18

La Peau de l'ours

(Léonce Perret, 1911)

Épisode 8

X. La Peau de l'ours

 

L'agent White est sur des charbons ardents. Depuis l'arrestation rocambolesque des Maudits, quelle effervescence au poste de police de la Cinquième Avenue ! On court partout, on se dévisage, on se soupçonne. Ce qu'on craint ? L'évasion des Maudits, bien sûr ! Combien de fois, alors qu'on pensait les tenir, n'ont-ils pas réussi à s'échapper ? Avec ce genre de lascars, se garder surtout de vendre la peau de l'ours ! Et voilà qu'à peine jetée dans le fourgon, cette sorcière de Stela fait une crise de dévotion. Elle exige un prêtre, elle souhaite se confesser, elle veut se repentir ! Après quoi, elle le promet, elle dira tout : le nom de ses complices encore en liberté ainsi que leurs cachettes. Et, cerise sur le gâteau, le lieu où elle a entreposé son butin. Si ça n'avait tenu qu'à lui, l'agent White l'aurait bâillonnée et jetée aux oubliettes ! Mais les chefs, eux, en ont décidé autrement. D'abord, on ne plaisante pas avec la religion. Ensuite, si cela peut permettre d'accélérer les recherches ! On a donc aménagé en urgence une pièce au sous-sol, avec deux chaises et une table couverte d'un drap pour ressembler à un autel. Une seule porte, aucune fenêtre, tout le bâtiment de police à traverser, rien d'imprévu ne peut se produire !

Pourtant, White n'est pas tranquille. Lui et Mortimer, l'autre planton de garde, échangent des coups d'œil inquiets. Il y a maintenant de drôles de bruits qui proviennent de la pièce. Ils hésitent à frapper et à interrompre le tête-à-tête. Le curé a été formel : comme n'importe quel enfant de Dieu, fût-il le pire des pécheurs, une criminelle a droit au secret de la confession. Faut-il avertir le détective Washington, alors ? Celui-ci s'occupe des interrogatoires à l'étage et il n'aime pas qu'on le dérange. De toute façon, que peut-il advenir ? Au milieu d'une forteresse remplie de policiers ?

Soudain, un coup sourd sur le verrou. Comme si quelqu'un cherchait à le casser. Il n'y a pas de clé à l'intérieur, mais sait-on jamais... Plus d'hésitation possible, il faut entrer !

— Mon père ! s'écrie White. Mon père, tout va bien ?

Il tente de tourner la poignée, sans succès. Il donne un coup d'épaule, un deuxième, toujours rien... Comprenant que son camarade n'y parviendra pas seul, Mortimer vole à son secours. Han ! Han ! Sous leurs efforts, la porte cède. Incroyable ! Ce qu'ils découvrent à l'intérieur dépasse l'imagination ! Le prêtre ! La prisonnière ! Dans un même réflexe, les deux agents portent la main à leur arme de service. Vlam ! Vlam ! Les détonations éclaboussent le silence. Dans un nuage de sang et de poussière, deux corps s'effondrent.

Cette fois, c'est le branle-bas de combat dans l'immeuble !

 

(Fin 8-X)

 

— Finalement, tu ne déjeunes pas, gamin ? questionna Adrien. Il va être une heure...

Mortier et les autres, emmitouflés dans leur cache-nez, s'apprêtaient à rejoindre le café du Marché aux Fleurs, se félicitant que le samedi soit le jour du bœuf bourguignon.

— Merci, je n'ai pas très faim, répondit François. Je dois terminer ça.

— C'est pas bon de jeûner, soupira son collègue, surtout par ce froid. Je te ramène une tartine de pâté et de la bière, ça te va ?

— Tu es un père pour moi.

— Mouais..., douta Adrien. Si tu étais vraiment mon fils, crois-moi, tu ne laisserais pas filer un bourguignon.

Le jeune homme attendit que la salle des inspecteurs se vide pour retourner à sa lecture. Dans la matinée, Fangor avait fait déposer un paquet au 36 : l'original des huit premiers volets du cinéroman des Maudits. Une cinquantaine de feuillets à l'encre noire, indiscutablement de la main d'Adèle. Le colis était accompagné d'un mot :

 

Aucune information précise sur l'auteur, qui ne s'est pas présenté lui-même au journal. Les chapitres ont été transmis directement par Lighthouse. La grève ayant retardé la publication, la deuxième moitié n'est attendue que la semaine prochaine. Surtout, n'hésitez pas à me joindre si vous avez du neuf. Votre dévoué,

Hippolyte Fangor.

