15.

Branle-bas de combat ce dimanche. Lara avait invité sa petite famille à déjeuner. Les deux sœurs ne manquaient pas une occasion de se retrouver et Lara avait tenu à ce que le repas ait lieu chez elle. Valérie avait accepté avec joie ; pour une fois qu’elle pouvait mettre les pieds sous la table ! Le timing était serré et, pendant que Frank préparait les entrées et que David jouait dans sa chambre, la jeune femme s’affaira à mettre un semblant d’ordre dans son bureau qui allait à coup sûr être envahi par les enfants. Elle rangea les catalogues sur une étagère, mis son ordinateur portable en sécurité dans un tiroir pour éviter toute casse et fit un rapide tri de son courrier quelle répartit dans un trieur. Dans le lot, elle retrouva la lettre du laboratoire qu’elle n’avait toujours pas eu le courage d’ouvrir et qu’elle avait – d’une certaine manière – mise de côté dans son esprit. Elle s’assit et observa l’enveloppe pendant un moment. Il suffisait de l’ouvrir pour savoir enfin. Mais la vague de tendresse qui monta en elle fit place à la curiosité et au doute. Garder son amour intact pour l’homme qu’elle avait tant aimé était devenu plus important que tout. Elle se tourna vers le portrait de Philippe accroché au mur et lui envoya un baiser du bout des doigts.

– J’espère que tu es heureux, où tu es, pensa-t-elle, parce que moi je l’ai vraiment été avec toi.

Elle déchira l’enveloppe en tout petits morceaux et alla les jeter à la poubelle dans la cuisine.

Dès que sa sœur arriva avec les siens, David invita ses cousins à le rejoindre dans sa chambre pour leur montrer ses nouveaux jouets, puis tout le monde passa à table. Au moment de servir, Valérie frappa son verre avec sa fourchette pour faire une annonce.

– Bon voilà, dit-elle sur un ton solennel. Hasard du calendrier, aujourd’hui Arnaud et moi fêtons notre anniversaire de mariage, continua-t-elle en levant son verre.

Tout le monde applaudit et se laissa aller de ses commentaires. Une fois le calme retrouvé, chacun fut prêt à planter sa fourchette dans le plat disposé au centre de la table, quand Lara fit tinter son verre à son tour. Toute la troupe s’arrêta dans son élan et la fixa impatiente de savoir ce qu’elle allait annoncer. Les enfants affamés par l’odeur des frites commençaient à trouver ce jeu d’adulte pas vraiment marrant et le plus grand demanda.

– Alors, toi c’est quoi ? Tu vas aussi te marier avec Frank ? Dit-il, fier de lui d’avoir trouvé la réponse avant les autres.

– Non, mais l’année prochaine, il faudra mettre une assiette de plus.

– Je m’en doutais, hurla Valérie en sautant de sa chaise comme une sauterelle et en tapant des mains. Il a pris tellement d’espace depuis le début qu’on ne pouvait pas le louper, continua-t-elle en oscillant entre rires et pleurs.

– Oui, elle m’avait dit qu’elle s’en doutait, surenchérit Arnaud, qui partageait visiblement la joie de sa femme.

Tout le monde se leva pour embrasser les futurs parents. David resta sur sa chaise, la tête baissée, son nounours sur les genoux. La tristesse envahissait son visage et son regard semblait absent. Lara vit ce petit bonhomme et toute sa détresse et, pour la première fois, un élan d’amour l’envahit. Elle prit conscience à quel point elle avait failli à son rôle de mère. La souffrance du petit garçon lui déchira le cœur.

– Viens chez maman, lui dit-elle, elle lui tendant les bras.

Pour la première fois David se senti embrassé avec amour par sa mère. Ils restèrent un moment ainsi, collés l’un contre l’autre et Lara sentit les liens s’ancrer entre eux. Puis, chacun se mit à table dans une ambiance de fête. Les enfants de Valérie commençaient déjà à se disputer pour être celui ou celle qui s’occupera le plus du bébé et il fallut les rappeler au calme. Lara se sentait dépassée par tant d’expression de joie et d’amour. Elle eut l’impression de ne plus être à l’intérieur d’elle-même, mais de contempler la scène du dehors, dans un espace-temps en duplication, où elle pouvait observer sa vie et planer dans une autre dimension en étant portée, légère et entière. Elle posa sa main sur l’épaule de son fils et lui dit en souriant :

– Ce sera toi qui aura le droit en premier de t’occuper de lui et je peux te dire que le bébé a une sacrée chance d’avoir un grand frère comme toi.

Le visage de David rayonna de fierté. L’enfant alla reprendre sa place parmi ses cousins et leur cria :

– Maman a dit que ce sera moi le premier pour le bébé et que vous devrez me demander d’abord.

Valérie regarda l’enfant émue, puis croisa le regard de sa sœur. Leurs sourires complices remplaçaient tous les mots.