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La Cour des miracles

(Alice Guy, 1902)

C'était un face-à-face étrange, une bataille pour rire : dans un terrain vague de carton-pâte, une rangée de policiers en uniforme brandissaient haut leurs matraques tandis que des voyous cagoulés zébraient l'air de leurs couteaux menaçants. Un début d'incendie embrasait cette cour des miracles et jetait des lueurs rougeoyantes sur les ferrailles et les madriers soigneusement disposés. Derrière, occultant les verrières, une immense toile peinte dessinait des gratte-ciel en noir et blanc. De la fumée s'échappait de plusieurs tonneaux et un soufflet électrique faisait voleter des débris divers, papier ou poussière. Deux caméras filmaient l'action de près, l'une tournée vers les Maudits, l'autre vers les forces de l'ordre. Une troisième saisissait la scène en plan large et, pour éviter que les deux autres n'apparaissent à l'image, de faux rochers creux faisaient paravent. Le phonographe lançait à tue-tête des accords wagnériens auxquels répondaient les grognements de l'un des protagonistes. Jean-Jean, d'après la silhouette. Soudain, Mentola se mit à hurler dans son porte-voix :

— Attention... deux-trois... c'est parti ! Comme à la répétition, allez ! Du nerf !

Les deux lignes d'adversaires foncèrent l'une sur l'autre, mais au lieu d'une empoignade furieuse, ce fut une chorégraphie où les combattants se mêlaient tels des danseurs, mimant la violence des coups, la rage de les donner, la douleur de les recevoir. Le réalisateur les encourageait de la voix, exhortant les uns à rouler par terre, les autres à lever plus férocement leurs armes.

— Tu dois poignarder, Jean-Jean, d'accord ? Pas chatouiller. Et à gauche, là-bas, la tête sur la poutre, s'il vous plaît !

Tout cela au milieu des ahanements, du froissement des corps et des accents guerriers des Walkyries.

— Vaudrait mieux faire le tour par-dehors, suggéra Robert, M. Mentola aimera pas si on entre dans le champ.

Précédés par le concierge en livrée – une curiosité, décidément –, François et Mortier redescendirent vers la cour où ils aperçurent dans le vaste hangar les menuisiers chargés des décors qui s'affairaient autour d'un avion en bois et d'un gibet plus vrai que nature.

— C'est pour l'épisode d'après, les renseigna Robert. Paraît que les Maudits se font arrêter et qu'on leur passe la corde au cou. Pas trop tôt, si vous voulez mon avis.

Ils longèrent l'assemblage de cubes d'acier et de verre où se déroulait le tournage jusqu'à atteindre une deuxième issue que le concierge ouvrit avec les clés de son trousseau. Au fur et à mesure qu'ils montaient l'escalier métallique, les échos wagnériens et les ordres criés par Mentola se faisaient plus distincts.

— Y en a pour la fin d'après-midi, je pense, estima Robert. Surtout qu'après, y a les poursuites. Venez, c'est plus loin.

Ils continuèrent jusqu'à la pièce réservée au visionnage : un grand projecteur installé en hauteur sur une estrade, une vingtaine de fauteuils au pied d'un écran de quatre mètres sur trois environ, de la peinture sombre sur les murs.

— Y a pas de projectionniste ? s'enquit Mortier.

— Vous inquiétez pas, le rassura le concierge, ça fait dix ans que je travaille dans les studios, je connais le métier ! Allez-y, faites comme chez vous, la séance est gratuite.

Pendant qu'il manipulait l'appareil, les policiers prirent place sur les sièges du milieu.

— Tu espères trouver quoi ? murmura Mortier.

— Aucune idée. Rien, qui sait ? En même temps, il y avait bien ce clochard à la fin de l'épisode 5. On aura peut-être d'autres surprises.

