Entre 2035 et 2060, les technologies de transmission des connaissances vont accomplir des pas de géant.

« “Reine Rouge, dit Alice, c’est étrange, nous courons vite et le paysage autour de nous ne change pas ?” La Reine, qui court à côté d’Alice, répond : “Nous courons pour rester à la même place.” » Cet épisode d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll pourrait bien être la métaphore parfaite de la situation de l’école dans vingt ans. Il a été utilisé par Leigh Van Valen pour décrire une hypothèse centrale de la biologie évolutive : l’évolution permanente d’une espèce est nécessaire pour survivre aux évolutions des espèces avec lesquelles elle coévolue. Quand une espèce s’adapte pour mieux faire face aux dangers que représente un prédateur, ce dernier va à son tour évoluer pour ne pas mourir de faim. L’évolution ne permet donc pas la survie une fois pour toutes, mais est une nécessité permanente.

L’école ne pourra pas se contenter d’avoir accompli une première métamorphose. Nécessaire, cette dernière se révélera vite insuffisante.

Admettons que l’école sache bientôt accomplir une rupture avec ses structures et ses méthodes classiques. Elle intègre les ressources numériques pour enseigner, elle personnalise massivement à l’aide des neurosciences et de la génétique. La transmission de connaissance passe de l’ère du bricolage primitif à celui du processus normalisé et personnalisé fondé sur une connaissance scientifique du cerveau.

Cela ne suffira pas.

Dans quelques dizaines d’années, l’IA fusionnera avec la robotique, le coût des robots chutera radicalement et leur diffusion en masse accentuera cette chute – comme la voiture était passée en quelques années du statut de bien luxueux à celui d’équipement de base. Les robots seront aussi plus polyvalents : ils seront aux robots hyper spécialisés d’aujourd’hui ce que les smartphones sont au téléphone à cadran d’il y a trente ans.

L’école aura beau utiliser les meilleurs logiciels personnalisés, elle ne pourra plus nous apprendre assez pour que nous soyons, avec notre état biologique actuel, en situation de rivaliser. Il n’y aura qu’une solution : une montée en puissance radicale de notre cerveau en utilisant tout le potentiel des NBIC. Ainsi, nous pourrons plus aisément faire jeu égal avec les machines, ou en tout cas rester dans la course.

La personnalisation de l’enseignement grâce aux neurosciences n’aura été qu’un premier stade de la mutation de l’écosystème de l’intelligence – autrement dit de la façon dont l’humanité organise la transmission de l’intellect. Il sera rapidement complété par une action non plus d’adaptation de l’enseignement mais d’adaptation du cerveau lui-même. La neuroéducation ne sera plus alors seulement une méthode scientifique pour mieux apprendre, elle s’enrichira d’un nouveau volet d’action : la neuro-augmentation. Il va en effet devenir possible d’augmenter l’intelligence non pas en jouant sur l’environnement – l’apprentissage –, mais en agissant soit en amont de la naissance, soit directement sur la machine cognitive qu’est le cerveau lui-même.

L’école deviendra alors transhumaniste et trouvera normal de modifier le cerveau des élèves en utilisant toute la panoplie des technologies NBIC.