Le cas limite de Bonald donne la mesure des résistances auxquelles se heurte la temporalisation, théorisée ou non, des classiques. Au-delà de ce cas singulier, un examen plus poussé met en lumière un phénomène global de sacralisation qui affecte les écrivains du « siècle de Louis XIV ». Ce phénomène se traduit par un sourd travail de désancrage référentiel, au terme duquel la mention classique se voit mise au service d'une cause absolue, soit non relative à son terreau temporel originaire. Deux grands cadres doctrinaux encouragent l'arrachement des classiques à leurs coordonnées historiques : d'une part, la projection idéalisée (et largement programmatique) de la Nation française ; d'autre part, le dogme catholique véhiculant une conception immuable de l'Homme et de l'âme humaine. Dans le premier cas, les palmarès du « siècle de Louis XIV » approvisionnent l'ère nouvelle en icônes laïques capables de susciter autour de leur nom, de leur œuvre ou de leur vie (et parfois, on va le voir, de leur vie comme œuvre) un culte situé au carrefour de projections immatérielles (célébration de la France comme personne morale) et de considérations pragmatiques tournées vers la « fabrication » immédiate de citoyens idéaux. Sur la scène des théâtres populaires où l'on met volontiers en scène la vie fantasmée des classiques, dans le cadre feutré des célébrations académiques, mais également dans l'atmosphère purifiée des classiques « pour la jeunesse », l'impératif patrimonial favorise un processus d'idéalisation culminant dans l'allégorisation morale des écrivains ainsi consacrés. Car la condition classique, au tournant du siècle, est avant tout synonyme de conditionnement. La supposée représentativité nationale, qualité essentielle du classique comme référence fédératrice, implique sa mise en conformité avec le nouvel idéal de perfection civique. C'est pourquoi le prix de l'exemplarité nationale se paie en arrangements de plus ou moins grande conséquence : du caviardage moralisant au détournement biographique, tout concourt à projeter les classiques dans une région dénuée de toute aspérité. Une mutation légendaire est en cours, dont les exemples de Corneille, Rotrou ou encore Molière vont ici donner une juste idée.
Mais le cas de Molière est encore riche d'un autre enseignement. La toilette pédagogique infligée aux classiques « pour la jeunesse » illustre en effet l'emprise de la religion sur les modes de transmission du canon littéraire. La mise en valeur de certaines figures exemplaires alimente non seulement la contribution du « siècle de Louis XIV » au grand récit national, mais encore son enrôlement au bénéfice d'un discours ouvertement apologétique. Cette autre absolutisation du « siècle de Louis XIV » forme la substance d'une religion du classique dont témoignent le statut des moralistes comme La Bruyère et La Rochefoucauld, et surtout celui d'un orateur sacré comme Bossuet. À la faveur d'une autorité retrouvée après un siècle de défiance, celui-ci paraît parfois court-circuiter la médiation des Lumières, et singulièrement celle de Voltaire, dans la transmission d'une tradition classique héritée du second XVIIe siècle. L'interception du « siècle de Louis XIV » par un discours apologétique, en même temps qu'elle sanctionne un détournement de la matrice voltairienne, favorise l'épanouissement d'un patrimoine littéraire national au-delà de l'histoire. Une fois nettoyée des ambiguïtés propres au Siècle de Louis XIV de Voltaire, la formule éponyme devient par excellence un lieu de mémoire national. Elle figure le point où convergeront désormais, en parfaite complémentarité, les quêtes identitaires de la fille aînée de l'Église et de la Nation littéraire.