L'obscurité se fit et Robert sortit en précisant qu'il reviendrait pour le changement de bobine. Stoïquement, les deux policiers entamèrent leur marathon : sept films des Maudits, plus de trois heures de meurtres, de poursuites, de rictus grimaçants, d'œillades enamourées, de caves et de repaires sordides, de coffres de banque dévalisés, de voitures attaquées, de bureau de détective enfumé et de buildings en arrière-plan. Victime de la conjonction redoutable blanquette-terrine de sanglier, Adrien rendit les armes au milieu du troisième métrage, ses soupirs s'ajoutant au concert étouffé qui parvenait du plateau. Sans autre musique d'accompagnement, il fallait reconnaître que le spectacle perdait en intensité. Ou bien était-ce la répétition des scènes et des attitudes qui soulignait le côté mécanique de l'histoire ? Au total, seul l'épisode 7 captiva vraiment François. Pour avoir assisté au tournage de certaines scènes, il devait admettre que l'écart entre ce qu'il avait vu et le rendu final était très en faveur de ce dernier. Ce qui lui avait semblé un décor un peu factice de métropolitain donnait à l'écran une impression saisissante de réalité : le wagon transportant les caisses d'or déraillait littéralement sous le nez du spectateur et la fusillade qui suivait au milieu des flammes n'avait plus rien d'une pâle imitation. Idem pour l'assassinat du renégat de la bande – Nestor Châtelet, parfait en traître démasqué – qui avait quelque chose d'un sacrifice véritable, le quadrille mortel qu'exécutaient ensuite les Maudits prenant une dimension tragique. La magie du cinéma...

— Alors ? demanda Adrien en s'étirant lorsque le concierge ralluma la lumière. Je crois que j'ai perdu le fil.

— Rien de neuf, hélas. Hormis Jean-Jean en clochard à deux ou trois reprises.

— Tu en déduis quoi ?

— Qu'on n'est pas au bout de nos peines.

— Pardon de vous interrompre, messieurs, fit Robert qui les attendait sur le pas de porte, y a le patron qui veut vous parler.

— Le patron ?

— M. Valfandier. Il est arrivé y a un moment, il se trouve avec M. Mentola.

Ils rejoignirent le plateau, sans faire cette fois de détour par l'extérieur. La nuit était tombée et des chariots de projecteurs supplémentaires éclairaient la scène à chaque extrémité. Les comédiens devaient prendre une pause quelque part, car si la cour des miracles servait toujours de décor, elle était désertée. Près de la caméra centrale, Mentola et ses assistants discutaient avec deux personnes de dos : Gustave Valfandier et une femme qui portait une cape en fourrure sur les épaules.

— Sa nouvelle poule, tu crois ? chuchota Mortier.

Mentola esquissa un geste dans leur direction et le grand manitou de Lighthouse se tourna vers eux :

— L'élite de la police française ! ironisa-t-il. Ça y est, vous avez vos preuves ? Je suis définitivement coupable ?

François s'apprêtait à lui répondre qu'il avait le mandat d'arrêt dans sa poche, quand la jeune personne à la cape se tourna à son tour. Adèle... Élégamment vêtue d'une robe drapée en satin mauve, que serrait à la taille un gros nœud violet. Belle, le mollet fin sur ses chaussures à talon, sa poitrine menue soulignée par la fluidité et la chaleur du tissu, ses cheveux blond cendré soigneusement tirés sous un chapeau en forme de tricorne, le teint éclatant, plus mûre, plus femme. François resta coi tandis qu'elle le dévisageait de ses yeux bleus immenses.

— Permettez-moi de vous présenter ma belle-fille, déclara civilement Valfandier. Elle, au moins, vous ne pourrez pas l'accuser : elle est l'innocence même.

L'intéressée ne cilla pas sous le compliment et seul Adrien, qui perçut le trouble de son partenaire, s'empressa de la saluer.

— Madame...

Quant à François, il eut comme une éclipse. Au lieu de la grande pièce que couvrait la nuit des verrières, au lieu des lampes à arc et des artifices du décor, il se retrouva au dernier étage d'une école Pigier où se donnaient des cours pour les futurs instituteurs. Adèle était sagement penchée sur son pupitre, sa plume courant au-dessus de sa feuille. Il y avait dans ses manières quelque chose de doux et d'infiniment rêveur, un air de princesse égarée loin de son conte de fées. Il avait fallu une dizaine de séances à François pour oser lui adresser la parole. Il se souvenait de leur premier rendez-vous dans un café près de la gare Saint-Lazare, des silences et des sourires à la dérobée, des frôlements maladroits, de leur premier baiser près de la tour Eiffel, du soir où elle avait accepté qu'il la raccompagne, de l'émerveillement de se découvrir dans les bras l'un de l'autre, du sentiment nouveau qui...

