CHAPITRE 9 :

POURQUOI L’IMPLANT INTRACÉRÉBRAL S’IMPOSERA

La seconde voie pour rester dans la course avec l’IA est celle du cyborg, proposée par Elon Musk. Elle est beaucoup plus prometteuse, dans un premier temps au moins. Pour une bonne raison : elle sera technologiquement plus rapidement au point, et plus puissante. La sélection et la manipulation génétique impliquent de savoir parfaitement quelles zones de l’ADN toucher pour parvenir aux deux objectifs principaux qu’auront tous les parents : rendre très intelligents et faire vivre longtemps en bonne santé. Or, s’il est facile de repérer les marques génétiques liées à la couleur des yeux ou au type de métabolisme hépatique, ce qui détermine l’intelligence est le fruit d’un cocktail subtil de facteurs. Ces deux qualités essentielles que sont l’intelligence et la santé ne sont pas comme des interrupteurs que l’on pourrait allumer ou éteindre à sa guise. Ils sont très complexes. Par ailleurs, la crainte que l’humain OGM ne soit plus humain sera forte.

Autre problème de taille : la technologie génétique ne pourra profiter par définition qu’aux nouvelles générations1. Il sera difficile à entendre pour les humains nés alors que les connaissances eugéniques seront encore trop modestes pour permettre d’augmenter tout le monde dès la naissance, qu’ils deviendront des grands-parents débiles pour leurs petits-enfants… La volonté d’augmentation sera forte et immédiate. « Neuro subito2 ! » Il faudra augmenter les gens le plus vite possible, et il ne sera pas concevable d’attendre vingt-cinq ans qu’une nouvelle génération correctement modifiée naisse et grandisse, au risque de mettre au rebut une génération entière. Comme le re-paramétrage du vivant est trop lent, le recours à la technologie électronique s’imposera.

Elon Musk lui-même a souligné en avril 2017 que la piste génétique était trop lente, au moins pour la période de transition, face à une IA qui galope : « La révolution de l’IA rend le cerveau humain obsolète. » Il oublie seulement un point : les modifications génétiques se transmettent de génération en génération alors que ses implants Neuralink devront être intégrés dans le cerveau à chaque génération. Un dernier point est préoccupant : il est possible que les implants de type Neuralink augmentent davantage les capacités intellectuelles des gens déjà doués, ce qui accentuerait les inégalités.

Le Far West neurotech : l’intelligence branchée sur le cerveau comme une clé USB3

La sélection d’embryons constitue une amélioration cognitive a priori. Pour ceux qui sont déjà nés mais qui veulent pouvoir augmenter leurs capacités intellectuelles, d’autres technologies4 sont en cours de développement5. Mais ces techniques chimiques sont pourtant très peu de choses à côté de l’efficacité des techniques plus invasives que sont les implants neuronaux dont Elon Musk est le leader.

Il s’agit de marier l’ordinateur au cerveau, en faisant de notre cerveau un organe cyborg. Le neurone est alors branché sur des composants électroniques pour en augmenter les capacités, exactement comme on ajoute une carte mémoire ou un disque dur externe à son ordinateur pour en améliorer les performances. Concrètement, c’est évidemment nettement plus complexe.

Maîtriser le code neuronal

Pour construire des logiciels permettant aux composants électroniques de dialoguer avec le cerveau, il faut percer son code6. Autrement dit, les scientifiques ont besoin de connaître le langage utilisé pour activer les neurones, comme ils connaissent désormais le code universel du vivant : l’ADN.

Notre cerveau est en permanence parcouru par des impulsions en grand nombre : probablement mille milliards par seconde… Le code neuronal est encore loin d’être totalement et clairement connu, mais les progrès sont notables. Les technologies d’implants se développeront peu à peu grâce à l’augmentation des capacités informatiques qui font progresser la compréhension du fonctionnement cérébral et la cartographie de l’esprit humain.

 

Nous savons déjà fabriquer des prothèses visuelles7 branchées sur le cerveau ou le nerf optique. La société américaine Second Sight a par exemple développé, pour les malvoyants, une prothèse bionique de l’œil qui se compose de lunettes munies d’une micro-caméra, d’un petit ordinateur portable à la ceinture et d’un implant rétinien. L’ordinateur permet de traduire les images perçues par la caméra en instructions transmises à l’implant rétinien, où elles sont retraitées en signaux électriques à destination du cerveau par le nerf optique.

Des implants intracrâniens existent aussi pour soigner les victimes de troubles psychiatriques ou de la maladie de Parkinson. Ils créent des impulsions qui permettent de stimuler certains circuits neuronaux défectueux.

Dernière application thérapeutique en date : des tétraplégiques peuvent désormais commander un ordinateur ou une machine par la pensée, via des implants intracérébraux ou un casque qui analyse les ondes cérébrales.

Ces avancées sont de formidables espoirs pour les malades. Appliquées à l’éducation, elles sont de stupéfiantes promesses de révolutions.

La neuroéducation devra beaucoup à Alzheimer

La maladie d’Alzheimer est la maladie neuro-dégénérative la plus répandue. Parce qu’elle implique de lourds traitements palliatifs, c’est aussi la pathologie la plus coûteuse. Une grande partie de la recherche sur le cerveau est dédiée à la comprendre. Ce sont ces recherches qui constituent d’ores et déjà la base de connaissances scientifiques permettant de progresser dans les techniques de « manipulation » du cerveau : apprendre, répétons-le, c’est modifier des connexions entre neurones. Ce qui peut servir à soigner un malade atteint d’Alzheimer peut aider un patient sain à améliorer ses connexions, donc sa mémoire et son intelligence…

C’est ainsi indirectement, par le biais des recherches curatives pour le cerveau que les neurosciences sont en train de devenir le nouvel Eldorado des recherches en pédagogie8… Cela n’est pas anodin car, dans un premier temps, cette lutte contre une maladie neurodégénérative désamorce par avance tout débat sur la justification d’une recherche conduisant à la neuroaugmentation. Une équipe de recherche avouant chercher le moyen de fabriquer des petits génies à la pelle aurait du mal à trouver des financements et ferait l’objet de vives critiques – sauf en Chine, on l’a vu… –, mais si elle parvient à ces résultats à partir de travaux visant à soigner des malades, cela devient légitime et beau.

