Ils sont venus hier.
Les policiers. Ils sont arrivés dans la soirée, alors que tu venais de rentrer, au moment où tu étais le plus vulnérable.
Tu as ouvert la porte, et ils étaient là. Une inspectrice et deux agents. Était-ce de simples agents ? Ou s’étaient-ils présentés autrement ?
L’inspectrice t’a fait son laïus. Elle le connaissait sur le bout des doigts. La routine.
Sincèrement désolés. Enquête de voisinage. On voudrait jeter un coup d’œil dans le coin. Rien ne vous incrimine, mais on doit être minutieux. Bien sûr, vous comprenez. Dans une enquête comme ça, on retourne le moindre caillou.
Tu n’as pas vu la fille depuis le déjeuner. Et si elle se réveillait et criait ? Tu as envisagé de les envoyer chercher une commission rogatoire, mais cela aurait éveillé les soupçons sur toi, leur aurait donné l’impression que tu as quelque chose à cacher. Ils seraient revenus avec leur papier et une bonne raison de tout mettre sens dessus dessous.
Donc tu as dû les faire entrer. Prendre un risque. Faire confiance à tes plans – car tu en avais aussi pour ce cas précis. Bien sûr que tu en avais.
Pas de problème, entrez, as-tu dit. Je viens de rentrer du travail, j’allais mettre la bouilloire à chauffer. J’ai un boulot qui donne soif. Vous voulez une tasse ?
Tu essayais de gagner du temps. Les garder à la cuisine pendant quelques minutes. Peut-être aurais-tu pu prétexter n’importe quoi pour t’esquiver – besoin de te changer, par exemple –, afin de vérifier qu’elle dormait toujours. Dans le cas contraire, tu les aurais envoyés sur les roses. Il leur aurait fallu du temps pour avoir leur commission rogatoire. Temps durant lequel tu te serais débarrassé de la fille.
Dieu merci, la maison d’un Anglais est toujours son château.
Ça n’a pas marché. Ils ont refusé le thé.
C’est très aimable à vous, mais non, merci. On va se mettre au travail. On a pas mal de gens à voir.
OK. Mais ça ne vous dérange pas si j’en prends ?
Il te fallait quelque chose pour t’occuper les mains. Tu ne craignais pas de montrer ta nervosité – ton contrôle de fer était l’une des qualités qui te distinguaient des autres –, mais il n’était pas inutile de rester en mouvement, histoire de disperser l’énergie nerveuse.
Pas trop non plus, tu risquerais de te trahir.
Ils sont restés longtemps. Tu les as entendus à l’étage, dans le grenier, dans le garage. Ils ont piétiné ta pelouse, visité ton abri de jardin, fait le tour de la propriété.
La fille n’est passée par aucun de ces endroits. Les deux seuls lieux où elle a mis les pieds sont le garage de tes voisins, qu’ils n’ont pas vérifié, et sa cachette.
Qui est une bonne cachette. Elle a tenu en échec pas mal de monde au cours des siècles écoulés, et tu entends que ça continue.
À condition que la fille demeure silencieuse.
C’était exaspérant. Elle aurait pu se réveiller n’importe quand, et tu ne pouvais rien y faire. Même quand ils étaient dans le jardin, tu ne pouvais pas agir sans prendre le risque qu’ils entrent dans la maison et te surprennent.
À un moment ils s’étaient trouvés dans la pièce où elle était cachée, à moins d’un mètre d’elle.
Un mètre. Cent petits centimètres entre un désastre et un triomphe.
Tu n’avais jamais été si près du premier. Et tu n’avais aucune envie de t’en approcher davantage.
Puis ils sont partis dans une autre pièce.
Quand ils ont eu terminé, l’inspectrice t’a dit merci.
Les voisins ne sont pas là ? a-t-elle demandé.
Tu as secoué la tête.
Quelque part à l’étranger, je crois. Peut-être en Écosse. Il me semble qu’ils ont évoqué les Highlands. Je ne les vois pas beaucoup.
Hum… Eh bien, merci. Et encore toutes nos excuses pour le dérangement.
Aucun problème. Si je peux aider. Quelle situation tragique.
Et ils étaient partis, sans savoir à quel point ils avaient été proches. Vingt minutes plus tard, la fille remuait et commençait à revenir à elle, à marmonner toute seule.