— Eh, Simon, l'apostropha Mortier, tu es avec nous ?

— Pardon ? lâcha François, arraché à ses songes.

— On nous propose une plongée dans le cinéma de demain, ça te tente ?

Tous le regardaient. Combien de temps s'était-il écoulé ?

— Je... oui, acquiesça-t-il au hasard.

— Tant mieux ! Vous allez comprendre pourquoi Lighthouse rayonnera bientôt sur les écrans du globe, se rengorgea Valfandier.

L'homme d'affaires se dirigea vers le fond de la salle, entraînant sa belle-fille et les policiers à sa suite.

— Le Pr Grenier est là aujourd'hui, ajouta-t-il, nous sommes venus constater ses progrès. Cet homme est une sommité, vous savez. D'un abord imprévisible, mais excellent pédagogue. D'ailleurs, il enseigne aux Arts et Métiers.

Valfandier les conduisit au-delà du plateau jusqu'à la construction en bois dont l'assemblage était désormais achevé : une sorte de chalet au toit plat dont les murs n'étaient percés que de deux minces lucarnes par lesquelles filtrait une lumière intense.

— Ce n'est qu'un prototype, expliqua Valfandier, si le procédé fonctionne, nous verrons plus grand.

Il caressa l'une des planches vernissées sous la meurtrière avant de préciser :

— Entièrement insonorisé. Vous verrez, on se croirait sous l'eau.

Ils pénétrèrent dans le laboratoire du futur où la température était supérieure d'au moins quatre ou cinq degrés. La faute aux projecteurs fixés au plafond qui éclairaient la petite scène sur laquelle on débouchait en entrant. Une fois la porte refermée, plus aucun bruit n'arrivait de l'extérieur et, avec ses parois d'un blanc nacré, on aurait pu se croire dans une sorte de coquillage douillet. Sinon qu'en fait de mollusque, il y avait au centre une étrange cabine à roues posée sur des rails. Elle était munie d'un hublot – derrière lequel on devinait l'œil noir d'un objectif – et coiffée d'un large pavillon de phonographe au sommet. Une guérite mobile de cheminot pour annoncer les trains ?

— Professeur ? appela Valfandier.

Un bougonnement lui répondit. Ils firent le tour de l'inattendue roulotte cinématographique et François se retrouva tout contre Adèle. Il eut un nouveau choc : elle portait le même parfum, « Ambre antique » de Coty, une fragrance orientale dont il s'était enivré si souvent au contact de sa peau. Il revoyait même avec une précision diabolique la femme en toge sur le flacon.

— Ça ne va pas, Grenier ? lança le patron de la Cinépolis en découvrant l'arrière de la cabine.

Le scientifique était assis à l'intérieur, sur un tabouret, l'air pensif. Il avait superbement la tête de l'emploi : le front dégarni, une couronne de cheveux épars au bas du crâne, une barbichette en pointe et des lorgnons avec lesquels il se tapotait la joue. Il considérait la grosse caméra près de lui, d'un modèle plus massif que celles utilisées sur le plateau. Le corps de l'appareil était désossé et l'on apercevait un enchevêtrement de fils, de lampes allumées ou éteintes, de cadrans, de boutons...

— Je réfléchis, trancha-t-il.

— Ah..., fit Valfandier, décontenancé. Il y a un problème ?

— Que croyez-vous, cher ami ? Il n'y a que des problèmes. Mais quelque part, il y a les solutions. Donc, je réfléchis.

— Nous avons là quelques invités, tenta de l'amadouer Valfandier. Accepteriez-vous de vous distraire une ou deux minutes pour nous exposer le projet ?

Grenier pivota sur son siège avec une étonnante vivacité et, après avoir chaussé ses verres, jeta un œil au groupe. Il dut trouver Adèle à son goût car il caressa sa barbichette avec satisfaction. Son employeur, en revanche, ne semblait pas l'impressionner pour un sou.

