Il est vrai que notre pays a récemment été touché par plusieurs attentats, et chaque mois de nouvelles attaques sont déjouées sur notre territoire. Entre janvier 2015 et octobre 2017, le terrorisme a fait 241 morts en France 2, auxquels il faut ajouter des centaines de blessés, dont de nombreux très graves. Le terrorisme produit son effet : il terrorise. Il inquiète ceux qui prennent le métro, ceux qui laissent leurs enfants à l'école, ceux qui se rendent à des concerts ou à des événements sportifs, ceux qui partent en vacances dans des lieux fréquentés. La peur de la mort soudaine et imméritée s'est diffusée. Les médias y ont pleinement contribué : selon l'INA, le terrorisme a été le sujet le plus traité dans les journaux télévisés en 2016, avec plus de 10 % des reportages diffusés, loin devant la crise migratoire et la loi travail 3.
Il est compréhensible de craindre, pour soi et pour ses proches, la mort qui touche par surprise, dans le plus injuste des contextes. Mais la vérité est que chacun d'entre nous a beaucoup plus de risques d'être tué par l'industrie agro-alimentaire, par la pollution, par la misère, par la route, par l'alcool ou le tabac, que par une bombe ou une kalachnikov. Mettez l'émotion de côté et regardez ces crimes que nos gouvernements laissent impunis et encouragent.
Le terrorisme, rappelons-le, a tué 241 personnes en presque trois ans en France.
Pendant ce temps, environ 500 SDF meurent officiellement chaque année dans notre pays, mais le nombre réel des victimes de la rue doit sans doute être multiplié par six – près de 3 000 – selon le collectif Morts de la rue. Leur moyenne d'âge, en 2016, était de 49 ans. On peut donc parler à leur égard de morts prématurées, puisque l'espérance de vie en France est de 79,3 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes 4. À cause de la rue, ces hommes et ces femmes ont donc perdu au moins trente ans d'existence. Ces morts de la rue sont des victimes de la misère et des manquements de notre système de solidarité. Ils sont morts parce que nous n'avons rien fait pour eux, ou pas assez. Ils sont morts parce que nous les avons laissés perdre leur logement et parce que nous n'avons pas affirmé qu'il y avait une priorité : celle de protéger tous les Français de la violence d'une vie sans un toit sous lequel se réfugier chaque soir. Une grande partie des SDF meurt d'ailleurs, non du froid, mais d'une cause violente, surtout chez les plus jeunes.
La rue tue donc entre cinq et trente fois plus que le terrorisme en France.
Pourtant, lors de la dernière campagne présidentielle, pas un candidat n'a parlé de ces dizaines de milliers de personnes qui errent dans les villes, sans rien à eux en dehors du contenu de deux ou trois sacs en plastique. La France compte plus de 140 000 sans-abri, parmi lesquels 30 000 enfants. Dans l'indifférence absolue, le nombre de SDF a augmenté de 50 % en France entre 2002 et 2012 5. Le nombre de mal-logés s'élève quant à lui à 4 millions 6.
Les attaques terroristes ont fait officiellement 29 376 morts dans le monde en 2015 7.
La diarrhée tue près de 850 000 personnes par an 8, en raison d'un mauvais réseau sanitaire 9. Cela signifie que la diarrhée tue quasiment trente fois plus que le terrorisme. Pourtant, la diarrhée est un sujet absent des journaux. Il faut dire que le thème n'est pas très ragoûtant, voire tabou, et que cette maladie choisit aujourd'hui ses victimes dans les pays pauvres dont les habitants n'intéressent pas grand monde puisqu'ils n'ont pas d'argent à dépenser.