Ça devient trop risqué. Il te faut agir. Tu as pris la décision.
Demain. Demain tu utilises la fille. Demain matin.
— Dis-lui de ne pas se donner cette peine.
Julia s’arrêta en bas de l’escalier. Elle entendait clairement la voix de sa belle-mère par la porte du salon entrouverte. Edna parlait d’un ton hypocrite et moralisateur, à mi-chemin entre colère distante et Mater dolorosa. Julia supposa qu’il était question de Simon.
— Il veut juste passer, plaida Brian. Voir comment vont les choses.
— Alors c’est moi qui sors. C’est ton choix, Brian. Ma position est sans ambiguïté. Je ne veux pas le voir. Pas après ce que lui et sa femme m’ont fait.
— C’était il y a longtemps, Mère. Ne serait-il pas temps de passer à autre chose ? Après tout, il est venu, et de si loin.
En tant qu’avocate du droit matrimonial, Julia avait à peu près tout vu en matière de faiblesse et de bêtise humaines qui détruisaient les familles : l’alcool, la drogue, le viol conjugal, le jeu, la négligence, l’indifférence, l’infidélité. Souvent le divorce n’était que l’aboutissement d’une longue période de conflit et de douleur causée par un ou plusieurs de ces vices. Et, tout aussi souvent, cette période prélevait son dû sur tous les membres de la famille, surtout les enfants, qui tendaient à réagir de deux façons distinctes : battre en retraite et tenter d’ignorer ce qui était en train d’arriver, ou jouer le rôle du juge de paix.
Simon avait choisi la première option, Brian la seconde. Et il continuait de tenir son rôle.
— On dirait que tu ne comprends pas, répondit Edna. Longtemps ou pas, venu de loin ou pas, je m’en fiche. Il a fait son choix, Brian, et il doit l’assumer. N’oublie pas qu’il t’a abandonné, toi aussi. Tout comme ton père. Seule moi suis restée, Brian. Donc si tu penses qu’il est approprié de faire passer Simon avant moi, vas-y. Accueille-le comme le bon grand frère qu’il est. Mais sans moi. Et je me souviendrai de ton choix.
Julia entendit le bruit d’un verre ou d’un mug qu’on reposait sur la table basse, probablement Edna qui s’apprêtait à partir. Ne voulant pas se faire pincer à espionner, elle traversa l’entrée et alla patienter dans la salle à manger.
Une minute plus tard, Edna claquait la porte d’entrée derrière elle.
Julia entendit le son étouffé de la voix de Brian dans le salon. Elle retourna à son poste d’observation. Brian, debout près de la fenêtre, parlait dans son téléphone.
— Mieux vaut que tu ne te déplaces pas, dit-il. Mère vient de partir, mais elle va bientôt rentrer.
Il y eut un silence, pendant que Simon parlait.
— Ça ne se passe pas comme ça. (Brian avait haussé le ton.) Je suis d’accord avec elle. Pendant des années, c’est à peine si tu m’envoies un mot, et maintenant tu veux que je foute en l’air ma relation avec elle juste pour te faire plaisir ? Pas question, Simon. Pas question.
Un autre silence.
— Elle ne me manipule pas ! Elle s’est montrée parfaitement raisonnable.
Julia secoua la tête. Bien sûr qu’elle le manipulait, et pas seulement en refusant de voir Simon. Edna savait que Simon l’accuserait d’être faible et influençable ; elle savait que Brian prendrait sa défense, et que les frères se disputeraient, ce qui renforcerait la dépendance de Brian à son égard. Quelle garce !
Elle poussa la porte et entra dans la pièce. Brian se retourna vers elle.
— Je dois y aller. Au revoir, Simon.
Il raccrocha, posa le téléphone sur le rebord de la fenêtre et planta ses yeux dans ceux de Julia.
— Quoi ? demanda-t-il. Pourquoi tu me regardes comme ça ?
Elle sourit. Elle comprenait beaucoup mieux Brian maintenant, et ses sentiments s’en trouvaient modifiés. Elle se sentait désolée pour lui ; elle aurait voulu savoir ce qu’il avait traversé bien plus tôt. Ça n’aurait sans doute rien changé – elle serait quand même tombée amoureuse de lui, et très certainement aurait-elle cessé de l’aimer, car ce ne sont pas là des choses que l’on peut contrôler –, mais cela lui aurait donné le confort de savoir que l’échec de leur mariage n’était pas sa faute à elle. Brian était endommagé, et c’est cela qui les avait éloignés l’un de l’autre, pas elle.