— Mademoiselle..., commença-t-il.

— Madame, rectifia-t-elle.

— Tant mieux, vous en remontrerez bientôt à votre mari... Mais, si vous permettez d'abord, une question : selon vous, que manque-t-il encore au cinéma d'aujourd'hui ?

— Spontanément, je répondrais la couleur, cher monsieur, déclara-t-elle sans hésiter. Mais vous préféreriez sans doute que je vous dise le son.

— Brillant ! Nous sommes faits pour nous entendre ! Le son, oui... Et la plupart des gens qui proposent des divertissements sonores se contentent de faux-semblants : ils enregistrent séparément l'image et le son puis les restituent ensemble en utilisant un projecteur couplé à un phonographe. Deux appareils donc, et deux supports distincts, la pellicule et le cylindre de cire. Avec tous les problèmes que cela engendre : le son se décale facilement et la durée d'un cylindre ne dépassant pas quelques minutes, elle réduit d'autant celle des films chantés ou parlants. Mais grâce à ceci, déclara-t-il en montrant sa caméra, nous allons tout changer.

Il savoura son effet tandis que François guettait la réaction d'Adèle. Impassible...

— Notre idée est de graver le son directement sur la pellicule, à côté de l'image, ne put s'empêcher de dévoiler Valfandier. Ainsi, il n'y aurait plus qu'un seul support, aussi bien pour filmer que pour projeter. Vous imaginez les perspectives ? Des métrages de toutes les longueurs, plus d'obstacle de synchronisation... Un bond en avant aussi important que l'invention du cinématographe lui-même ! À condition que notre magicien réussisse son tour, évidemment.

— C'est œuvre d'alchimiste, admit Grenier sans fausse modestie. Car en somme il faut changer le son en électricité puis l'électricité en lumière. Lumière qui in fine imprimera la pellicule. Vous voyez ce fil qui descend du toit ? Il est relié au pavillon au-dessus de la cabine. Qui lui-même enregistre les bruits ambiants de la scène et, grâce au microphone auquel je l'ai associé, transforme l'intensité du son en intensité électrique. Les ondes acoustiques font vibrer sa membrane interne qui à son tour anime une bobine de cuivre combinée à un aimant. Selon le mouvement de la membrane – et donc les variations du son – le dispositif délivre une impulsion électrique plus ou moins forte. Et voilà le son devenu courant... Courant qui arrive ensuite jusqu'à l'instrument que vous voyez là.

Il désignait, au cœur de la caméra, un cadran gradué avec une aiguille, lui-même relié à un genre de miroir de poche à la verticale.

— Il s'agit d'un galvanomètre, expliqua-t-il, qui sert à mesurer le voltage. En fonction de l'intensité électrique reçue, l'aiguille oscille vers la droite et entraîne l'axe du miroir que j'ai monté en dérivation. Plus l'impulsion électrique est forte, plus l'aiguille se déplace, obligeant le miroir à s'incliner davantage. En théorie, ça donne ceci...

Il actionna un interrupteur, allumant à l'intérieur de la caméra une ampoule dont la lumière était focalisée par une série de lentilles vers le miroir. Grenier fit bouger ce dernier sur son axe : le faisceau lumineux, plus ou moins large selon la position du réflecteur, éclairait la pellicule qui passait juste en dessous.

— Tout se joue sur la partie gauche du négatif, précisa-t-il, ce que j'appelle la « piste-son ». Plus le miroir est incliné, plus la piste-son reçoit de lumière et se trouve sensibilisée. Comme la pellicule défile au fur et à mesure que la caméra tourne et que par ailleurs l'angle du miroir varie, on obtient un tracé qui rend compte des modulations du son enregistré. Tracé qui ne se révèle qu'après développement, bien sûr, comme pour les images. J'ai rapporté un essai du laboratoire, je vais vous montrer.

Il ouvrit la serviette à ses pieds et en sortit un morceau de film perforé : si la partie droite était vierge, on voyait en effet se dessiner sur la moitié gauche une succession de pics et de creux sombres, comme une courbe coloriée en noir, fruit de l'exposition à la lumière.