La diarrhée et la pneumonie choisissent souvent leurs victimes parmi les enfants. Lisez bien les chiffres qui vont suivre, qui ne font l'objet d'aucune édition spéciale sur les chaînes infos, ni d'aucune conférence de presse de ministres aux mines graves : depuis 2000, près de 34 millions d'enfants sont morts de pneumonie ou de diarrhée. Sans investissements conséquents dans la prévention et les traitements, la pneumonie et la diarrhée vont tuer 24 millions d'enfants supplémentaires d'ici 2030 10. Nombre total de victimes en trente ans : près de 60 millions d'enfants. Deux millions par an. Un génocide annuel, dans l'indifférence générale. Les bourreaux ne portent pas de ceinture d'explosif ni de mitraillette en bandoulière. La pneumonie a tué à elle seule 1 million d'enfants en 2015. Des enfants des pays les plus pauvres, cela va de soi. Ce sont ceux dont nous n'avons rien à faire. Fatouma Ndiaye, directrice générale adjointe de l'Unicef, explique : « Nous observons clairement que la pollution atmosphérique liée aux changements climatiques affecte la santé et le développement des enfants en entraînant des pneumonies et d'autres infections respiratoires. Deux milliards d'enfants vivent dans des zones où la pollution de l'air extérieur est supérieure aux recommandations internationales, et beaucoup d'entre eux tombent malades et meurent à cause de cette situation. Les dirigeants du monde […] peuvent aider à sauver la vie d'enfants en s'engageant à agir pour réduire la pollution atmosphérique liée aux changements climatiques et en acceptant d'investir dans la prévention et la santé 11. »
Alors, qui est coupable ? Qui sont les terroristes qui tuent chaque année des millions d'enfants innocents ? Ce sont les pays pollueurs, et ceux qui ne respectent pas leurs engagements en matière de financement des programmes de santé pour les pays les plus défavorisés. Bizarrement, ces terroristes-là, qui ne portent pas des treillis mais sont en costume-cravate, ne sont jamais inquiétés.
L'OMS affirme en 2017 que 12,6 millions de décès dans le monde sont dus à la pollution de l'air et de l'eau, soit un quart de la totalité des décès.
Donc 30 000 décès par an sont causés par le terrorisme, et 12,6 millions par la pollution.
Un quart des décès dans le monde est lié à l'environnement.
La pollution de l'air est responsable de 48 000 morts prématurées chaque année en France 12, de 500 000 morts en Europe 13 et de 7 millions de morts dans le monde 14.
La pollution de l'air tue 240 fois plus que le terrorisme dans le monde.
En France, la pollution de l'air a tué 400 fois plus que le terrorisme en 2015 et 2016.
L'antibiorésistance tue chaque année 13 000 personnes en France 15, 50 000 personnes en Europe et 700 000 personnes dans le monde.
L'antibiorésistance pourrait tuer 10 millions de personnes par an dans le monde en 2050 16.
Les pesticides provoquent 200 000 morts chaque année.
Les politiciens nous parlent tous de « guerre contre le terrorisme », mais jamais de « guerre contre la pollution ». Cela se comprend aisément : il est moins spectaculaire de mourir d'un cancer du poumon dans la solitude d'une chambre d'hôpital, abattu par un assassin non identifié et insaisissable, que d'être fauché dans la rue par une rafale de kalachnikov tirée par un décérébré endoctriné qui sera lui-même abattu dans les heures qui suivent par les hommes du RAID. Ici se joue le combat entre le visible et l'invisible. Le terrorisme est le visible qui choque les yeux et les consciences, alors que les attentats commis sur notre santé restent inaperçus. Les corps tombent, mais le sang ne gicle pas.
La liste des massacres perpétrés par des mains invisibles est longue. Elle ne s'arrête pas aux crimes officiels liés à la dégradation de l'environnement.
La malnutrition provoque chaque année la mort de plus de 3 millions d'enfants de moins de 5 ans 17.
Plus de 5 000 migrants sont morts en 2016 en essayant de traverser la Méditerranée 18.
Les accidents de la route ont causé en 2015 la mort de 3 464 personnes en France 19.
Il est toujours bon de rappeler les dégâts du tabac et de l'alcool. Le tabac tue 70 000 personnes par an en France, et 6 millions de personnes dans le monde. Un milliard de personnes vont mourir au XXIe siècle à cause du tabac 20.
L'alcool tue 50 000 personnes par an en France, et 3 millions de personnes dans le monde 21. Il est responsable d'un décès sur vingt 22.
À chaque fois, la responsabilité humaine politique et industrielle est connue. Elle n'est pas toujours diluée, elle est clairement identifiable dans de nombreux cas. Pourtant les assassins continuent à agir en toute impunité.