P.-S. : Je compte offrir un pyjama à Jean qui en manque. Une idée pour la couleur ?

 

En lisant la dernière phrase, François n'avait pu s'empêcher de sourire. Tout en se demandant pourquoi il n'avait pas, lui, cette sollicitude...

 

Épisode 8

XI. Stupeur !

 

Le détective Washington dévale quatre à quatre les marches. Deux coups de feu ont retenti et le poste de police de la Cinquième Avenue est sens dessus dessous. Une rumeur court : malgré toutes les précautions, Stela, l'âme noire des Maudits, s'est échappée ! Washington écarte les agents qui lui barrent le passage et entre dans la salle de prière improvisée. Quelle vision ! Le prêtre est effondré sur sa chaise, la tête en arrière, le front en sang. Il semble inanimé. Plusieurs agents encerclent les corps de leurs deux collègues qui baignent dans une mare rouge face contre terre. Quant à la prisonnière, elle s'est purement et simplement volatilisée !

— Morts ! crie le sergent Barett. Deux balles en plein cœur ! Elle ne leur a laissé aucune chance !

Le détective lève soudain le bras pour imposer le silence.

— Plus un mot !

Le calme revient d'un coup et de légers soupirs se font entendre.

— Sous la table ! ordonne Washington.

Un policier s'élance et soulève le drap dont le meuble est recouvert. Stupeur ! Un gros sac ! Il est rapidement tiré au jour et la corde qui le noue défaite. Stupeur à nouveau ! Il y a une jeune femme blonde à l'intérieur !

— Maud ! hurle le détective en se précipitant à son secours.

Les yeux mi-clos, la malheureuse victime geint, inconsciente, simplement vêtue d'une chemise de nuit. Washington s'agenouille, anxieux, soulève délicatement le frêle visage et lui tapote les joues.

— Maud ! Réveillez-vous ! Vous êtes en sécurité ! Maud !

Après quelques secondes de ces bons soins, la jeune femme reprend ses esprits.

— Mon Dieu, mais... où suis-je ?

Washington lui passe sa veste autour des épaules et s'emploie à la rassurer. Puis il la questionne sur la manière dont elle s'est retrouvée dans le sac.

— Ils m'ont attaquée ! sanglote-t-elle. Ce matin, pendant que je faisais mes courses ! Ils m'ont attirée dans leur voiture et ils m'ont fait une piqûre. Et puis d'autres ensuite. Tenez...

Elle montre une zone rosée sur son bras.

— Après... après je ne me souviens de rien. À part ce mal de tête.

Elle se touche le front en grimaçant, au bord de s'évanouir à nouveau.

— Vous n'avez plus rien à craindre, murmure Washington en avisant un morceau de papier resté au fond du sac.

Discrètement, il y jette un œil :

 

La prochaine fois, je la tue.

S.

 

(Fin 8-XI)

 

François attrapa les ultimes feuillets avec une certaine impatience : il finissait par se prendre au jeu.

 

Épisode 8

XII. La confession d'un homme d'Église

 

L'émoi est à son comble dans la pièce aveugle d'où s'est échappée l'insaisissable Stela Dimus ! Deux policiers gisent dans leur sang et la douce Maud se remet tant bien que mal des émotions de son enlèvement. Appelé à la rescousse, le médecin du quartier tente de ranimer le prêtre, toujours inconscient, la tête renversée sur son siège.

— On l'a frappé violemment à la tempe, explique le praticien en tamponnant d'alcool la plaie sanguinolente.

Enfin, l'odeur des sels finit de ramener l'homme d'Église parmi les vivants. Il cligne plusieurs fois des yeux et dévisage, effrayé, ceux qui l'entourent : la jeune femme blonde étendue près de l'autel, la dizaine d'agents pleins de gravité, le docteur qui lui prend le pouls... Et les deux cadavres, bien sûr. Il ouvre la bouche mais aucun son ne sort.

— Mon père..., l'entreprend le détective Washington, vous vous souvenez de ce qui est arrivé ?

L'intéressé le regarde d'abord sans comprendre. Il porte sa main au pansement sur son front, soupire et, d'une voix hésitante, se met à raconter.

