AVERTISSEMENT

Maurice Merleau-Ponty a enseigné au Collège de France de 1952 à 1961. Ses cours n’étaient pas rédigés à l’avance. Les notes dont il se servait, abondantes ou succinctes, ne lui fournissaient qu’un appui. Jamais cet appui ne le dispensait du risque d’avoir à penser devant les autres. Il lui arrivait parfois de s’en écarter au point de l’oublier. En vain, donc, voudrait-on reconstituer l’enseignement de Merleau-Ponty à partir de ces pages sur lesquelles nous le voyions autrefois jeter de temps à autre un bref regard et que nous imaginions trop pleines… Ces pages, nous les possédons, pour la plupart, mais elles sont devenues muettes. Et ce n’est pas, non plus, à recueillir et à confronter les témoignages de ses auditeurs les plus fidèles, que nous pourrions combler les blancs dont elles sont désormais chargées. Ni la faible réserve que se constituait le philosophe pour y puiser la force de parler, ni le dépôt que quelques-uns sans doute ont su retenir ne feront ressaisir l’événement d’un cours.

Les résumés publiés dans l’Annuaire du Collège de France nous rapportent toutefois quelque chose de l’enseignement de Merleau-Ponty. C’est qu’il les a rédigés lui-même et qu’en somme, se faisant son propre témoin, ramassant au bout d’une année tout son travail d’expression, il a, en chacun d’eux, tenté de nommer son intention. Ces résumés ne donnent pas un équivalent des cours, et ce serait trop de dire qu’ils les réduisent à leur essence. Ils nous montrent seulement comment le philosophe circonscrivait le lieu où s’était fait le mouvement de la parole.

Pour ceux qui ont eu la chance de l’entendre, nul doute que son enseignement ne conserve dans leur souvenir un pouvoir que ces écrits, réduits au plus bref de sa trace, ne sauraient égaler. Eux-mêmes pourtant trouveront à leur lecture de quoi réinterroger ce pouvoir et, peut-être, repérer des chemins autrefois trop hâtivement suivis. Aux autres, ces résumés diront tout ce qui leur est possible de dire : la variété et la rigueur des questions qui commandaient les cours, et leur vertu de nourrir des œuvres qui s’élaboraient dans le même temps — l’Introduction à la prose du monde, Le Visible et l’invisible — dont ne nous restent que les commencements.

Claude Lefort.