Alzheimer sera la porte d’entrée des technologies de la neuroamélioration : un cheval de Troie commode pour la diffusion massive des technologies d’amélioration du cerveau. La génération nombreuse du baby-boom devient, soixante-dix ans plus tard, celle d’Alzheimer. Et pour l’instant, la médecine est impuissante : l’alternative se résume à deux changements de couches par jour dans un EHPAD9 pour les gens modestes, ou bien six changements de couches dans des EHPAD de luxe… Peu réjouissant dans tous les cas. La déchéance qu’engendre cette maladie est si terrible, pour le malade et peut-être plus encore pour son entourage, que chacun plébiscitera l’utilisation des technologies aussi transgressives soient-elles, pourvu que l’on évite le naufrage de la démence. Plutôt transhumains10 et dignes que gâteux… La neurotransgression sera déjà là, toute prête, quand l’école voudra s’en saisir à son tour.

Le coming-out transhumaniste d’un grand neurochirurgien

L’évolution philosophique du professeur Alim Louis Benabid, inventeur des implants intracérébraux pour traiter la maladie de Parkinson, est édifiante. Opposé à l’augmentation cérébrale depuis toujours, il a confié avoir basculé11. Il a déclaré : « Mon attitude a changé. Au début, je disais il ne faut absolument pas faire ça. On n’est pas tous intelligent de la même façon. En quoi ce serait gênant si on stimulait le cerveau ? A-t-on peur de rendre l’autre plus intelligent ? de propulser le QI ? C’est pour qu’il n’y ait pas de problèmes qu’on respecte un statu quo. » De l’homme réparé à l’homme augmenté, il n’y a qu’un pas : l’élite médicale est déjà prête à suivre Elon Musk.

Une machine à réussir plutôt qu’à sélectionner

La neuroaugmentation arrive, mais pour s’en saisir avec succès, les professeurs ne pourront plus être les mêmes. À partir du milieu de ce siècle, le personnel de l’école aura fondamentalement changé.

Des spécialistes de très haut niveau consacreront leur vie professionnelle à l’éducation, notamment celle des tous jeunes enfants.

Le gros du travail aura lieu avant même l’entrée à l’école proprement dite. La sélection embryonnaire sera réalisée lors de la conception et la neuroaugmentation électronique sur les très jeunes enfants. Le travail de l’équipe éducative débutera avant la naissance puisqu’elle aidera les parents à paramétrer la sélection embryonnaire.

Le jardin d’enfant et le primaire deviendront un moment clé. Cette période sera l’objet de toutes les attentions. Le personnel chargé de veiller à cet instant crucial n’aura rien à voir avec les éducateurs et professeurs des écoles d’aujourd’hui… Les qualifications requises ne seront plus les mêmes. Il y aura des bac plus 10 dans les crèches pour profiter de la fenêtre magique où un million de connexions synaptiques sont établies chaque seconde et aider à bâtir les cerveaux plastiques, épanouis et innovants. Les docteurs en neurosciences vont remplacer les éducateurs.

À l’école, la vraie autorité reposera entre les mains de nouveaux acteurs. L’ingénieur éducationnel et le médecin spécialisé en neuropédagogie seront chargés du paramétrage optimal de l’enseignement reçu par chaque élève en fonction de ses caractéristiques neuronales et des modalités d’augmentation cérébrale dont l’enfant aura bénéficié. L’enseignant sera devenu une sorte de coordinateur qui s’assurera que l’élève suit convenablement le cursus prescrit. Il remplira un peu le rôle d’un coach12 chargé de suivre les élèves. Il sera, comme à Singapour, respecté, admiré et très bien rémunéré. Le suivi de l’apprentissage sera permanent afin que l’adaptation soit parfaite. Dans ce processus, l’échec ou l’impossibilité d’apprendre ne seront pas des options : le processus cognitif connu à fond et abordé scientifiquement fera de l’enseignement une mécanique de précision.

Il sera le fait d’un écosystème complexe composé de généticiens, de neurobiologistes, de neuroélectroniciens, de neuroéthiciens et de spécialistes d’IA appliquée à l’éducation.

Les polémiques sur les meilleures méthodes éducatives prendront fin. Les méthodes que l’on utilisera procéderont d’évaluations rigoureuses et indépendantes, et non de lubies, de modes pédagogiques ou de choix idéologiques.

Il ne sera bien sur pas possible de développer dans chaque école des logiciels dédiés. De la même façon, qu’il n’y a pas un équivalent de WhatsApp spécifique pour chaque canton, il y aura une poignée d’applicatifs éducatifs – destinés au marché mondial – qui aideront chacun à manager sur le long terme des cohortes de centaines de millions d’élèves13.

Un dossier éducatif numérique suivra chaque individu, sa vie durant, et monitorera la complémentarité avec l’IA de chaque individu.

L’Éducation nationale sera dirigée par des scientifiques humanistes de haut niveau. Le professeur François Taddéi en est le modèle.

 

L’école changera ainsi radicalement de modèle : de machine à sélectionner les meilleurs par le moyen d’un échec de masse, elle deviendra une infaillible machine à faire réussir tout le monde. L’échec ne sera plus une option dans l’école de 2060.