— Nous n'étions pas seuls, voilà la vérité ! Il y avait un autre de ces brigands. Caché là ! ajoute-t-il en montrant le drap à moitié soulevé sur la table.

— C'est impossible ! proteste l'un des policiers présents. Nous avons fouillé la salle avant !

— Un traître..., murmure Washington. Un traître qui aurait fait entrer l'ennemi !

À cette idée, un frisson d'effroi glace tous les inspecteurs.

— Il avait un pistolet dans chaque main, reprend le prêtre. Il a surgi d'un coup de sous l'autel et il les a pointés vers moi. « Un seul geste, a-t-il chuchoté, et tu verras le diable plus vite que le bon Dieu ! »

La simple évocation du blasphème fait trembler le brave homme dont le ventre replet se soulève en cadence.

— Ensuite il s'est approché. Il a détaché la jeune personne et quand elle a été libre... Seigneur ! Elle si douce, si docile jusque-là ! Elle a changé en un éclair ! Un démon, avec un rictus de haine ! Des prunelles qui crachaient le feu ! Elle est partie voir je ne sais quoi sous la table et son sourire s'est élargi encore. Puis ils ont comploté tous les deux à voix basse. Après quoi elle est allée écouter à la porte pendant que lui venait m'attacher. C'est là que vos collègues ont décidé d'entrer. Les deux bandits n'ont pas hésité une seconde : ils ont fait feu à bout portant. Et pour être sûrs que je n'appellerais pas, ils m'ont assommé d'un coup de crosse.

— Vous n'avez donc pas pu voir où ils se dirigeaient ?

— Hélas ! répond piteusement l'homme d'Église.

Un cri s'élève alors depuis le couloir.

— Chef ! Il y a une fenêtre ouverte à l'étage !

Washington s'élance vers l'escalier. Dans la pièce des archives au rez-de-chaussée, une fenêtre est entrouverte, effectivement. Elle donne sur la rue.

— Je te retrouverai, gronde le détective à l'attention de l'invisible fuyarde. Je te retrouverai et je te ferai payer !

 

(Fin 8-XII)

 

— Utilise ta tête, Washington, marmonna François en replaçant le manuscrit dans la grande enveloppe du Matin. Si toutes les affaires pouvaient être aussi carrées !

 

La neige avait cessé depuis la mi-journée et si les trottoirs ressemblaient de plus en plus à des chenaux boueux, le Jardin des Plantes, lui, évoquait une toile d'hiver de Pissarro : une immense perspective blanche mouchetée d'arbres gelés avec, au fond, un horizon de toitures immaculées. Le mauvais temps n'avait pas dissuadé les promeneurs et nombreuses étaient les familles venues prendre ici un avant-goût de Noël, parfois luge à la main. François se dirigea vers la ménagerie qui avait été aussi le lieu de sa première dispute avec Adèle, des années auparavant : elle, fille de la ville, estimant que les zoos offraient une chance unique de découvrir les beautés du monde à ceux qui n'avaient pas les moyens de le parcourir ; lui, élevé à la campagne, rétorquant qu'une prison était une prison, qu'on y mette un animal ou un homme – une intransigeance qui prêtait à sourire aujourd'hui. C'est en arrivant devant les ours blancs que la querelle s'était envenimée et que les tourtereaux s'étaient provisoirement séparés, chacun tenant à marquer la force de ses convictions dans cette passe d'armes initiatique. Leur séparation n'avait cependant pas duré : en moins de temps qu'il n'en fallait aux macaques de la rotonde des singes pour se réconcilier après leurs chamailleries, ils étaient tombés dans les bras l'un de l'autre, sous l'œil narquois des plantigrades qui avaient dû s'interroger sur la pusillanimité du genre humain, si tant est qu'ils aient eu encore des illusions à ce sujet. Par la suite, lorsqu'ils étaient venus prendre l'air du côté du quai Saint-Bernard, les deux amoureux n'avaient pas manqué de sacrifier au pèlerinage des ours blancs. Et comme François l'avait deviné, c'est bien là qu'Adèle l'attendait.

— Je n'étais pas sûre que tu viendrais, déclara la jeune femme en guise de remerciement. Ni que tu te souviennes.

