L’Angélus du matin

À Léon Vanier

Fauve avec des tons d’écarlate,
Une aurore de fin d’été
Tempétueusement éclate
À l’horizon ensanglanté.
La nuit rêveuse, bleue et bonne,
Pâlit, scintille et fond en l’air,
Et l’ouest dans l’ombre qui frissonne
Se teinte au bord de rose clair.
La plaine brille au loin et fume.
Un oblique rayon venu
Du soleil surgissant allume
Le fleuve comme un sabre nu.
Le bruit des choses réveillées
Se marie aux brouillards légers
Que les herbes et les feuillées
Ont subitement dégagés.
L’aspect vague du paysage
S’accentue et change à foison.
La silhouette d’un village
Paraît. – Parfois une maison
Illumine sa vitre et lance
Un grand éclair qui va chercher
L’ombre du bois plein de silence.
Çà et là se dresse un clocher.
Cependant, la lumière accrue
Frappe dans les sillons les socs
Et voici que claire, bourrue,
Despotique, la voix des coqs
Proclamant l’heure froide et grise
Du pain mangé sans faim, des yeux
Frottés que flagelle la bise
Et du grincement des moyeux,
Fait sortir des toits la fumée,
Aboyer les chiens en fureur,
Et par la pente accoutumée
Descendre le lourd laboureur,
Tandis qu’un chœur de cloches dures,
Dans le grandissement du jour,
Monte, aubade franche d’injures,
À l’adresse du Dieu d’amour !