— Je sors, répliqua-t-elle. J’ai quelque chose à faire.
Le quelque chose en question était une visite à son beau-frère. Elle ne le connaissait pas bien, pouvait difficilement le compter parmi ses amis, mais elle voulait lui parler. Elle voulait comprendre ce qu’il s’était passé de si terrible avec Edna.
Elle l’appela à son hôtel. Elle eut de la chance de l’avoir : il partait pour Londres voir un vieux copain, mais il accepta de boire un café avec elle à la gare.
Ils avaient pris place sur un banc du quai no 2, chacun avec sa tasse en polystyrène. Simon déballa un œuf écossais, dont il froissa le papier et le mit dans la poche de sa veste.
— La vache, ces trucs sont infects. Je ne sais pas pourquoi j’en ai acheté. Souvenirs d’enfance, je suppose. Papa avait l’habitude de nous en offrir quand il nous emmenait à Londres par le train.
— Vous y alliez souvent ?
— De temps en temps. On prenait l’Intercity 125 sur ce même quai.
Julia accrocha l’œil de Simon.
— Où penses-tu qu’il soit parti ?
Il interrompit sa mastication. Pendant un instant, il ressembla à l’adolescent qu’il avait dû être, perdu et en colère. Puis il haussa les épaules.
— Sais pas. Mais si je devais deviner, je dirais l’Italie. Il adorait ce pays. Toujours à s’extasier sur la qualité de vie, le sens des priorités des Italiens, leur philosophie. Edna n’était pas d’accord, évidemment. À ses yeux, c’était un peuple paresseux et malhonnête, au point qu’elle a fini par refuser de partir en vacances là-bas quand j’ai eu environ treize ans. Après quoi nous sommes allés en Écosse nous baigner dans une mer glaciale et nous faire dévorer par les moucherons. Nul à chier, mais parfait pour se forger le caractère, selon notre chère Mère. Donc il vit probablement sur une plage de Toscane sous un faux nom. C’est le genre de choses qui ne pose pas de problème en Italie.
— Il est parti pourquoi, d’après toi ?
— Et d’après toi ? rétorqua Simon. Tu as rencontré Mère. Peut-être qu’ils ont été heureux à une époque, mais au bout d’un moment ils ont commencé à se haïr. Si elle le veut, Edna peut faire de ta vie un enfer. Mon hypothèse, c’est qu’il a refusé de signer pour trente ans de plus, donc il a mis les voiles.
— Ça te travaille, qu’il ne vous ait jamais contactés ?
— Oui. Surtout depuis que je suis père moi-même. Bon, il a fait ce qu’il avait à faire.
— Mon hypothèse à moi, c’est qu’Edna l’a laissé partir en paix à condition qu’il accepte de ne plus jamais vous voir, Brian et toi. Ce qui a dû lui paraître très tentant.
— Tu sais quoi ? Je n’avais jamais pensé à ça. Tu as sans doute vu juste. Une raison de plus de haïr Mère, je suppose.
— C’est pour ça que tu es parti ? Parce que tu la détestes ?
Il eut un petit rire triste.
— C’est pour ça que tu voulais me voir ? Pour me poser cette question ?
— Entre autres choses, comme te dire au revoir. Mais surtout pour ça.
— Bon. Mère a pris Laura en grippe dès le départ. Elle la trouvait nombriliste, effrontée et totalement américaine. Tout ce qui me plaisait chez elle. Quand notre relation est devenue sérieuse, Edna a décidé qu’elle devait prendre les choses en main. C’est son truc, tu as dû t’en apercevoir. Mais tu sais ce qu’on dit… L’enfer est pavé de bonnes intentions. Chez elle, ça part toujours d’un bon sentiment. Le problème, c’est qu’elle est incapable de comprendre que son opinion n’est pas la seule qui compte. Et elle ne s’arrêtera pas tant que les choses n’iront pas dans le sens qu’elle souhaite, ce qui est toujours justifié puisqu’elle a toujours raison.
— C’est l’un de ses traits les moins attachants.