Mortier ne cacha pas son incrédulité :

— Et... sauf votre respect, votre arabesque, là, c'est du son ? De la musique, des rires, des coups de feu ?

Le professeur eut une moue condescendante.

— Une fois reconstitué, bien sûr. Mais pour ce faire, il faut aussi un projecteur spécial, que je construis en parallèle. Avec une logique exactement inverse : transformer la lumière en courant puis le courant en son. L'idée générale est qu'en éclairant notre piste-son, on peut, par transparence, activer une cellule photoélectrique placée en dessous. Cellule qui délivre une impulsion proportionnelle à la lumière envoyée. Autrement dit, là où il y a beaucoup de noir sur le film développé, il y aura peu de lumière transmise à la cellule et donc un faible courant émis. En revanche, là où il y a moins de noir, la lumière passera davantage et le courant sera plus fort. Et ainsi de suite... Après quoi il suffit d'ajouter en bout de chaîne un haut-parleur qui, au contraire du microphone, convertit l'électricité en son. C'est lui qui permettra aux spectateurs d'entendre la musique enregistrée, les éclats de rire et les coups de feu. Et tout cela en même temps que seront projetées les images !

— Des images de taille réduite cependant, non ? observa François.

— Forcément, approuva Grenier. Dès lors que nous consacrons la moitié de la pellicule à la piste-son, la largeur des images s'en trouve raccourcie d'autant. Mais rien n'empêche de l'agrandir à nouveau. Cette pellicule-ci est une trente-cinq millimètres, la plus répandue. On peut très bien en fabriquer une autre de soixante-dix et récupérer le format original.

— Et ça fonctionne ? demanda Adèle.

— Si cela fonctionnait, chère madame, je me serais empressé de vous faire une démonstration.

— Mais ça ne saurait plus tarder, tout de même ? s'inquiéta Valfandier.

Le professeur eut un haussement de sourcils incertain :

— Une semaine, deux semaines, un mois... Ce qui importe, c'est la qualité finale, n'est-ce pas ? Si je me lançais aujourd'hui, le résultat serait médiocre, peut-être même inaudible. Faute d'amplification suffisante, en particulier. Je dois encore intégrer des triodes dans le circuit pour accentuer les signaux électriques que produisent les sons. Nous obtiendrons ainsi des effets plus fidèles. Je dois aussi m'assurer que l'enregistrement du son optique et celui des images ne se chevauchent pas. Et puis il y a mon projecteur qui n'est pas tout à fait au point. Sans lui, difficile de tester les modifications de la caméra... Or nous visons la perfection, n'est-ce pas, Valfandier ?

Le producteur hocha la tête, s'efforçant de ravaler son impatience.

— Et pourquoi mettre tout cet attirail dans un wagon ? s'étonna Adrien.

— Notre caméra n'est pas silencieuse, exposa Grenier. Le caisson qui l'entoure permet de l'isoler et de ne pas parasiter la prise de son extérieure. D'autre part, en le posant sur un rail, le réalisateur peut choisir son plan sans avoir à tout démonter. Maintenant, messieurs-dames, conclut-il, je dois poursuivre mon travail ou bien notre mécène devra se morfondre jusqu'à l'année prochaine...

Le petit groupe sortit de l'étrange coquillage en bois, plongeant à nouveau dans l'atmosphère survoltée du plateau. Le tournage avait repris et les forces de l'ordre semblaient désormais l'emporter sur les bandits : plusieurs des Maudits étaient regroupés au milieu de la cour des miracles, mains attachées dans le dos et la cagoule en berne. Barnabé – dont François découvrait qu'il avait rejoint l'équipe de Lighthouse – se tenait aux côtés de Jean-Jean qu'il dépassait d'une tête, tandis que la cruelle Stela se débattait entre deux policiers.

— J'ai hâte de voir ce que ça donnera avec le son, souffla Mortier, pas vous ?

Valfandier allait renchérir quand des cris couvrant le tohu-bohu général montèrent de l'escalier. Le concierge déboula à l'étage, paniqué :

— Dans la cour ! Vite ! Je crois qu'il est mort !