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Le commandant de gendarmerie Aurélien Passart avait du mal à comprendre ce qui avait amené Lola Jost, ex-flic du ciat de la rue Louis-Blanc, Paris 10e, et Ingrid Diesel, masseuse de son état, domiciliée passage du Désir dans ce même arrondissement, à venir traquer Pierre Norton, un Parisien ayant refait sa vie en Savoie sous le nom de Pierre Normann. Il se faisait réexpliquer l’histoire par une Lola équipée d’une attelle au bras droit et d’un coquard à l’œil gauche. Ingrid buvait tranquillement son café en écoutant sa compagne. Elle trouvait qu’elle s’en sortait très bien. Le commandant commença à y voir plus clair lorsqu’il put joindre au téléphone le lieutenant Jérôme Barthélemy et faire le lien avec l’affaire Vanessa Ringer. Parler à un vrai flic dans l’exercice de ses légitimes fonctions le rassura. La promesse de l’arrivée, par le TGV de seize heures vingt-sept, dudit lieutenant finit de le convaincre qu’il n’avait pas affaire à une dangereuse paire d’illuminées. Ingrid et Lola précisèrent qu’elles seraient joignables à l’hôtel des Clochettes d’argent.

Le commandant Passart sembla soulagé de les voir lever le camp.

 

Jérôme Barthélemy mourrait d’envie d’aider la patronne à découper son jambon de pays. Empêchée de manier le laguiole à cause de cette vilaine attelle, elle bataillait dur contre une superbe raclette. Lola lui abandonna la découpe du jambon et se concentra sur la bouteille de roussette, un vin qu’elle jugeait « très convenable ». Quant à l’Américaine, elle n’y allait pas de main morte et faisait un sort à la savoureuse charcuterie de pays, aux pommes de terre fumantes qu’elle noyait sous le fromage chaud. C’était très communicatif de voir cette femme manger. Barthélemy considérait cette grande blonde un rien fantasque avec d’autant plus d’intérêt qu’il venait d’apprendre qu’elle avait sauvé la vie de Lola Jost. Rien que ça. Le lieutenant n’avait pas pu s’empêcher de lui serrer longuement la main et de la féliciter à plusieurs reprises. D’ailleurs, il en avait le cœur encore tout chaud. Il y alla de nouveau de son compliment.

— Ah, mademoiselle Diesel, je ne vous remercierai jamais assez !

— Tu nous fatigues, mon garçon, dit Lola de sa voix bourrue. Ingrid m’a sauvée, c’est une affaire entendue. On ne va pas faire le réveillon là-dessus.

— Moi, je resterais bien ici pour le réveillon, dit Ingrid en raclant encore une bonne dose de fromage, c’est chouette !

— Il nous faut pourtant rentrer, ma fille. On n’a pas tout à fait fini notre travail. Il y a encore deux ou trois fourberies à élucider.

Barthélemy sourit à la patronne. Demain, il embarquerait Norton à Paris. Mais ce soir, il s’amusait comme un petit fou. La grande Lola était de retour. Cabossée, à moitié éborgnée, claudicante mais debout. Ô combien debout. Elle avait élucidé l’affaire Vanessa Ringer, elle avait résolu un meurtre vieux de douze ans. Et elle en voulait encore. Comme elle voulait encore de cette raclette, de cette roussette. Quelle merveilleuse santé ! Ah, c’était autre chose que les chipotages du Nain. Et d’ailleurs ça ne valait même pas le coup d’y penser à celui-là.

— Mais de quoi tu parles, Lola ?

— De Chloé Gardel et Khadidja Younis, pardi. Ces deux gamines me doivent une explication. Et je l’aurai.

L’Américaine poussa un soupir qui lui fit des joues de hamster, dit une grossièreté du genre « Why is this so fucking important to you ? », et finit par hausser les épaules. Elle faisait équipe avec la patronne depuis trop peu de temps pour avoir tout compris. Normal, il fallait des années de pratique pour approcher la vérité. Et encore.