— Quoi qu’il en soit, à l’époque – les enfants étaient encore bébés –, on logeait chez Mère. Papa était parti depuis environ un an. Laura était sortie courir, et Mère m’a pris entre quatre yeux dans la cuisine. Elle voulait avoir une petite discussion, à propos de Laura. Qui, disait-elle, voyait un autre homme, un Américain. Elle avait entendu Laura lui parler au téléphone. Les détails n’étaient pas clairs, mais il semblait évident que Laura prévoyait de divorcer, de prendre la moitié de l’argent que papa avait laissé en disparaissant et de retourner aux États-Unis pour vivre avec lui.
— Qu’est-ce que tu as fait ? Tu en as parlé à Laura ?
— Le truc, c’est que sa famille avait des problèmes d’argent, ce qui semblait aller dans le sens de cette hypothèse. En plus, quand j’ai rencontré Laura, elle était fiancée, et, comme le soulignait Mère : infidèle un jour, infidèle toujours.
Pareil que pour mon aventure avec Chris, se dit Julia. Edna aime s’assurer que les gens n’oublient pas leurs erreurs.
— Et donc, tu lui en as parlé ?
— Je n’ai pas eu besoin de le faire. Laura était revenue plus tôt à cause d’une douleur au genou, elle avait tout entendu. Elle a été géniale. Elle est entrée dans la cuisine, a décoché un grand sourire à Edna, l’a remerciée de nous donner une raison de partir, puis elle m’a dit qu’elle avait changé nos billets de train – on vivait à Londres à l’époque – et qu’elle allait immédiatement commencer à chercher un travail de l’autre côté de l’Atlantique. Et nous sommes partis.
— N’y a-t-il pas eu une grosse dispute ? Edna l’a mentionnée.
— Oh si, mais plus tard, quand Edna a découvert que Laura avait raconté ce qu’il s’était passé à tout le monde. Elle a sauté au plafond. (Simon sourit.) Laura lui a fait remarquer que, si elle ne voulait pas que les gens le sachent, elle avait qu’à ne pas le faire. Je m’en souviens clairement. Laura debout, le téléphone à la main, agitant le doigt comme si Edna était devant elle. Ne faites pas des choses dont vous pourriez avoir honte, Edna. Elle était magnifique.
— Et donc, vous êtes partis ?
— Oui. Jusqu’à Seattle. La meilleure décision de ma vie. C’est ma mère, Julia, donc je ne dis pas ça de gaieté de cœur, mais la vie est juste beaucoup mieux quand elle n’est pas dans le coin. Tout ce qu’elle apporte, c’est de la tension et de l’exaspération.
— Je le sais. J’aurais tant aimé que Brian ait été capable de faire le même bond en avant.
— Peut-être que ça arrivera. Je l’espère. Et je l’accueillerai à bras ouverts s’il le faisait. Dis-le-lui, si tu en as l’occasion.
— J’essaierai.
L’entrée en gare du train à destination d’Euston, départ à 14 h 05, fut annoncée par le haut-parleur. Simon se leva et lui tendit la main.
— Bonne chance. Pour tout, mais surtout pour Anna.
Alors que le train démarrait, Julia se rendit compte qu’elle avait les joues humides de larmes.
Quand elle arriva chez elle, Brian l’attendait dans le salon.
— Il faut qu’on parle, lui dit-il. À propos de nous. De notre mariage.
— Très bien. Qu’y a-t-il ?
— C’est terminé.
Il ne fit aucun effort pour atténuer la dureté de ses propos. Il semblait même prendre plaisir à cette brusquerie.
— Je déménage, reprit-il. Mère a suggéré que j’aille habiter chez elle.
C’était tellement lui. Retourner vivre chez sa maman à son âge. Il y resterait jusqu’à ce qu’elle passe l’arme à gauche, et alors il serait totalement incapable de prendre soin de lui. Edna adorerait ça. Ce retour aux commandes. Julia ne pouvait pas blâmer Brian, cependant. Elle repensa aux explications de Simon, comment Edna avait tenté de détruire sa relation avec Laura, et comment elle avait presque réussi. Ce n’était que parce qu’il avait été témoin de sa perfidie qu’il avait pris conscience de ce qu’elle faisait. Brian, lui, ne l’avait pas vu de ses yeux, et par conséquent n’avait pas été capable de se dégager de l’attraction gravitationnelle de sa mère.