Elle avait prononcé cette dernière phrase en baissant les yeux, presque timidement. De l'eau avait coulé sous les ponts, en effet, depuis l'époque insouciante de leurs premières amours. Des fleuves d'incompréhension, même... François, qui rêvait autrefois d'apprendre à lire aux enfants, avait pour finir fait de la mort son métier, d'abord sous les drapeaux puis à la Préfecture. Adèle, elle, avait troqué la robe noire de l'institutrice pour le somptueux manteau d'hermine qui l'enveloppait aujourd'hui – et qui valait peut-être vingt années de son ancien salaire. Dans ces conditions, qu'avaient-ils encore en commun ?

— Tu voulais me voir ?

— Tu as remarqué ? fit-elle en montrant la fosse. En plus des deux adultes, il y a un jeune, maintenant. Il est né l'année dernière, juste après la victoire.

François se pencha. L'enclos en contrebas était cerné de hauts murs, exactement comme la cour de la prison pour femmes de Saint-Lazare. Seule la couche de neige, succédané dérisoire de banquise, en atténuait un peu l'allure carcérale.

— J'espère que tu ne m'as pas fait venir pour évoquer la famille que nous aurions dû avoir ? railla-t-il.

— Tu as le droit d'être en colère, admit-elle. Si tu veux savoir, j'ai hésité plus d'une fois à venir te parler. Pour m'expliquer.

— Ah ! Et quand ça ? Pendant ma convalescence à l'hôpital, quand j'avais la tête en marmelade ? Ou bien juste après, quand je traînais mon vague à l'âme ? À moins que tu aies simplement voulu faire un tour à l'épicerie histoire de saluer Mado ?

Elle soupira, préparée d'évidence à ses sarcasmes.

— J'ai mal agi, François-Claudius, je le reconnais. Je n'aurais pas dû t'abandonner. Pas tant que tu étais au front.

— Des excuses touchantes. Dommage, depuis ma blessure, je suis faible d'une oreille.

— Tout était si confus, poursuivit-elle, le regard abîmé vers l'enclos. Cette guerre qui n'en finissait pas, ces morts par centaines de milliers. La peur, la tristesse partout. Toi qui étais si loin ! Et puis Frédéric est arrivé. D'une certaine manière, il était la vie, tu comprends ? La vie tangible, la vie tout de suite. Ça m'a retournée.

— Épargne-moi les détails, merci.

Adèle ne releva pas, absorbée par sa confesssion.

— J'étais trop jeune, ajouta-t-elle. Trop naïve. Une petite oie blanche et sans cervelle. Impatiente, stupide. Je m'en suis voulu, ensuite. Je m'en veux toujours, d'ailleurs.

François faillit lui rétorquer qu'elle avait surtout choisi un petit planqué de fils à papa qui lui offrait sur un plateau une fontaine à millions. C'eût été se soulager d'une nouvelle giclée d'acide, mais à l'usage, il se rendait bien compte qu'il n'en tirait pas la satisfaction escomptée. Dommage... En faisant un pas vers sa mère, il avait dû prendre goût aux vertus émollientes du pardon.

Ils se turent un moment, observant la femelle ursidée qui les dévisageait avec intérêt. Peut-être, dans un recoin épais de son cerveau, subsistait-il une image fugace, incertaine, celle de deux amants qui n'en finissaient pas de se chercher ?

— J'ai cru comprendre que ça n'allait pas très fort avec ton mari, lança François en manière d'armistice.

Elle haussa les épaules, ses boucles d'un blond cendré jouant avec légèreté sur sa fourrure blanche.

— Il n'est pas devenu aliéniste par hasard, déclara-t-elle avec un sourire forcé. Lui aussi lutte contre ses démons.

— Du genre ?

— Des comptes à régler avec son père. Depuis sa plus tendre enfance, je suppose. En apparence, il donne l'impression d'aller très bien, mais à l'intérieur, quelque chose le ronge. Et ce quelque chose, personne n'a le droit d'en approcher. Surtout pas sa femme. Ça ne nous a pas aidés, hélas.

François hocha lentement la tête.

— J'ai appris que vous aviez perdu un enfant. Je suis désolé.

— Ça nous a achevés, c'est sûr, frissonna Adèle. En plus... je... je l'ai pris comme une punition. Pour mes fautes. D'où ce besoin de te revoir, aussi. Quelque part, je me dis que si toi tu me pardonnes, eh bien... je ne sais pas, je pourrais repartir à zéro.

