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Quelle journée vraiment compliquée, pense Jake.

Il est très fatigué, et c’est bien la faute de ce qui est arrivé cette nuit, même s’il ne s’en souvient pas vraiment. Il dormait à moitié, mais était encore très en colère contre papa qui a écrit que maman est morte, comme si c’était rien. Voilà pourquoi Jake s’est énervé, ce qui n’est pas bien parce que ça l’empêche d’y voir clair dans sa tête.

La colère est retombée doucement pendant la journée, ça aussi c’est déroutant, les disputes se dissipent comme le brouillard du matin. En classe, il était d’abord malheureux, il avait envie de serrer papa dans ses bras, de lui dire qu’il était désolé et de l’entendre répondre que lui aussi.

Ça a commencé à aller mieux.

Mais Owen a fait son truc, Jake aussi, ce qui a causé le passage dans le bureau de Mme Wallace. Le résultat n’était pas si mauvais, sauf pour deux raisons : la première, sa boîte à secrets était de nouveau à la merci d’Owen, en classe. Une idée insupportable.

« Jake, tu peux me regarder quand je te parle », répétait Mme Wallace, parce qu’il fixait la porte fermée.

La deuxième, c’est que papa allait être déçu et fâché parce qu’il s’était encore fait remarquer, ce qui signifiait que la situation ne s’améliorerait pas avant longtemps. Ou peut-être jamais.

Peut-être que papa écrit aussi des mots horribles sur lui.

Jake pense que papa en a envie.

Quand il est retourné à sa place, la pochette avait l’air intact, il en a déduit que, peut-être, il devrait frapper les autres plus souvent. À l’heure des mamans, papa n’avait pas l’air fâché du tout. Au contraire, c’est même lui qui s’est fâché contre Mme Shelley ! C’est très courageux, pense Jake. Plus important encore, papa était de son côté. Même s’il ne l’a pas dit ouvertement, Jake a senti qu’il l’était. Même s’il n’a pas eu de câlin, ce qui arrange les choses en général.

Maintenant ils sont au commissariat.

Au début, c’était bien parce que tout est intéressant ici et les gens sont gentils, mais il a quand même envie de rentrer. Un nouveau policier est arrivé, et tout s’est compliqué, surtout le comportement de papa. Avec les autres policiers, il allait bien, mais là, il est pâle, il a peur comme s’il était en classe avec lui et que le monsieur était comme Mme Shelley.

On dirait aussi que le nouveau policier n’est pas à l’aise. Quand la dame policière s’en va avec le papier que papa a signé, l’ambiance devient très bizarre dans la pièce. Comme si de la pâte-à-fixe collait tout le monde en place.

Maintenant, le nouveau monsieur s’approche lentement de lui.

– Tu t’appelles Jake, c’est ça ?

– Oui, c’est moi.

Ça au moins, c’est rassurant.

Le monsieur sourit. Un drôle de sourire. Il a vraiment une tête de gentil, mais son sourire est inquiet. Il tend la main, Jake la serre, ce qui est le comportement poli qu’on attend de lui. Sa grande main est chaude, sa poignée de main, très douce.

– Je suis content de te connaître, Jake. Tu peux m’appeler Pete.

– Bonjour, Pete, dit Jake. Moi aussi je suis content de vous rencontrer. Pourquoi est-ce qu’on peut pas retourner à la maison ? Quelqu’un a dit ça à papa.

Pete fronce les sourcils, s’agenouille devant lui, observe sa figure de très près, comme si un secret était caché derrière. Jake ouvre de grands yeux pour que Pete sache qu’il ne cache rien. Non, pas de secret ici, monsieur.

– C’est très compliqué, répond Pete. On doit faire des relevés dans ta maison.

– À cause du garçon dans la terre ?

– Oui.

Pete lève les yeux vers papa, Jake se souvient alors qu’il ne doit pas parler de ça. Mais franchement, avec l’ambiance bizarre, c’est presque normal d’avoir oublié.

– Je lui en ai parlé, répond papa.

– Comment saviez-vous que c’était un garçon ?

Papa a l’air pris la main dans le sac. Il reste planté là, remue d’avant en arrière comme s’il avait oublié comment fonctionnaient ses jambes. Jake a l’impression que s’il s’en souvient, ce sera pour foncer tête la première.

– Je lui ai dit « un corps », répond papa. Il aura interprété.

– Oui, c’est vrai, ajoute Jake.

Il ne veut pas que papa se batte, surtout pas contre un policier, parce qu’on dirait vraiment qu’il est prêt à le faire.

Pete se relève lentement.

– OK. Passons aux questions de routine. Il n’y a que vous deux ?

– Oui.

– La mère de Jake… ?

– Ma femme est morte l’an passé.

– Je suis désolé. Ça a dû être dur pour vous deux.

– On va bien.

– Je vois ça.

Si c’est pas compliqué, ça ! Jake voudrait intervenir. On dirait maintenant que c’est Pete qui est gêné, il n’arrive plus à regarder papa en face. Mais Pete est policier, ça veut dire qu’il assure, non ?

– On a une solution de logement mais cela ne vous plaira pas forcément. Il y a de la famille chez qui vous préférez aller ?

– Non. Mes deux parents sont morts.

Pete hésite.

– Ah. Je suis désolé de l’apprendre aussi.

– C’est bon.

Papa avance d’un pas. Jake retient son souffle. On dirait que papa a juste envie de taper quelqu’un, pas de le faire en vrai. Il garde les yeux fixés sur le mur, Jake le trouve soudain plus vieux, plus fatigué qu’à son arrivée ici.

– Alors, nous nous en occuperons pour vous, dit Pete.

– Merci.

– Si vous avez besoin d’affaires, je peux vous accompagner chez vous pour les prendre.

– Parce qu’on doit être accompagnés ?

– Oui. L’accès est sous séquestre pour l’instant. Je dois établir un rapport pour tout ce qui serait retiré.

– Ce n’est pas la joie.

– Je sais. Je suis sincèrement désolé, dit Pete en regardant enfin papa.

– C’est comme ça, répond-il avec un haussement d’épaules. Jake, réfléchis à ce que tu voudrais, s’il te plaît.

– D’accord.

Au lieu de réfléchir, Jake les observe, papa et Pete sont à nouveau figés, comme s’ils ne savaient pas ce qu’ils fichaient sur terre. Jake se dit que si lui ne fait rien personne ne fera rien, alors il repose la brique de jus de fruits avec un gros boum sur la table.

– Mes dessins, papa. Je veux mes dessins.