— Ça ne m’étonne pas, répliqua Julia. Mais…
Brian l’interrompit.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Quoi ?
— Ce sarcasme, « ça ne m’étonne pas » ?
— Rien. (Julia ne voulait pas d’une autre dispute, pas maintenant.) Rien du tout.
— Ça voulait bien dire quelque chose. Alors quoi ?
Puisqu’il y tenait…
— Ça voulait dire que je ne suis pas surprise que ta mère veuille que son petit garçon revienne là où elle peut garder un œil sur lui et le protéger du monde cruel. Simon a réussi à s’échapper, pas toi. Mais ça me va. Tu as raison : notre mariage est terminé. D’ailleurs, si je me souviens bien, j’ai été la première à en faire le constat. Si c’est le moment que tu as choisi pour formaliser la chose, très bien. Va voir maman. J’espère que vous vieillirez heureux ensemble.
— Tu sais quoi ? Tu es une salope, Julia. Une vraie salope. Qu’est-ce que Mère t’a fait, sinon nous aider et nous soutenir ? Et tout ce que tu trouves à faire, c’est la critiquer. C’est une bonne mère. Elle ne m’a jamais oublié à l’école.
— Je ne vois pas comment elle aurait pu faire, puisqu’elle t’a envoyé à l’internat pour que d’autres puissent prendre soin de toi.
Julia fit un geste conciliant de la main. Se disputer n’avait aucun sens. D’autant moins qu’elle se fichait que Brian s’en aille au bout du compte. Mais ce n’était pas le moment.
— Tu feras bien ce que tu veux, poursuivit-elle. Mais pas maintenant. Si Anna revient, nous devons être là tous les deux, au moins pendant un moment. Et puis il y a la presse. Ils s’en donneraient à cœur joie.
— J’emmerde la presse. C’est ton problème. Et si Anna revient, je me fous que nous soyons ensemble ou non. Je serai trop occupé à être heureux. (Il regarda ses genoux.) Mais je vais te dire une chose, Julia. Elle ne reviendra pas. J’ai lu beaucoup, parlé à des experts. Si un enfant kidnappé n’est pas retrouvé dans les premières vingt-quatre heures, les chances de le revoir un jour sont insignifiantes. Elle est partie, Julia, partie.
Julia savait qu’il avait passé des heures sur Internet, à lire la littérature disponible sur les enlèvements, à écumer les chat rooms, à parler à de soi-disant experts. C’était sa façon de gérer la situation, une méthode pour se convaincre qu’il agissait, qu’il trouvait des réponses. Cela lui avait aussi permis de se faire à l’idée : en se convainquant qu’elle était définitivement perdue, il pouvait commencer à faire son deuil. Il ne commettait pas la même erreur que Julia, celle d’espérer.
— Peut-être qu’elle va bien, objecta-t-elle. Peut-être. Et elle a besoin de nous deux.
— Crois ça si tu veux, moi non.
— Donc ça y est ? Tu déménages ?
— Ce soir. Je viendrai chercher mes affaires plus tard. On parlera de ce qu’on fait de la maison, de l’argent et tout le reste à ce moment-là.
Julia décida de faire une dernière tentative. Peu lui importait que Brian s’en aille – elle savait aussi bien que lui que leur relation était morte –, mais elle ne voulait pas que cela arrive précisément maintenant. Déjà, elle ne souhaitait pas se retrouver seule à la maison. Plutôt Brian que personne.
— Est-ce qu’on peut attendre ? Ne serait-ce qu’une semaine ?
— Non. C’est impossible. Et la raison en est simple Julia : je ne supporte plus de te voir, de me trouver dans la même pièce que toi, d’entendre tes pas, de savoir que j’occupe la même maison que la femme qui a ruiné ma vie. À partir de maintenant, je me fous de ce qui peut t’arriver, Julia. Je vais seulement m’occuper de moi.
Alors il se leva et gagna l’entrée. Julia l’entendit prendre ses clés de voiture et ouvrir la porte, entendit un instant les déclencheurs et les questions criées avant qu’elle ne se referme. Il était parti.
Elle s’adossa dans son fauteuil. La pièce était silencieuse. Le même silence qu’elle avait connu chaque fois qu’elle se trouvait seule chez elle, mais cette fois il paraissait différent.
Cette fois il semblait qu’il ne prendrait plus jamais fin.