— À zéro ? Tu songes à quitter ton mari ?

Elle hésita à peine.

— Peut-être. D'autant que d'une certaine façon, il est parti le premier. Je ne ferais jamais que l'autre moitié du chemin...

— Et tu renoncerais d'un coup à être une Valfandier ? Au nom, à la fortune, à tout le tralala qui va avec ?

— Tout ce tralala, comme tu dis, ne m'a pas rendue heureuse. Et soyons honnête : Frédéric et moi, nous n'avons plus rien à partager.

— Tu serais prête à reprendre le chemin de l'école, alors ?

Elle eut cette moue gênée qu'il lui connaissait si bien.

— Maintenant que je suis tombée dans le cinéma, je ne suis pas sûre de vouloir en sortir. Tu vas me traiter de prétentieuse, mais je me suis découvert un petit talent pour inventer des histoires.

— Un vrai talent, tu peux dire, oui ! approuva-t-il. J'ai lu les huit premiers épisodes des Maudits : il y a tellement de rebondissements que ça m'en a tourné la tête.

— Les huit épisodes ? Ils ne sont même pas tous parus !

— Je connais quelqu'un au Matin.

La jeune femme esquissa un pas vers lui :

— Et... ça t'a paru comment ?

— Ce n'est pas un genre facile, avança-t-il prudemment. Surtout quand il s'agit de coller à une série de films. En l'occurrence, tu te débrouilles très bien.

— Mais encore ? Toi qui es policier, tu as pensé quoi de la trame générale ?

Impossible de se défiler.

— Qu'elle est tricotée avec habileté, vraiment.

Le nuage inquiet sur le visage de la jeune femme se dissipa.

— Tu as aimé, juré ? Et les personnages ? ajouta-t-elle après une hésitation. Les deux sœurs ?

— Les deux sœurs...

Bien sûr, il aurait pu faire semblant...

— Disons que j'ai marché jusqu'à l'épisode 8.

— Marché ?

— Eh bien... arrête-moi si je me trompe : Stela et Maud ne sont qu'une seule et même personne, n'est-ce pas ? Stela Dimus, Maud Stiles... Les Maudits...

Elle le fixa sans répondre.

— C'est la dernière scène qui a fini de me convaincre, poursuivit-il. La pièce fermée, le sac, le prêtre au milieu... Un tour de passe-passe, en fait. Sans compter que dans les épisodes précédents, Maud s'arrange toujours pour disparaître avant que Stela n'apparaisse.

— Continue...

— À mon sens, Stela ne s'est jamais enfuie : l'histoire de la confession n'était qu'un moyen pour faire entrer le loup dans la bergerie. Le curé, en l'occurrence. Qui sous sa soutane pouvait transporter tout un arsenal : des revolvers, un sac vide, une perruque blonde, une chemise de nuit... Notre héroïne se change et, ni vu ni connu, la voilà transformée en inoffensive Maud. Après quoi elle élimine les policiers, frappe son complice pour accréditer l'agression et se laisse enfermer dans le sac de l'innocence. Quant à ton détective Washington, il n'y voit que du feu.

— J'aurais préféré que ce soit pareil pour mes lecteurs, lâcha Adèle, dépitée.

— Rassure-toi, ton affaire est bien ficelée. C'est juste que je suis un professionnel !

— Et que dit le professionnel sur les raisons qui ont poussé Maud à agir ?

— Sur ce qui pousse les femmes à agir, soupira François, je préfère donner ma langue au chat. Peut-être qu'elle se venge de Washington ? Ou bien est-ce un stratagème pour mieux tromper la police ? D'un côté Stela multiplie les vols et de l'autre Maud récolte les informations qui lui permettent d'éviter la prison ?

Adèle fronça le nez de façon comique. Puis, sans crier gare, elle se jeta sur François et déposa un baiser sur sa joue.

— Ça m'apprendra à vouloir l'avis du meilleur flic de Paris ! s'amusa-t-elle.

— Eh, mais je t'interdis ! protesta-t-il sans conviction. Tu es mariée ! Et c'est toi qui m'as quitté, je te rappelle.

Elle se contenta de plonger ses yeux infiniment bleus dans les siens et de l'entraîner en riant vers la rotonde des éléphants. L'ourse les regardait s'éloigner en dodelinant de la tête : les humains étaient décidément incorrigibles.