L’homme tremble.
Au-dessus de lui, la voûte céleste piquetée d’étoiles. La nuit froide et claire contraste avec la chaleur de la journée écoulée. Même s’il refuse de penser à hier après-midi, l’impact de son geste demeure enfoui sous sa peau, juste à portée. Ce n’est pas la température qui cause ses frissonnements.
Il n’avait jamais tué personne avant.
Il pensait être préparé, mais ce sont la rage et la haine ressenties au moment ultime qui l’ont porté. Maintenant que tout est derrière lui, il se sent patraque, pas sûr de ce qu’il ressent. Il a ri et pleuré, il a tremblé de honte, de répugnance, il s’est bercé sur le carrelage de la salle de bains dans une excitation confuse. C’était indescriptible, ce qui est sûrement normal, se dit-il. Il a ouvert une porte qui ne se refermera jamais, il a expérimenté un drame que peu d’humains ont vécu. Il n’y a pas de préparation ni de guide pour le voyage dans lequel il s’est embarqué. Pas de carte pour tracer son itinéraire. L’acte de donner la mort le laisse à la dérive sur une mer inexplorée d’émotions.
Il aspire l’air frais à petites goulées, son corps continue de chanter. C’est si calme par ici qu’il entend le souffle du vent, comme si la nature murmurait quelques secrets durant son sommeil. Les lampadaires forment de petits points brillants. Il est immobile, une personne qui passerait à quelques mètres ne se douterait pas de sa présence, alors que lui la verrait, la flairerait. Il se sent connecté au monde. En ces premières minutes de lever du jour, il sait qu’il est totalement seul.
Il attend.
Parcouru de frissons.
Il a presque du mal à se souvenir de sa colère. Hier, la rage le consumait, enflait sa poitrine au point que son corps entier se convulsait comme une marionnette qui se serait arrachée à ses fils. Sa tête était si pleine de lumières aveuglantes qu’il ne parviendra sans doute pas à se souvenir de son geste. Il a l’impression d’être sorti de sa gangue, d’avoir autorisé l’émergence d’un nouveau moi. S’il était religieux, il soutiendrait qu’une force extérieure l’a possédé. Mais ce n’est pas le cas, donc ce qui l’a embrasé venait de l’intérieur, il le sait.
C’est parti à présent, ou du moins, cela s’est rétracté. Ce qui lui semblait juste hier après-midi lui laisse aujourd’hui un goût amer, un fumet de culpabilité. En Neil Spencer, il avait trouvé un enfant perturbé ayant besoin d’être secouru et choyé, il croyait être la personne désignée pour l’aider. Il voulait élever, éclairer Neil. L’héberger. Le gâter.
Cela n’avait jamais été son intention de lui faire du mal.
Pendant deux mois, tout a parfaitement fonctionné. L’homme en éprouvait une paix intérieure. La présence du garçon, son apparente satisfaction étaient un baume. Pour la première fois, son univers semblait équilibré, comme si la longue infection qu’il portait en lui avait commencé à se résorber.
Mais bien sûr, ce n’était qu’illusion.
Neil lui mentait depuis le début, comptait les jours, prétendait être heureux. L’homme s’est rendu compte que l’étincelle de bonté dans les yeux de l’enfant était fausse, que c’était juste une ruse, une duperie. Depuis le commencement, il s’était montré trop naïf et confiant avec Neil. L’enfant n’était qu’un serpent en habit de petit garçon. Il méritait ce qui lui est arrivé.
Le cœur de l’homme cogne très fort.
Il inspire profondément, s’oblige à calmer ses palpitations, écarte les mauvaises pensées. Ce qui s’est passé est répugnant. Si, parmi toutes les émotions, cela apporte aussi cet étrange sentiment d’harmonie et de satisfaction, c’est trop horrible, il faut le combattre. L’homme doit se cramponner à la tranquillité des semaines précédentes, même si l’expérience s’est mal terminée. Il a mal choisi, voilà tout. Neil était une erreur, cela n’arrivera plus.
Le prochain petit garçon sera parfait.